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Cah. Agric.
Volume 29, 2020
Durabilité de la production dans les zones cotonnières d’Afrique de l’Ouest. Coordonnateurs : Mamy Soumare, Michel Havard, Bruno Bachelier
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Numéro d'article | 40 | |
Nombre de pages | 9 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2020036 | |
Publié en ligne | 23 décembre 2020 |
Article de Recherche / Research Article
Croissance démographique, sécurité alimentaire et accès à la santé et à l’éducation en zone cotonnière du Mali
Population growth, food security, health and school access in cotton zone in Mali
1
Institut d’Économie Rurale et Université des Sciences Sociales et de Gestion de Bamako,
BP 262,
Bamako, Mali
2
CIRAD, UMR INNOVATION,
F-34398
Montpellier, France
3
INNOVATION, Univ Montpellier, CIRAD,
Montpellier, France
* Auteur de correspondance : mamy.soumare@ier.ml
Le Mali a quadruplé sa population entre 1960 et 2020. Cette croissance démographique implique des besoins d’accès à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, à la santé, à l’éducation et à l’emploi pour les primo arrivants. C’est le secteur agricole qui est sollicité par les politiques publiques pour répondre à cette demande. Quelle est la tendance démographique dans la zone cotonnière du Mali ? Quelles ont été les réponses locales face aux implications de cette croissance démographique en termes d’accès à la santé et à l’éducation ? Le présent article répond à ces questions à travers la mobilisation et l’analyse statistique et spatiale des données sur la production agricole et l’accès à la santé et à l’éducation à plusieurs échelles. Les résultats révèlent : (1) une croissance démographique supérieure à la moyenne du pays mais inégalement répartie, (2) une augmentation progressive de la quantité de céréales (maïs, mil et sorgho) par habitant liée à un accroissement de la production agricole plus rapide que celui de la population et (3) des progrès importants en matière d’accès physique aux infrastructures de santé et d’éducation. Cependant, la croissance démographique et les nouveaux défis liés à la sécurité alimentaire et à la nutrition soulèvent de nouvelles interrogations sur la capacité de l’agriculture à répondre à une demande de produits agricoles plus soutenue et diversifiée.
Abstract
Mali quadrupled its population from 1960 to 2020. This high population growth implies access to food and nutritional security, health, education and employment. The agricultural sector is targeted by public policies to satisfy this demand. What is the population trend in the cotton zone of Mali? What were the local responses to the implications of this demographic growth in terms of access to health and education? This paper answers these questions through the mobilization, and statistical and spatial analysis, of data on agriculture and access to health and education on several scales. The results reveal: (1) a population growth which is higher than the average of the country but unevenly distributed, (2) a progressive increase in the quantity of cereals (maize, millet and sorghum) per capita, due to an increase in agricultural production faster than the population growth and (3) significant progress in terms of physical access to health and education infrastructure. However, population growth and the new challenges linked to food and nutrition security raise new questions about the capacity of agriculture to meet a more sustained and diversified demand for agricultural products.
Mots clés : coton / démographie / sécurité alimentaire / santé / éducation
Key words: cotton / population / food security / health / education
© M. Soumaré et al., Hosted by EDP Sciences 2020
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
La population du Mali a quadruplé de 1960 à 2020, passant de moins de 5 millions à près de 20 millions d’habitants selon les statistiques de la Direction nationale de la population. L’agriculture a été, et reste, considérée comme le secteur pouvant répondre aux implications de la croissance démographique et contribuer au développement économique. C’est dans cette optique qu’au sud du Mali et dans le reste des zones de savane, du Sénégal au Cameroun, la culture du cotonnier a été soutenue par les pouvoirs publics afin de fournir un revenu régulier aux ménages agricoles et assurer un développement agricole intégré (Bainville et Dufumier, 2007 ; Soumaré et al., 2019). Les transformations introduites par le coton, une culture commerciale avec une garantie de prix d’achat pour les producteurs, ont contribué aussi au développement des cultures vivrières (céréales et légumineuses) et à l’intégration de l’agriculture et de l’élevage par le développement de la culture attelée et de noyaux d’élevages bovins. Mais ces progrès n’ont pas toujours abouti à une amélioration souhaitée des moyens d’existence (livelihood) des agriculteurs et de leurs familles.
