Numéro
Cah. Agric.
Volume 34, 2025
Réduire l’utilisation des pesticides agricoles dans les pays du Sud : verrous et leviers socio-techniques / Reducing the use of agricultural pesticides in Southern countries: socio-technical barriers and levers. Coordonnateurs : Ludovic Temple, Nathalie Jas, Fabrice Le Bellec, Jean-Noël Aubertot, Olivier Dangles, Jean-Philippe Deguine, Catherine Abadie, Eveline Compaore Sawadogo, François-Xavier Cote
Numéro d'article 16
Nombre de pages 8
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2025014
Publié en ligne 14 mai 2025

© F. Doligez et al., Hosted by EDP Sciences 2025

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1 Introduction : l’usage croissant de pesticides, un problème critique

En Guinée, l’origine, la qualité et les usages des pesticides sont mal maîtrisés par les producteurs maraîchers, ce qui rejoint les constats effectués dans de nombreux contextes africains (Doudou Dimi et al., 2023). L’utilisation de produits de mauvaise qualité, parfois dangereux, délivrés sans indications de danger ni conseil d’utilisation, constitue un risque pour la santé humaine (producteurs et leurs familles, techniciens, mais aussi consommateurs) et pour l’environnement (biodiversité, pollution des sols et des eaux de surface) (Abaineh et al., 2024 ; Kanda et al., 2009 ; Oura et al., 2023). Accompagner la réduction de l’usage des pesticides et identifier les leviers d’action à mettre en œuvre par le biais d’actions collectives constituent des enjeux de plus en plus prégnants à l’échelle internationale (Goulet et al., 2023).

Le Fouta Djallon, massif montagneux de moyenne Guinée, a longtemps été considéré comme la région la plus peuplée de Guinée. La croissance démographique y est, historiquement, compensée par une émigration à dominante masculine. Récemment, l’absence d’activités rurales attractives a poussé de nombreux jeunes vers des mobilités de travail orientées vers les villes, l’étranger ou l’orpaillage, qui a connu une flambée soudaine en 2021 à Kounsitel dans la préfecture de Gaoual.

La Fédération des paysans du Fouta Djallon (FPFD) est née de la volonté des producteurs du plateau central de Timbi Madina de se regrouper et défendre leurs intérêts. Organisée à son démarrage autour de la production de pommes de terre, elle a étendu ses activités à d’autres filières, notamment l’oignon et la tomate. La FPFD comptait en 2024, selon son propre décompte, 1218 groupements de producteurs réunis en 46 unions (34 496 adhérents). Les productions annuelles de pommes de terre et d’oignons seraient proches, respectivement, de 60 000 et de 6000 tonnes à l’échelle de la Fédération. Si la culture de pomme de terre s’accompagne, sur le plateau de Timbi Madina, d’une production à grande échelle grâce à la moto-mécanisation, l’irrigation et le recours au salariat, celles de l’oignon et des cultures maraîchères dans les préfectures de Gaoual, Koundara et Mali sont pratiquées par des agriculteurs disposant de petites surfaces et de faibles disponibilités en capital. Parmi ces agriculteurs, on trouve une majorité de femmes et de jeunes.

Depuis quelques années, l’usage de « produits chimiques de synthèse pour lutter contre les ravageurs », ou pesticides, s’est accru dans la région du Fouta Djallon. Les herbicides sont employés sur les cultures maraîchères comme pour la production céréalière. Les cultures maraîchères, et en premier lieu la pomme de terre, sont soumises à des attaques croissantes de ravageurs : larves et adultes d’insectes (teignes ou Phtorimaea operculella) ou de champignons (mildious, classe des Oomycètes), contre lesquels les productrices et producteurs utilisent des pesticides (insecticides et fongicides) de façon croissante. Pour y faire face, la Fédération importe des intrants depuis l’Europe ou le Sénégal (semences, engrais, pesticides), qu’elle stocke puis distribue à crédit auprès de ses membres. En complément, de nombreux produits utilisés localement proviennent d’autres fournisseurs (boutiquiers, marchands ambulants, etc.).

