Issue
Cah. Agric.
Volume 28, 2019
Durabilité de la production dans les zones cotonnières d’Afrique de l’Ouest. Coordonnateurs : Mamy Soumare, Michel Havard, Bruno Bachelier
Article Number 23
Number of page(s) 9
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2019023
Published online 28 October 2019

© K.K. Djagni and M. Fok, Published by EDP Sciences 2019

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

La culture du cotonnier, plante fortement attaquée par de nombreux ravageurs, requiert le contrôle des infestations, le plus souvent par recours aux insecticides chimiques. Le développement de la production cotonnière à l’échelle mondiale a dépendu de l’utilisation des insecticides chimiques depuis les années 1960, et ce, plus particulièrement en Afrique (Fok, 1993). Même dans les modes alternatifs de culture du cotonnier donnant lieu à la notion de « coton identitaire » (Identity Cottons : Townsend, 2018) avec recours nul ou réduit aux insecticides chimiques (comme la production biologique ou la production selon les préceptes de la Better Cotton initiative), le contrôle des ravageurs est nécessaire avec des produits dits naturels, mais dont l’incidence sur la santé humaine et l’environnement est peu fréquemment étudiée et prise en compte (Seznec, 2016).

La culture du cotonnier pâtit d’une mauvaise presse pour diverses raisons et qui ont évolué dans le temps. C’est une culture d’asservissement par le maintien de l’esclavage dans le Sud des États-Unis après l’invention de l’égreneuse à scies en 1776 (Soltow, 1994), ou lors de la colonisation de l’Afrique par les différentes puissances européennes (Isaacman, 1985), avec imposition de la culture en 1895 dans l’ex-Soudan français, d’où la dénomination de « culture du Commandant » (Fok, 1993). C’est aussi une culture associée parfois à l’épuisement des ressources naturelles, comme l’eau, en référence à l’asséchement de la Mer d’Aral (Perera, 1993 ; Rossin, 1996). Mais à l’époque contemporaine, c’est l’utilisation des insecticides qui a le plus nui à l’image de la culture cotonnière, avec l’affirmation, datant de la fin des années 1970, qu’elle consommait près du tiers de la totalité des insecticides utilisés en grande culture. C’est la première image inappropriée que la profession cotonnière tente de corriger (Donaldson, 2017).

L’image négative de la culture cotonnière dans le domaine de la consommation d’insecticides est moins justifiée aujourd’hui, mais les études restent peu nombreuses pour la corriger. En Afrique francophone, les travaux sur la lutte étagée ciblée ont montré que les programmes de traitements insecticides peuvent être améliorés pour réduire les quantités d’insecticides à efficacité égale dans le contrôle des ravageurs (Deguine et al., 1993 ; Silvie et al., 2001). Dans l’accompagnement de la diffusion du traitement sur seuil au Mali, Renou et al. (2012) ont montré que la consommation d’insecticides pouvait être réduite de moitié pour une meilleure rentabilité de la culture cotonnière. À l’échelle internationale, l’étude menée sous les auspices d’un panel d’experts internationaux (Expert panel on Social, environmental and Economic Performance of cotton production, SEEP) indique que la culture cotonnière n’est plus la culture consommant le plus d’insecticides (de Blécourt et al., 2010). Entre 2000 et 2008, cette étude montre que la part de la culture cotonnière dans les insecticides consommés dans les grandes cultures est passée de 19 à 15,7 %. Par ailleurs, elle a montré de grandes différences dans la consommation d’insecticides entre les cinq pays étudiés (États-Unis, Brésil, Australie, Inde, Turquie). L’Australie a la consommation la plus faible avec 1 kg/ha de matières actives insecticides, contre une consommation cinq fois supérieure au Brésil.

