Open Access
Issue
Cah. Agric.
Volume 27, Number 6, Novembre-Décembre 2018
Article Number 65003
Number of page(s) 8
Section Études originales / Original Studies
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2018039
Published online 30 November 2018

© M.-O. Nozieres-Petit and A. Lauvie, Published by EDP Sciences 2018

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

Suite à la prise de conscience, dans les années 1970, du phénomène dʼérosion génétique au sein des populations animales domestiques, certaines de ces populations ont donné lieu à la création de dispositifs de conservation. Aujourdʼhui, elles sont aussi considérées comme des ressources à part entière (Audiot, 1995). En effet, leur valorisation est un levier clé de leur conservation et plus largement de leur gestion, en favorisant le maintien et le développement des effectifs mais aussi en conduisant à réinterroger lʼorganisation ou lʼorientation de cette gestion (Lauvie et al., 2014). Comprendre les interactions entre conservation et valorisation est donc nécessaire pour mieux appréhender la gestion de ces populations animales. Les travaux qui prennent pour objet ces interactions sont très focalisés sur la valorisation des biens alimentaires, alors que les modalités de valorisation sont en réalité diverses, correspondant à une diversité de productions assurées par les systèmes dʼélevage mobilisant ces races (Couix et al., 2013 ; Lauvie et al., 2017). Hoffmann (2011) souligne que la diversité des productions des systèmes dʼélevage qui mobilisent ces races, bien quʼimportante, est peu considérée dans les travaux sur la durabilité de ces mêmes populations animales. Elle avance lʼhypothèse quʼil est méthodologiquement plus difficile de prendre en considération des productions qui ne passent pas par le marché. Ces productions diversifiées, incluant celles de biens alimentaires et non alimentaires, sont nommées de façons variables lorsquʼelles sont évoquées dans la littérature : usages, fonctions, rôles, services, etc. Ces vocables peuvent décrire la façon dont les races locales, parties prenantes dʼagroécosystèmes, participent :

  • à la fourniture de produits tout en étant adaptées à ces systèmes dʼélevage spécifiques (par exemple : « de montagne » in Verrier et al., 2005) et en favorisant le maintien de paysages associés à ces systèmes (par exemple, Gandini et Villa, 2003) ;

  • au développement du tourisme vert (par exemple, Audiot, 1995) ;

  • à la lutte contre les incendies (par exemple, Audiot, 1995) ;

  • à la valorisation des pâturages dʼaltitude (par exemple, Verrier et al., 2005) ;

  • aux usages cultuels, à lʼartisanat, aux usages récréatifs (par exemple, Alexandre et al., 2002) ;

  • etc.

Ces autres productions sont rarement prises comme objet dʼétude spécifique et sont peu prises en compte comme des modalités de valorisation interagissant avec les modalités de conservation. Lʼobjectif de ce travail est donc dʼexpliciter cette diversité, afin de mieux pouvoir ensuite la considérer dans les travaux sur la gestion et la conservation de ces populations animales.

Ces productions seront appelées ici « contributions », parce que le sens premier de ce terme indique « le fait de prendre part à une œuvre, à une dépense commune » (définition du Larousse, 2018), mais aussi parce quʼil nʼest pas spécifiquement relié au développement dʼun cadre théorique. Ainsi, entre autres exemples, le verbe « contribuer à » est utilisé par Costanza et al. (2017) pour donner une définition de la notion de services écosystémiques ; le terme « contribution » est employé par Ryschawy et al. (2017) pour désigner un ensemble de biens et services fournis par lʼélevage, et par Díaz et al. (2018) pour parler de lʼapport de la nature (diversité des organismes, écosystèmes, et processus écologiques associés) à la qualité de vie des personnes. Lʼutilisation que nous faisons de ce terme laisse ainsi ouverte la question du choix du cadre dʼanalyse le plus pertinent à adopter dans une recherche ultérieure.

Les éleveurs, en tant que pilotes des agroécosystèmes, jouent un rôle central dans les processus qui donnent lieu à une diversité de contributions et cʼest pour cela que, pour conduire notre analyse, nous avons choisi de partir de ce quʼils font et de pourquoi ils le font. De plus, organisation du système dʼélevage et choix dʼune race sont pensés en cohérence, donnant lieu à des contributions. Cette cohérence a été décrite par Audiot (1995) dans le cas de races locales. Ceci rend pertinent lʼélection dʼun cas dʼétude de ce type, sans pour autant en interroger la spécificité. Après avoir décrit le cas dʼétude support de notre analyse, nous présentons la diversité des contributions identifiées. Nous détaillons ensuite les contributions associées à une multiplicité de relations entre acteurs, et celles qui sont liées à une inscription particulière dans le milieu biophysique, avant de discuter de ces résultats.