En 2022, l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (IRAM) a mené un travail autour des dynamiques de « changement social » induites par les actions de la FPFD sur une dizaine d’années (2010–2021). Ce diagnostic a souligné que l’accroissement des surfaces cultivées (pomme de terre jusqu’à trois cycles par an dans un même territoire, oignon, tomate, piment, etc.), la concentration spatiale des cultures maraîchères et des temps de rotation trop courts entre les cultures (ou, en ce qui concerne le mildiou, de succession de solanacées comme la tomate et la pomme de terre) accentuent la pression des ravageurs, notamment en saison pluvieuse. La conservation des pommes de terre au domicile des agriculteurs pour échelonner sa commercialisation ou pour produire des semences en saison des pluies peut s’accompagner de pertes importantes (pouvant aller jusqu’à 80 %). Face à ces situations, les producteurs utilisent des pesticides dont ils ne connaissent pas les matières actives et maîtrisent mal les conditions d’utilisation. Les risques sanitaires liés aux mauvaises manipulations sont importants et les contaminations (nappes phréatiques ou cultures alimentaires) sont méconnues.

Ces constats préalables ont conduit l’IRAM et la FPFD à mener une enquête sur l’usage croissant des pesticides dans la région.

2 Matériel et méthodes : une enquête sur les usages

La FPFD, en collaboration avec l’IRAM, a mené 269 enquêtes, dont 46 % auprès de femmes. Elles couvrent six préfectures (Pita, Mamou, Mali, Koundara, Dalaba, Labé), au travers de 122 périmètres répartis dans cinq zones agroécologiques où se situent les parcelles étudiées (Fig. 1). La majeure partie des périmètres enregistrés est non-aménagée (sans accès à un système d’irrigation) et non-clôturée. Soixante-et-un pour cent des périmètres ont accès à une source d’eau proche, contre 39 % qui n’en ont pas.

Quatre cultures ont été couvertes par l’enquête. La pomme de terre est fortement implantée dans la zone du plateau central et de Mali. La tomate, produite principalement en saison sèche, est fortement représentée à Mamou, Donghol Sigon et Yembering. Le maïs pluvial et l’oignon sont les plus répandus à Koundara (Fig. 2).

L’enquête s’est centrée sur les pratiques de contrôle des pesticides par les agriculteurs, les produits utilisés et leurs matières actives ainsi que les pratiques d’application et de stockage des agriculteurs (Beauval et al., 2023). En complément de cette enquête quantitative, des entretiens qualitatifs ont renforcé la compréhension des données collectées. La collecte de données déclaratives auprès des agriculteurs a rencontré les difficultés classiques de fiabilité (surfaces, dosage, etc.), qui ont conduit à des retraitements et à l’élimination de questionnaires. Une autre difficulté a été rencontrée pour la collecte des données qualitatives en langue pular, ce qui a pu conduire à des pertes d’information.

thumbnail Fig. 1

Zones étudiées et répartition par altitude.

Areas surveyed and distribution by altitude.

thumbnail Fig. 2

Répartition des enquêtes par culture et cycle de production.

Breakdown of surveys by crop and production cycle.

3 Résultats : des pratiques préoccupantes en matière d’usage des pesticides

3.1 Pratiques observées

L’enquête recense 53 types de produits utilisés à partir de leur dénomination commerciale ; plus précisément 11 fongicides, 18 herbicides et 24 insecticides. Reclassés en fonction de leurs matières actives (Tab. 1), les produits se limitent à un nombre plus restreint de substances chimiques (3 fongicides, 6 herbicides et 10 insecticides).

Les enquêtes mettent en évidence des différences significatives entre cultures et zones de production dans l’utilisation des pesticides. Alors que le nombre de produits utilisés peut atteindre cinq à six produits pour les zones de Mamou et du plateau central (pomme de terre et tomate à grande échelle), on recense de nombreux cas sans utilisation de produits ou avec une utilisation très faible (deux produits ou moins) dans les zones nord de Mali, Donghol Sigon et Yembering, ainsi qu’à Koundara (Fig. 3).

Tableau 1

Reclassement par matières actives utilisées.

Reclassification by active ingredient used.

thumbnail Fig. 3

Nombre de produits utilisés dans chaque zone de l’enquête.

Number of products used in each survey zone.