Bainville et Dufumier (2007) expliquent que les disponibilités alimentaires et les revenus monétaires ont pu s’accroître dans la zone cotonnière (ZC) du Mali alors que la population augmentait fortement. Bouvier et al. (1995) avaient trouvé que, malgré l’importance de la production en céréales et coton, un quart des enfants de la ville de Sikasso (dans la zone cotonnière) souffraient de malnutrition. Le même constat a été réalisé plus tard par différents auteurs, soulignant son caractère antinomique en le nommant « Paradoxe de Sikasso » (Dury et Bocoum, 2012 ; Ag Iknane et al., 2013). De ces travaux, il ressort qu’établir un lien entre la production agricole d’une région et la satisfaction des besoins alimentaires et nutritionnels de la population rurale (et plus largement, son niveau d’accès à l’éducation et aux services de santé) est complexe. Cela pose tout d’abord la question de la disponibilité, de l’accessibilité géographique et économique et enfin de l’utilisation de la nourriture et des services socio-éducatifs.
Cet article a pour objectif de mieux comprendre cette complexité à travers la disponibilité céréalière en mobilisant une démarche géographique multi-scalaire, allant du village aux différents bassins de production de la zone cotonnière du Mali. Il procède d’abord à une caractérisation de la croissance démographique à l’échelle locale (1987–2013), pour ensuite la mettre en lien avec les moyens d’existence : productions agricoles et disponibilité et accès aux services de santé et d’éducation. Enfin, il met en perspective nos constats avec les nouveaux défis de la santé, de l’éducation et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle en zone cotonnière qui sont, selon notre hypothèse, plus liés à l’utilisation des moyens d’existence et des services qu’à simplement leur disponibilité ou leur accessibilité.
2 Matériels et méthodes
2.1 Cadre d’analyse
En plus des outils et méthodes de la géographie et de la géostatistique, l’article mobilise le cadre d’analyse des moyens d’existence ou livelihood (Chambers et Conway, 1992) utilisé dans divers travaux de recherche et d’appui au développement (Massoud et al., 2016 ; Oti et al., 2019). Selon ce cadre d’analyse, la stratégie d’existence d’un groupe social est basée sur la mobilisation de cinq types de capitaux : naturel, humain, social, physique et financier. Cet article se focalise sur deux types de capitaux : le capital humain, à travers la démographie humaine, et le capital physique, à travers la production agricole, le disponible céréalier et les infrastructures de santé et d’éducation. Le groupe social est vu ici sous l’angle d’un ensemble de personnes ayant un ou plusieurs objectifs communs et partageant les mêmes ressources ou capitaux. Il peut s’agir de la famille composée de plusieurs ménages agricoles, du groupement de producteurs à la base (association villageoise ou coopérative), de la zone de production agricole, du secteur, de la région ou de l’ensemble de la zone cotonnière.
2.2 La zone cotonnière du Mali
La zone cotonnière du Mali, souvent appelée Mali-Sud, est située entre 4°15’00” et 10°15’00” de longitude Ouest et 10°15’00” et 14°15’00” de latitude Nord (Fig. 1). Elle a une superficie d’environ 150 000 km2 et une population estimée à 5,6 millions d’habitants en 2009 (INSTAT-MALI, 2013). Au niveau administratif, la ZC couvre l’ensemble de la troisième région (Sikasso), la totalité des cercles de Bla et Baraoueli, et une importante partie des cercles de Tominian et San dans la quatrième région (Ségou) ; l’ensemble des cercles de Kati, Kangaba, Dioïla et Koulikoro dans la deuxième région (Koulikoro) ; et enfin, tout le cercle de Kita dans la deuxième région (Kayes). Parallèlement à ce découpage administratif, l’encadrement de la culture du coton par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) est organisé au plan spatial en 4 filiales, 41 secteurs et 520 zones de production agricole regroupant plus de 4000 villages.
