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Cah. Agric.
Volume 34, 2025
Réduire l’utilisation des pesticides agricoles dans les pays du Sud : verrous et leviers socio-techniques / Reducing the use of agricultural pesticides in Southern countries: socio-technical barriers and levers. Coordonnateurs : Ludovic Temple, Nathalie Jas, Fabrice Le Bellec, Jean-Noël Aubertot, Olivier Dangles, Jean-Philippe Deguine, Catherine Abadie, Eveline Compaore Sawadogo, François-Xavier Cote
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Article Number | 20 | |
Number of page(s) | 3 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2025017 | |
Published online | 03 June 2025 |
Analyse d’ouvrage / Book Review
La protection intégrée des cultures
Fortin J, Doucet R, Samuel O, 2023. La protection intégrée des cultures. Austin (Québec, Canada) : Éditions Berger, 504 p. ISBN 9782921416825.
1
CIRAD, UPR AIDA, F-34398 Montpellier, France
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AIDA, Univ Montpellier, Montpellier, France
* Auteur correspondant : francois-regis.goebel@cirad.fr
Cet ouvrage de 504 pages (incluant les références bibliographiques), écrit par une équipe de scientifiques canadiens (Québec) et produit par les éditions Berger (www.editionsberger.com), présente une vision classique de la Protection intégrée des cultures (PIC) avec un découpage en 8 chapitres présentant l’ensemble des stratégies de lutte intégrée contre les ennemis des cultures (maladies, insectes, nématodes et mauvaises herbes), bien équilibré, complet et abondamment illustré. Il s’agit avant tout d’un ouvrage pratique, ouvert et didactique, accessible au grand public, avec de nombreuses références scientifiques sur lesquelles il s’appuie. Fait important, ce manuel a été couronné d’un prix Roberval dans la catégorie Enseignement supérieur (2024), organisé chaque année par l’Université de technologie de Compiègne (UTC), France. Notons enfin que les éditions Berger (Québec, Canada) produisent des livres scientifiques et techniques ainsi que des essais de vulgarisation scientifique dans de nombreux domaines dont l’environnement, la santé et l’agriculture.
Les auteurs : Josée Fortin est agronome, professeure-chercheuse titulaire au Département des sols et de génie agroalimentaire de l’Université Laval depuis 1995. Elle détient un PhD en chimie-physique des sols et possède une solide expertise en chimie et physique des sols et sur le comportement des pesticides dans l’agro-environnement. Roger Doucet, aujourd’hui décédé, diplômé en agronomie à l’Institut d’Oka, puis en phytocytogénétique de l’Université de Montréal, a consacré sa carrière à l’enseignement de la phytotechnie et à la recherche génétique à l’Institut de technologie agroalimentaire, puis à la Station de recherche agricole de Saint-Hyacinthe. Il a publié de nombreux livres majeurs sur l’agriculture. Onil Samuel est expert « Pesticides » et conseiller scientifique de l’Institut national de santé publique du Québec. Il est intervenu de nombreuses fois sur les pratiques de travail et les risques de santé liés à l’exposition aux pesticides des conseillers agricoles, d’où son éclairage important dans les chapitres 5, « La lutte avec les pesticides », et 8, « La sécurité des pesticides ».
Contenu de l’ouvrage
Après une présentation du contexte général très évolutif de l’agriculture dans le monde et au Canada (Chapitre 1), des temps anciens à nos jours avec la révolution verte, l’avènement du numérique, le renforcement des législations sur les pesticides dans un cadre de plus en plus contraint de protection de l’environnement et de sécurité alimentaire, les sept autres chapitres se déclinent en présentant les différentes facettes de la lutte intégrée, avec pour chacun d’eux des références bibliographiques permettant aux lecteurs d’aller plus loin dans leur recherche.
Le chapitre 2 resitue la protection intégrée des cultures dans un contexte général qui n’a eu de cesse d’évoluer vers une gestion intégrée, où les enjeux de l’agriculture durable sont rappelés dans le cadre législatif du Québec. S’ensuit ensuite un rappel approfondi de ce qu’est la protection intégrée contre les insectes ravageurs dans toutes ses dimensions, appelé aussi phytoprotection dans cet ouvrage. L’utilisation des pesticides et biopesticides fait partie de cette panoplie de gestion et les auteurs décrivent la législation en vigueur au Québec (e.g., l’utilisation d’un registre des pesticides dans les exploitations ou encore le processus d’homologation des pesticides).