3.2 Classement des matières actives les plus utilisées

Le fongicide de loin le plus fréquent (107 cas recensés sur 158) est le mancozèbe, utilisé principalement contre les attaques de mildiou. Il est à noter que mancozèbe et manèbe présentent une toxicité préoccupante en matière de reproduction et d’environnement et sont interdits dans l’Union européenne depuis janvier 2021. Concernant les insecticides, les deux matières actives les plus fréquemment rencontrées sont l’émamectine benzoate et l’acétamipride (68 cas sur 172). Elles sont souvent associées et considérées comme toxiques pour la santé humaine et l’environnement (aquatique) à long terme. En ce qui concerne le chlorpyrifos, insecticide faisant partie de la famille des organophosphorés, son exposition est associée à des troubles cognitifs, un stress oxydatif et des lésions neuronales. Des travaux ont révélé des résultats préoccupants quant à son impact sur le microbiote intestinal (Djekkoun et al., 2022). Enfin, en ce qui concerne les herbicides, le glyphosate, connu comme cancérigène, est de très loin le plus utilisé (132 cas sur 164). De plus, certains co-formulants associés au glyphosate, souvent présents dans les produits vendus en Afrique, seraient plus dangereux que le glyphosate lui-même (Defarge et al., 2018).

3.3 Pratiques d’utilisation des pesticides et risques associés

Concernant les méthodes de traitement, on note une forte prédominance de la pulvérisation foliaire (80 % des usages), essentiellement par pulvérisateur à dos manuel. « L’enrobage » (mélange de poudres dans les sacs ou sur les claies de stockage) représente 12 % des pratiques. Il concerne la conservation des pommes de terre, mais aussi d’autres semences (maïs, autre céréales, haricots). Pour ces dernières le Captimex est utilisé (insecticide à base d’émamectine benzoate et d’acétamipride), mais aussi des produits naturels comme les cendres en poudre, le piment ou le gingembre.

Les personnes effectuant les traitements sont en majorité les producteurs eux-mêmes (51 %), même si des prestataires sont fréquemment utilisés (49 %) (Fig. 4). Parfois, des enfants (issus des familles de producteurs ou utilisés comme prestataires) sont mobilisés comme agents de traitement malgré les risques associés aux pesticides. Pendant l’atelier de formation, les conseillers agricoles qui ont mené les enquêtes ont remarqué que : « le travail d’épandage est souvent fait par des prestataires… Il est fréquent que les agriculteurs ne sachent pas ce que les prestataires ont utilisé dans leur champ. […] Ils viennent avec leurs propres produits et traitent les champs, ne sont pas assez formés […] et peuvent confondre les différentes attaques et les produits de traitement. De plus, il y a beaucoup d’enfants prestataires ».

En termes de quantités épandues, l’indice de fréquence des traitements (IFT) renseigne le nombre de doses de référence utilisées par hectare au cours d’une campagne culturale. Il se calcule pour un ensemble de parcelles, une exploitation ou un territoire. Il peut également se décliner par catégories de produits. Malgré les limites en termes d’estimation des surfaces et d’absence de références adaptées au contexte du Fouta Djallon (et plus largement de la Guinée et de l’Afrique dans son ensemble), un retraitement des données d’enquêtes a permis de produire une estimation pour les fongicides utilisés sur la pomme de terre de saison sèche (en contresaison, là où les conditions sont les plus favorables et les surfaces les plus importantes).

Les données ont été présentées en fonction de la surface traitée (Fig. 5). On constate, d’une part, une hétérogénéité très importante de l’IFT (de 0 à 10) suivant les enquêtes et, d’autre part, l’absence de corrélation entre cet indicateur et la surface traitée (et donc cultivée). Elle témoigne probablement de l’hétérogénéité des connaissances à l’origine des pratiques observées dans l’enquête (cf. infra). Elle peut également être une indication des inégalités d’attaques (liées à la provenance des plants et à la contamination initiale des sols) et de perceptions différentes sur la situation des attaques des cultures par des maladies et ravageurs.

thumbnail Fig. 4

Personnes effectuant les traitements (ou « applicateurs »).

People carrying out pesticide treatments (“applicators”).

thumbnail Fig. 5

Quantités utilisées et calcul de l’indice de fréquence des traitements.

Quantities used and calculation of the treatment frequency index.

