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Cah. Agric.
Volume 27, Number 1, Janvier-Février 2018
Évaluer les impacts des recherches en agriculture sur la société : outils, méthodes, études de cas. Coordonnateurs : Ariane Gaunand, Ludovic Temple, Gilles Trouche
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Article Number | 15004 | |
Number of page(s) | 9 | |
Section | Études originales / Original Studies | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2017065 | |
Published online | 08 January 2018 |
Article de recherche / Research Article
Évaluation participative des impacts de la recherche sur le riz pluvial d’altitude à Madagascar de 1980 à 2015
Participatory evaluation of the impact of research on upland rice for Madagascar highlands from 1980 to 2015
1
CIRAD, UPR AIDA,
TA B-115 / 02 - Avenue Agropolis,
34398,
Montpellier, France
2
FOFIFA, SRR Antsirabe,
BP 230,
Antsirabe 110, Madagascar
3
CIRAD, UMR AGAP,
BP 230,
Antsirabe 110, Madagascar
4
CIRAD, UMR ART-DEV,
AGRINATURA 8 Avenue des arts,
Bruxelles, Belgique
5
Univ Montpellier,
34090
Montpellier, France
* Auteur de correspondance : louis-marie.raboin@cirad.fr
Le riz est l’aliment de base des Malgaches. Mais, sur les Hautes Terres de Madagascar, très fortement peuplées, les rizières ne permettent plus de couvrir les besoins en riz. Un programme de création variétale a été initié en 1984 par le FOFIFA et le CIRAD qui a abouti à la création de variétés de riz pluvial adaptées à l’altitude. Ces variétés ont permis le développement très rapide de la riziculture pluviale jusqu’à plus de 1800 m d’altitude. Une étude de l’impact de ces recherches a été réalisée avec la méthodologie « IMPRESS » (IMPact des REchercheS au Sud) du CIRAD qui se focalise sur l’évaluation participative des impacts et met en exergue la perception des changements par les agriculteurs. La réduction de la période de soudure et de la contrainte d’acheter du riz a été l’impact le plus important aux yeux des producteurs. Un impact assez inattendu qui en découle a aussi été évoqué de façon unanime : « l’augmentation de la tranquillité d’esprit ». L’approche participative a permis une compréhension fine de l’amélioration de la situation individuelle des exploitants.
Abstract
Rice is the staple food for Malagasy people. However, in the densely populated Madagascar highlands, irrigated rice fields no longer meet the rice needs. A joint breeding program was launched in 1984 by FOFIFA and CIRAD that led to the creation of upland rice varieties adapted to high altitude conditions. These varieties allowed the rapid development of upland rice cropping up to 1800 m asl. An evaluation of the impact of this research was carried out following the CIRAD methodology “IMPRESS” (IMPact of RESearch in the South), that relies on the perception of changes by the farmers themselves. The shortening of the hunger gap and the reduction of the necessity to buy rice was the most important impact in farmers’ eyes. An unexpected impact resulting from the previous one was also unanimously expressed: “the increase of peace of mind”. The participatory approach allowed a fine understanding of the improvement of the individual situation of farmers.
Mots clés : évaluation de l’impact / riz pluvial / Hautes Terres / amélioration génétique / autosuffisance alimentaire
Key words: impact assessment / upland rice / highlands / genetic improvement / food self-sufficiency
© P. Breumier et al., Published by EDP Sciences 2018
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Le riz occupe une place économique, sociale, culturelle et politique très importante à Madagascar (Dabat et al., 2008). Il est essentiel dans le régime alimentaire des Malgaches pour lesquels « un repas sans riz est un repas de rien » (Radanielina et al., 2007). Au moment du dernier recensement agricole (2005 – MAEP, 2007), le riz occupait 55 % des terres cultivées sur des exploitations dont la surface moyenne était inférieure à un hectare. Malheureusement, les rendements rizicoles stagnent notamment parce que le coût des fertilisants minéraux est trop élevé pour les agriculteurs les plus pauvres (Minten et al., 2007). Avec l’augmentation importante de la population, la disponibilité en riz blanc par personne est passée progressivement de 133 kg/an dans les années 1970 à moins de 100 kg/an dans les années 2000 (David-Benz et al., 2014), entraînant des problèmes d’insécurité alimentaire.
