Open Access
Issue
Cah. Agric.
Volume 28, 2019
Article Number 5
Number of page(s) 10
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2019004
Published online 30 April 2019

© F. Zahm et al., Published by EDP Sciences 2019

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

La demande de méthodes d’évaluation de la durabilité des systèmes agricoles s’est accentuée ces dernières années pour permettre d’une part aux agriculteurs d’identifier les leviers d’action susceptibles d’améliorer la performance globale de leurs exploitations (niveau de durabilité), d’autre part au développement agricole d’élargir ses conseils techniques à l’aune de la durabilité et enfin à l’action publique d’évaluer ses dispositifs à l’aune de la transition agroécologique.

Les plus récents états de l’art (Schader et al., 2014 ; Lairez et al., 2015 ; De Olde et al., 2016) montrent une diversité importante des méthodes basées sur des indicateurs (une soixantaine recensées). Parmi celles-ci, la méthode IDEA (Indicateurs de durabilité des exploitations agricoles, Vilain et al., 2008 ; Zahm et al., 2008) est aujourd’hui l’une des quatre méthodes d’évaluation de la durabilité les plus utilisées dans l’Union européenne (De Olde et al., 2016). En effet, si son objectif initial était d’être un outil pédagogique au service de l’enseignement agricole et des agriculteurs pour rendre concret et mesurable le concept d’exploitation agricole durable, son usage s’est progressivement élargi à d’autres finalités telles que des travaux de recherche, l’accompagnement au changement et le conseil pour le développement agricole. Après l’avoir revisitée à deux reprises en 2003, puis en 2008, le comité scientifique de la méthode IDEA a conduit un travail de recherche renouvelant en profondeur son cadre conceptuel, ses grilles évaluatives et ses indicateurs, aboutissant à la méthode IDEA version 4 (IDEA v4). Cette refonte substantielle prend en compte :

  • les propositions de modification issues de l’enquête nationale sur l’usage de la méthode IDEA (Rousselet, 2011) ;

  • l’apparition de nouveaux enjeux sociétaux (alimentation, changement climatique, qualité de l’air, sobriété dans l’usage des ressources) ;

  • l’évolution des cadres réglementaires publics et privés (normes, référentiels) ;

  • les données les plus récentes de la statistique publique agricole pour définir les seuils de performance.

Au plan théorique, cette révision s’est appuyée sur une large revue de la littérature (Zahm et al., 2015) montrant le besoin d’une évolution du cadre conceptuel initial (1998) à l’aune de cadres analytiques complémentaires permettant une analyse élargie du concept de durabilité en agriculture. Cette révision s’est notamment traduite par l’intégration du concept de propriétés des systèmes durables, des principes de l’agroécologie et de l’économie circulaire, de l’action collective dans la transition écologique et d’une relecture des objectifs sociétaux alloués à l’agriculture (ONU, 2015).

Le cadre conceptuel d’IDEA v4 est basé sur la combinaison de deux approches évaluatives de la durabilité de l’exploitation agricole : l’une par les objectifs de l’agriculture durable et l’autre par les propriétés des systèmes agricoles durables. Cette combinaison aboutit au final à deux grilles de lecture évaluatives, structurées respectivement selon les 3 dimensions du développement durable (agroécologique, socio-territoriale et économique) et selon les 5 propriétés des systèmes agricoles durables (autonomie, robustesse, capacité productive et reproductive de biens et services, ancrage territorial et responsabilité globale). L’approche par les propriétés consolide la perspective systémique de l’exploitation agricole en introduisant une lecture transversale de sa durabilité.

La première partie de l’article resitue dans la littérature les deux approches mobilisées et présente le processus méthodologique mis en œuvre. La deuxième partie présente le nouveau cadre conceptuel d’IDEA v4 et ses deux grilles évaluatives mobilisant un noyau identique de 53 indicateurs. La troisième partie discute les apports, limites et nouveaux usages de la méthode avant de conclure sur ses perspectives de développement.

2 Approches évaluatives de la durabilité de l’agriculture et démarche méthodologique

Le cadre conceptuel d’IDEA v4 s’appuie sur la combinaison des deux approches évaluatives.

