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Cah. Agric.
Volume 34, 2025
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|---|---|---|
| Article Number | 32 | |
| Number of page(s) | 7 | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2025032 | |
| Published online | 14 October 2025 | |
Article d’opinion / Opinion Article
Pour saisir les désaccords, l’intérêt des expertises mondiales sur la sécurité alimentaire : l’exemple du HLPE-FSN
To understand disagreements, the interest of global expertise regarding food security: the example of HLPE-FSN
1
CIRAD, UMR ART-DEV, F-34398 Montpellier, France
2
ART-DEV, Univ. Montpellier, Montpellier, France
* Auteur correspondant : patrick.caron@cirad.fr
Ce texte revient sur le contexte, les attentes et les modalités spécifiques de création et de fonctionnement du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (connu sous son acronyme anglais de HLPE-FSN) du Comité des Nations Unies pour la sécurité alimentaire mondiale. Il s’intéresse à ce que génère et produit un tel panel mondial d’expertise, alors que les rapports et les conférences des conventions internationales sont souvent affublés de qualificatifs peu avantageux pour rendre compte d’une inefficience et d’un coût élevé. Ainsi, à défaut de faire la décision, ces rapports marquent de leur empreinte l’agenda politique, comme le montrent les exemples de l’agroécologie et des relations entre climat et agriculture. En identifiant les obstacles qui bloquent les transformations et en analysant les raisons des désaccords, ils rendent les controverses fécondes et, plutôt que de succomber à une polarisation excessive, ouvrent la voie à l’exploration de convergences et d’accords. Comme pour les régimes fonciers et les systèmes alimentaires, ces rapports contribuent enfin à l’élaboration et à l’approbation de directives volontaires dont s’emparent de nombreux acteurs pour conduire leurs actions. Ainsi, les travaux de ces groupes d’expertise mettent en exergue de nouveaux modes d’articulation entre les sphères politiques et scientifiques. Ils invitent à dépasser la notion de transfert de connaissances et à repenser le rôle des scientifiques dans de telles interfaces. L’analyse comparative des modalités de travail de chaque groupe d’experts en lien avec son ancrage politique et les missions qui lui sont assignées est instructive et féconde. Elle permet, au-delà des perceptions d’inaction, de comprendre ce qui s’y joue, de participer à l’essaimage des idées, de faire la pensée et de contourner les obstacles et les impasses.
Abstract
Specific context, expectations and modalities of the creation and functioning of the High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition (HLPE-FSN) of the United Nations Committee for World Food Security are presented. Attention is paid to what is delivered by such a panel, while global conferences and reports are increasingly considered as inefficient and costly. If not making decision, those reports contribute to shaping the political agenda, as evidenced by the examples of agroecology and of the interaction between climate and agriculture. Through the identification of obstacles that lock transformations and the analysis of reasons for disagreement, they turn controversies fertile and, rather than succumbing to extreme polarization, open avenues for exploring convergences and agreements. As for land tenure and food systems, they finally contribute to the design and the approval of voluntary guidelines mobilized by many stakeholders to act. The outcomes of such panels highlight innovative patterns for interfacing science and policy arenas. They suggest to move beyond knowledge transfer to review the role of scientists in such interfaces. The comparative analysis of their functioning patterns as a consequence of their political embeddedness and missions is fertile. Despite inaction perceptions, it makes it possible to understand what is at stake, to contribute to the spreading of new ideas and narratives, to shape new paradigms and move beyond obstacles and locking.