Le chapitre 3 est consacré à la lutte préventive et la surveillance, c’est-à-dire toutes les mesures prophylactiques à mettre en place avant l’utilisation des stratégies de lutte à proprement parler : travail du sol, irrigation, drainage, choix de variétés, rotation des cultures, densité de semis et plantation, semis direct, gestion des éléments nutritifs et engrais verts (plantes de couverture à enfouir dans le sol), dépistage des maladies, insectes et mauvaises herbes au champ avec la présentation de modèles prévisionnels pour faciliter ce dépistage. Les auteurs évoquent aussi les mesures sanitaires préventives pour réduire les sources d’infection (utilisation de semences de qualité, traitement des semences à la chaleur, pasteurisation du compost, lavage des mains, nettoyage des outils…) et bien entendu les méthodes de surveillance les plus courantes : méthodes d’échantillonnage et comptages sur les parcelles, pièges divers, phéromones et confusion sexuelle, capteurs de spores pour les organismes phytopathogènes.
Le chapitre 4 présente les méthodes de lutte biologique, où l’importance des prédateurs, des parasitoïdes et des maladies (virus, bactéries, champignons, extraits de plantes…) est rappelée avec de nombreux exemples intéressants à l’appui, mais qui concerne principalement les cultures en climat tempéré. Beaucoup d’ennemis naturels d’insectes ravageurs qui ont montré une efficacité notoire sont décrits avec une grande précision et permettent aux lecteurs de se faire une très bonne idée des agents de biocontrôle qui fonctionnent et qui peuvent être utilisés en production de masse. Ce chapitre donne également des détails sur les nématodes phytopathogènes, mais aussi sur les nématodes parasites des ravageurs. Enfin pour bien compléter le panorama, ce chapitre évoque l’utilisation d’insectes phytophages pour lutter contre les mauvaises herbes.
Le chapitre 5 est consacré à l’utilisation des pesticides (fongicides, insecticides, herbicides) comme moyen de lutte, en présentant les différentes catégories de pesticides et leur mode d’action sur les plantes, les insectes et les maladies. Ce chapitre donne des indications précieuses quant à leur préparation, leur application, leur devenir dans l’air et dans le sol et les conséquences sur l’environnement et les recommandations, ainsi que le développement de résistances chez les insectes (insecticides), les mauvaises herbes (herbicides) et les maladies (fongicides). Des informations diverses sont données sur les formulations (granulés, liquide, solide, aérosols, poudre…), ainsi que leurs propriétés chimiques et leur transformation dans le milieu.
Les auteurs présentent ensuite les stratégies de lutte avec les biopesticides dans le chapitre 6, avec une présentation de tous les pesticides d’origine naturelle (pesticides à base de virus, de bactéries, de champignons ou encore synthétisés par des microorganismes ; les insecticides botaniques, les phéromones insecticides, les régulateurs de croissance, les huiles et les savons à propriété insecticide, les produits inorganiques (soufre, diatomées, acide borique…), avec moult détails sur leur utilisation et mode d’action, les résistances, les éliciteurs, etc., mais aussi leurs usages, les conseils pour l’application de ces produits.
Le chapitre 7 se démarque des autres chapitres en abordant les biotechnologies en phytoprotection, en se focalisant sur la partie génétique et l’introduction de gènes dans les plantes (plants génétiquement modifiés), l’édition des génomes (modification d’un endroit spécifique de l’ADN), la présentation de divers types de mutagenèses, notamment celles dirigées par des nucléases, et la découverte des systèmes CRISPR-Cas qui a permis de faire avancer considérablement cette édition génomique. Ce chapitre traite aussi de l’apomixie et du processus d’interférence ARN, et aborde les cas pratiques d’utilisation des plantes transgéniques pour lutter contre les bioagresseurs (insectes, maladies et plantes) et la tolérance des plantes aux herbicides (ex. : glyphosate). C’est un chapitre fouillé pour bien comprendre l’apport de la génétique dans la protection des plantes.
L’ouvrage se termine avec le chapitre 8, traitant de la sécurité des pesticides en faisant référence au contexte québécois. Il aborde ainsi de façon détaillée le problème de la toxicité des pesticides, avec la notion de risque et d’homologation, l’impact sur la santé humaine (reproduction, développement de cancers, effet neurotoxique, développement de l’embryon, effets dermatologiques…), les problèmes d’exposition et de résidus de pesticides dans les aliments et dans l’eau, sans oublier l’évaluation des risques et les mesures de protection et de précaution à observer lors des traitements phytosanitaires. Ce chapitre est très complet en abordant aussi les aspects législatifs.