2.1 Une approche évaluative basée sur les objectifs normatifs assignés à une agriculture durable

Les cadres conceptuels basés sur des indicateurs centrés sur les objectifs d’une agriculture durable sont qualifiés de goal-oriented conceptual approaches (Von Wirén-Lehr, 2001) ou de goal-oriented frameworks (Alkan Olsson et al., 2009). Ils s’inscrivent dans une vision normative de la durabilité correspondant à « une capacité à réaliser un ensemble d’objectifs » (Hansen, 1996) et structurent une représentation de l’agriculture durable à partir des objectifs que celle-ci cherche à atteindre (Kates et al., 2005; Chia et al., 2009). Cette approche indique la direction à suivre pour aller vers une agriculture durable en fonction de la vision et des objectifs définis (Sala et al., 2015). Il s’agit de la dimension normative de la durabilité « qui discute ce sur quoi il y a accord et qui donne le cadre des priorités et actions à mettre en œuvre » (Hubert, 2004). Cette approche est pensée en fonction de valeurs que la société aspire à atteindre (Pope et al., 2004). Une telle représentation est en lien à la fois avec les défis sociétaux auxquels les agriculteurs et l’agriculture doivent faire face (durabilité étendue), mais aussi avec les objectifs internes à l’exploitation (durabilité restreinte). Cette approche est celle adoptée par l’ONU (2015) dans ses 17 objectifs de développement durable (ODD).

2.2 Une approche évaluative basée sur les propriétés des systèmes agricoles durables

Une seconde approche d’évaluation de la durabilité en agriculture s’appuie sur des cadres conceptuels mobilisant les propriétés de la durabilité (ou attributs ou principes). Les propriétés d’un système correspondent à des qualités émergentes non directement déductibles de ses sous-systèmes ou parties qui le composent. Elles sont issues de l’organisation du système de production, notamment des interactions entre ses sous-systèmes et des interactions avec son environnement (Gliessman, 2005). Ce sont les caractéristiques de ces interactions, plutôt que celles de ses parties, qui déterminent la durabilité du système analysé dans son ensemble. Qualifiée de system-based framework (Van Cauwenbergh et al., 2007) ou de systemic property oriented framework (Alkan Olsson et al., 2009), cette approche construit le choix argumenté d’indicateurs selon leur capacité à qualifier l’état d’un système au regard des propriétés systémiques de la durabilité (Conway, 1987 ; Bossel, 1999 ; Gliessman, 2005 ; López-Ridaura et al., 2005). Par exemple, une telle approche a été mobilisée par le programme de recherche MESMIS (Marco para la Evaluación de Sistemas de Manejo en Recursos Naturales incorporando Indicadores de Sustentabilidad) qui retient sept propriétés (productivité, stabilité, résistance, résilience, adaptabilité, équité, autonomie) pour qualifier la durabilité en agriculture sur des études de cas en Amérique latine (Astier et al., 2011).

2.3 Démarche méthodologique

2.3.1 Processus de construction de la méthode

Les 12 membres du comité scientifique IDEA représentent une diversité de disciplines : agronomie, économie, géographie, sciences de gestion, zootechnie. Ils ont conduit un processus de recherche pluriannuel structuré autour :

  • d’une veille bibliographique permanente (scientifique et professionnelle) s’appuyant sur une analyse initiale détaillée de 60 méthodes d’évaluation de la durabilité ;

  • de l’élaboration du cadre conceptuel ;

  • de la construction des grilles évaluatives et des indicateurs ;

  • de l’apport d’avis extérieurs (chercheurs, enseignants, experts et utilisateurs).

Trois types de tests d’usage ont permis d’analyser les prototypes successifs, d’une part sur 130 exploitations agricoles représentant une large diversité de systèmes de production, de contextes territoriaux et de marchés, d’autre part lors de sessions de formation (étudiants, enseignants et professionnels) et enfin lors d’usages par des professionnels du conseil agricole.

Enfin, une double validation des seuils de performance des indicateurs a été mise en œuvre : d’abord par une confrontation systématique à la littérature, puis par un calcul complémentaire pour 14 indicateurs en utilisant trois bases de données nationales (du Réseau d’information comptable agricole, du Recensement agricole et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

2.3.2 Explicitation des choix retenus

Le choix et la construction des objectifs, propriétés et indicateurs ont fait l’objet d’un travail approfondi préalable, puis d’un débat et enfin d’un arbitrage. Ils reposent sur les deux principes suivants :

  • être conforme au cadre théorique retenu ;

  • répondre à des standards de qualité (pertinence, parcimonie, fondement scientifique, robustesse, justesse d’analyse, mesurabilité, pédagogie, transparence) (Reed et al., 2006).