2 Le dispositif de conservation des races ovines Caussenarde des Garrigues, Rouge du Roussillon et Raïole

Cette explicitation des contributions des élevages utilisant des races locales sʼappuie sur le cas de trois races ovines à petit effectif : la Caussenarde des Garrigues, la Rouge du Roussillon, et la Raïole. Elles sont regroupées dans un même dispositif de gouvernance, i.e. une association loi 1901 qui assure notamment la gestion de la variabilité génétique. Toutes originaires du lʼarrière-pays méditerranéen français, ces races sont mises en avant pour leur rusticité et donc leur capacité à valoriser les ressources des milieux biophysiques dans lesquels elles sont élevées (Germain, 2006a, b ; Luquet et Dedieu, 1982). Le tableau 1 présente les grandes caractéristiques de chacune dʼentre-elles et la figure 1, la répartition géographique actuelle des élevages.

Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 22 éleveurs, élevant des brebis de lʼune, de deux ou de trois de ces races. Au sein de chacune des races, les éleveurs étaient choisis pour couvrir une diversité de milieux biophysiques (plaine méditerranéenne, garrigue, vallées cévenoles, causses), en partant du postulat que des races et des milieux différents induisaient des systèmes dʼélevage différents et donc des contributions différentes. Pour couvrir également une diversité de situations en matière de gestion de la ressource génétique, nous avons également choisi dʼinterroger un éleveur ne faisant pas partie de lʼassociation des trois races bien quʼélevant lʼune dʼelle, la Caussenarde des Garrigues.

Le choix a été fait, dans le guide dʼentretien, de ne pas aborder directement avec les éleveurs les questions de formes de valorisation des races locales et de contributions des agroécosystèmes mobilisant ces races, et en particulier de ne pas employer le terme de « contribution » ni celui de « service » pour en parler. Nous avons estimé que, pour rendre compte de la diversité des contributions, sans se limiter aux seuls produits dʼélevage, nous devions comprendre la diversité des activités et les grandes caractéristiques dʼorganisation de lʼexploitation agricole. Les questions ont été formulées pour saisir ces aspects en tentant de mettre en évidence un lien avec la race, sʼil existait. Ainsi les éleveurs ont été interviewés pour collecter les grands traits de lʼorganisation, de lʼhistoire et de lʼenvironnement de leur système dʼélevage qui pouvaient avoir un lien avec le choix de la race, comme :

  • la façon dont les besoins des animaux sont calés dans le temps et dans lʼespace avec la diversité des ressources alimentaires disponibles ;

  • la façon dont la gestion de la ressource génétique est effectuée ;

  • la trajectoire de lʼéleveur ;

  • les liens quʼil entretient avec lʼassociation.

Sur chacun de ces aspects, les informations collectées sont de deux ordres : ce que lʼéleveur fait (pratiques) et pourquoi il le fait (point de vue sur ses pratiques). En fin dʼentretien, si les dimensions sociales et environnementales de ce à quoi lʼélevage contribue nʼavaient pas été abordées, des questions étaient posées sur la façon dont les éleveurs parlent de la race et communiquent sur leur activité dʼélevage auprès dʼautres acteurs ou sur la façon dont la race et leur activité ont un impact sur le paysage.

Puis, nous avons effectué une analyse transversale thématique des enquêtes menées. Nous avons considéré que lʼéleveur évoquait une contribution lorsque son discours était finalisé, attribuait une fonction à un aspect de son activité. Par exemple, un couple dʼéleveurs indiquent que leurs actions permettent la lutte contre les incendies et lʼouverture des milieux. Ceci, identifié chez plusieurs éleveurs, nous conduit à définir « ouvrir les milieux » et « lutter contre les incendies » comme des contributions. Le libellé de chaque contribution prend la forme dʼun verbe à lʼinfinitif adjoint dʼun complément : « conduire un système dʼélevage mobilisant une race locale contribue à “verbe + complément” ».

Tableau 1

Grandes caractéristiques des races Rouge du Roussillon, Caussenarde des Garrigues et Raïole.