3.4 Accidents et mesures de protection

Le taux d’accidents recensés dans l’enquête est supérieur à 20,8 %, soit 56 cas sur 269 enquêtes (Fig. 6). Bien que difficile à comparer au regard des différents protocoles d’enquêtes et de classement, ce taux peut être considéré comme relativement élevé par rapport à d’autres références.

thumbnail Fig. 6

Type d’accidents et degré de gravité.

Type and severity of accidents.

3.5 Niveau de connaissances sur les pesticides et leur dangerosité

L’enquête met en évidence que 90 % des agriculteurs interrogés n’ont reçu aucune formation concernant les pesticides, leur utilisation et leur dangerosité. Le manque de connaissances sur la nature des produits et les matières actives constitue une limite forte dans l’efficacité de l’utilisation des pesticides. En effet, il peut conduire à un mauvais usage, tel que repéré dans certaines enquêtes (utilisation d’herbicide pour lutter contre des insectes par exemple). La non prise en compte de la notion de dosage peut également engendrer des mauvais usages (surdosage ou, à l’inverse, application inefficace). Plus spécifiquement, l’information sur les emballages des pesticides n’est pas connue : absence de mention sur les dangers (codes « H » de la classification CLP [Classification, Labelling, Packaging]) et absence des pictogrammes reconnus internationalement. La présence sur les marchés et dans les boutiques de pesticides illicites, entrés en fraude ou sans contrôle de biosécurité aux frontières, est également préoccupante. Le manque d’information des membres de la Fédération a été tout particulièrement illustré lors de l’atelier de restitution (prise de conscience sur la dangerosité des produits, pratiques de mélange et de dosage, lien avec les modes de traitement et avec l’information dont les prestataires disposent).

4 Discussion : prise de conscience et verrous sociotechniques

4.1 Une vision ambivalente des pesticides et une prise de conscience de la Fédération face au changement de situation depuis 2006

Le travail de sémantique réalisé avec les participants de l’atelier autour des traductions du terme « pesticide » permet de compléter et d’approfondir l’ambivalence de la perception des produits et de leur dangerosité, qui a été constatée localement. À la fois lekkè, soit « médicaments », et tokkè, c’est-à-dire « venin de serpent » en pular, les termes exprimés traduisent bien le double sens contenu dans la notion de pesticides suivant les effets observés sur la plante ou sur la santé humaine. Au-delà des résultats qualitatifs complémentaires à l’enquête qui ont été précédemment rapportés, l’atelier a permis d’approfondir les analyses et d’ouvrir des perspectives à plusieurs niveaux.

La discussion des résultats de l’enquête a permis une prise de conscience de la Fédération sur la dangerosité des pesticides utilisés (« vous nous avez ouvert les yeux »), le manque d’information et de connaissances de la part de ses membres et, enfin, les risques associés en termes de santé humaine et d’environnement. Un élément explicatif de ce repositionnement est aussi lié à la rapidité des changements constatés dans les pratiques des producteurs. En effet, différents observateurs ayant eu la possibilité de travailler dans la durée avec la Fédération rappellent qu’il y a une vingtaine d’années (vers 2006), on n’observait l’utilisation d’aucun pesticide sur le terrain dans le Fouta Djallon. Cette observation de terrain converge avec la croissance exponentielle dans les courbes statistiques sur l’importation et l’usage des produits phytosanitaires en Afrique de l’Ouest (AVSF, 2020).

Au-delà de ces analyses, les discussions lors de l’atelier ouvrent différentes perspectives d’action. « Ce n’est pas la Fédération qui va vers les pesticides, ce sont les pesticides qui s’imposent à nous ». Dans la trajectoire qui a amené la Fédération à développer la filière de la pomme de terre, la qualité et les conditions d’usage des intrants (semences et produits phytosanitaires) sont strictement contrôlées. En effet, à l’issue d’un partenariat de solidarité qui s’est transformé en partenariat commercial avec les organisations professionnelles de la filière pomme de terre en Europe (Allart, 2000), la Fédération sélectionne, finance, importe et distribue une partie des intrants utilisés par les membres dans leurs cultures maraîchères. Ces services ont progressivement été étendus à d’autres filières, notamment l’oignon, avec des semences sélectionnées et importées depuis le Sénégal, entre autres.

