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Cah. Agric.
Volume 27, Number 6, Novembre-Décembre 2018
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Article Number | 65002 | |
Number of page(s) | 9 | |
Section | Études originales / Original Studies | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2018038 | |
Published online | 30 November 2018 |
Publication de données de recherche / Data Paper
Pratiques phytosanitaires et niveau d’exposition aux pesticides des producteurs de coton du nord du Bénin
Plant protection practices and pesticide exposure levels of Northern Benin cotton producers
1
Laboratoire de recherche en aquaculture et écotoxicologie aquatique (LaRAEAq), département des sciences et techniques de production animale et halieutique (STPAH), faculté d’agronomie, université de Parakou,
Parakou, Bénin
2
Gembloux Agro-Bio Tech/université de Liège (ULiège), laboratoire de phytopharmacie,
Liège, Belgique
3
Laboratoire d’analyse des denrées alimentaires, FARAH-Santé publique vétérinaire, faculté de médecine vétérinaire/université de Liège (ULiège),
Liège, Belgique
4
Unité de recherche en biologie environnementale et évolutive (URBE), faculté des sciences, université de Namur,
Namur, Belgique
* Auteur de correspondance : goudaibrachi@yahoo.fr
Au Bénin, les écosystèmes terrestres sont pollués par la présence généralisée de résidus de pesticides due à une utilisation intensive de produits phytosanitaires en agriculture, principalement sur la culture du coton. Afin d’évaluer le niveau d’exposition des producteurs aux pesticides et d’estimer l’impact potentiel de ceux-ci sur la santé humaine, des enquêtes semi-structurées couplées à des observations sur les pratiques locales ont été effectuées auprès de 150 producteurs de coton des communes de Gogounou, Kandi et Banikoara, principales zones de production cotonnière du pays. Soixante-quinze pour cent des producteurs interrogés n’ont jamais bénéficié d’une scolarisation, et seulement 5 % d’entre eux ont été formés à l’utilisation sans danger des pesticides sur la culture du coton. Parmi les pesticides utilisés par les producteurs, seuls 19 % appartiennent à la liste des produits homologués au Bénin. Les substances actives les plus fréquemment utilisées sont des insecticides tels que l’acétamipride, la lambda-cyhalothrine, le chlorpyrifos-éthyle, l’émamectine benzoate, le profénofos ou la cyperméthrine. Toutes ces substances sont connues pour être toxiques et pourraient avoir des effets néfastes sur la santé après une exposition. Soixante-quinze pour cent des producteurs interrogés utilisent des doses d’insecticide supérieures à celles recommandées sur les étiquettes et 80 % ne portent pas d’équipement de protection individuelle, que ce soit lors de la préparation de la bouillie, du chargement ou de la pulvérisation. Les emballages vides de pesticides sont souvent abandonnés dans les champs de coton (73 % des observations) ou parfois utilisés à des fins domestiques (25 % des observations). Les observations de terrain traduites en scénarios fiables ont permis d’estimer les niveaux d’exposition des producteurs à l’aide du modèle prédictif UK-POEM. Les expositions totales sans équipement de protection individuelle varient de 0,099 à 0,546 mg/kg de poids corporel/jour. Ces valeurs d’exposition dépassent largement les niveaux d’exposition acceptables pour l’opérateur, indiquant un risque potentiel.
Abstract
In Benin, terrestrial ecosystems are polluted by a widespread presence of pesticide residues released by an intensive use of plant protection products in agriculture, mainly those sprayed on cotton crops. In order to assess the exposure of producers to pesticides and predict the potential impact on human health, field observation of local practices coupled with semi-structured surveys were conducted among 150 cotton growers in Gogounou, Kandi and Banikoara in Northern Benin, the main cotton production area of the country. Seventy-five percent of producers never received an education nor instructions of use, while only 5% have been trained in the safe use of pesticides on cotton crops. Among pesticides used by farmers, only 19% belong to the approved list of plant protection products in Benin. The most frequently used active substances are insecticides such as acetamiprid, lambda-cyhalothrin, chlorpyrifos-ethyl, emamectin benzoate, profenofos or cypermethrin. All are known to be more or less toxic and may have detrimental effects on health after exposure. Seventy-five percent of producers use higher amounts of insecticides than recommended on the labels and 80% do not wear personal protective equipment during mixing, loading and spraying. Empty pesticide containers are often left in cotton fields (73% of observations) or sometimes used for domestic purposes (25% of observations). Field observations were translated into reliable scenarios to estimate the exposure levels of producers, using the UK-POEM predictive model. Total exposures without personal protective equipment vary from 0.099 to 0.546 mg/kg body weight/day. Exposure values far exceed the Acceptable Operator Exposure Levels, indicating a potential risk.