L’objectif de l’article est de s’inspirer de la méthodologie développée lors de l’étude internationale mentionnée précédemment pour analyser la consommation en insecticides et les dangers potentiels correspondants dans la culture du coton au Togo. Les dangers potentiels de cette consommation sont appréhendés pour la santé humaine et l’environnement, mais pas les impacts effectifs, qui dépendent notamment des modalités d’utilisation ou de stockage, comme Gouda et al. (2018) l’ont récemment montré au Bénin et dont on sait qu’elles sont malheureusement non optimales par manque de maîtrise technique (Ajayi et Akinnifesi, 2007) et par non-adoption du port de protections par les paysans (Williamson et al., 2008), situation qui nécessite d’être améliorée par la formation (Settle et al., 2014). Grâce aux données collectées sur une période de vingt-et-un ans, le travail réalisé met en évidence un processus vertueux dans la réduction des quantités consommées de matières actives insecticides et dans la réduction des dangers potentiels de leur utilisation sur la santé humaine et l’environnement. C’est une évolution qui est positive, même si les pratiques inadaptées des paysans dans l’utilisation des insecticides restent inchangées, en étant exposés à des produits potentiellement moins dangereux.

2 Matériel et méthodes

Le travail réalisé est basé sur l’analyse des données de consommation d’insecticides, de superficie et de production cotonnières, avec la coopération de l’unique société cotonnière, la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT), qui a pris en 2009 la relève de la Société togolaise de coton (SOTOCO), en conservant ses infrastructures et ses archives. La NSCT met en place les insecticides dans les villages de production cotonnière et il a été possible de reconstituer, sur la période de 1990 à 2010, soit vingt-et-un ans, les séries de données portant sur les insecticides distribués. Dans cette reconstitution, les quantités et les compositions en matières actives des différents types distribués ont été recensées, permettant ainsi de connaître les quantités totales de matières actives distribuées et de les convertir en quantité par hectare.

Les données collectées portent sur les quantités facturées aux producteurs, elles correspondent aux quantités effectivement consommées. Les quantités non consommées par les producteurs sont retournées à la société cotonnière. Bien entendu, il est possible que des paysans utilisent les insecticides fournis pour le coton afin de traiter d’autres cultures, comme le niébé ou les cultures maraîchères. Cette pratique porte cependant sur de très faibles quantités d’insecticides, qui modifient peu l’estimation de la consommation d’insecticides dans la culture cotonnière car les cultures mentionnées ne représentent que de faibles superficies. Par ailleurs, les dangers devant être appréhendés à l’échelle du système de culture à base de coton et non seulement à celle de la culture du coton, la pratique évoquée ne modifie pas la mesure des dangers potentiels sur la santé humaine et l’environnement liés aux insecticides distribués pour la culture cotonnière.

Pour cerner la dangerosité des insecticides utilisés pour la santé humaine et pour divers organismes de la faune (abeilles, poissons, daphnies et algues), que les firmes d’agrochimie sont appelées à considérer dans l’évaluation des produits qu’elles proposent à la commercialisation, on s’est référé à l’étude mentionnée de de Blécourt et al. (2010) qui ont proposé des tableaux d’indices de toxicité à partir de la compilation des données de diverses sources comme l’OMS et la FAO. Ces auteurs se sont notamment référés à la FAO pour identifier les produits de la classe 1 correspondant aux produits les plus dangereux et à bannir de l’utilisation (FAO, 2018). En matière de dangers pour la santé humaine, les dangers aigus et chroniques sont distingués, correspondant respectivement à des expositions de durée courte ou prolongée. Le caractère carcinogène, la capacité à induire la mutation des gènes ou l’incidence sur la reproduction relèvent de dangers chroniques.

Le danger potentiel sur l’environnement est évalué par l’indicateur d’ETL (Environment Toxic Load charge toxique pour l’environnement) proposé spécifiquement dans l’étude de de Blécourt et al. (2010), qui sont les premiers et les seuls à l’utiliser à ce jour dans le cas de la culture cotonnière. Cet indicateur a l’avantage de pouvoir être appliqué à tous les contextes et à tout moment, indépendamment de l’évolution des produits insecticides utilisés.