Dans leur construction, il a été adopté le principe que les indicateurs respectent les critères suivants : être facilement calculables par un agriculteur, un conseiller ou un étudiant, être transparents et dotés de seuils de performance adaptés à l’agriculture française pour guider l’interprétation. Le choix des 12 objectifs a été établi à partir d’une relecture des 18 objectifs d’IDEA v3 à l’aune de la littérature sur les nouveaux enjeux et objectifs du développement durable (ONU, 2015).

Une revue de littérature (12 articles) a permis d’identifier 36 caractéristiques (attributs) des systèmes durables que les auteurs ont regroupées en 5 propriétés en fonction de leur proximité conceptuelle : autonomie, robustesse, capacité productive et reproductive de biens et services, ancrage territorial et responsabilité globale.

Ce choix de ne retenir qu’un nombre limité d’objectifs et de propriétés résulte d’un compromis entre opérationnalité de la méthode et exigence de fidélité aux concepts retenus dans le cadre conceptuel. Le cadre d’analyse de chacune des 5 propriétés a fait l’objet d’une revue bibliographique conduisant à construire une carte heuristique (Fig. 1) structurée en branches et sous branches in fine déclinées en indicateurs. Le choix des indicateurs s’est appuyé sur la construction de la carte heuristique structurée selon les 5 propriétés de la durabilité conjuguée à la prise en compte des 12 objectifs. Il a débouché sur 53 indicateurs qui sont mobilisés dans leur ensemble et simultanément pour :

  • l’évaluation des dimensions de la durabilité de l’exploitation agricole ;

  • l’évaluation des propriétés du système productif agricole.

Les méthodes de calcul des indicateurs résultent d’un compromis entre la capacité d’IDEA v4 à s’appliquer à tous les systèmes de production et la faisabilité de prendre en compte leurs spécificités.

thumbnail Fig. 1

Carte heuristique des 5 propriétés d’une exploitation agricole durable. Note : pour des raisons de lisibilité, cette carte heuristique n’est développée que jusqu’aux branches de niveaux 2 et ne présente pas les 53 indicateurs.

Mind map of the 5 properties of a sustainable farm.

3 Cadre conceptuel d’IDEA v4

3.1 Cadre théorique

Notre revue de littérature montre que la structuration d’un cadre conceptuel d’évaluation de la durabilité basé sur une approche par les objectifs normatifs de la durabilité − cadre retenu dans la méthode IDEA v3 – reste nécessaire pour donner un sens concret aux objectifs à atteindre par une agriculture durable. Pour autant, si cette approche a montré tout son intérêt pédagogique et opérationnel, elle ne permet pas de caractériser, au plan systémique, l’état d’un système au regard de ses différentes propriétés (Binder et al., 2010). C’est pourquoi la structuration du cadre conceptuel d’IDEA v4 (Fig. 2) s’est enrichie d’une approche théorique par les propriétés des systèmes agricoles durables. Elle s’ancre dans le courant de la durabilité forte (Daly, 1990) qui rejette l’hypothèse d’une substituabilité ou compensation parfaite entre ressources naturelles et capital manufacturé. Pour qualifier ce concept de durabilité d’une exploitation agricole, 12 objectifs et 5 propriétés ont été retenus (cf. § 2.3.2).

Ces objectifs (Tab. 1) concernent à la fois la dimension agroécologique des activités agricoles mais aussi la dimension socioterritoriale de l’agriculture et la dimension économique de l’exploitation agricole. Ils renvoient à deux niveaux de durabilité tels que proposés par Terrier et al. (2013) :

Définitions des concepts d’agriculture et d’exploitation agricole durables dans IDEA v4 (à partir de Zahm et al., 2015).

Une agriculture durable est une agriculture économiquement viable, écologiquement saine, socialement juste et humaine. Elle contribue, d’une part, à la durabilité du territoire dans laquelle elle s’ancre par la multifonctionnalité de ses activités et, d’autre part, à la fourniture de services environnementaux globaux (lutte contre le changement climatique, qualité de l’air, sécurité alimentaire, etc.).