Mots clés : coton / pesticide / évaluation de risque / UK-POEM / Bénin
Key words: cotton / pesticide / risk assessment / UK-POEM / Benin
© A.-I. Gouda et al., Published by EDP Sciences 2018
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Au Bénin, la culture du coton consomme à elle seule près de 96 % des engrais chimiques utilisés (IFDC, 2007) et près de 90 % des insecticides (Ton, 2001). En effet, en raison du programme stratégique de relance du secteur agricole, qui vise l’amélioration des rendements, on assiste à une utilisation accrue de pesticides en agriculture pour lutter contre les ravageurs, les maladies et les adventices. Selon Oerke et Dehne (1997), sans un contrôle des adventices et des ravageurs par les pesticides, environ 42 % de la production agricole mondiale serait perdue chaque année. Au Bénin, Agbohessi et al. (2011) dénoncent l’utilisation frauduleuse, par les producteurs de coton, de molécules phytosanitaires d’origine et de qualité diverses. Cependant, nonobstant l’efficacité des pesticides sur les ravageurs et leur effet positif sur l’augmentation des rendements, plusieurs études au Bénin (Ahouangninou et al., 2011 ; Agbohessi et al., 2012), au Togo (Kanda, 2011) et au Burkina Faso (Lehmann et al., 2016) ont montré que l’utilisation répétée et mal maîtrisée de produits chimiques pour la lutte phytosanitaire n’est pas sans conséquences pour la santé des agriculteurs, des consommateurs ou pour l’environnement. Ainsi, à cause de l’usage intensif des pesticides, différents écosystèmes africains (terrestres et aquatiques) sont contaminés par des résidus (Okoumassoun et al., 2002 ; Traoré et al., 2006 ; Lehmann et al., 2016 ; Son et al., 2017). Cela s’explique par le fait que seulement 0,1 % des pesticides pulvérisés dans les champs atteignent leur cible, le reste se dispersant dans le milieu en contaminant l’air, la terre et l’eau (Pimentel, 1995).
Cette situation paraît inquiétante dans la mesure où l’on assiste aujourd’hui à la promotion de la filière coton au Bénin, considérée comme prioritaire au détriment de toutes les autres cultures. Cette filière utilise à chaque saison culturale des milliers de litres de pesticides stockés puis pulvérisés par les producteurs, sans un minimum de précautions pour éviter les risques de contamination.
C’est dans ce contexte qu’une étude a été conduite dans le bassin cotonnier du nord du Bénin, auprès des producteurs de coton et des structures de gestion de la filière, pour analyser les pratiques phytosanitaires en vigueur, évaluer l’exposition potentielle des producteurs aux produits phytopharmaceutiques utilisés dans les conditions habituelles et évaluer leurs impacts potentiels sur la santé humaine. Elle s’inscrit dans le cadre du projet ARES-AQUATOX (Bénin), qui a pour objectif d’attirer l’attention des producteurs et des autorités sur les risques associés à l’usage incontrôlé des pesticides et sur la nécessité de respecter de meilleures pratiques phytosanitaires, notamment pour éviter la contamination potentielle des nombreuses retenues d’eau présentes à proximité des champs et utilisées pour la production et la fourniture d’eau de boisson.