L’ETL est défini pour divers organismes du milieu aquatique (algues, daphnies, poisson) ou du milieu aérien (abeilles). L’ETL pour chaque organisme, calculé pour une année de production cotonnière, est un indicateur sans unité et calculé selon la formule suivante : ETL=ma(m.a.poidsT)surfacecoton, m.a. poids : poids total en kg d’une matière active utilisée sur une année dans les parcelles de coton ; T : concentration ou dose létale, c’est-à-dire la quantité de matière active tuant 50 % d’un organisme considéré. Elle est indiquée par la valeur de CL50 pour les algues, daphnies ou poissons (en mg/litre d’eau) ou par la DL50 pour les abeilles (en μg/abeille) ; surface coton : surface totale cultivée en coton (ha).

Le calcul de l’ETL des insecticides, par exemple sur les abeilles, revient à calculer l’ETL de chaque matière active contenue dans tous les insecticides utilisés puis à les sommer. L’ETL d’une matière active est la quantité utilisée à l’hectare divisée par la DL50 de cette matière active sur ces abeilles. Les valeurs de DL50 (ou CL50 pour les organismes aquatiques) sont celles issues d’expérimentations réalisées selon des procédures standardisées et qui doivent être fournies par les firmes propriétaires lors de l’enregistrement des matières actives pour obtenir l’autorisation de leur mise en marché. Nous nous sommes servis des valeurs de DL50 et de CL50 rassemblées par de Blécourt et al. (2010) à partir de diverses sources comme la FAO.

Les valeurs des ETL sont à apprécier de manière relative et non absolue. C’est la comparaison des valeurs qui a un intérêt, soit pour cerner une évolution de la charge toxique dans le temps, soit pour comparer des pays à une même époque.

En raison des unités différentes utilisées pour donner la quantité d’une matière active tuant 50 % d’un organisme considéré, la comparaison des ETL entre organismes aquatiques et non aquatiques n’est pas opportune. Par contre, cette comparaison est possible au sein du groupe des organismes aquatiques. Ainsi, si la valeur de l’ETL des insecticides utilisés est de 10 pour les algues et qu’elle est de 1000 pour les poissons, cela signifie que ces insecticides sont 100 fois plus dangereux pour les poissons que pour les algues.

Enfin, les matières actives insecticides ont des capacités différentes pour s’infiltrer dans le sol et polluer les nappes phréatiques ; il s’agit de données que les firmes d’agrochimie doivent également fournir lors de l’inscription de leurs produits pour la commercialisation. Le danger potentiel correspondant est également pris en compte dans l’étude, toujours en se servant des valeurs compilées dans l’étude de de Blécourt et al. (2010).

3 Résultats

3.1 Production cotonnière

Au Togo, la production industrielle du coton a véritablement commencé à partir de 1974 avec la création de la SOTOCO. Depuis lors, la production s’est constamment accrue jusqu’en 2000, soit sur près de trois décennies, avant une chute liée au fonctionnement de la filière. L’augmentation de la production s’est faite essentiellement par un accroissement des superficies cultivées (courbe bleue dans la Fig. 1).

thumbnail Fig. 1

Évolution de la superficie cotonnière et des doses de matières actives utilisées.

Evolution of cotton areas and of active ingredients dose.

3.2 Quantité de matières actives à l’hectare

La quantité de matières actives insecticides à l’hectare a notablement diminué depuis 1990, mais pas de manière linéaire (courbe en pointillé rouge dans la Fig. 1). En 2010, la consommation était de 1,08 kg/ha de matières actives, soit le tiers de la quantité consommée en 1990.

Lorsque les insecticides utilisés associaient seulement des organophosphorés et des pyréthrinoïdes, c’est-à-dire jusqu’en 1995, la quantité totale de matières actives consommées à l’hectare était surtout déterminée par celle des organophosphorés. Même après le recours à de nouvelles familles de matières actives, la quantité consommée en organophosphorés influence encore fortement la quantité totale en matières actives à l’hectare, quoique à un degré moindre qu’auparavant. La baisse de la quantité totale est due à celle de la quantité en organophosphorés, bien que cette baisse ait été infléchie lors des cinq dernières années de la période étudiée.