Une exploitation agricole durable est une exploitation agricole viable, vivable, transmissible et reproductible inscrivant son développement dans une démarche sociétalement responsable. Cette démarche renvoie aux choix de l’agriculteur quant aux effets de ses activités et de ses modes de production au regard des objectifs propres à son exploitation mais aussi au regard d’objectifs externes à son exploitation renvoyant à des échelles socio-spatiales de niveau supérieur. Son développement repose sur 5 propriétés émergentes des systèmes agricoles durables : autonomie, robustesse, capacité productive et reproductive de biens et services, ancrage territorial et responsabilité globale.

  • la durabilité restreinte qui qualifie les objectifs autocentrés de l’agriculteur correspondant à ses facteurs internes de durabilité ;

  • la durabilité étendue qui identifie les objectifs sociétaux d’une exploitation agricole contribuant au développement durable de niveaux d’échelles et d’organisations plus englobants (territoire, collectivité, pays, reste du monde) (Tab. 1).

Ils ont servi à construire le cadre paradigmatique en étant mobilisés lors de la définition des valeurs et visions partagées des auteurs ayant abouti à la définition des deux concepts : agriculture durable et exploitation agricole durable (Encadré 1).

Les 5 propriétés se définissent comme suit :

  • l’autonomie d’une exploitation agricole correspond à sa capacité à produire des biens et des services à partir de ressources propres ou collectives locales (humaines, naturelles, physiques, cognitives, etc.), à permettre à l’exploitant agricole de disposer de sa liberté de décision et de développer des modes d’action permettant de limiter sa dépendance aux dispositifs de régulation publique (aides, quotas, droits à produire, …) et aux acteurs de l’amont et de l’aval ;

  • la robustesse d’une exploitation agricole correspond à sa capacité à faire face à des variations (internes ou externes) de différentes intensités (fluctuations, perturbations, chocs) et de différentes natures (environnementales, sociales, économiques), et à conserver ou retrouver un état d’équilibre. Elle intègre de façon englobante les concepts de résilience, d’adaptation, de flexibilité ;

  • la capacité productive et reproductive de biens et services d’une exploitation agricole correspond à sa capacité à produire et à reproduire dans le temps long, de manière efficiente, des biens et services, en dégageant suffisamment de revenu pour maintenir l’activité, sans dégrader sa base de ressources naturelles et sociales ;

  • l’ancrage territorial d’une exploitation correspond à sa capacité à contribuer à un processus de co-production et de valorisation de ressources territoriales. Il caractérise également la nature et l’intensité des liens marchands et non marchands que l’exploitation agricole construit avec son territoire, ses habitants, ses acteurs, son groupe social de vie ;

  • la responsabilité globale d’une exploitation correspond au degré d’engagement de l’exploitant agricole dans une démarche globale qui prend en compte les impacts environnementaux, sociaux et économiques dans ses choix de pratiques et d’activités. Cet engagement se structure autour de valeurs renvoyant à l’éthique et à l’équité.

thumbnail Fig. 2

Vue d’ensemble du cadre conceptuel de la méthode IDEA v4.

Overview of the conceptual framework of the IDEA v4 method.

Tableau 1

Douze objectifs d’une exploitation agricole durable selon les niveaux de durabilité.

Twelve objectives of a sustainable farm according to sustainability levels.

3.2 Cadre opérationnel

Le cadre opérationnel (Fig. 2) décrit le processus d’agrégation du noyau de 53 indicateurs sélectionnés à partir de la construction de la carte heuristique. Ces mêmes indicateurs, agrégés selon les deux démarches évaluatives ci-après, apportent deux analyses complémentaires de la durabilité d’une exploitation agricole.

3.2.1 L’approche évaluative selon les 3 dimensions de la durabilité

Cette approche structure l’agrégation des indicateurs selon les 3 dimensions du développement durable (agroécologique, socio-territoriale, économique). Pour l’ensemble de ces 3 dimensions, l’agrégation des indicateurs se structure en 13 composantes qui ont les fonctions suivantes :

  • organiser en thématique les 53 indicateurs ;

  • donner un poids à chaque thématique de la dimension ;

  • permettre une compensation entre les notes des indicateurs d’une même composante.