Le Vakinankaratra (Fig. 1), sur lequel porte cette étude, est une région rurale très densément peuplée. Du fait de la forte pression foncière et des faibles possibilités d’aménagement, les rizières héritées et partagées depuis des générations sont devenues exiguës (Andrianantoandro et Bélières, 2015). Les activités agricoles couvrent difficilement les besoins alimentaires des familles. La raréfaction des ressources productives et l’insécurité alimentaire entraînent une emprise croissante de l’agriculture pluviale sur les terres de montagne ou de colline (tanety en malgache). Au début des années 1980, certains agriculteurs ont ainsi tenté de cultiver du riz pluvial autour d’Antsirabe, mais sans succès car il n’existait pas de variétés pluviales adaptées au froid lié à l’altitude (Rakotoarisoa, 1997). Pour répondre à ce besoin de produire plus de riz dans les zones d’altitude, un programme de création variétale a été lancé en 1984 dans le cadre d’un partenariat entre l’université d’Antananarivo, le CIRAD puis le FOFIFA (Raboin et al., 2013). Les variétés de riz pluvial obtenues ont permis le développement rapide de cette culture. En 2011, la culture du riz pluvial d’altitude (RPA) concernait 71 % des exploitations du Vakinankaratra situées au-dessus de 1250 m (limite au-dessus de laquelle le froid provoquait un haut niveau de stérilité sur les variétés antérieures) et jusqu’à plus de 1800 m d’altitude (Fig. 1 ; Raboin et al., 2014).
Nous proposons ici de comprendre l’impact des activités du programme d’amélioration variétale du RPA mené à Madagascar depuis plus de trente ans par le FOFIFA et le CIRAD au-delà de la simple mesure de l’augmentation des surfaces cultivées. Nous avons mobilisé une démarche participative pour identifier et mesurer auprès des acteurs de la filière riz (les producteurs en particulier) les changements induits par le développement du RPA, pour rendre compte du rôle de la recherche dans son interaction avec ses partenaires et par rapport aux autres acteurs de la filière tout au long du processus d’innovation. Nous avons utilisé la méthodologie IMPRESS (IMPact des REchercheS au Sud) développée par le CIRAD pour évaluer l’impact de ses recherches pour le développement (Barret et al., 2017). Elle s’appuie sur une approche participative pour identifier, décrire et hiérarchiser les impacts. Les avantages et limites de cette méthode dans ce cas d’étude seront discutés.
Fig. 1 Le périmètre de l’étude d’impact est la région Vakinankaratra pour les altitudes supérieures à 1250 m. Les quatre villages dans lesquels la mesure des impacts a été effectuée sont identifiés par des triangles blancs. Le pourcentage d’agriculteurs pratiquant la riziculture pluviale est présenté pour seize villages au dessus de 1250 m d’altitude, qui ont fait l’objet d’une enquête en 2012 (Raboin et al., 2014). The studied area is the Vakinankaratra region above 1250 m asl. The four villages involved in the assessment are identified with white triangles. The percentage of farmers cultivating upland rice is presented for 16 villages above 1250 m asl surveyed in 2012. |
2 Méthodologie
2.1 La méthode IMPRESS : une approche participative
La méthode IMPRESS suit une démarche participative et descriptive qui privilégie les témoignages d’acteurs dans le cadre d’ateliers participatifs et au cours d’entretiens ou d’enquêtes individuels semi-directifs (Barret et al., 2017). Il s’agit d’une démarche itérative en cinq étapes décrites dans le tableau 1. Elle permet d’identifier progressivement l’ensemble des acteurs qui sont intervenus dans le processus d’innovation et de diffusion pour produire une cartographie des acteurs, puis de reconstruire le récit de l’innovation, d’identifier les impacts et enfin de mesurer ces impacts à travers un certain nombre d’indicateurs.