Mots clés : système alimentaire / expertise / interface science-politique / controverse / HLPE-FSN
Key words: food system / expertise / science-policy interface / controversy / HLPE-FSN
© P. Caron, Hosted by EDP Sciences 2025
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1 Mise en place d’une interface science-politique mondiale dans le domaine de la sécurité alimentaire et de la nutrition : le HLPE-FSN
En 2010, le Groupe d’experts de haut niveau pour la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE-FSN) du Comité des Nations Unies pour la sécurité alimentaire mondiale (CSA) a été créé. Suite aux émeutes dites de la faim, sa mise en place concluait deux ans d’intenses négociations à propos de son statut, de sa forme juridique et de son modus operandi (Gitz et Meybeck, 2011). En effet, deux ans auparavant, un enchaînement de crises financières avait conduit à une envolée des prix des matières premières, se traduisant par une augmentation brusque des problèmes de sous-nutrition. Cette situation n’avait pas été anticipée. Le rapport de la Banque mondiale sur l’état du développement dans le monde, consacré en 2008 à l’agriculture (World Bank, 2007), n’avait pas non plus évoqué une telle catastrophe. Il y avait ainsi consensus à créer un groupe d’expertise pour saisir les dynamiques en cours et anticiper les problèmes à venir, avec à l’esprit le modèle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). En outre, la compréhension de cette crise et des facteurs qui l’avaient provoquée faisaient débat, de même que les recommandations pour en sortir : fallait-il réellement produire plus pour garantir la sécurité alimentaire mondiale ? Le HLPE a donc été créé par le CSA pour mettre à l’épreuve une interface science-politique dans le domaine de la sécurité alimentaire et de la nutrition.
Suite aux nombreuses crises qui avaient secoué le monde à l’époque, le CSA (également connu sous son acronyme anglais de CFS, Committee on World Food Security (https://www.fao.org/cfs/about-committee-world-food-security/cfs-committee-description/en/) avait quant à lui été créé en 1974 comme un Comité intergouvernemental chargé d’anticiper les problèmes de sécurité alimentaire. Il avait été défini comme la principale plate-forme internationale dans le domaine, qui permette à toutes les parties prenantes de travailler ensemble pour assurer à chacun la sécurité alimentaire et une nutrition satisfaisante. Hébergé par l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), il rendait compte à l’Assemblée générale des Nations Unies par l’intermédiaire du Conseil économique et social. La réforme du CSA entreprise entre 2008 et 2010 s’est appuyée sur deux piliers principaux : d’une part ouvrir l’instance à la société civile, aux organisations professionnelles et au secteur privé ; d’autre part créer un conseil d’experts indépendants qui puisse informer les décideurs. Ainsi, on peut identifier trois types de raisons qui ont conduit à la création du HLPE-FSN : en premier lieu, le besoin d’un ensemble de preuves scientifiques (evidences) pour alimenter la décision et les politiques publiques ; en deuxième lieu, l’intérêt à saisir les controverses pour interpréter les désaccords qui bloquent les négociations ; enfin, la volonté d’organiser un dialogue au sein du CSA, pour alimenter les échanges, les négociations et les décisions.
À la différence du GIEC dont la création a été stimulée par la communauté scientifique, le HLPE-FSN a été créé, nommé, mandaté par une instance politique, le CSA. Il travaille toutefois en totale indépendance pour la production de rapports qui, contrairement au GIEC, ne font pas, au moins pour le résumé à l’intention des décideurs, l’objet d’une approbation intergouvernementale avant publication. Le CSA élabore lui-même ses propres recommandations suite à un processus dit de convergence politique, via une négociation fondée sur le rapport du HLPE-FSN sur le sujet en débat. Compte tenu de la complexité des questions portant sur la sécurité alimentaire, le HLPE-FSN met en avant le besoin de multidisciplinarité, d’un processus transparent et ouvert, intégrant différentes formes de connaissances. Les rapports répondent à une requête politique du CSA et, comme nous l’avons vu, visent à alimenter un processus de négociation. La requête initiale fait elle-même l’objet d’une négociation préalable à propos du thème et des attentes du rapport.
La rédaction des rapports connaît donc un avant et un après, qui prennent place au sein des instances du CSA. Elle suit un processus inclusif, rigoureux et collectif. En effet, les 12 étapes de leur préparation s’appuient sur un travail de structuration entrepris par le Comité directeur du HLPE-FSN, dont les membres, indépendants de leur institution et de leur pays d’origine, sont sélectionnés par une commission ad hoc. Cette structuration vise à traduire la requête du CSA, à constituer une équipe de travail intégrant les meilleurs spécialistes mondiaux du thème après appel public à candidature, à finaliser le rapport et à le présenter à l’occasion de la réunion plénière annuelle du CSA. Au cours de ce processus, le Comité directeur organise deux consultations publiques en ligne : une consultation initiale concernant les questions à traiter dans le cadre de ce rapport et une seconde pour mettre en débat la toute première version du rapport. La version intégrant les résultats de cette consultation est ensuite soumise à une relecture par les pairs scientifiques.