3.3 Matières actives utilisées

Au cours d’une période de 21 ans, le Togo n’a recouru qu’à 15 matières actives différentes (Tab. 1). Pour une campagne donnée, ce nombre a été au maximum de sept en 2007, avec un nombre moyen de cinq matières actives par campagne. La part d’une matière active particulière a pu être très prépondérante au départ de la période étudiée (par exemple le chlorpyriphos-éthyl a représenté près de 80 % de la quantité totale des matières actives utilisées en 1990), mais la part de la matière active la plus utilisée tend à se réduire et ne pas dépasser 30 %.

Tableau 1

Matières actives insecticides utilisées au cours de la période de l’étude.

Insecticide active ingredients used over the study period.

3.4 Matières actives hautement dangereuses

La FAO a identifié la classe 1 de matières actives, celles hautement dangereuses pour la santé humaine, dont elle appelle à cesser l’usage. Au Togo, trois matières actives relèvent de cette classe, deux pyréthrinoïdes (la cyfluthrine et la zéta-cyperméthrine) et un organophosphoré (le triazophos). L’endosulfan, bien qu’on en ait cessé l’utilisation, ne fait pas partie de la classe 1, mais de la Classe 2, « moderately hazardous ».

Au Togo, le recours aux matières actives de la classe 1 de la FAO a varié au cours de la période étudiée. L’utilisation de ce type de matières actives a fortement augmenté en 1999, avec plus de 20 % des matières actives jusqu’en 2005, puis a progressivement diminué jusqu’à disparaître en 2010 (courbe en pointillé vert de la Fig. 1).

3.5 Dangers potentiels des matières actives sur la santé humaine

La FAO considère trois types de dangers chroniques des matières actives insecticides sur la santé : effets sur la reproduction humaine, effets sur la mutation des gènes et effets carcinogènes (développement de cancers). Parmi les matières actives utilisées au cours de la période étudiée, deux peuvent induire les effets mentionnés. La tralométhrine est considérée comme pouvant induire les trois types d’effets. L’indoxacarbe est seulement connu pour ses effets possibles sur la reproduction humaine.

L’utilisation de la tralométhrine a cessé depuis 2002, en faveur de celle de l’indoxacarbe. Il en découle que le seul danger chronique à craindre, relatif à la reproduction humaine, est associé à l’utilisation de l’indoxacarbe. Cette matière active pouvait représenter jusqu’à 25 % de la quantité totale de matières actives (en 2005 et 2006), mais elle a pratiquement disparu à partir de 2009.

3.6 Dangers potentiels pour la faune de l’air (abeilles)

La charge toxique pour les abeilles des matières actives utilisées a évolué de manière irrégulière, même si le niveau a sensiblement baissé dans la deuxième partie de la période étudiée (Fig. 2), passant d’une valeur de 70 à environ 15. Pratiquement toutes les matières actives utilisées nuisent aux abeilles, mais à des degrés très divers. La valeur de la charge toxique est fortement influencée par l’utilisation de certaines matières actives à forte létalité sur les abeilles, telles que le chlorpyriphos, la cyfluthrine, la deltaméthrine et dernièrement l’imidaclopride.

thumbnail Fig. 2

ETL des matières actives utilisées sur les abeilles.

ETL of the active ingredients used on bees.

3.7 Dangers potentiels pour la faune et la flore aquatiques

La charge toxique pour les poissons a très fortement baissé, passant d’une valeur de plus de 3000 en 1993 à environ 200 en 2010, soit une division par plus de dix (Fig. 3). Une telle évolution découle de la diminution, voire de la disparition, du recours au chlorpyriphos. À un degré moindre, l’arrêt de l’utilisation de l’endosulfan a aussi eu un effet bénéfique en réduisant le danger pour les poissons.

La diminution de la charge toxique sur les daphnies, organismes invertébrés, est aussi spectaculaire, passant d’une valeur de 11 000 en 1993 à 3000 au cours des deux dernières années de la période étudiée, soit une division par plus de trois (Fig. 4). Cette diminution a résulté, d’une part, de la baisse puis de la disparition du recours à la matière active chlorpyriphos et, d’autre part, de la baisse de l’utilisation de la cyperméthrine. Pour autant, la valeur de l’ETL reste élevée, car les daphnies sont très sensibles aux insecticides. Dit autrement, compte tenu des valeurs respectives des ETL sur les poissons et les daphnies, les insecticides utilisés à la fin de la période considérée représentaient un danger 10 fois plus important pour les daphnies que pour les poissons.

