Issue
Cah. Agric.
Volume 26, Number 4, Juillet-Août 2017
Les oasis en Afrique du Nord : dynamiques territoriales et durabilité des systèmes de production agricole. Coordonnateurs : Ahmed Bouaziz, Ali Hammani, Marcel Kuper
Article Number 47001
Number of page(s) 2
Section Analyses d’ouvrages / Book reviews
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2017031
Published online 11 August 2017

L'ouvrage « Secret des oasis et du palmier-dattier » entre incontestablement dans la série des « beaux livres » à texte : abondamment illustré, souvent en pleine page, par des photos de qualité, il est construit autour d'un texte technique et qui aborde de nombreux aspects du sujet. Une première partie est consacrée aux oasis du Maroc, et à la filière du palmier dattier au Maroc dans le cadre des plans de réhabilitation mis en place par les nouvelles politiques agricoles du Plan Maroc Vert (PMV). La seconde partie est consacrée au palmier, depuis les palmiers sauvages des origines jusqu'aux vitroplants modernes, de la plantation à la récolte. La 3e partie intitulée « l'environnement oasien » traite des opportunités de développement des activités qui accompagnent la phoeniciculture (apiculture, élevage camelin, éco-tourisme saharien). La 4e partie revient sur la production mondiale de dattes et sur la place du Maroc dans cette filière.

Il s'agit très visiblement d'un livre « de commande » : après un ouvrage similaire intitulé « Secrets de l'olivier », et plusieurs beaux catalogues des produits de terroir au Maroc, il est le 10e de la série « Beaux-livres des terroirs du Maroc », éditée dans le cadre de la mise en place par le ministère de l'Agriculture d'une politique volontariste pour le développement des produits du terroir marocain (le pilier 2 du PMV, consacré au « développement solidaire de la petite agriculture »). L'ouvrage est d'ailleurs préfacé par le très influent ministre de l'Agriculture. Le cadre est donc posé : ce beau livre rentre dans les stratégies de promotion à la fois du patrimoine agraire et rural du Maroc, et des efforts de « mise à niveau » de l'agriculture de terroir initiés dans le cadre du PMV. Cette double louange d'une « tradition » érigée en patrimoine et d'une « modernité » glorieuse n'est pas sans ambiguïté. Il est parfois difficile de trouver la bonne nuance pour vanter les mérites, voire l'ingéniosité, de l'agriculture locale et des savoirs paysans, ou la qualité des produits locaux, et de dire en même temps que ces savoirs sont entièrement à revoir, ou que la qualité des produits, finalement, laisse à désirer. Et, de ce fait, l'ouvrage n'évite pas le piège des contradictions.

La première de ces contradictions vient de la construction du livre : l'ouvrage s'ouvre, dès l'introduction, sur la « civilisation des oasis », et l'on présente ces oasis et leurs palmeraies comme « des îlots de résistance face aux phénomènes de désertification » (p. 14), érigés par « des hommes et des femmes au savoir-faire ancestral » (p. 16). Mais on n'en apprendra guère plus sur ce qu'est une oasis, sur l'histoire, sur les savoir-faire qui l'ont érigée et la reproduisent, sur l'économie solidaire de l'ensemble de la communauté oasienne (p. 18) ou sur la gestion sociale et communautaire de l'eau. Le reste de l'ouvrage reste très agro-technique. Les aspects historiques, culturels ou sociaux ne sont qu'effleurés, jamais creusés comme le sont les aspects plus techniques de la culture du palmier. Si l'on veut vraiment rentrer dans « les secrets des oasis », mieux vaut se reporter au livre, passionnant, de Vincent Battesti, « Jardins au désert » publié il y a quelques années.

La seconde contradiction réside dans la difficulté que nous avons mentionnée : comment passer de la tradition à la modernité, c'est-à-dire « réhabiliter les palmeraies anciennes, tout en préservant le durable, en l'adaptant au monde moderne de la science et au développement économique de l'ensemble de la filière dattière » (p. 21). Les auteurs hésitent souvent entre l'apologie et le dénigrement des savoirs locaux et des institutions communautaires : ici on déplore leur érosion, un peu plus loin on les considère comme des freins à la modernité. On mentionne l'ingéniosité des oasis, avec leurs cultures en étage, leurs centaines de variétés de dattes, leurs systèmes de captage des eaux souterraines, la gestion communautaire et solidaire, mais ce sont finalement les programmes de modernisation et d'extension hors oasis du PMV qui sont détaillés, selon un modèle de monoculture intensive à base de « nouveaux clones d'importance agronomique », et entraînant une gestion privative des ressources hydriques et foncières.

Une autre contradiction réside dans le traitement de la question de l'eau. L'oasis est bien le modèle le plus abouti de domestication et de maîtrise de l'eau dans un environnement extrêmement contraignant. L'ouvrage mentionne la question de la raréfaction de l'eau comme le problème numéro un des oasis. S'il s'agit, pour les auteurs, d'un problème climatique, la question sociale arrive vite. Non pas pour expliquer que la domestication de l'eau exige des soins constants, et que l'exode rural met en péril les institutions et les savoirs millénaires qui garantissent que l'eau continue à circuler dans l'oasis. Non, il s'agit plutôt de mentionner (à plusieurs reprises dans ce livre) combien la gestion traditionnelle, communautaire « bloque la modernisation » et gaspille l'eau. La solution trouvée à ce problème est technico-sociale : le goutte-à-goutte, qui est intimement lié à des forages, et à une gestion individuelle de ces forages. La multiplication de ces forages (liée en grande partie à l'extension des cultures de palmier hors oasis, sur d'anciennes terres de parcours) ne semble pas inquiéter les auteurs. En tous cas pas au Maroc. Par contre, dans la fiche sur les oasis de Tunisie, les auteurs mettent bien le doigt sur le problème principal : l'extension de la culture du palmier en monoculture hors oasis est en train d'assécher les nappes dans toute la région phoenicicole. Pourquoi ce qui est vrai en Tunisie ne serait-il pas valable pour le Maroc ?

Malgré les nombreuses informations techniques sur la culture du palmier et sur la réorganisation de la filière phoenicicole au Maroc dans le cadre de ses nouvelles politiques agricoles, malgré les photos qui constituent l'un des attraits majeurs de l'ouvrage, on ne peut donc que déplorer ce manque d'attitude critique qui aurait consisté à analyser les difficultés que rencontrent les organismes de développement entre leur volonté de modernisation et de valorisation marchande de la phoeniciculture, et leur souci du maintien d'un patrimoine oasien de valeur irremplaçable. Comment penser la modernisation des oasis, non pas selon les normes d'une agriculture techniciste et capitaliste qui risque de mettre en péril l'équilibre environnemental et social des régions oasiennes, mais dans la logique même du système oasien ? La question reste posée.


© G. Michon, Published by EDP Sciences 2017

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