Open Access
Issue
Cah. Agric.
Volume 31, 2022
Article Number 29
Number of page(s) 3
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2022029
Published online 01 December 2022

Boiffin J, Doré T, Kockmann F, Papy F, Prévost P (coord.), 2022, Éditions Quae, 496 p., 59 €, ISBN : 978-2-7592-3541-4, version numérique en accès libre sur www.quae-open.com.

En cette période de crises multiples (climatique, environnementale, énergétique, sécuritaire…), La fabrique de l’agronomie vient rappeler l’importance de l’agronomie pour nos sociétés. Dans cet ouvrage, l’agronomie est considérée à la fois comme une discipline scientifique et technique tournée vers l’action. Elle cherche à relier deux centres de gravité principaux : les processus de production végétale et l’action de l’homme sur ces derniers.

Cet essai expose en détail, et selon différents angles, les évolutions marquantes de la discipline de 1945 à nos jours. La fabrique de l’agronomie décrit ainsi la manière dont l’agronomie s’est façonnée en France, quels ont été les acteurs de sa genèse et de ses transformations progressives. Ce faisant, ce livre représente aussi une tentative d’ouvrir la « boîte noire » de la construction d’une discipline, constituant ainsi une véritable « autobiographie d’une discipline ».

Au-delà de cette approche historique et épistémologique, les auteurs des différents chapitres proposent des éléments pour faire vivre l’agronomie à l’avenir, afin qu’elle contribue à mieux définir des modèles durables de production agricole préservant l’environnement, la sécurité alimentaire et la santé. Cette écriture a mobilisé une trentaine d’auteurs issus des secteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et du développement agricole.

L’ouvrage est structuré en deux grandes parties. La première présente l’évolution de l’agronomie en tant que discipline scientifique et technique. La seconde partie traite de la place et du rôle des institutions (recherche, enseignement, développement) dans cette fabrique de l’agronomie.

La première partie décrit les étapes majeures à travers lesquelles se sont constitués le corpus théorique et méthodologique de la discipline et son référentiel d’action, tels qu’ils se présentent aujourd’hui. Cette partie est composée de cinq chapitres, dont les trois premiers décrivent successivement les domaines, objets et concepts de l’agronomie, puis ses approches, méthodes et outils, et enfin les échelles traitées dans les questions agronomiques. Les deux premiers chapitres permettent de clarifier le périmètre de l’ouvrage, donnent à voir ce que l’on entend par « fabrique », et sont l’occasion pour le lecteur de se familiariser avec les grandes périodes qui vont marquer cette discipline. Le chapitre 3, « De la parcelle à la planète », aborde la question du changement d’échelle (« sortir » l’agronomie de la parcelle et de l’exploitation agricole), qui est apparue lorsque les agronomes se sont emparés des questions environnementales (érosion, flux de gènes, biodiversité, aménagement du territoire, politique alimentaire territoriale…) et ont commencé à dialoguer avec une diversité d’acteurs des territoires. Les chapitres suivants traitent des interactions avec les autres disciplines (chap. 4) et de l’innovation (chap. 5). Ils mettent en exergue d’une part l’élargissement du champ d’intervention de l’agronomie ces dernières décennies, et d’autre part l’engagement des agronomes dans l’appui aux acteurs économiques, en premier lieu les agriculteurs et leurs organisations. Ils révèlent aussi les tiraillements de la discipline entre deux pôles : les processus biologiques mettant en interaction tous les éléments du vivant, dont les plantes cultivées d’une part, et les décisions des agriculteurs et des gestionnaires des ressources à mobiliser (eau, terre, connaissances…) d’autre part. L’émergence récente du concept d’agroécosystème, bien précisé dans cet ouvrage, permet de faire le lien entre ces pôles.