La notation s’appuie sur un système d’unités de durabilité selon un barème adapté à chaque indicateur : les notes de chaque indicateur sont comprises entre la valeur zéro et une valeur plafond de durabilité maximale (Fig. 3). La note de chaque composante est la somme des notes de chacun de ses indicateurs, plafonnée à une valeur maximale comprise entre 20 et 35 selon les composantes. Ce plafonnement autorise une compensation entre les valeurs d’indicateurs d’une même composante. Il traduit le principe qu’il n’y a pas un modèle unique de durabilité mais des combinaisons sociotechniques et socioécologiques différentes : de nombreuses voies sont possibles pour atteindre un même niveau de durabilité. Ces règles de notation plafonnée permettent de prendre en compte la diversité des contextes (milieux humains et naturels), des systèmes de production et de leurs spécificités techniques. La note de chaque dimension est la somme de celle de ses composantes. La note maximale de chaque dimension est de 100 unités de durabilité correspondant au niveau le plus élevé de durabilité. L’absence de compensation entre composantes au sein d’une dimension implique d’obtenir la note maximale dans chaque composante pour atteindre le niveau le plus élevé de durabilité (100). La note finale de durabilité de l’exploitation correspond à la plus faible note des 3 dimensions (principe issu du courant de la durabilité forte impliquant la non-compensation entre les 3 dimensions) permettant également à l’agriculteur d’identifier où se situent ses marges ou ses besoins de progrès les plus élevés (exemple de la note de 58/100, Fig. 4).

thumbnail Fig. 3

Grille évaluative IDEA v4 – approche par les 3 dimensions de la durabilité.

IDEA v4 evaluation grid according to the 3 dimensions of sustainability.

thumbnail Fig. 4

Exemple de lecture évaluative du niveau final de durabilité d’une exploitation (selon les 3 dimensions de la durabilité).

Example of evaluation of the final sustainability level for a farm (according to the 3 dimensions of sustainability).

3.2.2 L’approche évaluative selon les 5 propriétés de la durabilité

Dans cette approche, les mêmes 53 indicateurs sont organisés selon les 5 propriétés elles-mêmes constituées de 15 branches de « niveau 1 » (Figs. 1 et 5). Le premier principe adopté repose sur le choix de ne pas agréger les notes des 5 propriétés en une note globale de durabilité. En effet, une agrégation totale ne permettrait pas d’identifier des leviers d’action propres à chaque propriété et donc de discuter avec l’agriculteur des conditions d’une amélioration des propriétés les moins durables. Le second principe est une agrégation ascendante des indicateurs en passant par les différents nœuds intermédiaires des branches constitutives de chaque propriété (Fig. 5). Le troisième principe est une approche agrégative qualitative et hiérarchique mobilisant l’outil DEXi (logiciel d’aide multicritères à la décision) (Bohanec et al., 2008). Ce système de notation s’appuie sur l’attribution de classes de durabilité pour chaque indicateur : défavorable/intermédiaire/favorable. L’agrégation au sein de chaque propriété est conduite pas à pas en suivant l’arborescence de la figure 1. Elle s’appuie sur des règles de décision structurées en tables. Elle permet de visualiser les résultats à l’échelle des branches intermédiaires comme montré à titre d’exemple à la figure 5 pour la propriété « Autonomie ».

Pour conclure, ces deux démarches évaluatives sont complémentaires. L’approche évaluative par les 3 dimensions du développement durable (environnementale, sociale et économique) reste un référentiel méthodologique incontournable aussi bien pour la recherche que dans l’ingénierie du développement. Cependant, l’approche évaluative par les 5 propriétés permet de dépasser les impensés de la durabilité telle que promue dans la vision normative du développement durable en 3 dimensions, à savoir mettre en exergue les questions d’autonomie, de robustesse, de capacité productive et reproductive de biens et services, d’ancrage territorial et de responsabilité globale. Elle consolide la conception systémique de l’exploitation agricole : la propriété est une émergence du système de production qui cristallise le fait que l’exploitation est un tout dont les performances sont plus que celles de ses parties. Les propriétés permettent une lecture transversale des dimensions de la durabilité (agroécologique, socio-territoriale, économique). Elles permettent d’interroger les synergies et les compromis entre chacune de ces dimensions.

thumbnail Fig. 5

Lecture évaluative des propriétés de la durabilité : exemple pour la propriété autonomie.