2 Méthodologie
2.1 Choix de la zone d’étude
L’étude a été conduite dans le bassin cotonnier du Bénin situé dans le département de l’Alibori (Fig. 1). Trois communes (Banikoara, Kandi et Gogounou) ont été retenues à la fois pour leur forte utilisation de pesticides au cours de la saison culturale, pour leurs potentialités piscicoles et pour la proximité des retenues d’eau avec des champs de coton. Il s’agit des trois premières communes en termes de production de coton (Agbohessi et al., 2011). Dans chaque commune, les deux villages qui possédaient les plus grandes retenues d’eau ont été choisis pour réaliser les enquêtes de terrain (Tab. 1). En effet, de mauvaises pratiques phytosanitaires engendrent non seulement des risques sanitaires directs (exposition des opérateurs), mais aussi indirects (contamination des ressources en eau destinées à l’alimentation des hommes et des animaux domestiques ou sauvages).
Fig. 1 Zone d’étude : le bassin cotonnier au Bénin. Study area: the cotton basin in Benin. |
Consommation officielle de pesticides sur les cultures de coton et superficie des retenues d’eau dans les trois communes sélectionnées.
Official pesticide consumption for cotton crops and water reservoirs surface in each surveyed municipality.
2.2 Technique de collecte des données
L’étude a été conduite de 2014 à 2017 pendant la principale période de production du coton. La méthode de collecte des données est une enquête individuelle semi-structurée, réalisée auprès de 150 producteurs de coton ayant au moins cinq années d’expérience dans la production de coton. Les producteurs interrogés ont été identifiés par la technique dite « boule de neige » et ont été retenus à partir d’un tirage aléatoire de leur numéro d’enregistrement dans la Coopérative villageoise des producteurs de coton de chaque village. L’observation directe et participative a été utilisée pour suivre les producteurs lors des phases de préparation de la bouillie et de pulvérisation des cotonniers sur le terrain.
2.3 Données collectées
Les données collectées concernent les différents produits phytosanitaires utilisés, les substances actives qu’ils contiennent, les circuits d’approvisionnement, la toxicité et autres propriétés reprises dans les bases de données disponibles sur les sites www.agritox.anses.fr, www.echa.europa.eu/fr/regulations/clp/classification (Classification, Labelling and Packaging of substances and mixtures) et www.sagepesticides.qc.ca (AGRITOX, 2018 ; ECHA, 2018 ; SAgE PESTICIDES, 2018). La liste des pesticides utilisés a été complétée grâce à l’examen des emballages abandonnés sur le terrain et des produits vendus sur les marchés locaux. Les observations ont particulièrement porté sur la préparation des bouillies, qui est une phase majeure de risque pour les utilisateurs, car c’est le moment où ils sont en contact avec des produits concentrés. Les données collectées ont été saisies et traitées à l’aide des tableurs Excel (2013) et Statview 1.7 (1997).
2.4 Modèle utilisé pour évaluer l’exposition potentielle des producteurs
Pour estimer le niveau d’exposition potentielle des producteurs sur une journée de travail (en mg/kg de poids corporel/jour), le modèle britannique « Predictive Operator Exposure Model » (UK-POEM) a été utilisé car il intègre la possibilité de choisir de petits appareils d’épandage. Il a été utilisé pour la même raison par plusieurs auteurs (Illyassou et al., 2017 ; Lawson et al., 2017 ; Son et al., 2017) pour évaluer l’exposition des petits producteurs qui manipulent les produits phytosanitaires. Les paramètres observés tels que la méthode d’application, la formulation et la concentration de la substance active, l’équipement de protection individuelle porté, ou encore la dose et le volume d’application, ont été entrés dans le modèle UK-POEM. Le niveau d’exposition a été évalué pour chacune des substances actives appliquées sur la culture (valeurs par défaut dans le modèle : 6 h et 1 ha traité) durant tout le cycle végétatif (6 traitements phytosanitaires). Un scénario d’exposition sans équipement de protection individuelle a été considéré, dans la mesure où la majorité des agriculteurs (80 %) ne se protègent pas lors des traitements phytosanitaires. Les valeurs d’exposition prédictives, pour les opérations de mélange-chargement et lors de la pulvérisation, ont été évaluées, avec une absorption dermale de 10 % et inhalatoire de 100 %, pour 7 substances actives identifiées dans les insecticides liquides les plus utilisés. Les valeurs toxicologiques (DL50 dermale) et les seuils limites acceptables ou AOEL (Acceptable Operator Exposure Level) de chaque substance active ont été obtenus dans la base de données de la Commission européenne (EU Pesticides Database, 2018) et sont présentés dans le tableau 2. Enfin, le risque théorique présenté par chaque substance a été caractérisé en comparant l’exposition systémique totale estimée (en mg/kg de poids corporel/jour) aux valeurs d’AOEL.