En ce qui concerne l’effet sur les algues, la valeur de l’ETL a aussi baissé d’environ de moitié, mais la valeur est très faible, en moyenne 2 au cours des dernières années, alors que la valeur la plus élevée observée était seulement de 6 en 1993. Le chlorpyriphos puis l’indoxacarbe ont relativement plus d’impact sur les algues, qui sont généralement peu affectées par les matières actives utilisées au Togo au cours de la période étudiée. Comparativement aux poissons et aux daphnies, le danger des insecticides pour les algues est très faible (Fig. 5).

thumbnail Fig. 3

ETL des matières actives utilisées sur les poissons.

ETL of the active ingredients used on fishes.

thumbnail Fig. 4

ETL des matières actives utilisées sur les daphnies.

ETL of the active ingredients used on daphnias.

thumbnail Fig. 5

ETL des matières actives utilisées sur les algues.

ETL of the active ingredients used on algae.

3.8 Effets sur les nappes phréatiques

Parmi les matières actives utilisées sur la période de l’étude, seul l’imidaclopride présente un potentiel élevé d’infiltration vers les nappes phréatiques. Ce produit a été utilisé seulement sur une période de quatre ans, de 2005 à 2008, à une faible dose moyenne (0,06 kg/ha), représentant 5,6 % du total des matières utilisées.

4 Discussions

4.1 Un travail original et possible à répliquer

Le travail réalisé est à notre connaissance la première étude sur les dangers potentiels de l’utilisation des insecticides en culture cotonnière en Afrique, et à notre connaissance la deuxième à l’échelle mondiale. Cette étude est fondée sur des séries temporelles de données de 21 ans. Compte tenu de l’organisation, au Togo, de la mise en place des insecticides et de la reprise des quantités non consommées (parce que les paysans ne respectent pas toujours le programme prescrit de traitements insecticides), les données collectées sont fiables pour cerner la consommation à l’échelle du pays.

Par rapport à l’étude internationale citée précédemment, il convient de souligner la plus grande qualité des données utilisées. D’abord, les données couvrent 21 campagnes agricoles, de 1990 à 2010, alors que l’étude internationale SEEP n’a traité que les données de la période 1994–2006, sans couvrir toutes les campagnes concernées, loin de là. À l’inverse de cette étude internationale, les données utilisées ont été recueillies directement auprès de l’acteur chargé de la distribution des insecticides dans la filière cotonnière, la NSCT. Dans l’étude internationale SEEP, les données de l’Australie (pays pour lequel le nombre de campagnes considéré a été le plus important des cinq pays étudiés) ont été acquises auprès d’une société privée (GfK Kynetec Ltd) dont on ignore comment elle les a collectées dans un contexte où les producteurs s’approvisionnent en insecticides sur le marché auprès d’un grand nombre d’opérateurs.

Le travail se conforme à la méthode utilisée dans l’étude internationale SEEP couvrant cinq pays. Il adopte notamment l’indicateur d’ETL pour évaluer les charges toxiques des insecticides utilisés à l’endroit des divers organismes de l’air et de l’eau. Le recours à cet indicateur complète le calcul de la quantité de matières actives par hectare.

Le travail réalisé pourrait être répliqué dans d’autres pays d’Afrique francophone en reconstituant les séries de données (surfaces cotonnières, quantités d’insecticides distribuées et compositions en matières actives des insecticides) comme nous l’avons fait au Togo. Cela est tout à fait envisageable là où la mise en place des insecticides chez les producteurs de coton reste coordonnée voire centralisée. Dans les pays où la filière n’est pas encore privatisée (Mali, Cameroun), et si les archives sont encore disponibles, il serait possible de répliquer le travail sur une période encore plus longue qu’au Togo. Dans les pays où la filière a été privatisée mais où la fourniture des insecticides a continué à être gérée par une instance nationale ou interprofessionnelle (Bénin), la réplication du travail est également possible, mais l’accès aux archives peut être plus problématique et la fiabilité des données pourrait être moins bonne.