Evaluative reading of sustainability properties: example for the property autonomy.

4 Discussion

Les travaux sur le nouveau cadre conceptuel d’IDEA v4 ont été conduits avec les objectifs suivants :

  • élargir son cadre théorique avec la prise en compte des propriétés des systèmes durables ;

  • maintenir sa finalité pédagogique pour un usage dans l’enseignement agricole ;

  • consolider son assise scientifique à partir des nouvelles connaissances disponibles depuis la parution d’IDEA v3 en 2008 ;

  • conserver sa dimension opérationnelle reconnue dans le développement agricole (chambres d’agriculture, bureaux d’études, organismes nationaux à vocation agricole et rurale, etc.).

Ces travaux prennent en compte les nouveaux enjeux sociétaux (alimentation, changement climatique, qualité de l’air, sobriété dans l’usage des ressources) et enrichissent son cadre théorique pour analyser la durabilité (principes de l’agroécologie, économie circulaire, place de l’action collective, sobriété dans le processus productif).

Les précédentes versions d’IDEA ont été considérées comme « non participatives », dans le sens où les agriculteurs et les autres acteurs ne participent pas à la définition des objectifs de la durabilité (Binder et al., 2010). Dans IDEA v4, les principes essentiels de la méthode (propriétés, objectifs, durabilité forte, règles de calcul et pondération) ont été décidés par ses auteurs qui ont mis leurs propositions à l’épreuve de la critique et des enrichissements d’autres acteurs et utilisateurs au cours des six années de travail nécessaires à son développement. Par ailleurs, pour ses utilisateurs, la méthode conserve son principe de transparence basé sur l’accessibilité de l’ensemble des justifications (corpus théorique, guide méthodologique et référentiels) contrairement à d’autres méthodes livrées au format « boîte noire » ou réservées à un accès professionnel autorisé sous conditions. La méthode IDEA v3 est, avec la méthode Suisse RISE (Häni et al., 2003), la plus utilisée dans le monde du développement agricole et de la recherche en Europe (De Olde et al., 2016). La méthode IDEA v4, avec sa double évaluation par les dimensions et les propriétés, consolide la diversité potentielle de ses usages. Notre analyse de 60 méthodes évaluatives de la durabilité en agriculture confirme le caractère novateur d’une telle combinaison de deux grilles évaluatives (dimensions et propriétés) s’appuyant sur un même corpus d’indicateurs.

S’agissant de son usage pour l’enseignement, le nouveau cadre conceptuel refonde son potentiel pédagogique pour enseigner la durabilité de l’exploitation agricole en favorisant la transdisciplinarité (sciences agronomiques, sciences humaines et sociales) s’appuyant sur les caractéristiques systémiques et transversales de chaque propriété. Au plan pédagogique, l’évaluation qualitative par les propriétés est susceptible de lever également certaines réserves mises en avant sur le système de notation par les dimensions, qui pousserait ses utilisateurs à ne se référer qu’aux résultats chiffrés sans interpréter les notes à l’aune de la logique d’action de l’agriculteur.

S’agissant de son usage pour le conseil agricole, la méthode IDEA v4 peut aussi conduire à un renouvellement des pratiques, notamment pour accompagner la transition agroécologique, comme le montrent les premiers tests d’usage dans le conseil à des éleveurs laitiers s’engageant dans des actions de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (Manneville et al., 2018). Pour l’analyse de ces changements, l’approche évaluative qualitative par les propriétés est en effet à même de favoriser une meilleure compréhension du fonctionnement systémique d’une exploitation par des conseillers, dont le métier et l’action restent à ce jour encore souvent cloisonnés par filière, ainsi qu’une analyse stratégique de l’exploitation (Capitaine et Jeanneaux, 2016).