Les données météorologiques ont été enregistrées pendant chaque pulvérisation. Elles sont restées dans la fourchette recommandée pour la pulvérisation du coton (Schiffers, 2011 ; Salah et al., 2015). Un thermo-hygromètre (TFA, Kat. Nr.30.5007) et un anémomètre (IHM CFM/CMM 6190 SI) ont servi à l’enregistrement de ces données.
Classement par ordre décroissant de l’exposition aux pesticides des producteurs de coton (mg/kg de poids corporel/jour).
Decreasing ranking of pesticide exposure of cotton producers (mg/kg body weight/day).
3 Résultats
3.1 Caractéristiques sociodémographiques des producteurs de coton
Les producteurs de coton rencontrés et enquêtés sont en majorité des hommes (94 %) âgés de 25 à 66 ans. Soixante-quinze pour cent d’entre eux n’ont reçu aucune instruction, 17 % ont atteint le niveau primaire et seulement 5 % ont reçu il y a dix ans une formation sur les traitements phytosanitaires du cotonnier (Tab. 3). Les traitements phytosanitaires en production cotonnière sont exclusivement réalisés par des hommes. Les femmes productrices de coton (6 % de notre échantillon) se font aider par leur époux ou leurs fils.
Statut social des producteurs de coton dans le bassin cotonnier du nord du Bénin.
Social status of cotton growers in the cotton basin of Northern Benin.
3.2 Diversité des pesticides et effets des substances actives
Un total de 78 produits commerciaux a été répertorié, dont 37 insecticides et 41 herbicides. Parmi ceux-ci, seulement 19 % sont homologués au Bénin (CNAC, 2012). Les 6 insecticides les plus utilisés par les producteurs dans le bassin cotonnier du Bénin sont par ordre d’importance : Killerselect® (80 %), Cutter® (71 %), Moacartarine® 215 (55 %), Chémapride® 88 (34 %), Sharp Shooter® (27 %) et Spider® 315 (12 %) (les substances actives et les doses préconisées sont indiquées dans le Tab. 4). Selon leur classification CLP (Classification, Labelling and Packaging of substances and mixtures), règlement (CE) no 1272/2008, ces substances actives sont toxiques pour l’homme et dangereuses pour l’environnement aquatique.
Caractéristiques des insecticides les plus utilisés dans la culture du coton répertoriés dans le bassin cotonnier du Bénin de 2014 à 2017.
Properties of the most used insecticides in cotton growing in the cotton basin of Benin from 2014 to 2017.
3.3 Gestion des produits phytosanitaires dans le bassin cotonnier
3.3.1 Circuit d’approvisionnement en produits phytosanitaires
Trois grands circuits d’approvisionnement des produits phytosanitaires ont été identifiés dans le bassin cotonnier du Bénin. Le premier est un circuit formel de distribution et de commercialisation, régi par les textes en vigueur au Bénin sur les produits phytosanitaires (décret no 92-258 de 1992 et arrêté no 255/MDR/MCAT/DC/CC/CP de 1993). Tous les produits commercialisés reçoivent l’agrément du Comité national d’homologation, d’agrément et de contrôle des pesticides. Dans notre enquête, tous les producteurs ont obtenu leurs produits phytopharmaceutiques, notamment les insecticides, à travers ce circuit. Néanmoins, il existe aussi un circuit informel, approvisionné par les produits venant des pays frontaliers (Ghana, Nigéria, Togo, Burkina Faso). Environ 40 % des producteurs de notre échantillon se ravitaillent également sur le marché local, surtout en herbicides. Enfin, un troisième circuit est généré par les producteurs de coton eux-mêmes, qui revendent les produits acquis dans le circuit formel ; trente pour cent des producteurs de notre échantillon ont reconnu se livrer à ce « trafic ».