4.2 Bonne performance du Togo

Au regard des dangers potentiels de l’utilisation des insecticides sur la santé et sur l’environnement, le Togo est aussi performant, voire plus, que l’Australie, le pays à la consommation la plus faible en insecticides dans l’étude de de Blécourt et al. (2010). En 2010, la quantité de matières actives par hectare au Togo est équivalente à celle de l’Australie (valeur en 2007), de l’ordre d’un kilogramme. L’Australie recourt cependant systématiquement au coton-Bt, ce qui contribue à diminuer l’utilisation des insecticides.

La performance du Togo est aussi équivalente à celle de l’Australie au regard des valeurs des ETL, avec des charges toxiques équivalentes pesant sur divers organismes. Vis-à-vis des poissons, l’ETL le plus élevé (3200) a été atteint en 1993, contre 4000 en Australie en 1999. La valeur a baissé jusqu’à moins de 250 au cours des dernières années de la période de l’étude, contre cependant une valeur moyenne de 100 en Australie pour la période 2005–2007. Vis-à-vis des daphnies, la valeur la plus élevée de l’ETL était de 11 000 en 1993, à comparer à la valeur de 24 000 en Australie en 1999. La valeur a baissé pour atteindre une valeur moyenne de 2000 au cours des six dernières campagnes de la période étudiée, contre une moyenne de 1000 en Australie pour la période 2005–2007. À l’endroit des algues, la valeur la plus élevée de l’ETL était de 6 au Togo en 1993 contre 13 en Australie en 1999. Cette valeur est tombée à 1 au Togo à la fin de la période étudiée, tout comme en Australie. Enfin, pour les abeilles, la valeur la plus élevée de l’ETL était de 90 en 1997 au Togo, contre une valeur de 120 en Australie en 1999. La valeur de l’ETL n’était plus que de 15 au Togo à la fin de la période étudiée, contre environ 10 en Australie en 2007.

4.3 Influence de l’évolution des familles d’insecticides utilisées

La baisse de la quantité de matières actives à l’hectare, tout comme celle des valeurs d’ETL à l’endroit des divers organismes de l’air et de l’eau, résulte principalement de l’évolution des familles d’insecticides utilisées. Les organophosphorés sont utilisés à des doses élevées de matières actives, en comparaison des pyréthrinoïdes ou des nicotinoïdes, soit plusieurs centaines de grammes/hectare contre 10–20 grammes/ha. La réduction du recours aux organophosphorés s’est opérée à partir de la fin des années 1990, au Togo comme ailleurs ; elle induit une forte réduction de la quantité totale de matières actives à l’hectare. De même, les organophosphorés contribuent pour une grande part aux valeurs des ETL ; la réduction de leur utilisation est aussi responsable de la diminution de la charge toxique contre les poissons, les daphnies, les algues et les abeilles.

4.4 Fonctionnement de la filière, élément de la performance observée

La quasi-unicité de la source d’approvisionnement en insecticides des producteurs de coton est un facteur de la performance observée dans l’utilisation plus réduite des insecticides avec des dangers potentiels moindres sur la santé humaine et l’environnement. Les producteurs ne peuvent utiliser que les produits mis en place par la société cotonnière. Certes, on ne peut pas écarter l’importation illégale de produits pesticides venant plus ou moins directement de pays voisins, comme le Ghana, mais cela devrait représenter une part faible des produits utilisés, et l’importation illégale concerne davantage les herbicides.

Les relations entre la société cotonnière et la recherche, la première apportant d’ailleurs un financement complémentaire à la seconde, sont également favorables à la performance observée. L’évolution de l’utilisation des insecticides au Togo, avec une réduction des quantités de matières actives à l’hectare et donc des dangers potentiels sur la santé humaine et sur l’environnement, a principalement découlé du suivi des recommandations de la recherche en matière de produits insecticides. Celle-ci prend en compte de son côté les engagements du pays à ne plus utiliser les produits que des instances internationales, comme la FAO, déconseillent. Les recommandations de la recherche sont explicitement prises en compte dans le cahier des charges lors des appels d’offres internationaux lancés par la société cotonnière pour la fourniture des insecticides.