La seconde partie aborde la fabrique de l’agronomie selon les différentes institutions qui la mobilisent pour assoir des projets de recherche, des cursus d’enseignement et des programmes d’appui aux agriculteurs, aux filières et aux territoires. Pour cela, elle examine comment ont évolué certaines interactions majeures entre l’agronomie (et/ou les agronomes de divers métiers qui l’ont mise en pratique) et l’environnement socio-économique et politique dans lequel s’est inscrit son développement.

Cette seconde partie révèle la construction progressive d’une communauté de pensée et de pratiques née des proximités qui se sont renforcées au fil du temps entre la recherche, l’enseignement agricole et le système de développement agricole en France, mais aussi entre les institutions françaises travaillant spécifiquement pour l’agriculture française et celles intervenant dans les pays du Sud. Plus spécifiquement, les chapitres 6 et 7, recouvrant l’arène académique, traitent des rôles respectifs de la recherche et de la formation dans la fabrique de la discipline. Le chapitre 8, « Contribution du système de développement agricole à la dynamique de l’agronomie », rappelle que les agronomes qui y travaillent ont mobilisé les outils de l’agronomie pour concevoir les appuis apportés aux agriculteurs et à leurs organisations. Avec cet « outillage », ils ont pu localement faire évoluer les références agronomiques et surtout les connaissances des agriculteurs. Ce chapitre souligne la complexification du métier d’agronome dans ces structures de développement au regard de la diversité croissante des partenaires locaux et des questions à traiter, dans un contexte de réduction de moyens pour le conseil agricole.

Le chapitre 9, « Politiques publiques et agronomie », constitue une originalité de l’ouvrage car il est peu fréquent que les agronomes développent une approche réflexive sur leurs contributions à l’élaboration des politiques publiques. Il montre comment les agronomes ont contribué aux réglementations relatives à la fertilisation azotée, à la protection des cultures et à l’usage des produits phytosanitaires, ainsi qu’aux politiques d’aménagement des terres (cartographie des sols, irrigation, drainage…). Il met en évidence une mobilisation croissante des agronomes par les décideurs dans l’élaboration de ces politiques. Mais cette contribution peut être limitée par des temporalités différentes, l’impossibilité d’ajuster chaque politique aux situations locales (territoire, département) et les tensions entre les politiques environnementales et celles d’appui aux filières encore dominantes en France.

À travers ce réseau d’acteurs et ce jeu d’interactions, l’évolution du contexte socio-économique a influencé la fabrique de l’agronomie en l’orientant vers des finalités différentes au fil du temps : indépendance alimentaire nationale au sortir de la guerre, modernisation de l’agriculture, enjeux environnementaux, d’abord restreints à la protection des ressources puis ne cessant de se diversifier et de s’amplifier jusqu’aux altérations de la planète par le dérèglement climatique, à la perte de biodiversité et au défi démographique, et enfin se conjuguant avec une exigence accrue vis-à-vis de la qualité de l’alimentation et de son impact sur la santé.

Cet ouvrage rappelle dans plusieurs chapitres que l’agronomie s’est emparée dès les années 1990 des questions environnementales (pollutions liées aux intrants, perte de biodiversité, érosion…), ce qui a amené plusieurs avancées méthodologiques et conceptuelles : rapprochement entre autres avec l’écologie ; prise en compte d’une plus grande diversité de niveaux d’analyse et d’intervention, et plus récemment, des questions d’alimentation et de santé. Ce tournant a également demandé aux agronomes de mieux considérer les apports en connaissances des agriculteurs et d’autres usagers des territoires et de les intégrer dans la conception d’innovations ou de systèmes productifs à la fois rentables et durables.

Il faut noter l’ouverture de cet ouvrage aux agricultures du Sud, qui ont également été objet de recherche et d’enseignement de la part de structures françaises comme le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), l’Institut de recherche pour le développement (Ird), l’Institut Agro, AgroParisTech… et de leurs partenaires des pays tropicaux et méditerranéens. Depuis les années 1980, des collaborations étroites entre ces structures et celles centrées sur l’agriculture en France avaient permis d’enrichir les réflexions méthodologiques et conceptuelles. Ces collaborations, qui se sont densifiées avec la création des Unités mixtes de recherche (UMR), soulignent l’intérêt pour l’agronomie de comparer des situations de production et d’innovation agricoles, même si les contextes sont très différents. Mais aujourd’hui, tous partagent certains défis comme la mobilisation face au changement climatique et la dépendance aux intrants de synthèse et aux énergies fossiles.