Cet encadrement, les conditions agro-climatiques globalement favorables, les investissements de l’État et de ses partenaires techniques et financiers et l’appui de la recherche agricole ont fait de la zone cotonnière la principale région agricole du pays. Le cotonnier occupe environ 30 % de la surface cultivée en saison des pluies et les céréales (maïs, sorgho et mil), 60 % ; seulement 10 % des terres sont consacrés aux petites cultures (niébé, soja, arachide...). La culture cotonnière a commencé au nord de la zone autour de Koutiala-San (« vieux bassin cotonnier ») dans les années 1960–1970, avant de s’étendre aux parties Sud (Sikasso et Bougouni) et Ouest (bassin de production de Kita ou « nouvelle zone cotonnière ») en raison des conditions physiques plus favorables : pluviométrie et terres cultivables.
Fig. 1 Présentation de la zone cotonnière du Mali. Presentation of the cotton belt of Mali. |
2.3 Acquisition et organisation des données multi-sources
Les données proviennent des ministères de l’Éducation et de la Santé et de la CMDT. Elles ont été complétées par les statistiques de la FAO pour les données de production et de superficie agricoles à l’échelle du pays. La base de données du suivi-opérationnel de la CMDT a fourni des données de production, de superficie et de rendement, à l’échelle secteur d’encadrement, de 1987 à 2013. Les données démographiques proviennent des recensements et des projections de l’INSTAT-MALI. Enfin, les données sur la santé et l’éducation sont issues des Cellules de planification et de statistique des secteurs de l’éducation et de la santé.
2.4 Analyse des données
Les méthodes d’analyse utilisées sont la statistique descriptive, la représentation cartographique et l’analyse spatiale. Ces méthodes sont appliquées à une série d’indicateurs simples ou composites, renseignés à partir des données collectées aux échelles d’analyse suivantes : le village, le secteur d’encadrement et la ZC. Les indicateurs sont regroupés comme suit :
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population : densité en hab./ km2, population rurale (totale, %) selon la classification officielle des collectivités territoriales au Mali ;
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accès à la sécurité alimentaire : quantité de céréales disponible per capita, part de la zone dans la production totale du pays, excédent céréalier per capita ;
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accès à la santé et à l’éducation : nombre de personnes pour un centre de santé ou une école, distance d’accès au centre de santé ou à l’école les plus proches.
Le taux d’évolution des indicateurs de population est calculé à partir de la formule suivante (INSTAT-MALI, 2012) : où r = taux d’accroissement intercensitaire ; t = intervalle de temps entre deux recensements ; Pn = population de l’année n.
Les taux d’évolution des indicateurs d’accès à la sécurité alimentaire, à la santé et à l’éducation sont calculés à partir de la même formule.
L’estimation de la population pour les années situées entre deux recensements est faite en utilisant la formule (Mara, 2013) : Pn = Po (1 + r)n où Po est la population de l’année de départ, r est le taux brut d’accroissement intercensitaire et n l’intervalle de temps entre l’année de départ et celle d’arrivée.
Ce calcul des taux et de leur évolution est complété par des analyses spatiales :
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calcul de distance euclidienne (distance à vol d’oiseau) entre les villages et les centres de santé ou écoles;
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corrélation spatiale à travers l’indice local Gi de Getis et Ord (1992).
Cet indice est couramment utilisé en analyse spatiale (Gao et al., 2016) pour apprécier les spécificités locales d’une variable. Il détecte les grappes locales hot spots et cold spots de manière beaucoup plus fine et détermine des zones ayant connu un accroissement significatif de population par rapport à la tendance générale.
3 Résultats
3.1 Population et agriculture : quelles tendances ?
3.1.1 Tendance démographique : une dynamique forte et contrastée
L’évolution de la population est appréciée à partir des données des recensements de 1987 et 2009 et des projections pour 2013. Entre 1987 et 2009, la population malienne est passée de 7,6 à 14,5 millions d’habitants (+92 %), et celle de la ZC est passée de 3,4 à 7,4 millions d’habitants (+118 %). Cette forte croissance correspond à la première phase de la transition démographique qui se caractérise par un recul important du taux de mortalité grâce aux progrès de la médecine et un taux de natalité qui reste élevé. Elle s’accompagne d’un processus d’urbanisation ; ainsi, la ZC compte les trois plus grandes villes du Mali : Bamako, Sikasso et Koutiala. Mais la population rurale de la ZC croît aussi et reste relativement dynamique par rapport au reste du pays, car elle a augmenté d’environ 4 % par an de 1987 à 2013 passant de 40 % à 44 % de la population rurale totale du Mali (Fig. 2).