3.3.2 Doses d’insecticides appliquées par les producteurs de coton
Le nombre moyen de traitements insecticides recommandés par cycle de production du coton (selon le programme de traitement phytosanitaire du cotonnier) est de six, à raison d’une fois par quinzaine à partir du 45e jour après la levée, avec une dose de 0,5 l/ha (soit 2 flacons à l’hectare pour l’insecticide Killerselect®). Les doses répertoriées en fonction du type d’insecticide varient entre 2 et 6 flacons à l’hectare et 85 % des producteurs réalisent des traitements avec une dose d’insecticide supérieure à celle recommandée pour les insecticides (Tab. 5). Il ressort des résultats que les producteurs de coton utilisent de fortes doses d’insecticides (bien supérieures à la dose recommandée), y compris aux environs immédiats des retenues d’eau.
Dose d’insecticide (Killerselect®) utilisée par les producteurs de coton.
Dose of insecticide (Killerselect®) used by cotton producers.
3.3.3 Gestion des emballages vides
Les emballages vides sont souvent abandonnés dans la nature, dans la plupart des cas dans les champs de coton (73 %), et sont dans certains cas utilisés à des fins domestiques (25 %), pour le stockage de l’huile pour la cuisine, comme récipient pour transporter la bouillie ou l’eau de boisson des enfants qui vont au champ ou à l’école. Rarement (2 %), ils sont incinérés ou enfouis dans le sol.
3.3.4 Affections ressenties par les producteurs après l’application de pesticides
Quatre-vingt pour cent des producteurs ne se protègent pas lors de l’application des produits phytosanitaires dans les champs de coton. La majorité des producteurs interrogés (85 %) reconnaissent avoir ressenti, après utilisation des pesticides, des effets qu’ils attribuent aux traitements effectués et qui se manifesteraient de différentes façons : irritations cutanées (60 % des cas déclarés), toux (13 %), céphalées (11 %), nausées (8 %), affections oculaires (7 %), et même vertiges lorsque le producteur, par imprudence, reçoit une dose de produit importante entraînée par le vent au niveau du visage (Fig. 2).
Fig. 2 Affections ressenties par les producteurs interrogés après l’application de pesticides. Affections experienced by interviewed producers after pesticide application. |
3.3.5 Évaluation des risques
Les résultats de l’enquête montrent que les producteurs utilisent fréquemment des doses d’insecticides de 2 à 6 fois supérieures à celles qui sont recommandées. Le niveau d’exposition a été évalué pour les différentes doses utilisées (Tab. 2).
4 Discussion
4.1 Utilisation des pesticides dans le bassin cotonnier
Dans le bassin cotonnier du Bénin, la forte pression parasitaire, le faible taux d’instruction et le manque de formation des producteurs de coton constituent les principaux facteurs conduisant à une utilisation abusive des produits phytosanitaires, comme l’ont montré d’autres études menées au Bénin (Ahouangninou et al., 2011), au Burkina Faso (Son et al., 2017), en Côte d’Ivoire (Wognin et al., 2013), au Sénégal (Badiane, 2004) ou au Togo (Kanda et al., 2013).
Au cours des cinq dernières années, les pyréthrinoïdes, les néonicotinoïdes et l’avermectine ont été les familles d’insecticides les plus utilisées contre les ennemis du cotonnier, dont Helicoverpa armigera (Hübner). Cependant, plusieurs auteurs ont montré l’inefficacité des pyréthrinoïdes vis-à-vis de cette chenille (Houndété et al., 2010 ; Gnankiné et al., 2013). Cette situation amène les producteurs non seulement à augmenter le nombre de traitements et les doses (Son et al., 2017), mais aussi à douter de l’efficacité des produits recommandés par les services d’encadrement. Ils ont alors tendance à recourir à d’autres produits phytosanitaires, dont l’efficacité est meilleure, mais l’origine douteuse. Plusieurs auteurs dénoncent l’existence de circuits d’approvisionnement informels au Bénin (Adechian et al., 2015). Cette situation existe aussi au Burkina Faso (Gomgnimbou et al., 2009 ; Son et al., 2017).