À ce jour, une vingtaine de rapports ont été publiés par le HLPE-FSN et mis en débat au sein du CSA (https://www.fao.org/cfs/cfs-hlpe/publications/en). Ensemble, ils définissent une nouvelle carte de l’insécurité alimentaire, identifient les nouveaux défis, mettent en évidence les interactions complexes entre secteurs d’activité, concluent à l’urgence d’une transformation profonde des systèmes alimentaires, proposent un narratif et des recommandations adaptées à une diversité de contextes (HLPE, 2020).
De même que le GIEC ou la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) créée à la même époque, le HLPE-FSN traduit un nouveau mode de relation de la science et de l’expertise au politique. Il met en avant la complexité des problèmes à traiter, qu’il s’agisse de l’objet lui-même ou de l’enjeu auquel il répond. Il confirme l’importance de la preuve scientifique et, ainsi, le besoin d’une production de connaissances pour apporter des réponses à une question spécifique et éclairer un futur incertain. Il mise sur le renforcement d’une intelligence collective tournant le dos aux vendeurs de certitudes et aux vendeurs de doutes (Oreskes et Conway, 2010) et à la polarisation qui en résulte. Son ambition et sa justification sont de contribuer aux débats politiques, voire aux négociations sur la base des connaissances produites à propos des dynamiques en cours et sur la base d’une compréhension des désaccords. Comme se plaisait à le dire son premier président, Monkombu Sambasivan Swaminathan, l’un des rôles essentiels des rapports est d’aider les membres et les participants du CSA à comprendre pourquoi ils ne sont pas d’accord. J’ajouterais « et à reconnaître et transcender ces désaccords pour s’engager dans de nouvelles actions ».
Les rapports d’expertise et les conférences des conventions internationales sont souvent affublés de qualificatifs peu avantageux faisant état d’inaction, d’inefficience et d’un coût élevé. Intéressons-nous ici à ce qu’ils permettent de générer et de produire. À défaut de faire la décision, ces rapports génèrent trois types de résultats. Ils marquent tout d’abord de leur empreinte l’agenda politique, comme le montrent les exemples de l’agroécologie et des relations entre climat et agriculture présentés plus loin. En identifiant les obstacles qui bloquent les transformations et en analysant les raisons des désaccords, comme nous l’illustrerons à propos de l’agroécologie, ils rendent en second lieu les controverses fécondes et, plutôt que de succomber à une polarisation excessive, ouvrent la voie à l’exploration de convergences et d’accords. Enfin, comme pour les régimes fonciers et les systèmes alimentaires, ces rapports contribuent à l’élaboration et à l’approbation de directives volontaires dont s’emparent de nombreux acteurs pour conduire leurs actions.
2 Faire l’agenda
En premier lieu, reconnaissons qu’à défaut de faire la décision, ces rapports marquent de leur empreinte l’agenda politique. L’un des exemples notables est celui de la relation entre le secteur agricole et le changement climatique. Ce thème a fait l’objet du troisième rapport du HLPE-FSN publié en 2012 (HLPE, 2012). À cette époque, et depuis la publication du rapport « L’ombre portée de l’élevage » (Livestock long shadow en anglais) par la FAO en 2006 (Steinfeld et al., 2006), les relations entre acteurs du monde agricole et défenseurs de l’environnement étaient extrêmement tendues. Il était impossible de parler d’agriculture ou d’élevage dans les enceintes climatiques, et vice versa. Le sujet était paradoxalement tabou, alors que tout le monde, ou presque, reconnaissait le fait qu’un tiers des émissions de gaz à effet de serre était dû directement ou indirectement au secteur agricole. Toutefois, depuis la 13e Conférence sur le changement climatique à Bali en 2007, des discussions avaient lieu pour envisager des démarches sectorielles et des mesures concertées par secteur pour accroître les efforts d’atténuation. Celles menées sur l’atténuation dans le secteur de l’agriculture ont fait apparaître des positions très contrastées entre les pays souhaitant mettre en place un programme de travail spécifique à l’agriculture dans le cadre de l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA) de la Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), et ceux estimant que l’agriculture ne devait pas être incluse dans les débats sur l’atténuation (Pingault et al., 2024). Le rapport du HLPE-FSN et les discussions au sein du CSA en 2012 ont porté sur l’impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire. Porté à la CCNUCC à Doha quelques mois plus tard, cet angle d’approche a conduit à créer un programme de travail spécifique à l’agriculture, incluant adaptation, atténuation et sécurité alimentaire (HLPE, 2025), tous les pays s’accordant sur l’importance de cette dernière.