Derrière cette tendance générale qui révèle que la population malienne et celle de la ZC épousent la même progression de 1987 à 2013, se cachent des dynamiques locales particulières. Dans certaines localités, la croissance démographique est plus soutenue que la tendance générale (hot spot) alors qu’elle est plus faible dans d’autres (cold spot) (Fig. 3). C’est ce qui est observée autour de Bamako ainsi que dans les secteurs de Koumantou, le sud-ouest et le nord-ouest de Kadiolo dans la commune de Misseni, et le secteur de Koutiala. Ces disparités ne s’expliquent pas que par l’essor agricole de ces localités. Les facteurs comme l’attractivité de la ville et le développement de l’orpaillage influencent aussi ce dynamisme démographique localisé. En particulier, Bamako, la capitale du pays (3 millions d’hab.), attire bon nombre de personnes à cause des « lumières de la ville » (opportunités d’emploi, accès à l’emploi et à l’éducation pour les enfants) (Fig. 3). Le cas de Koumantou, une ville de 8000 habitants, s’explique, d’une part, par le dynamisme de son secteur de production agricole et, d’autre part, par la multiplication ces dernières années des unités industrielles (mine d’or industrielle, orpaillage artisanal, usine d’égrenage du coton) qui créent de l’emploi. À Misseni, c’est surtout l’influence des activités aurifères qui serait à l’origine de la forte concentration, inattendue, de la population (Fig. 3). À l’opposé, des localités à faible taux de croissance démographique sont observées au nord de Bamako (Sirakorola) ; aux environs de Yangasso en bordure sahélienne et dans la « nouvelle zone cotonnière ». Ce faible dynamisme est dû aux migrations survenues après les sècheresses des années 1973 et 1984 (Bainville et Dufumier, 2007).
Fig. 2 Évolution de la population rurale au Mali et en zone cotonnière. Légende : INSTAT : Institut national de la statistique du Mali ; ZC : zone cotonnière. Evolution of rural population in Mali and in the cotton belt. Legend: National Statistics Institute of Mali; ZC : cotton belt. |
Fig. 3 Disparités de croissance démographique entre 1998 et 2009. Disparities in population growth between 1998 and 2009. |
3.1.2 Évolution des productions
La période 1987–2013 est marquée par l’augmentation des quantités produites en coton et céréales (maïs, mil, sorgho) (Fig. 4). Cette tendance est marquée par des baisses soudaines et drastiques de la production de coton, en particulier 2000–2001 et 2008–2009, en raison des crises successives traversées par cette filière entraînant souvent dans son sillage les cultures céréalières. Ainsi, durant le boycott de la culture du coton par un grand nombre de producteurs en 2000–2001, la réduction de moitié de la production de coton a occasionné une perte de 150 000 tonnes de production de maïs suite à la baisse des surfaces consacrées à cette culture. À l’époque, les producteurs avaient protesté contre la baisse du prix d’achat du coton-graine. La reprise de la culture du coton l’année suivante a fait grimper la production de maïs de 110 000 tonnes, soit une augmentation de 32 %. En effet, la rotation coton/maïs occupe plus du tiers des assolements, et sans la culture du coton, l’accès aux intrants pour la culture du maïs n’est pas garanti. Enfin, depuis les années 2000, le rendement en coton a amorcé une baisse limitée mais continue (sauf en 2006–2007) pour évoluer en dessous de 1000 kg/ha.
La croissance démographique a lieu en même temps que l’augmentation de la production agricole, liée elle-même au dynamisme d’une économie locale portée par le coton et le maïs qui l’accompagnent (rotation coton/maïs). Alors que la population totale de la ZC a été multipliée par 2,14 entre 1987 et 2009, la production des principales cultures (coton plus céréales) a été multipliée par plus de 7. Comparée à l’échelle nationale, entre 1987 et 2013, la ZC a vu sa contribution à la production céréalière du pays grimper de 10 à 35 % en moyenne, alors que sa population n’est passée que de 40 à 44 % de la population rurale totale du pays. Le croisement des données de population de l’INSTAT et de production de la CMDT montre que la part de la ZC dans la production nationale en céréales en culture sèche et irriguée a été multipliée par 4,6, passant de 11,5 à 53,5 % entre 1987 et 2013, pour revenir à 35 % en 2020 en raison de l’augmentation de la production de riz dans les périmètres irrigués. Des régions comme le sud de Kayes, ayant les mêmes conditions naturelles favorables à l’agriculture que la ZC mais ne cultivant pas le cotonnier, n’ont pas connu un tel dynamisme agricole.