Les entretiens soulignent que les pesticides utilisés par les membres ont d’autres provenances et que les approvisionnements se font, en complément, auprès des boutiquiers ainsi que sur les marchés locaux. À travers ces derniers, les filières d’approvisionnement en intrants se sont diversifiées et les produits utilisés ne font pas l’objet d’un contrôle rigoureux de leur provenance, de leur composition ou de leur conditionnement et affichage correspondant. Le même problème a été constaté sur l’importation de semences : la mauvaise qualité des plants de pommes de terre disponibles localement, et spécifiquement l’importation de semences de pommes de terre contaminées par le mildiou, est imputable à l’insuffisant contrôle des frontières et sur les marchés.

4.2 « Agroécologiser le dispositif de conseil »

Les discussions lors de l’atelier ont permis d’ouvrir des perspectives de partenariat avec la recherche, en particulier entre la Fédération et l’Institut de recherche et développement des plantes médicinales et alimentaires (IRVPAM) de l’Université de Conakry. L’objectif est de développer des protocoles d’expérimentation de biopesticides dans les cultures vivrières (maïs et haricot) afin de réduire le recours des producteurs aux intrants de synthèse. En complément de cette perspective « d’agroécologisation » du dispositif d’appui de la Fédération auprès des producteurs, un partenariat renforcé a été suggéré entre la Fédération et les institutions de recherche sur les questions de santé publique. L’objectif est d’approfondir les liens entre l’utilisation des pesticides et l’augmentation des maladies chez les humains (problèmes neurologiques et fertilité), comme cela a été exposé par certaines des participantes lors de l’atelier. Au-delà, dans le cas plus précis de la filière pomme de terre, les blocages existants dans la transition agroécologique renvoient à d’autres dimensions des systèmes de culture, comme l’enclavement des zones de production, le stockage et la conservation des récoltes, la disponibilité en eau, les maladies des plantes ou les questions de commercialisation.

4.3 Un plaidoyer « prudent » sur les questions de biosécurité et de pharmacovigilance

Comme évoqué, la Fédération est confrontée, dans le Fouta Djallon, à l’introduction d’intrants de mauvaise qualité, qu’il s’agisse de plants contaminés non certifiés ou de produits pesticides non homologués et introduits de façon informelle et illicite sur le territoire. La Fédération ne regroupe qu’une partie des producteurs, notamment dans la filière pomme de terre (50 à 60 000 tonnes sur les 150 000 produites, donc environ 30 % de la production). Les importations et usages de semences et pesticides non contrôlés renvoient à d’autres niveaux de gouvernance institutionnelle par les politiques publiques. En termes d’action publique, la Fédération reste « prudente », bien qu’elle soit reconnue comme interlocutrice légitime des institutions, à l’échelle locale comme nationale et sous-régionale, et ce dans un contexte où l’environnement réglementaire demeure peu contraignant à ces différentes échelles. La Guinée, bien que membre du Comité ouest-africain d’homologation des pesticides, n’a pas adopté de réglementation en ce qui concerne l’homologation des pesticides. Plus généralement, la région n’est pas unifiée d’un point de vue réglementaire, alors que les produits – qu’il s’agisse des semences ou des pesticides – circulent dans l’espace sous-régional sans contrôle ni vérification aux frontières. De nombreux produits sont disponibles sur les marchés alors qu’ils sont interdits dans d’autres régions (Union européenne en particulier) mais réexportés vers des pays tiers comme en Afrique de l’Ouest. De ce fait, la veille sur les marchés locaux, le suivi des accidents, la formation des acteurs (boutiquiers, conseillers agricoles, producteurs et prestataires) et, à d’autres échelles, le renforcement des contrôles aux frontières, l’évolution des textes réglementaires et de leur mise en application constituent autant d’enjeux de concertation et d’actions à discuter entre la Fédération et les pouvoirs publics. Pour ce faire, l’information publique disponible doit être renforcée pour mettre en cohérence les cadres réglementaires aux différentes échelles et les capacités institutionnelles qu’ils requièrent.