Les cinq étapes de la méthode IMPRESS. Liste des acteurs participants à chaque étape.
The five steps of IMPRESS method. List of participating stakeholders at each step.
2.2 De l’identification des impacts à leur mesure
La première phase du travail a consisté à identifier l’ensemble des changements perçus par les différents acteurs sollicités à travers la diversité des descripteurs d’impact qui ont été recueillis. Les descripteurs des impacts sont les expressions orales brutes décrivant les changements ressentis, collectées lors des entretiens ou de l’atelier. Ce travail préalable s’est déroulé en trois étapes : la préparation, la confrontation et la collecte (Tab. 1). Tandis que les deux premières étapes ont servi à faire émerger les hypothèses et le chemin de l’impact (Douthwaite et al., 2003), la collecte a permis d’obtenir les descripteurs d’impacts et ensuite de construire les indicateurs pour les mesurer. Une base de données de 204 descripteurs a été constituée, qui a ensuite été synthétisée par les chercheurs pour obtenir une liste d’impacts et d’indicateurs mesurables (Tab. 2).
Les impacts ont été formulés par les acteurs interrogés en répondant à la question suivante : Quels changements avez-vous observés depuis la culture du RPA ? Ils ont ensuite hiérarchisé ces changements par rapport à la satisfaction de leurs besoins. Pour aider les agriculteurs à réaliser cet exercice nous avons utilisé des fiches avec le nom du changement et un dessin le représentant. Les fiches positionnées le plus haut devaient représenter les changements ayant le plus d’importance à leurs yeux. Ensuite, les changements ont été traduits en impacts et indicateurs d’impacts. Par exemple, les descripteurs de changements « Il y a plus de riz » et « Le riz pluvial sauve car il arrive plus tôt » ont été synthétisés en un impact « la réduction de la période de soudure », c’est-à-dire la réduction de la période précédant les premières récoltes et où le riz peut venir à manquer, qui a été mesuré par deux indicateurs « l’évolution de l’achat de riz » et « l’évolution de l’achat de riz au moment du pic de prix ».
La mesure des indicateurs ainsi identifiés a été réalisée par enquête avec questionnaire auprès de 116 paysans et 9 décortiqueurs dans 4 villages (Fig. 1). Par la suite, un second atelier participatif a permis la validation de tous les produits de l’étude : récit chronogramme, cartographie des acteurs, chemin de l’impact et analyses des impacts (Tab. 1).
2.3 Définition de différentes classes d’exploitations pour interpréter les impacts mesurés
Pour prendre en compte la diversité des exploitations du Vakinankaratra, notamment les plus modestes qui constituent l’essentiel de la population des exploitations de cette région, et la variabilité de la perception des impacts exprimés par les agriculteurs selon leur situation, différentes classes d’exploitations ont été définies sur la base des données recueillies concernant la production annuelle de riz pluvial par personne en âge de consommer du riz dans l’exploitation : celles qui produisent plus de 150 kg de RPA par personne (classe 1, 22 exploitations), celles qui produisent entre 80 et 150 kg de RPA par personne (classe 2, 30 exploitations), celles qui produisent entre 30 et 80 kg de RPA par personne (classe 3, 34 exploitations) et celles de la classe 4 (26 exploitations) qui produisent moins de 30 kg de RPA par personne (Tab. 3). Les exploitations les plus représentatives de la région appartiennent aux classes 3 et 4 (Tab. 3).
Caractéristiques des quatre classes d’exploitations définies pour l’analyse des impacts.