Characteristics of the breeds: Rouge du Roussillon, Caussenarde des Garrigues and Raïole.

thumbnail Fig. 1

Répartition géographique des élevages de Rouges du Roussillon, Caussenardes des Garrigues et Raïoles.

Geographigraphical distribution of the Rouges du Roussillon, Caussenardes des Garrigues and Raïoles farms.

3 Une diversité de contributions identifiées

Lʼanalyse conduit à libeller huit contributions globales, relativement génériques, dont celle de la fourniture de produits dʼélevage (Fig. 2), qui peuvent toutefois se décliner en formulations plus spécifiques. Ces huit « contributions clefs » peuvent en effet être spécifiées pour chaque éleveur. Par exemple, « se faire plaisir » peut être spécifié en « avoir de belles brebis » pour certains éleveurs ou « avoir des brebis marcheuses » pour dʼautres. Elles peuvent être aussi articulées, dans des liens logiques de cause à effet, avec dʼautres contributions. Ainsi de cette personne qui dit combien il est important pour elle de faire vivre un collectif dʼéleveurs et que ce dernier lui permet non seulement de trouver des reproducteurs mais aussi de vendre ses produits. Dans la mise en évidence de ces liens logiques, nous relevons le fait que, selon les situations, une contribution peut avoir le statut de « ce qui est rendu possible » (effet) ou celui de « ce qui rend possible » (cause). Nous observons également que les natures des contributions qui sʼarticulent entre elles peuvent être très différentes, certaines étant très génériques, dʼautres plus particulières dʼune problématique. Ainsi la contribution clef « valoriser la ressource locale » induit, entre autre, « sʼinstaller avec de faibles investissements », plus particulière aux situations dʼinstallation mais aussi « lutter contre les incendies », présente dans les zones à risque pour les feux de forêts. Enfin, les contributions clefs peuvent sʼarticuler entre elles. Ainsi, un éleveur mentionne que lʼentretien des espaces naturels est « ce qui les légitime là où ils sont », faisant un lien entre « valoriser des ressources locales » et « avoir un rôle social par lʼactivité dʼélevage ». Enfin, nous observons que, pour certains éleveurs, ces contributions sont des conséquences indirectes de leurs activités, là où, pour dʼautres, elles sont intentionnelles et importantes dans leur projet dʼélevage.

Pour chacune de ces huit contributions, un certain nombre dʼacteurs concernés (par exemple, en tant que destinataires de celles-ci ou parce quʼils sont impliqués dans leur élaboration) ont été identifiés, sans que, pour lʼinstant, la nature ou leur degré dʼimplication ne soient ni qualifiés ni évalués.

thumbnail Fig. 2

Répertoire des contributions des trois races locales, identifiées à partir des entretiens.

Diversity of contributions of the three local breeds, identified from surveys.

4 Des contributions liées à une multiplicité de relations entre éleveurs et avec dʼautres acteurs

Deux contributions clefs renvoient à la mise en relation des éleveurs entre eux ou avec dʼautres acteurs par des proximités géographiques et sociales.

« Avoir un rôle social par lʼactivité dʼélevage », cʼest-à-dire fédérer des personnes autour de ces races et de leurs systèmes dʼélevage, peut revêtir un aspect festif mais aussi quotidien, tel que favoriser la bonne entente entre voisins. Plusieurs déclinaisons existent : « transmettre un métier », « créer de lʼemploi », « partager la valeur entre acteurs par des circuits courts » ou encore « participer à lʼéducation, à lʼinsertion sociale, au care ». Ce dernier cas sʼillustre par cette éleveuse qui a reçu les enfants de lʼécole du village, mais aussi par cette conjointe exploitante qui accueille régulièrement des enfants en Institut thérapeutique éducatif et professionnel. Elle offre à ces jeunes en difficulté une écoute, un changement de cadre, la possibilité de se responsabiliser en participant aux travaux de la ferme. Dans ce cadre, elle mobilise la race en présentant la beauté de ses animaux et en concevant de petits jeux où est intégré le nom de la race. Pour un même éleveur, toutes les déclinaisons de cette contribution peuvent être présentes, ou seulement une ou deux.