La nature publique de la société cotonnière lui donne aussi le devoir d’une attitude responsable dans la fourniture des insecticides utilisés par les agriculteurs. La société cotonnière ne peut pas considérer seulement le prix d’achat des insecticides dans leur acquisition, ce qui l’aurait amenée à privilégier l’achat des produits les moins chers et à ignorer les produits les plus récents et qui ont aussi des effets moindres sur le plan sanitaire et environnemental.

Le système d’administration des prix au sein de la filière cotonnière du Togo est un autre facteur de la performance observée. Ce facteur repose sur la péréquation des prix des insecticides de divers types (prix unique des insecticides fournis pour le traitement à l’hectare, indépendamment de la nature et de la composition). Une telle péréquation, associée à des combinaisons différentes d’insecticides tout au long du cycle du cotonnier, permet de faire utiliser par les agriculteurs des produits plus récents mais plus coûteux, sans leur laisser la possibilité de n’utiliser que les produits les moins coûteux.

4.5 Faible variété des matières actives utilisées

Le Togo recourt à un faible nombre de matières actives pour le contrôle des ravageurs du coton, en moyenne cinq par campagne au cours de la période étudiée, pour laquelle seulement 15 matières actives différentes ont été utilisées. C’est un nombre très faible au regard de ce qui se pratique dans les cinq pays concernés par l’étude internationale SEEP : 30–40 matières actives différentes par an en Australie, 40–50 en Turquie et aux États-Unis, 50–60 au Brésil.

Le très faible nombre de matières actives utilisées signifie que des matières actives peuvent être utilisées de manière continue sur de nombreuses années. Ce manque d’alternance de matières actives comporte un risque, celui de provoquer l’apparition de résistances chez certains ravageurs. La résistance est d’ailleurs déjà avérée chez Helicoverpa armigera (Cotton Bollworm ou noctuelle de la tomate, ravageur polyphage), pour lequel il y a un programme et une coordination régionale pour la gestion de la résistance. Une démarche de diversification et d’alternance des matières actives pourrait être pertinente pour gérer une résistance déjà apparue ou pour prévenir l’émergence d’autres résistances.

5 Conclusion

Au Togo, l’utilisation des insecticides dans la culture cotonnière a évolué dans une direction plus compatible avec le souci de la santé humaine et de la préservation de l’environnement. Cette évolution découle en partie de la dynamique de l’industrie phytosanitaire dans l’offre de matières actives à plus faible dose d’utilisation et à dangers sanitaires et environnementaux moindres. Elle est aussi favorisée par le fonctionnement centralisé de la filière cotonnière. Ce fonctionnement est peu différent dans les autres pays cotonniers d’Afrique francophone, en dépit de degrés divers de privatisation. Il est donc possible que l’on y trouve le même type de performances et il serait dommage de ne pas réunir les données pour le vérifier ; conduire le même type de travaux dans d’autres pays apparaît donc éminemment souhaitable. Enfin, il serait aussi tout indiqué de poursuivre le travail engagé au Togo, en mettant à jour les séries de données.

Références

Citation de l’article : Djagni KK, Fok M. 2019. Dangers potentiels de l’utilisation des insecticides dans la culture cotonnière au Togo de 1990 à 2010. Cah. Agric. 28: 23.

Liste des tableaux

Tableau 1

Matières actives insecticides utilisées au cours de la période de l’étude.

Insecticide active ingredients used over the study period.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Évolution de la superficie cotonnière et des doses de matières actives utilisées.

Evolution of cotton areas and of active ingredients dose.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

ETL des matières actives utilisées sur les abeilles.

ETL of the active ingredients used on bees.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

ETL des matières actives utilisées sur les poissons.

ETL of the active ingredients used on fishes.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

ETL des matières actives utilisées sur les daphnies.

ETL of the active ingredients used on daphnias.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

ETL des matières actives utilisées sur les algues.

ETL of the active ingredients used on algae.

Dans le texte

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