Characteristics of the four categories of farms defined for impact assessment.
3 Résultats
Certains produits de l’étude (cartographie des acteurs, récit de l’innovation) ne peuvent pas être présentés ici mais sont accessibles en ligne (http://www.cirad.fr/nos-recherches/resultats-de-recherche/2016/des-varietes-de-riz-pluvial-d-altitude-a-la-conquete-des-hautes-terres-de-madagascar). Nous concentrerons ici notre propos sur les étapes qui mènent à la formation des impacts et à leur mesure.
3.1 Un rôle de la recherche déterminant au démarrage puis qui s’estompe
Les moyens (input) qui ont été mobilisés pour mener les activités de recherche sont principalement les ressources humaines (Fig. 2), à savoir les équipes de chercheurs et de techniciens du FOFIFA et du CIRAD qui ont travaillé de façon continue depuis trente ans à la création de variétés de RPA et d’itinéraires culturaux adaptés, ainsi que les budgets alloués à ces activités. L’importance des ressources génétiques, notamment les sources de tolérance au froid utilisées dans les croisements, doit aussi être soulignée. Ce sont principalement des variétés traditionnelles de riz irrigué d’altitude d’origine malgache et népalaise. Les produits (output) principaux de ces travaux sont bien entendu les variétés qui ont permis la culture du riz pluvial dans les zones d’altitude. Vingt variétés ont été sélectionnées et proposées aux paysans depuis 1995 (Raboin et al., 2013, 2014).
Les éléments essentiels, dans le chemin qui a mené à l’impact, ont été les nombreux partenariats entre la recherche et une diversité d’acteurs. Ces formes d’interaction ou d’organisation représentent les premiers changements liés à l’appropriation par les acteurs des connaissances et des nouveautés techniques, c’est-à-dire les outcomes du chemin de l’impact (Fig. 2). Les réseaux d’évaluation variétale participative ont toujours été maintenus en milieu paysan, même si les partenaires impliqués aux côtés de la recherche ont régulièrement changé au cours du temps. La présence continue et stable de la recherche a aussi permis des adaptations rapides à de nouvelles contraintes. Ainsi, lorsque les premières variétés de RPA sont devenues sensibles à la pyriculariose du riz, il a été possible de proposer rapidement de nouvelles variétés tolérantes à cette maladie (Raboin et al., 2013). Un grand nombre d’essais ou de sites de démonstration ont été mis en place par les institutions de recherche ou de formation, les projets de développement, les organisations paysannes qui ont aussi mené une grande partie de la communication autour des variétés. Toutes ces initiatives ont été importantes au démarrage du processus de diffusion. Une organisation formalisée de la production de semences a été aussi mise en place. Elle fait intervenir le CIRAD et le FOFIFA, qui fournissent les semences de pré-base ; une institution de recherche sur l’élevage, le FIFAMANOR, et une institution de formation sur le machinisme agricole, le CFAMA, qui assurent la multiplication des semences de base à destination des groupements de producteurs de semences ou des agriculteurs individuels.
Le rôle de la recherche devient très rapidement invisible dans le processus de diffusion, car l’essentiel des échanges de semences se pratiquent de façon informelle de paysan à paysan. Lorsqu’on interroge les producteurs de RPA, très peu ont eu des contacts directs avec la recherche ou ses partenaires. Toutefois, la variété (la nouveauté technique amenée par le partenariat de recherche) est centrale dans le chemin de l’impact (Fig. 2). Tous les outcomes concourent directement ou indirectement à un premier changement, l’utilisation par les paysans des variétés issues de la recherche se traduisant par un premier impact, l’augmentation des surfaces et de la production de riz, dont tous les autres découlent.