5 Conclusion : perspectives et enjeux de recherche-action

Au-delà des verrous sociotechniques qui ont pu être caractérisés, différents leviers en termes d’innovations agroécologiques sont amorcés pour réduire les pesticides à l’échelle de la Fédération des paysans du Fouta Djallon : expérimentation de biopesticides, réadaptation des pratiques de conseil fournis par la Fédération, potentielle valorisation de pratiques alternatives déjà connues dans le territoire. Ils complètent une autre réponse amorcée par la Fédération, en lien avec la production commerciale de pommes de terre à grande échelle et le partenariat avec le CARAH-COLEAD (Comité de liaison entrepreneuriat-agriculture-développement) (Bonnave, 2022). Il s’agit de modéliser les données climatologiques (précipitations, températures) enregistrées dans des stations automatisées pour simuler le développement des maladies et déclencher les traitements de manière appropriée (Anastasiou et al., 2023). Les premiers résultats indiquent un besoin de traitement très fréquent (tous les trois jours) pendant la période pluvieuse. Ils conduisent à interroger le devenir des systèmes de monoculture de pomme de terre à grande échelle mis en œuvre dans certaines zones du Fouta Djallon. Certaines pratiques permettraient de réduire les risques d’infestation des sols dans la durée : arrêt de la culture de pomme de terre en saison des pluies, rotations des cultures plus longues et diversifiées (par exemple pommes de terre n’alternant plus avec des solanacées), éventuellement associations de cultures au sein des parcelles, etc., avec comme conséquence l’obligation d’arrêter la culture de la pomme de terre dans les parcelles contaminées. Ces transitions ne seront pas, cependant, sans incidence, du moins à court terme, sur les revenus et la rémunération du travail des producteurs, alors que cette dernière est estimée six fois plus élevée par unité jour pour la culture de pomme de terre que pour les cultures céréalières (Petit-Roulet, 2019). La question de la complémentarité entre les deux systèmes doit s’étendre à de nombreuses questions techniques (usage des pesticides), sanitaires (risques sur la santé) et de marché (qualité des produits consommés). Elle doit s’accompagner de recherches d’alternatives aux pesticides dans d’autres domaines, par exemple le sarclage mécanisé, à l’instar de producteurs membres de la Fédération qui sont déjà en expérimentation endogène sur ce sujet.

L’autre enjeu touche le modèle économique sous-jacent de la Fédération et de son développement « historique » autour de la culture de pomme de terre à grande échelle et des services économiques fournis (distribution d’intrants à crédit et commercialisation des produits, en particulier de la pomme de terre). Environ la moitié de ses recettes sont issues du crédit intrant (semences) et contribuent à la couverture des charges de fonctionnement de la Fédération. Or, il est probable qu’une transition agroécologique plus radicale amènerait les producteurs à une utilisation moindre d’intrants de synthèse importés, ce qui questionne la pérennité de la Fédération qui verrait son outil économique (fonds de crédit, investissements dans les infrastructures de collecte et de stockage, etc.) fragilisé. Faute de soutien aux « externalités » des pratiques agricoles « vertueuses » sur la santé et l’environnement, le risque est de rendre cette transition dépendante de financements extérieurs et de réduire les capacités de la Fédération à agir sur cette question.

Références

Citation de l’article : Doligez F, Baldé Y, Maneschi M-A, Diallo K, Diallo AW, Beauval V, Baldé S, Petit-Roulet R, Diallo AW, Diallo MS, Barry S, Diallo MAI, Diallo AD, Fleuret C, Ransinangue L. 2025. Usages et mésusages des pesticides dans les périmètres maraîchers des membres de la Fédération des paysans du Fouta Djallon en Guinée. Cah. Agric. 34: 16. https://doi.org/10.1051/cagri/2025014

Liste des tableaux

Tableau 1

Reclassement par matières actives utilisées.

Reclassification by active ingredient used.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Zones étudiées et répartition par altitude.

Areas surveyed and distribution by altitude.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Répartition des enquêtes par culture et cycle de production.

Breakdown of surveys by crop and production cycle.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Nombre de produits utilisés dans chaque zone de l’enquête.

Number of products used in each survey zone.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Personnes effectuant les traitements (ou « applicateurs »).

People carrying out pesticide treatments (“applicators”).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Quantités utilisées et calcul de l’indice de fréquence des traitements.

Quantities used and calculation of the treatment frequency index.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Type d’accidents et degré de gravité.

Type and severity of accidents.

Dans le texte

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