« Fournir un réseau dʼéchanges entre éleveurs » (Fig. 3) renvoie aux relations entre pairs quʼentretiennent les éleveurs parce quʼils ont une race en commun. Plusieurs autres contributions en découlent. Certaines sont très liées à la gestion des races, comme « proposer/acheter des animaux pour la constitution ou le renouvellement du troupeau ». Dʼautres participent du fonctionnement de chaque système dʼélevage, comme « échanger sur des choix techniques » ou « fournir/bénéficier dʼentraide au travail ». Dʼautres concourent à la construction des relations des éleveurs avec lʼextérieur comme « échanger pour mettre en marché » ou « échanger pour construire un projet collectif ». Enfin, « donner un appui à lʼinstallation » découle de cette contribution clef, plusieurs jeunes éleveurs trouvant dans les collectifs imbriqués autour de ces trois races des ressources pour être accompagnés (conseils, services…) ou se fournir en animaux ou en terres. Les proximités géographiques et sociales facilitent les échanges, qui sont pour certains très réguliers, et qui se font pour dʼautres uniquement au moment des rencontres organisées par lʼassociation (conseil dʼadministration et assemblée générale, commissions de marquage des animaux, ventes annuelles de béliers).

thumbnail Fig. 3

« Fournir un réseau dʼéchange entre éleveurs » : quelles sous-contributions ?

“Providing an exchange network between breeders”: which sub-contributions?

5 Des contributions liées à une inscription particulière dans le milieu biophysique

La contribution « valoriser la ressource locale » renvoie à lʼinscription dans un milieu biophysique particulier. La description des milieux pâturés, la recherche dʼautonomie exprimée par certains éleveurs, ou encore la mise en avant de lʼadaptation de la race choisie pour valoriser les ressources pâturées sont quelques-uns des éléments de discours qui nous ont amenées à formuler cette contribution.

Si cette contribution « est rendue possible » par lʼadaptation de la race choisie, elle « rend possible » dʼautres contributions (Fig. 4), relevant notamment de dimensions zootechniques telles que « produire des agneaux à lʼherbe », cet aspect pouvant même être utilisé en argument de vente, ou « mettre en œuvre un système économe et autonome », plusieurs éleveurs exprimant en effet le souhait de limiter au maximum les charges et dʼautres recherchant une très forte adéquation entre ressources à disposition et besoins des animaux.

Dʼautres contributions afférentes sont liées à lʼoccupation du territoire, à la gestion des écosystèmes, que ce soit dans une dimension socioéconomique, en contribuant à « revaloriser une zone en déprise », ou dans une dimension écologique et paysagère, en contribuant à « entretenir le milieu », pour « ré-ouvrir le milieu » et/ou « lutter contre les incendies ». Ainsi, un éleveur évoque sa participation au plan de maintien forestier, ré-ouvrant le couvert sous résineux pour laisser de la place aux arbres remarquables. Un autre évoque son rôle dʼentretien des rives dʼune rivière fréquentée par les touristes. Ces contributions liées à la gestion des milieux biophysiques mettent en relation les éleveurs avec une diversité dʼacteurs qui constituent le milieu humain dans lequel ils évoluent.

« Sʼinstaller avec de faibles investissements » découle aussi de « valoriser la ressource locale », puisque plusieurs éleveurs décrivent leur installation progressive dans des systèmes dʼélevage extrêmement extensifs, parfois en plein air intégral, mobilisant une diversité de ressources spontanées : parcours en garrigues, ressources herbacées sous vignes, bords de rivière, prairies dʼestives.

thumbnail Fig. 4

« Valoriser la ressource locale » : quelles sous-contributions ?

“Valuing the local resource”: which sub-contributions?