Fig. 4 Évolution des principales cultures du système cotonnier de 1987 à 2013. Source : CMDT, suivi-opérationnel. Evolution of the main crops in the cotton system from 1987 to 2013. |
3.1.3 Augmentation de la disponibilité en céréales
Depuis 1995, la quantité de céréales produite par tête et par an (rapport entre les productions de maïs, mil et sorgho et la population totale, y compris urbaine) en ZC a dépassé 200 kg (Fig. 5). Les agriculteurs de la ZC dégagent un excédent céréalier de près de 200 kg/an par personne en considérant qu’un habitant consomme 214 kg/personne et par an selon la norme FAO (FAO, 2013). Ce grand bond de la production céréalière est surtout lié au développement de la culture du maïs, qui a été permis par l’intensification insufflée par le coton (Bazile et Soumaré, 2004). Le développement du coton a en effet été accompagné d’une politique volontariste de soutien à la production des céréales venant en rotation avec le cotonnier. La CMDT, avec l’appui de l’État et de certaines agences de coopération, avait pris les mesures suivantes :
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mise en place d’un crédit moyen terme facilitant l’acquisition d’équipements agricoles, notamment en traction animale ;
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appui-conseil pour le développement de la culture du maïs avec un projet spécifique à partir de 1985 ;
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fourniture à crédit d’engrais pour la culture du maïs.
Fig. 5 Évolution comparée de la quantité de céréales disponible par habitant au Mali et en zone cotonnière entre 1987 et 2013. Comparative evolution of the quantity of cereals available per capita in Mali and in the Cotton Belt from 1987 to 2013. |
3.2 Accès à la santé et à l’éducation
L’accès des ruraux à la santé et à l’éducation est apprécié à travers la distance euclidienne entre les villages et le premier centre de santé (ou école) et le ratio habitants par poste de santé (ou école). Cet accès s’est développé depuis les années 1980, mais on note des signes de ralentissement à partir des années 2000.
3.2.1 Accès aux infrastructures de santé
La distance moyenne d’accès au premier centre de santé en ZC est passée de 60 km en 1987 à 7,7 km en 2011 (Tab. 1), soit un gain moyen de 50 km. Cela se traduit, entre autres, par une plus grande facilité pour les jeunes femmes et leurs enfants à bénéficier d’un Paquet minimum d’activités de soins (PMA) pour les premiers soins, les consultations prénatales, l’accompagnement lors de l’accouchement au centre de santé et les vaccinations. Ce PMA est organisé par chaque centre de santé de base, conformément aux orientations de l’Initiative de Bamako adoptée en 1987 par l’Organisation mondiale de la santé et les ministres de la Santé de tous les pays africains pour favoriser l’accès des populations aux services de santé de base (Ridde, 2004). Entre 1987 et 2011, suite à cette initiative, le nombre de centres de santé en ZC est passé de 11 à 561. De plus, les populations ont été responsabilisées à la base pour contribuer à la construction et à la gestion des structures sanitaires avec l’appui de l’Etat. Cependant, à partir de 2009, le rythme de l’amélioration du ratio habitants/centre de santé commence à se réduire.
Sur la même période, le taux d’accès de la population au PMA est passé de 5 à 49 % dans un rayon de 5 km par rapport à leur domicile, et de 50 à 87 % pour un rayon de 15 km alors que la moyenne nationale stagnait autour de 60 % pour cette même distance. Grâce à la politique de responsabilisation de la population, les associations villageoises (AV), qui assurent l’organisation logistique de la culture du coton (distribution des intrants, organisation des marchés), vont jouer un grand rôle dans la création des centres de santé, mais aussi des écoles, grâce à des ristournes versées par la filière pour les services rendus, une forme de prélèvement direct sur le revenu du coton au prorata de la quantité commercialisée par chaque AV (Folefack et al., 2014). C’est ce qui explique la grande différence entre les régions maliennes. Ainsi, le taux d’accès à un centre de santé à moins de 5 km était, en 2011, de 35 % de la population pour la région de Mopti (entièrement hors ZC), contre 52 % pour la ZC.