Comme nous le verrons plus loin, un autre exemple est celui de l’affirmation d’une nécessaire transformation en profondeur des systèmes alimentaires. Bien évidemment, les rapports du HLPE-FSN ne font pas seuls l’agenda, mais ils y contribuent.
Cette affirmation est aussi liée à l’obligation du HLPE-FSN d’identifier au moins tous les 4 ans, sous la forme d’une note, les thèmes considérés comme critiques ou émergents pour la sécurité alimentaire et la nutrition sur la base de la littérature scientifique. Cette identification fait également l’objet d’une relecture par les pairs. Ainsi, le HLPE-FSN a publié une première note en 2014 et une seconde en 2017 présentant 9 thèmes critiques ou émergents (HLPE, 2017a). Parmi ceux-ci figurait l’agroécologie en contexte de changement climatique. La note pointait du doigt l’existence de nombreuses expériences et résultats prometteurs, avec des principes maintenant bien établis et malgré un trop faible investissement scientifique. Elle invitait à reconnaître l’agroécologie comme une voie d’avenir, devenue attractive, mais posant de nombreuses questions quant à sa mise en œuvre. Dans le même temps, elle soulignait l’insuffisance des connaissances scientifiques, l’existence de controverses et d’incertitudes et le besoin d’appuis institutionnels pour organiser sa promotion. L’année suivante, les instances du CSA ont retenu ce thème et sollicité de la part du HLPE-FSN un rapport permettant de faire le point à propos des avancées et des connaissances dans ce domaine. Bien sûr, la requête du CSA a fait l’objet de négociations, aboutissant à une reformulation pour tenir compte d’autres types de pratiques et d’innovations dans un contexte controversé et en raison de nombreuses oppositions à l’agroécologie. Le rapport mettant en perspective les approches agroécologiques et « d’autres approches innovantes » a été publié en 2019 (HLPE, 2019). Il a donné lieu à un processus délibératif conduit par le CSA et aboutissant à des recommandations. L’agenda s’était installé.
3 Instruire les controverses et les rendre fécondes
L’équipe en charge du rapport portant sur l’agroécologie, avant reprise et finalisation par le Comité directeur du HLPE-FSN, était composée de 10 experts retenus parmi 255 candidatures, aux compétences et au positionnement extrêmement divers. Compte tenu des oppositions s’exprimant entre tenants de l’agroécologie d’un côté et de l’intensification durable de l’autre, le rapport insiste sur la diversité des trajectoires de transformation possibles, à raisonner en fonction des situations de départ, des contextes différenciés et des ambitions affichées. Il invite à penser la coexistence de ces différentes trajectoires et les modalités de pilotage de cette coexistence. Il a pour cela proposé 13 principes souvent repris depuis dans la littérature et par les acteurs du développement. Les membres de l’équipe ont pu converger et s’accorder sur de telles conclusions. Ces dernières traduisent un appel à reconnaître et engager six évolutions nécessaires (Caron, 2021) : la reconnaissance et la gestion de la complexité et de la diversité en lieu et place de la promotion de l’uniformité et de la spécialisation ; la prise en compte de la spécificité de chaque contexte et le besoin de recourir à des trajectoires et technologies adaptées ; l’attention portée à la multifonctionnalité de l’agriculture et des espaces ruraux et à la mise en œuvre de méthodes adaptées d’évaluation des performances ; l’intérêt porté à l’apprentissage plutôt qu’au transfert de connaissances ; le souci du renouvellement des ressources et de leur capacité productive en valorisant les services écosystémiques ; la conception d’actions cohérentes à différentes échelles d’intervention plutôt que le passage à l’échelle.