6 Liens entre caractéristiques des races élevées et contributions

Du fait des choix pour la direction des entretiens (cf. Sect. 2), certains liens entre contributions et caractéristiques des races mobilisées ont été explicitement formulés par les éleveurs. Ainsi plusieurs dʼentre eux mentionnent le fait quʼils ont choisi une race rustique qui permet de bien valoriser la ressource locale. Un autre indique que le côté convivial de lʼassociation permet des rencontres entre éleveurs ayant des systèmes semblables. Ces exemples montrent que les caractéristiques de ces races ne sont pas seulement des aptitudes zootechniques mais peuvent recouvrir dʼautres dimensions. Nous qualifions lʼensemble de ces caractéristiques dʼ« attributs » de ces races, et en distinguons six. Le premier est la rusticité, notion multidimensionnelle (Hubert, 2010), qui renvoie ici à la capacité des animaux à se maintenir en état et à produire sur une végétation spontanée « pauvre ». Le deuxième est la localité de la race, recouvrant aussi de multiples dimensions (proximité géographique des élevages, adaptation à un milieu biophysique particulier, liens quʼentretiennent les éleveurs avec les autres habitants dʼun territoire, etc.) au-delà de la seule définition réglementaire, et de ce que lʼon nomme communément le « berceau de la race » (voir article D.653-9 du Code rural et lʼarrêté du 26 juillet 2007). Le standard, et plus largement les caractéristiques physiques de lʼanimal, constitue le troisième attribut. Lʼaptitude à fournir des produits de qualité et le fait que la race soit « à petit effectif » forme respectivement le quatrième et le cinquième attribut. Enfin, le fait que les races soient gérées par un collectif dédié, emboîté sur plusieurs niveaux, et interagissant avec dʼautres collectifs non dédiés (groupements pastoraux…) constitue le dernier attribut.

7 Discussion et conclusion

7.1 Approfondir lʼanalyse des contributions et des attributs

Lʼanalyse que nous présentons ici sʼappuie uniquement sur une analyse des points de vue et des pratiques des éleveurs, vus comme des acteurs essentiels de lʼélaboration de ces contributions. Cela fournit un inventaire de ces contributions « développé dʼun certain point de vue », « situé » et « élaboré à un moment donné », à lʼimage des travaux qui soulignent la dimension construite, subjective et située des services (voir par exemple, Barnaud et al., 2018). Si la compréhension des pratiques et points de vue des éleveurs est nécessaire, elle nʼest pas suffisante. De ce fait, la première piste dʼapprofondissement de notre travail serait dʼinterroger dʼautres acteurs, peut-être même en sollicitant les éleveurs comme point de départ pour identifier ces acteurs et élaborer un dispositif mobilisant une méthode « boule de neige » (Combessie, 2007). Lʼinterrogation dʼautres acteurs permettrait alors de conforter ou de relativiser les points de vue des éleveurs, dʼidentifier dʼéventuelles tensions qui pourraient se traduire dans lʼaction collective, en particulier pour la gestion de ces races, et ainsi de mieux appréhender les dynamiques en cours.

Notre travail formalise des contributions et met en évidence une organisation logique entre elles ; tout cela situé dans le temps, et dans le cas précis dʼun collectif et dʼagroécosystèmes mobilisant trois races locales dʼovins allaitants. Il pourrait être approfondi en enrichissant le répertoire initié au fur et à mesure quʼune diversité dʼacteurs sʼexprime, que les dynamiques en cours sont analysées. Il sʼagirait de revisiter en même temps lʼarticulation entre contributions (notamment entre fourniture de produits dʼélevage et autres contributions). Cela pourrait permettre de mettre à jour des synergies ou des tensions et donc, potentiellement, des enjeux dʼarbitrage entre contributions.

Un travail similaire pourrait être conduit dans dʼautres démarches, en particulier autour de races moins locales, pour mettre en évidence ce qui est spécifique de ces agroécosystèmes mobilisant des races locales, mais aussi pour rediscuter dʼun lien probablement non univoque entre organisation de systèmes dʼélevage et choix de ces races locales. Dʼautant plus que le matériau collecté dans notre travail ne suffit pas pour dégager des contributions spécifiques de chacune des trois races, en dehors de la fourniture de produits spécifiques dʼune race pris en charge par un collectif, comme la production de laine portée par le collectif Raïolaine. Lʼanalyse des liens entre contributions et attributs des races mériterait également dʼêtre détaillée. Si certains de ces liens apparaissent dʼores et déjà clairement (la rusticité est un attribut de la race qui autorise à « valoriser la ressource locale »), dʼautres le sont moins.

La dernière piste dʼapprofondissement est la mobilisation de cadres dʼanalyse existante pour affiner lʼanalyse, comme celui des « services » (Ryschawy et al., 2017 ; Zhang et al., 2007) ou celui de la « valuation » (Dewey, 2011). Une attention particulière pourrait être portée au cadre de la « multifonctionnalité » (Hervieu, 2002), élaboré spécifiquement pour les activités agricoles. En effet, certaines des formulations de « contributions », terme choisi pour sa relativement faible conceptualisation, sont très proches de fonctions. Ces notions peuvent surtout potentiellement éclairer un aspect particulier des processus en cours et aider à mieux comprendre comment la diversité des contributions est intégrée dans les dispositifs de gestion de races. Ainsi la notion de bénéficiaire, associée à celle de service (voir par exemple, Barnaud et al., 2018), peut aider à analyser la question des acteurs concernés par les contributions des races, alors que celle de valuation pourrait permettre dʼexpliciter la formation des valeurs associées à ces races en prenant en compte la diversité des dimensions dont elles relèvent, au-delà de la seule valeur marchande.