Remarques et observations critiques
En premier lieu, on remarque que l’ouvrage est axé sur les pesticides en abordant deux chapitres, l’un sur leur utilisation, l’autre sur les aspects de sécurité, comportant en tout 128 pages, ce qui représente un quart de l’ouvrage. Cela dénote l’importance de ce thème dans la protection intégrée des cultures au Canada, mais montre aussi un ouvrage très orienté « pesticides », qui offre moins de place pour présenter et discuter des approches agroécologiques et de l’importance de la préservation de la biodiversité en agriculture. On peut regretter par ailleurs que l’analyse des conditions économiques d’activation des techniques proposées ne soit pas abordée, ce qui aurait été un atout pour ce genre d’ouvrage.
Au gré de la lecture, on remarque aussi une utilisation de termes pratiques, comme par exemple « dépistage » des problèmes phytosanitaires, un terme plutôt employé en France pour les maladies humaines, ou « lutte » (chimique/biologique), de moins en moins utilisé dans les institutions de recherche, ce qui situe l’ouvrage comme un manuel technique à destination en priorité des professionnels de l’agriculture.
Si l’on apprécie que cet ouvrage ne parle pas seulement des insectes et maladies, mais aborde aussi les mauvaises herbes avec une approche interdisciplinaire intéressante, on peut regretter l’absence du traitement des problèmes liés aux rats et à d’autres animaux, qui peuvent être des ravageurs de premier plan dans certains pays, notamment tropicaux. Cela dit, parler des mauvaises herbes (terme préféré à adventices) est vraiment un atout, car dans le contexte français ou anglais, quand on parle de protection intégrée (ou agroécologique) des cultures, on ne pense pas toujours à intégrer les adventices.
S’il est fait mention de la lutte agronomique où de l’utilisation des pratiques culturales qui peuvent grandement influencer les bioagresseurs, comme la fertilisation, notamment azotée, les variétés, l’irrigation, la préparation du sol…, ces pratiques sont présentées dans un chapitre « lutte préventive et surveillance », alors qu’elles auraient mérité d’être traitées dans un véritable chapitre dédié à la lutte agronomique et à l’influence des pratiques culturales, dans un contexte de transition agroécologique et de réduction des pesticides. La surveillance des problèmes phytosanitaires, indispensable à la prise de décision et au déclenchement des programmes de lutte, aurait eu aussi avantage à être traitée dans un chapitre à part au début de l’ouvrage.
Autre fait notable, l’approche agroécologique en protection des cultures n’est jamais évoquée, alors qu’elle est très développée en France et en Europe, à l’instar du concept de Protection agroécologique des cultures (PAEC) (Deguine et al., 2016). Dans le présent ouvrage, on reste sur un axe « protection intégrée », avec la combinaison classique des différents types de lutte. On remarquera aussi la différence entre les termes utilisés en Europe et au Canada : dans l’ouvrage on ne parle pas de « bioagresseurs » mais « d’organismes nuisibles » ou encore de « ravageurs ». Autre exemple, les termes de « plantes compagnes », « plantes de service » ou encore « plantes de couverture » (appelé ici « cultures couvre-sol »), que l’on utilise beaucoup au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ou à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), ne sont pas utilisés dans cet ouvrage. Enfin, on aurait bien aimé avoir en fin d’ouvrage une conclusion générale avec des perspectives évoquant l’avenir de la protection intégrée des cultures, avec notamment la réduction, voire la suppression des pesticides dans un objectif assumé d’agriculture agroécologique, voire biologique. Au lieu de cela, c’est le chapitre 8 « Sécurité des pesticides » qui conclut l’ouvrage, avant la présentation de l’index alphabétique.
Conclusion
Cet ouvrage se veut avant tout pratique et pragmatique, destiné aux acteurs de la profession agricole, mais il ne démérite pas non plus sur le plan scientifique et les chercheurs et étudiants y trouveront leur bonheur car il y a beaucoup d’informations détaillées, d’illustrations et d’exemples concrets. Étant un habitué des ouvrages de protection des cultures, celui-ci se lit comme un manuel avec des instructions et des recommandations claires, même si les termes techniques sont parfois différents de ceux employés en France, en particulier dans les organismes de recherche. Cela reste un excellent ouvrage de vulgarisation scientifique et de ce point de vue, son prix Roberval est largement mérité. Enfin, en guise de perspective, il serait bien qu’un ouvrage de ce type soit réalisé pour les cultures tropicales, qui présentent d’autres problématiques.
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