Ce rapport a surtout permis de comprendre et de qualifier ce qui se joue et se cache derrière les nombreuses polémiques qui marquent le débat dès lors que l’on évoque l’agroécologie dans les enceintes internationales. Ainsi, six thèmes sont apparus clivants et de nature à maintenir des oppositions de principe entre acteurs du secteur agricole (HLPE, 2019, op. cit.). Il s’agit de l’usage des engrais de synthèse, des pesticides et des insecticides ; de l’option à retenir pour protéger et conserver la biodiversité, dans la « nature ordinaire » du monde agricole ou sous cloche dans des réserves naturelles ; du rôle que peuvent ou non jouer les biotechnologies et les technologies du numérique dans la transformation des systèmes alimentaires ; de savoir s’il vaut mieux que la production agricole s’organise dans le cadre de petites exploitations ou au contraire de grandes exploitations ; et enfin, d’un point de vue nutritionnel, d’identifier les mérites respectifs de la bio-fortification d’aliments ou au contraire de la diversification des régimes alimentaires, question qui a depuis alimenté de nombreux débats (Malézieux et al., 2024). Cette analyse a conclu au fait que les positions et perspectives opposant les acteurs différaient essentiellement en fonction de la manière dont les technologies étaient mobilisées et les pratiques mises en œuvre, plutôt qu’en raison de la nature elle-même des technologies promues. Complétant le rapport sur les systèmes alimentaires publié en 2017 (HLPE, 2017b), elle a en outre mis en évidence l’importance des obstacles rendant les transformations difficiles, qu’il s’agisse d’asymétries de pouvoir, de conflits d’intérêt ou de difficultés à mettre en œuvre le droit à l’alimentation. Elle a ainsi ouvert la voie, sur la base de cette compréhension, à l’exploration de convergences et d’accords facilitant l’action. Plus généralement, ces rapports renouent avec l’intérêt pour les scientifiques de traiter les controverses et de les rendre fécondes, plutôt que de succomber aux dangers d’une polarisation excessive se traduisant par l’inaction (Caron, 2025).
4 Élaborer et approuver des directives volontaires
Le deuxième rapport du HLPE-FSN (HLPE, 2011) portait sur les régimes de tenure foncière dans le contexte d’accaparement de terres à grande échelle qui se développait suite aux émeutes de la faim. Il a contribué à l’élaboration et à l’approbation par le CSA de directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicable aux terres, aux pêches et aux forêts. Ces directives volontaires reconnaissent les droits coutumiers et collectifs sur les terres, insistent sur la nécessaire consultation préalable et éclairée des populations en cas d’acquisition foncière et identifient des pistes pour limiter les achats massifs de terre. Bien sûr, elles restent, comme leur nom l’indique, volontaires et donc non contraignantes. Il n’empêche que de nombreux acteurs gouvernementaux ou de la société civile s’en sont depuis emparé et les ont mobilisées pour conduire leurs actions.