Accès à la santé et à l’éducation en zone cotonnière (ZC) et dans la région de Mopti.
Health and school access in the cotton zone and in Mopti region.
3.2.2 Accès et utilisation des services en éducation
En ZC, la distance moyenne d’accès à l’école primaire depuis le domicile des élèves est passée de 8 à 2,1 km de 1987 à 2011, soit une réduction de 5,9 km de marche pour les écoliers. Le pourcentage de la population ayant accès à une école à moins de 5 km dépassait 87 % en 2011 alors qu’il n’était que de 28 % en 1987. Ces progrès sont dus à la construction de 3271 écoles en 25 ans en ZC, grâce au programme d’investissement des AV pour la création d’écoles communautaires (Tab. 1). C’est en ZC que le maillage des écoles est le plus dense, avec 26 % de la population à la distance moyenne de 3,1 km, contre 16 % pour la même distance dans la région de Mopti. Selon les données du ministère de l’Éducation, la progression du niveau d’accessibilité à l’école (exprimé en km) est corrélée à une amélioration du taux brut de scolarisation et du ratio nombre d’élèves/maître. Le taux brut de scolarisation a progressé plus rapidement en ZC que pour l’ensemble du Mali, passant de 67 % en 2000–2001 à 82 % en 2013–2014 en ZC, et de 61 à 69 % durant la même période pour l’ensemble du pays. En ZC, comme dans d’autres régions d’Afrique, le projet de certaines familles rurales il y a deux décennies était d’avoir des enfants lettrés pouvant lire et calculer tout en restant au village (Martin, 2003) ; aujourd’hui, la scolarisation des enfants vise plutôt à favoriser la recherche d’un emploi salarié en ville ou la migration à l’extérieur du Mali. Néanmoins, le taux de scolarisation des enfants demeure faible en ZC par rapport aux normes internationales, car seulement 67 % des enfants en âge d’être scolarisés vont à l’école.
4 Discussion et conclusion
Les résultats de cette étude montrent une amélioration globale de l’offre alimentaire en céréales et de l’accès aux infrastructures de santé et d’éducation en zone cotonnière du Mali. Ces processus vertueux de populations bénéficiant d’une meilleure couverture sanitaire et éducative et disposant d’une offre céréalière abondante et régulière, constituent une bonne base pour le développement économique de cette région et le mieux-être de sa population. Ces améliorations ont été réalisables grâce à l’intensification des cultures alimentaires, en particulier du maïs, qui a été rendue possible par les services offerts par la filière coton : encadrement agricole, accès aux intrants et obtention d’un revenu monétaire grâce à la commercialisation du coton et des excédents en céréales. Les revenus monétaires des exploitations agricoles familiales combinant coton, céréales et élevage, et ceux des groupements de producteurs de coton, ont aussi permis cela grâce à des investissements dans l’outil de production agricole (cultures attelée et motorisée) ainsi que dans les infrastructures socio-éducatives.