Fig. 2 Chemin de l’impact du processus d’innovation conduisant à la diffusion et à l’adoption de variétés de riz pluvial d’altitude à Madagascar de 1980 à 2015. Impact pathway of the innovation process leading to the adoption and diffusion of upland rice varieties for the Madagascar highlands from 1980 to 2015. |
3.2 L’accroissement des surfaces cultivées et de la production de riz
En partant de la situation d’avant 1995 où le riz pluvial ne pouvait pas être cultivé, vingt années plus tard la production annuelle et les surfaces cultivées de RPA par personne dans les exploitations étudiées étaient situées entre 19 kg sur 1,5 ares pour la classe 4 et 304 kg sur 21 ares pour la classe 1 (Tab. 3). La production de riz a augmenté dans les exploitations essentiellement grâce au RPA. En effet, la capacité de production de riz irrigué (RI) y a très peu évolué car les marges de manœuvre pour de nouveaux aménagements de rizière sont extrêmement réduites. Une corrélation positive apparaît entre quantité de RI et quantité de RPA produites par personne (Tab. 3). Ce sont les exploitations de la classe 1 qui produisent aussi le plus de RI par personne. Inversement, les exploitations de la classe 4 produisent le moins de RI par personne. Il y a bien complémentarité et non-substitution, entre la culture du RPA et celle du RI. Les principales alternatives au RPA évoquées par les paysans interrogés sont le maïs et la patate douce. La grande majorité d’entre eux (81 %) considèrent le RPA plus coûteux à cultiver que les cultures alternatives en termes de main-d’œuvre et d’intrants, mais 92 % d’entre eux considèrent néanmoins gagner plus en cultivant du RPA plutôt que celles-ci.
3.3 Un risque d’érosion et de réduction de la fertilité des sols
L’unique hypothèse de changement négatif qui a été soulevée par les partenaires de la recherche lors de cette évaluation concerne le risque d’érosion et de réduction de la fertilité des sols. Ces effets négatifs ne sont pas perçus comme importants par les agriculteurs surtout au regard de l’objectif de produire davantage de riz. Les alternatives au RPA étant d’autres cultures pluviales, la contribution du RPA à l’augmentation des phénomènes d’érosion risque d’être difficile à établir. En revanche, certains agriculteurs ont renoncé à réaliser les rotations culturales traditionnelles en culture pluviale afin de produire plus de riz. Les effets de ces changements de pratique restent à quantifier.
3.4 La réduction du nombre de mois d’achat de riz et l’amélioration de la sécurité alimentaire des ménages
En moyenne, la réduction du nombre de mois d’achat de riz est de 3,7 dans notre échantillon. Pour les exploitations des classes 3 et 4, la réduction est très rarement supérieure à 6 mois. En revanche, respectivement 29 % et 36 % des exploitations des classes 1 et 2 ont connu une réduction de plus de 6 mois. Ce sont des agriculteurs qui avaient peu ou pas de rizières disponibles mais qui avaient beaucoup de terres de tanety qu’ils ont utilisées pour produire du RPA. Malgré cette évolution, très peu d’exploitations atteignent l’autosuffisance en riz : 17 % du total mais avec de grandes disparités entre les classes : 50 % dans la classe 1 ; 13 % dans la classe 2 ; 7 % dans la classe 3 et aucune dans la classe 4. Le nombre de mois d’achat de riz reste élevé pour les exploitations du type 3 et 4, les plus représentatives de la région : entre 3,6 mois (bonnes années) et 6,7 mois (mauvaises années). L’autosuffisance en riz n’est donc pas atteinte malgré le développement du RPA. L’impact de la réduction de l’achat de riz est d’autant plus appréciable qu’il survient en fin de période de soudure, moment où les prix du riz sont les plus élevés sur le marché. C’est le cas lorsque la récolte du riz pluvial est plus précoce que celle du riz irrigué, soit pour 68 % des agriculteurs interrogés (à Antsoatany, Morafeno et Tritriva mais pas à Toavala).