De la même manière, le rapport sur les systèmes alimentaires (HLPE, 2017b, op. cit.) a proposé l’élaboration de directives volontaires sur les environnements alimentaires (recommandation 9a : « Le CSA devrait envisager la possibilité d’élaborer des directives volontaires pour l’amélioration des environnements alimentaires au service d’une alimentation saine. CFS should consider the opportunity to elaborate voluntary guidelines on improved food environments for healthy diets) ». La notion de système alimentaire avait été définie dès 1994 par Malassis (Malassis, 1994) comme « la manière dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps pour obtenir et consommer leur nourriture ». Il s’agissait alors de mieux rendre compte des destins liés de l’agriculture et de l’alimentation, en s’intéressant à l’organisation des chaînes d’approvisionnement et des filières. Elle a refait surface à la fin des années 2000 dans la littérature anglo-saxonne (Ericksen, 2008 ; Ingram, 2009) et a accompagné un changement de paradigme : alors qu’au XXe siècle, en contexte d’intenses transitions démographiques, l’augmentation de la production agricole était à juste titre considérée comme le principal levier pour garantir la sécurité alimentaire, au XXIe siècle, la prise de conscience de l’importance des externalités négatives générées par cette augmentation conduit à considérer les systèmes alimentaires comme centraux pour les relations entre résilience climatique, santé humaine, justice sociale et santé des écosystèmes, comprise comme la capacité de ces écosystèmes à maintenir leurs fonctionnalités (Fig. 1). Ainsi, en 2015, le CSA a mandaté le HLPE-FSN pour réaliser un rapport sur les systèmes alimentaires dans une perspective de durabilité. Prolongeant les premiers propos du HLPE-FSN sur ce thème (HLPE, 2014) et proposant un cadre conceptuel mettant en exergue le rôle majeur des environnements alimentaires, définis comme « le contexte physique, économique, politique et socioculturel dans lequel les consommateurs entrent en contact avec le système alimentaire pour faire leurs choix concernant l’achat, la préparation et la consommation des aliments » (HLPE, 2017b, op. cit.), ce rapport postule l’importance de la responsabilité des acteurs publics pour guider l’évolution des systèmes alimentaires et en particulier des choix des consommateurs, et permettre une alimentation saine et durable. En plénière, en octobre 2017, la recommandation 9a a été retenue par le CSA, non sans débat. Après un an d’intenses négociations consacrées à l’élaboration des termes de référence, le processus d’élaboration aboutissant à l’adoption de directives volontaires en février 2021 a été mis en place. Ces négociations se sont traduites entre autres par un élargissement de l’objet à l’ensemble des systèmes alimentaires, évolution malheureuse de mon point de vue dans la mesure où le ciblage des environnements alimentaires aurait donné plus de force à ces directives. Dans le même temps, l’Organisation des Nations Unies a programmé un Sommet sur les systèmes alimentaires (UNFSS) qui s’est tenu six mois plus tard en septembre 2021, COVID oblige, essentiellement en virtuel. Les directives volontaires ont malheureusement été peu reprises dans le cadre de ce Sommet. La fabrique d’un agenda n’est pas un long fleuve tranquille. Par contre, le rapport publié en 2017 insiste, comme je l’ai évoqué ci-dessus, sur les barrières et obstacles qui freinent l’action et la transformation des systèmes alimentaires et l’évocation de telles difficultés suscite l’attention. Il participe effectivement à la fabrique de l’agenda, avec d’autres événements et documents, par exemple le rapport Making Better Policies for Food Systems (OECD, 2021), caractérisant les faits, les intérêts et les valeurs qui rendent difficile l’élaboration de politiques publiques. Le rapport du HLPE-FSN souligne le besoin d’arbitrages multisectoriels et multiscalaires pour la mise en cohérence des politiques publiques. Il insiste sur le nécessaire renouvellement de la gouvernance des systèmes alimentaires. Il trouvera un prolongement avec la publication en 2020 d’un narratif prospectif des systèmes alimentaires durables (HLPE, 2020, op. cit.).
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Fig. 1 Revisiter les destins liés de l’agriculture et l’alimentation. Revisiting the intertwined destinies of agriculture and food. |
5 Considérations finales
L’objectif initial assigné aux groupes internationaux d’experts était d’établir un état des connaissances et d’élaborer des recommandations à l’attention des décideurs politiques, en signalant au passage les alertes à prendre en compte. Au-delà, leurs travaux mettent en exergue de nouveaux modes d’articulation entre les sphères politiques et scientifiques, et de nouveaux objectifs : faire l’agenda, contribuer aux débats politiques en instruisant les controverses et en éclairant les processus de négociation, participer à l’élaboration de directives volontaires et faciliter les décisions en permettant à ceux qui les prennent d’organiser leurs doutes.
Ces expériences ont conduit à d’intenses réflexions et reconfigurations des interfaces entre communautés scientifiques et politiques (FAO, 2024), qu’elles soient formelles ou non. Elles ont en particulier renforcé les appels à dépasser la notion de transfert de connaissances et à repenser le rôle des scientifiques dans de telles interfaces pour faire en sorte que les actions soient mieux orientées par la connaissance et que les connaissances soient actionnables (Hainzelin et al., 2023). À cet égard, l’analyse comparative des modalités de travail de chaque groupe d’experts, en lien avec son ancrage politique et les missions qui lui sont assignées, est instructive et féconde : le fait que les rapports d’experts ou certains de leurs extraits doivent ou non être approuvés par les gouvernements reflète par exemple l’indépendance de l’exercice et l’intérêt politique qu’y attachent les décideurs.