Le stockage des produits phytosanitaires se fait sans respect des normes conventionnelles de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) et, après les traitements, les emballages vides sont abandonnés dans l’environnement ou utilisés à des fins domestiques. Ces résultats corroborent ceux de Doumbia et Kwadjo (2009) en Côte d’Ivoire, de Kanda et al. (2013) au Togo ou de Son et al. (2017) au Burkina Faso, qui ont tous souligné la mauvaise gestion des stocks et des emballages vides de produits phytosanitaires. Pour Gomgnimbou et al. (2009), l’utilisation des boîtes vides de pesticides, après ou sans lavage, pour conditionner les eaux de consommation est une source de danger sanitaire pour les populations.
L’exposition des opérateurs aux produits phytosanitaires varie selon les conditions d’application. Plusieurs auteurs ont montré l’importance de la température et de l’humidité de l’air, qui affectent, d’une part, la volatilité du produit (Schiffers et Moreira, 2011 ; El-Aissaoui, 2015), et, d’autre part, le taux de transpiration qui favorise une pénétration plus rapide du produit dans le corps (Aubertot et al., 2005 ; Gil et al., 2008). Cependant, il a été observé que, dans le bassin cotonnier du Bénin, les applications sont habituellement effectuées lorsque les conditions météorologiques sont favorables (températures fraîches et vitesse du vent dans la plage recommandée de 1 à 2 m/s) (Schiffers, 2011 ; Salah et al., 2015).
4.2 Mauvaises pratiques phytosanitaires
La classification selon le règlement (CE) no 1272/2008, dit CLP, montre que la quasi-totalité des substances actives identifiées sur les emballages sont toxiques ou nocives en cas d’ingestion et par contact cutané. Plusieurs études ont déjà souligné l’existence de mauvaises pratiques lors de l’utilisation des pesticides (Adechian et al., 2015 ; Son et al., 2017).
Le risque d’intoxication est accru quand les doses sont élevées et que la protection est inexistante. L’étude montre que 85 % des producteurs utilisent des doses d’insecticides plus élevées que celles recommandées, sans se protéger. Les mêmes constats ont été faits par Duemmler (1993) et Guissou et al. (1996), qui estiment que l’exposition aux insecticides des producteurs de coton lors des traitements, pendant une longue durée et sans matériel de protection adéquat, constitue une source majeure de risque pour leur santé. Le risque d’exposition pourrait être considérablement réduit si les agriculteurs portaient un équipement de protection individuelle complet. En effet, selon Toé et al. (2013) et Richard et al. (2014), les équipements de protection individuelle jouent un rôle très important dans la réduction de l’exposition des opérateurs aux produits phytosanitaires. Les producteurs béninois, compte tenu de leur faible niveau d’instruction et d’encadrement, méconnaissent la toxicité des pesticides utilisés et maîtrisent peu leur utilisation. Les conséquences de cette situation sont l’intoxication aiguë et chronique des agriculteurs, mais aussi l’exposition des consommateurs aux résidus de pesticides, qui est sous-estimée (Ahouangninou et al., 2011 ; Ngom et al., 2012 ; Lehmann et al., 2016).
4.3 Évaluation des niveaux d’exposition des producteurs de coton
Les résultats de l’estimation du niveau d’exposition des producteurs de coton montrent que ceux-ci sont très exposés aux produits phytosanitaires dans le bassin cotonnier du Bénin (les pourcentages de l’AOEL fournis par le modèle varient entre 165 et 54 580 %). Plus les doses utilisées sont élevées, plus cette tendance se renforce. Ainsi, pour l’acétamipride, à la dose recommandée sans équipement de protection individuelle, l’exposition est de 88 % de l’AOEL. Mais en doublant la dose recommandée, l’exposition passe à 175 % de l’AOEL. Les risques sont critiques, par ordre d’importance, pour le chlorpyrifos-éthyl, l’émamectine benzoate, la lambda-cyhalothrine, l’acétamipride et la cyperméthrine. Ils font partie des substances les plus utilisées ces dernières années au Bénin, non seulement sur la culture du coton (Agbohessi et al., 2011 ; Adechian et al., 2015), mais aussi sur les cultures maraîchères (Ahouangninou, 2013).