3.5 L’augmentation de la part des exploitations qui vendent du riz
Sur l’ensemble des exploitations, 63 % vendent du riz alors que seulement 20 % déclarent qu’elles en vendraient si elles n’avaient pas de riz pluvial. L’évolution la plus importante concerne les exploitations de la classe 1. Elles sont 86 % à vendre du riz alors que seulement 9 % en vendraient si elles ne produisaient pas de RPA. L’augmentation des ventes est la plus faible pour les exploitations de la classe 4. Elles sont 58 % à vendre du riz mais 38 % en vendraient quand même sans RPA. Elles sont les moins autosuffisantes en riz et étaient déjà contraintes de vendre du riz avant le développement du RPA. Le riz est facile à vendre ou à troquer (beaucoup plus que le maïs, principale culture alternative) et permet d’avoir accès facilement à des liquidités même pour des petits montants. D’une manière générale, les agriculteurs préfèrent garder le riz pour leur propre consommation. Quand ils vendent, c’est surtout pour satisfaire des besoins quotidiens de première nécessité (sel, huile, fournitures scolaires, etc.) et pour faire face à des imprévus. Les quantités vendues augmentent de 264 kg en moyenne par exploitation entre une situation sans RPA et avec RPA, mais cela recouvre d’importantes disparités entre les différentes classes d’exploitations (844 kg d’augmentation en moyenne pour la classe 1 ; 137 kg pour la classe 2 ; 58 kg pour la classe 3 ; 9 kg seulement pour la classe 4).
3.6 La diversification des activités agricoles et para-agricoles
Le RPA a contribué à la diversification des activités agricoles, notamment grâce au développement des activités d’élevage qui a été évoqué par 68 % des producteurs. Ce sont les économies réalisées sur l’achat de riz qui ont permis d’investir dans l’élevage pour 39 % d’entre eux ainsi que la contribution directe du RPA à l’alimentation du bétail (pailles, son) pour 29 % d’entre eux. Le développement du RPA a aussi permis l’augmentation de l’activité des décortiqueurs. Les neuf décortiqueurs interrogés considèrent que le décorticage du riz pluvial représente près de la moitié de leur activité dans les quatre villages étudiés.
3.7 Une plus grande « tranquillité d’esprit » des agriculteurs
Tous les impacts précédents concourent à un impact exprimé de multiples façons par les individus interrogés, que nous avons synthétisé par « l’augmentation de la tranquillité d’esprit ». Cet impact, de façon inattendue, est ressorti systématiquement lors des entretiens : « Depuis le RPA, je vis plus joyeusement », « La vie devient plus facile : il y a moins de soucis pour le riz », « Il y a du riz plus tôt car le RPA est plus précoce et ça réduit mes soucis liés à l’achat de riz à cette période ». Les descripteurs du changement collectés dans les villages mettaient davantage l’accent sur le bien-être mental (diminution des soucis, problèmes) que sur un intérêt économique (revenu, achats de biens de consommation). Cet impact a fait l’unanimité. Cette amélioration est associée principalement à la diminution de la nécessité d’acheter du riz (pour 62 % des personnes interrogées) et à la hausse de l’autoconsommation (15 %) dans un contexte de grande pauvreté des populations étudiées. Cette sécurisation de l’autosuffisance alimentaire permet aussi, pour certains, de dégager des marges de manœuvre pour développer d’autres activités (14 %) ou investir (14 %) car ils peuvent vendre du riz et sont moins contraints de chercher d’autres sources de revenu (6 %) ou de réaliser des travaux extérieurs journaliers (7 %).