Cependant, cette trajectoire de développement soulève plusieurs interrogations sur la durabilité du système. Premièrement, la production agricole et le reste de l’économie locale en ZC restent très tributaires du coton (Fig. 4). Les fluctuations du prix du coton sur le marché international (98 % de la production est exportée) et les crises de gouvernance internes au pays, perturbent l’ensemble du système de production à base de coton (Djouara et al., 2006 ; Soumaré et Dembélé, 2017). En 2020, à cause de la Covid-19, le prix du coton est passé de 78 cents US$/livre en avril 2019 à 47 cents US$ (soit de 924 à 557 FCfa/kg) dans un contexte national marqué par des soupçons de mauvaise gestion faisant peser de sérieux risques sur la réussite de la campagne 2020–2021. Deuxièmement, depuis une décennie, le système présente des signes d’essoufflement. Les rendements en coton-graine, au mieux stagnent ou sont sur une tendance baissière. De plus, l’intégration des paramètres démographiques nuance les progrès réalisés. Alors que le ratio habitants/école s’est amélioré de 1987 à 2009 (7821 à 1841 pour Mopti et 5118 à 1539 pour la ZC), à partir de 2011, il augmente (2230 pour Mopti et 2222 pour la ZC) (Tab. 1), mais cette légère tendance à la hausse s’expliquerait plutôt par l’atteinte des objectifs en matière d’infrastructure, car la norme habitants/ école a été fixée à 2857 (Ministère de l’Éducation, 1990). Troisièmement, malgré l’amélioration de l’offre alimentaire dans un contexte de croissance démographique (Bainville et Dufumier, 2007), la sécurité alimentaire et nutritionnelle suscite des débats. Ainsi, Bouvier et al. (1995) trouvent que 25 % des enfants souffrent de retard de croissance lié à la malnutrition. Tefft et Kelly (2003) et Dury et Bocoum (2012) abondent dans le même sens et donnent plusieurs explications à cette malnutrition chronique en ZC, dont en particulier, la surcharge de travail chez les femmes rurales qui réduit le temps consacré à l’entretien et au suivi des enfants, le faible niveau d’éducation des parents ou la mauvaise répartition du revenu issu du coton et des autres cultures au sein de la famille agricole élargie et pluri-générationnelle. Par ailleurs, Delarue et al. (2009) estiment que ce constat contradictoire entre disponibilité de moyens d’existence et consommation effective par la population rurale, peut s’expliquer par les méthodes d’investigation et d’analyses utilisées.
Selon nos résultats et l’analyse des différents travaux sur la sécurité alimentaire en ZC, nous retenons que :
-
la disponibilité en céréales des ménages agricoles est globalement bien assurée ;
-
la malnutrition demeure présente en zone rurale et concerne principalement les enfants de 6 à 47 mois (Ag Iknane et al., 2013) ;
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l’insécurité alimentaire est plus liée à une question d’utilisation des aliments que de disponibilité ou d’accès à ceux-ci (Bainville et Dufumier, 2007) ;
-
les habitudes culturelles non abordées dans cet article peuvent impacter négativement la sécurité alimentaire à travers des modes de consommation spécifiques (faible diversification de la consommation alimentaire, propension à investir le revenu du coton plutôt qu’à consommer...).
La production et la consommation alimentaire doivent être plus diversifiées et les programmes d’appui au secteur agricole doivent intégrer les questions de sécurité alimentaire et nutritionnelle et de santé, ou Nutrition-sensitive agriculture (Ruel et al., 2018).
D’un point de vue méthodologique, ce travail montre l’intérêt de développer des approches temporelles et spatiales pour apprécier les grandes caractéristiques du développement économique d’une région. Mais cette approche, très globale au niveau de grandes régions ou de territoires plus petits (communes, villages, unités d’encadrement d’une culture), a des limites et ne permet pas d’identifier les populations vulnérables au sein de ces ensembles, ni d’apprécier si le disponible en céréales ou infrastructures sociales est utilisé par un nombre important de personnes et de façon satisfaisante.
Références
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Citation de l’article : Soumaré M, Traoré S, Havard M. 2020. Croissance démographique, sécurité alimentaire et accès à la santé et à l’éducation en zone cotonnière du Mali. Cah. Agric. 29: 40.
Liste des tableaux
Accès à la santé et à l’éducation en zone cotonnière (ZC) et dans la région de Mopti.
Health and school access in the cotton zone and in Mopti region.
Liste des figures
Fig. 1 Présentation de la zone cotonnière du Mali. Presentation of the cotton belt of Mali. |
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Fig. 2 Évolution de la population rurale au Mali et en zone cotonnière. Légende : INSTAT : Institut national de la statistique du Mali ; ZC : zone cotonnière. Evolution of rural population in Mali and in the cotton belt. Legend: National Statistics Institute of Mali; ZC : cotton belt. |
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Fig. 3 Disparités de croissance démographique entre 1998 et 2009. Disparities in population growth between 1998 and 2009. |
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Fig. 4 Évolution des principales cultures du système cotonnier de 1987 à 2013. Source : CMDT, suivi-opérationnel. Evolution of the main crops in the cotton system from 1987 to 2013. |
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Fig. 5 Évolution comparée de la quantité de céréales disponible par habitant au Mali et en zone cotonnière entre 1987 et 2013. Comparative evolution of the quantity of cereals available per capita in Mali and in the Cotton Belt from 1987 to 2013. |
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