Les malaises ressentis par 85 % des producteurs interrogés (irritations cutanées, toux, céphalées, nausées et vertiges) pourraient s’expliquer par le caractère nocif ou toxique des substances actives. Les mêmes affections ont été rapportées par Gomgnimbou et al. (2009) ou Son et al. (2017) sur des producteurs de coton et de cultures maraîchères au Burkina Faso. La santé des producteurs est ainsi menacée du fait de l’absence du port d’équipements de protection individuelle lors de la préparation et de l’exécution des traitements phytosanitaires. Pourtant, selon Nicourt et Girault (2009), les producteurs ne s’exprimeraient pas facilement sur la relation entre santé et pesticides. Ils estiment développer une immunité à l’égard de ces produits depuis des années. Or, les produits utilisés, inhalés même à des doses inférieures à celles utilisées au Bénin, ont des effets significatifs sur la santé (Richard et al., 2005).
5 Conclusion
Dans le bassin cotonnier au Bénin, plusieurs substances actives nocives ou toxiques ont été identifiées sur les marchés locaux, sur des emballages vides présents chez les producteurs ou abandonnés dans les champs. Dans leur majorité, les producteurs de coton reconnaissent la dangerosité des produits, parfois en ressentent les effets, mais ils en ignorent les risques à long terme pour leur santé, celle des autres consommateurs ou pour leur environnement. L’approvisionnement des producteurs en produits phytosanitaires à partir du circuit informel, le non-respect des doses recommandées lors des traitements phytosanitaires, l’utilisation de pesticides toxiques et non recommandés, l’absence d’utilisation d’équipement de protection individuelle, l’utilisation des emballages vides à des fins domestiques, constituent autant de pratiques qui exposent dangereusement les populations béninoises du bassin cotonnier. Face à ces pratiques qui prennent de l’ampleur, les structures d’encadrement techniques sont interpellées pour former les producteurs, améliorer leurs connaissances sur l’importance des équipements de protection, la gestion des emballages vides et l’emplacement des champs de coton par rapport aux retenues d’eau, ainsi que sur la notion de risque.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’ARES pour le soutien financier au projet de recherche AQUATOX.
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Citation de l’article : Gouda A-I, Imorou Toko I, Salami S-D, Richert M, Scippo M-L, Kestemont P, Schiffers B. 2018. Pratiques phytosanitaires et niveau d’exposition aux pesticides des producteurs de coton du nord du Bénin. Cah. Agric. 27: 65002.
Liste des tableaux
Consommation officielle de pesticides sur les cultures de coton et superficie des retenues d’eau dans les trois communes sélectionnées.
Official pesticide consumption for cotton crops and water reservoirs surface in each surveyed municipality.
Classement par ordre décroissant de l’exposition aux pesticides des producteurs de coton (mg/kg de poids corporel/jour).
Decreasing ranking of pesticide exposure of cotton producers (mg/kg body weight/day).
Statut social des producteurs de coton dans le bassin cotonnier du nord du Bénin.
Social status of cotton growers in the cotton basin of Northern Benin.
Caractéristiques des insecticides les plus utilisés dans la culture du coton répertoriés dans le bassin cotonnier du Bénin de 2014 à 2017.
Properties of the most used insecticides in cotton growing in the cotton basin of Benin from 2014 to 2017.
Dose d’insecticide (Killerselect®) utilisée par les producteurs de coton.
Dose of insecticide (Killerselect®) used by cotton producers.
Liste des figures
Fig. 1 Zone d’étude : le bassin cotonnier au Bénin. Study area: the cotton basin in Benin. |
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Fig. 2 Affections ressenties par les producteurs interrogés après l’application de pesticides. Affections experienced by interviewed producers after pesticide application. |
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