Cet ouvrage de 496 pages est dense, bien illustré par de nombreux schémas et encadrés. Il est facile à lire dès lors que l’on dispose de connaissances agronomiques de base. Le lecteur pressé pourra lire les chapitres qui l’intéressent le plus a priori, chaque chapitre constituant un tout cohérent accompagné de références bibliographiques. Il faut aussi souligner que l’ouvrage est en accès libre sur le site QUAE Open : https://www.quae-open.com/produit/190/9782759235421/la-fabrique-de-l-agronomie.

La fabrique de l’agronomie intéressera un lectorat diversifié. Les historiens et les passionnés d’histoire agraire et des sciences y trouveront les principaux éléments sur l’évolution de l’agronomie et, d’une certaine façon, des relations entre la société et l’agriculture. Les étudiants et les jeunes agronomes trouveront dans ce livre les bases de la discipline, les références des textes fondateurs de l’agronomie et l’empreinte de ses principaux « fondateurs », comme A. Demolon, S. Hénin et M. Sébillotte. Cet ouvrage pourra être une source d’inspiration, voire une incitation à se réapproprier des outils et des méthodes aujourd’hui peu mobilisés, comme la démarche clinique (tour de plaine, profil cultural, schéma d’élaboration du rendement…). Les plus anciens y trouveront des éléments de leur carrière professionnelle et pour certains les souvenirs de terrains et d’expériences emblématiques présentées dans l’ouvrage sous forme d’encadrés.

Enfin, cet ouvrage positionne la discipline et les métiers de l’agronome dans le futur en mettant en avant les avancées récentes comme le besoin de considérer les agroécosystèmes et non plus seulement l’agrosystème, et donc une diversité d’acteurs des territoires et des systèmes alimentaires comme partenaires de la conception de systèmes de production durable. Bien sûr, un seul livre ne peut pas aborder tous les domaines relatifs à une discipline aussi complexe que l’agronomie. Plusieurs domaines sont juste abordés car peut-être trop récents pour les insérer dans cette approche historique, comme par exemple la mobilisation des outils numériques et la place de la modélisation informatisée. De même, la confrontation avec la fabrique de l’agronomie dans d’autres pays et continents n’est pas abordée et pourrait faire l’objet d’un ouvrage spécifique. Il s’agirait alors de comparer cette fabrique de l’agronomie « à la française » avec ce qui s’est passé dans d’autres pays européens, américains… ou dans les centres internationaux de recherche du partenariat mondial CGIAR. Toujours dans ce souci de généricité et d’ouverture à d’autres pays et continents, l’ouvrage aurait pu traiter de l’impact de l’agronomie portée par les structures françaises pour l’élaboration des politiques publiques des pays du Sud et des conventions internationales (climat, biodiversité).

Aujourd’hui se pose aux nouvelles générations d’agronomes plusieurs questions relatives à leur positionnement dans les structures qui les emploient et dans la société : comment faire vivre l’agronomie ? Comment s’assurer de la continuité du travail entrepris depuis la fin de la seconde guerre mondiale, quand le nombre d’exploitations agricoles ne cesse de baisser en France et quand l’insécurité alimentaire à l’échelle mondiale est de plus en plus prégnante ? Comment amener les décideurs à intégrer plus souvent les agronomes dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation des politiques publiques ? Ces questions, largement abordées dans cet ouvrage, constituent aussi le socle de réflexion de l’Association française d’agronomie (AFA) qui a largement soutenu et contribué à la rédaction de La fabrique de l’agronomie.


© P. Dugué et C. Rawski, Hosted by EDP Sciences 2022

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