4 Retour sur la méthode d’évaluation de l’impact
L’approche participative permet au chercheur d’appréhender des impacts qui font sens pour les acteurs, qui peuvent parfois se révéler inattendus (Jacob et Ouvrard, 2009) et de les hiérarchiser selon le ressenti des acteurs et non de l’expert. Les résultats de ce type d’évaluation sont souvent plus pertinents par rapport aux réalités du terrain et aux attentes des bénéficiaires (Estrella et Gaventa, 1997). Cette approche est particulièrement adaptée à notre cas car il n’existe pas ou peu de données chiffrées traçables et reliées spécifiquement à chaque exploitation. Les données statistiques sont rares et peu fiables en dehors de celles issues du dernier recensement agricole de 2005. Il est donc nécessaire de s’appuyer sur les récits des acteurs pour comprendre le cheminement de l’innovation et d’en évaluer les impacts.
Il y a des limites propres à ce type de méthode participative liées à la longueur du processus et à la nécessité d’un grand investissement en temps. Nous avons, par exemple, observé que la motivation de certains acteurs ayant été sollicités à plusieurs reprises dans le processus d’évaluation s’est réduite au fur et à mesure. Avec la méthodologie IMPRESS, les phases précédant la mesure qui amènent à identifier les impacts et définir leurs indicateurs sont extrêmement consommatrices en temps. Dans le cadre d’une étude sur une durée limitée, cela peut se faire au dépend de la phase de mesure des impacts. On peut toutefois considérer que ce travail préparatoire est un investissement qui peut être largement réutilisé pour d’autres études qui se concentreraient sur la mesure auprès d’un échantillon élargi d’agriculteurs et dans d’autres régions concernées par la même innovation.
Avec ce type d’approche, il y a également un risque d’exclure une certaine partie de la population du processus (Jacob et Ouvrard, 2009). Dans cette étude, nous avons en effet noté une sous-représentation des catégories d’agriculteurs les plus précaires qui étaient vraisemblablement moins disponibles au moment de la réalisation des enquêtes, car ils sont souvent obligés de travailler en dehors de leur exploitation. C’est un point important à considérer lors de la mise en œuvre de l’enquête pour trouver les moments les plus opportuns pour faire mieux participer ces catégories.
Les consultations individuelles des bénéficiaires ont été privilégiées dans le cas RPA plutôt que les réunions collectives (focus-group) préconisées par la méthodologie IMPRESS dont la conduite requiert une forte expérience, d’autant qu’elles doivent être menées en langue malgache. Le risque était grand aussi que les discours ne soient homogénéisés sous l’effet d’un contrôle social dans une société très hiérarchisée comme l’est celle des Imerina des Hautes Terres malgaches (Razafindralambo, 2005). Les réunions collectives sont des moments où la prise de parole est complexe et ritualisée (Lavigne-Delville et al., 2000). Les dialogues ne sont pas forcément transparents et libres.
Cette étude constitue un cas d’école, car elle concerne une innovation variétale qui a permis le développement d’une pratique qui n’existait pas auparavant dans le périmètre étudié. Le lien entre l’innovation variétale et l’impact était donc relativement direct. À l’avenir, les impacts des nouvelles variétés de RPA seront moins spectaculaires et plus difficiles à mesurer, car ils proviendront de l’amélioration progressive des performances et de la qualité des variétés proposées ou de leur adaptation à des contraintes nouvelles (nouvelles maladies, changement climatique, etc.) par rapport aux variétés anciennes et non de l’adoption à grande échelle d’une pratique nouvelle.
5 Conclusions et perspectives
La contribution de la recherche aux impacts a pu être clairement mise en évidence. L’accompagnement de la recherche a été continu dans le temps, tout au long du processus d’innovation. Cette stabilité a permis de maintenir les partenariats avec des organisations de producteurs, des ONG ou des institutions impliquées dans le développement de la région. Cela a permis de compenser les discontinuités des financements publics et des grands projets de développement et la disparition de certains acteurs au cours du temps. La construction et le maintien d’un partenariat institutionnel et territorial solide ont été un ressort essentiel du succès de l’innovation variétale RPA comme cela l’a été au Burkina Faso pour le sorgho et au Sénégal pour l’arachide (Clavel et al., 2017). Ces partenariats sont les premiers rouages dans le processus de diffusion du RPA qui devient ensuite de plus en plus informel et éloigné de la recherche. L’appropriation et la transmission par les paysans des semences de RPA leur donnent une valeur patrimoniale contribuant à l’identité du territoire des Hautes Terres malgaches.