La méthode IDEA v3 a été souvent utilisée, de manière partielle, dans l’action publique (certification Haute Valeur Environnementale, mesures agro-environnementales territorialisées, groupements d’intérêts économiques et environnementaux, marchés de service de qualité de l’eau, etc.). Les auteurs attirent l’attention sur le fait que ces usages impliquent systématiquement un test préalable et d’éventuelles adaptations. C’est pourquoi, les résultats fournis par les deux grilles évaluatives d’IDEA v4 sont à considérer comme un baromètre de la durabilité et non comme un mode opératoire d’un futur plan d’action ou comme un outil de contrôle administratif. Par ailleurs, il convient de souligner que la validité d’IDEA v4 s’inscrit, comme les précédentes versions, dans le contexte d’une agriculture française ou européenne. La méthode IDEA v3 a cependant été utilisée dans de nombreuses régions non européennes (Maghreb, Proche-Orient, Afrique de l’Ouest, Canada, Amérique latine, etc.). Si le cadre analytique d’IDEA v4 reste mobilisable quels que soient les types d’agriculture, les auteurs recommandent qu’une adaptation de la méthode soit étudiée au regard des spécificités locales (autres objectifs assignés à l’agriculture durable, conditions différentes au plan socio-économique ou de milieu, etc.).

Enfin, s’agissant de sa facilité d’usage, les tests réalisés pour l’approche par dimension montrent que la durée d’enquête pour la collecte des données n’excède pas quatre heures par exploitation. Le traitement et la mise en forme des données sont réalisés en une demi-journée contribuant à maintenir son opérationnalité. À la parution de l’article, des travaux restent à conduire pour que la méthode soit dotée de tout son outillage opérationnel : finaliser le calculateur de saisie de données et de restitution des résultats (pour la grille évaluative par dimensions), finaliser les règles d’agrégation des indicateurs de chaque propriété sous DEXi, développer son calculateur et le tester empiriquement (opérationnalité et pertinence pour l’action).

5 Conclusion

La formalisation d’un nouveau cadre conceptuel d’évaluation de la durabilité des exploitations agricoles porté dans IDEA v4 a donné lieu aux principaux apports suivants :

  • une explicitation des propriétés d’un système de production agricole durable ;

  • l’affirmation d’un référentiel normatif basé sur 12 objectifs d’une agriculture durable pour qualifier les valeurs associées à ce concept ;

  • une proposition d’évaluation de la durabilité de l’exploitation selon deux lectures, l’une par les 3 dimensions du développement durable (agroécologique, socio-territoriale et économique) et l’autre par les 5 propriétés de la durabilité (autonomie, robustesse, capacité productive et reproductive de biens et services, ancrage territorial et responsabilité globale).

Les perspectives de recherche sont orientées selon trois axes. Le premier vise à valider la capacité de cette nouvelle version à un enseignement transdisciplinaire de la durabilité auprès de l’enseignement agricole. Le deuxième questionne la capacité de cette double lecture évaluative à accompagner les acteurs du développement dans la voie vers la transition agroécologique, à en comprendre les effets et à en identifier les leviers d’action pour les exploitations agricoles. Le troisième analyse plus largement comment cette double approche évaluative contribue au management stratégique d’exploitations agricoles.

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Citation de l’article : Zahm F, Alonso Ugaglia A, Barbier J-M, Boureau H, Del’homme B, Gafsi M, Gasselin P, Girard S, Guichard L, Loyce C, Manneville V, Menet A, Redlingshöfer B. 2019. Évaluer la durabilité des exploitations agricoles. La méthode IDEA v4, un cadre conceptuel combinant dimensions et propriétés de la durabilité. Cah. Agric. 28: 5.

Liste des tableaux

Tableau 1

Douze objectifs d’une exploitation agricole durable selon les niveaux de durabilité.

Twelve objectives of a sustainable farm according to sustainability levels.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Carte heuristique des 5 propriétés d’une exploitation agricole durable. Note : pour des raisons de lisibilité, cette carte heuristique n’est développée que jusqu’aux branches de niveaux 2 et ne présente pas les 53 indicateurs.

Mind map of the 5 properties of a sustainable farm.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Vue d’ensemble du cadre conceptuel de la méthode IDEA v4.

Overview of the conceptual framework of the IDEA v4 method.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Grille évaluative IDEA v4 – approche par les 3 dimensions de la durabilité.

IDEA v4 evaluation grid according to the 3 dimensions of sustainability.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Exemple de lecture évaluative du niveau final de durabilité d’une exploitation (selon les 3 dimensions de la durabilité).

Example of evaluation of the final sustainability level for a farm (according to the 3 dimensions of sustainability).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Lecture évaluative des propriétés de la durabilité : exemple pour la propriété autonomie.

Evaluative reading of sustainability properties: example for the property autonomy.

Dans le texte

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