7.2 Quelle place de la diversité des contributions dans les dispositifs de gestion des races ?

La mise en évidence dʼune diversité de contributions interroge la diversité des acteurs concernés par celles-ci, par exemple, parce quʼils en bénéficient ou pourraient potentiellement en bénéficier, ou quʼils participent à leur élaboration. Si les dispositifs institutionnalisés de gestion génétique des races prévoient dʼintégrer des « acteurs du territoire », il pourrait être pertinent de comprendre quelle y est leur place effective : pourquoi et comment ils y participent (en intégrant les dispositifs institutionnalisés ou par dʼautres voies…), et ce que produit cette participation (de nouveaux projets, attentes, tensions, etc.). De plus, du fait à la fois de cette diversité dʼacteurs pouvant avoir des attentes spécifiques, mais aussi de lʼimportance de la mise en valeur du milieu biophysique dans la fourniture de ces contributions, se pose la question de lʼintégration, dans la gestion collective des races, des capacités dʼadaptation des animaux, non seulement à un milieu biophysique, mais aussi à une diversité de projets humains.

7.3 La race comme ressource territoriale

Considérer les races comme des ressources territoriales nʼest pas nouveau (e.g. Vissac, 1993 ; Casabianca et Vallerand, 1994 ; Audiot, 1995), mais aborder cette question par les contributions des agroécosystèmes les mobilisant et les attributs des races qui les autorisent, permettrait dʼy apporter un éclairage spécifique. En effet, dans le travail présenté ici, nous retrouvons la participation des élevages mobilisant ces races au maintien et à la valorisation des espaces, ce qui renvoie explicitement à une dimension biophysique du territoire. Nous observons également comment ils concourent à la dimension économique des territoires (par la production de produits dʼélevage en particulier). Nous montrons également lʼimportance de leur apport à la dimension sociale du territoire (créer du lien, prendre soin…), puisque dans certains cas, il sʼagit même de réinventer lʼélevage dans des espaces où il nʼy en avait plus. Il nous semble donc que comprendre lʼarticulation des contributions entre elles devraient permettre de mieux penser lʼinterconnection entre une approche spatialiste du territoire et une approche par « réseaux » (Rieutort, 2009). La poursuite du travail permettrait alors dʼappréhender comment les populations animales locales et les systèmes dʼélevage qui les mobilisent, sont à lʼinterface entre un milieu biophysique et un milieu humain et éclairerait le rôle que cet ensemble joue dans les dynamiques territoriales.

Remerciements

Ce travail a été effectué grâce à lʼappui du département SAD de lʼInra et du projet SECOYA du métaprogramme ECOSERV de lʼInra. Les auteurs remercient également Margaux Beringuier, élève en Master 1 à Montpellier SupAgro en 2016–2017, qui a conduit les enquêtes au cours dʼun stage de césure de 6 mois.

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Citation de l’article : Nozieres-Petit M-O, Lauvie A. 2018. Diversité des contributions des systèmes dʼélevage de races locales. Les points de vue des éleveurs de trois races ovines méditerranéennes. Cah. Agric. 27: 65003.

Liste des tableaux

Tableau 1

Grandes caractéristiques des races Rouge du Roussillon, Caussenarde des Garrigues et Raïole.

Characteristics of the breeds: Rouge du Roussillon, Caussenarde des Garrigues and Raïole.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Répartition géographique des élevages de Rouges du Roussillon, Caussenardes des Garrigues et Raïoles.

Geographigraphical distribution of the Rouges du Roussillon, Caussenardes des Garrigues and Raïoles farms.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Répertoire des contributions des trois races locales, identifiées à partir des entretiens.

Diversity of contributions of the three local breeds, identified from surveys.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

« Fournir un réseau dʼéchange entre éleveurs » : quelles sous-contributions ?

“Providing an exchange network between breeders”: which sub-contributions?

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

« Valoriser la ressource locale » : quelles sous-contributions ?

“Valuing the local resource”: which sub-contributions?

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