Le riz pluvial d’altitude est devenu essentiel dans les stratégies paysannes centrées sur la sécurité alimentaire. Le RPA a eu un impact notable sur l’amélioration de l’autosuffisance en riz et sur le bien-être des ménages d’agriculteurs de la région Vakinankaratra. Le bénéfice de la culture du RPA, tel que perçu par les agriculteurs, n’est pas strictement économique mais lié à la valeur centrale du riz dans l’alimentation et la tradition malgache. Il reste néanmoins difficile d’extrapoler la contribution du RPA à une échelle régionale ou nationale. C’est là pourtant une question de recherche intéressante car le RPA diffuse, avec les mêmes variétés, dans d’autres zones d’altitude au-delà du périmètre initial du Vakinankaratra comme dans la région Itasy ou dans la région Amoron’i mania.
De nouveaux enjeux se dessinent pour la recherche face au défi d’assurer la sécurité alimentaire à l’échelle de tout le pays. Le programme d’amélioration génétique du riz pluvial a élargi depuis quelques années son périmètre à une autre zone écologique : le Moyen Ouest de Madagascar (Fig. 1). Cette région dispose de très grandes réserves en surfaces de terres arables favorables aux cultures pluviales qui peuvent permettre de développer une agriculture performante susceptible d’alimenter le marché national, voire même international. Pour accompagner ces changements en cours et à venir, il apparaît essentiel de construire des partenariats entre la recherche et des acteurs diversifiés (organisations de producteurs, ONG, associations ou institutions) intervenant dans ces zones. Une évaluation de l’importance du riz pluvial dans le Moyen Ouest, selon une approche participative similaire à celle mise en œuvre sur les Hautes Terres, permettrait d’obtenir une situation de référence pour des études d’impact futures, de répertorier les différentes formes d’organisation paysanne déjà en place et aussi de mieux définir ce que les producteurs attendent de nouvelles variétés de RPA.
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Citation de l'article : Breumier P, Ramarosandratana A, Ramanantsoanirina A, Brocke Kv, Marquié C, Dabat M-H, Raboin L-M. 2018. Évaluation participative des impacts de la recherche sur le riz pluvial d’altitude à Madagascar de 1980 à 2015. Cah. Agric. 27: 15004.
Liste des tableaux
Les cinq étapes de la méthode IMPRESS. Liste des acteurs participants à chaque étape.
The five steps of IMPRESS method. List of participating stakeholders at each step.
Caractéristiques des quatre classes d’exploitations définies pour l’analyse des impacts.
Characteristics of the four categories of farms defined for impact assessment.
Liste des figures
Fig. 1 Le périmètre de l’étude d’impact est la région Vakinankaratra pour les altitudes supérieures à 1250 m. Les quatre villages dans lesquels la mesure des impacts a été effectuée sont identifiés par des triangles blancs. Le pourcentage d’agriculteurs pratiquant la riziculture pluviale est présenté pour seize villages au dessus de 1250 m d’altitude, qui ont fait l’objet d’une enquête en 2012 (Raboin et al., 2014). The studied area is the Vakinankaratra region above 1250 m asl. The four villages involved in the assessment are identified with white triangles. The percentage of farmers cultivating upland rice is presented for 16 villages above 1250 m asl surveyed in 2012. |
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Fig. 2 Chemin de l’impact du processus d’innovation conduisant à la diffusion et à l’adoption de variétés de riz pluvial d’altitude à Madagascar de 1980 à 2015. Impact pathway of the innovation process leading to the adoption and diffusion of upland rice varieties for the Madagascar highlands from 1980 to 2015. |
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