Les expériences rapportées ici ont permis d’identifier ou de défricher un certain nombre de pistes d’avenir, pouvant aussi apparaître comme autant de regrets qu’elles ne soient pas encore mises à profit, ou pas suffisamment. Il s’agit en premier lieu d’un nécessaire investissement dans le domaine de la prospective, de manière à identifier les futurs possibles et plausibles et à penser l’impensable. Le quinzième rapport du HLPE-FSN (HLPE, 2020, op. cit.) amorce ce mouvement. Il s’agit par ailleurs d’engager les groupes d’experts dans des exercices multisectoriels pour renseigner l’enchâssement des crises observées et saisir la manière dont les systèmes alimentaires peuvent jouer un rôle positif ou négatif au cœur de ces interactions. Pour cela, il est possible de mobiliser ces groupes en appui à l’élaboration de feuilles de route locales ou nationales de transformation des systèmes alimentaires, comme y incite la déclaration des Emirats arabes unis sur l’agriculture et les systèmes alimentaires durables, signée par 159 pays lors de la COP 28 de l’UNFCCC en décembre 2023 (https://www.cop28.com/en/food-and-agriculture). On peut imaginer mobiliser l’expertise et les connaissances relatives à différents secteurs par la mise en place d’initiatives articulant les travaux de ces groupes (McElwee, 2025). Une réflexion plus globale a été conduite à l’initiative de la Commission européenne pour identifier les différentes options permettant d’articuler les travaux des nombreuses interfaces existantes, assurer les fonctions politiques et scientifiques multiples de ces interfaces (Singh et al., 2023a) et renseigner la transformation des systèmes alimentaires plutôt que de créer un nouveau groupe dédié (Webb et al., 2022 : Singh et al., 2023b). En effet, certains auteurs jetant l’opprobre sur le HLPE-FSN, l’accusent de ne pas, par péché d’indépendance, faire l’objet d’une validation politique, de mobiliser d’autres types de connaissances que celles issues de la science et, à tort, de ne pas mobiliser suffisamment de scientifiques.
Ce sont ces pistes d’avenir que le Processus dit « de Montpellier » s’est proposé d’explorer par le renforcement d’une intelligence collective des transformations des systèmes alimentaires (Caron et al., 2022). Ce processus (https://sites.google.com/view/montpellierprocess/home) structure une communauté de pratiques et d’apprentissage pour tirer parti des nombreuses dynamiques en cours, en stimulant les dialogues entre acteurs, entre secteurs et entre échelles. Il vise à combler l’écart grandissant entre les perceptions d’inaction, de bla-bla-bla, qui règnerait dans les enceintes internationales et d’activisme local qui ne répondrait pas aux enjeux du moment. Il s’intéresse plus particulièrement aux controverses observées à l’occasion du Sommet UNFSS, et qui rendent difficile toute transformation : capacité de la technologie à résoudre les problèmes, rôle de la science, mesure de la performance des systèmes alimentaires, convergence de la production de biens privés et publics, rôle du commerce international et régulations liées à l’intervention des acteurs privés, souveraineté, prise en compte des diversités.
Concluons en soulignant l’intérêt de circuler dans les enceintes internationales pour comprendre ce qui s’y joue, participer à l’essaimage des idées, faire la pensée et contourner les obstacles et les impasses. Insistons sur l’interconnexion de ces enceintes et sur l’opportunité qu’offre une telle circulation pour porter et faire vivre des réflexions, des rapports et des accords faisant la pensée. Une telle circulation contribue à la diversité et à la robustesse des productions, en combinant fabrique d’agendas, publications scientifiques, rapports d’experts et structuration de communautés de pratiques et d’apprentissage.
Remerciements
L’auteur remercie les relecteurs, ainsi que Mme Akiko Suwa-Eisenmann, actuelle présidente du HLPE-FSN, pour leurs suggestions.
Références
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Citation de l’article : Caron P. 2025. Pour saisir les désaccords, l’intérêt des expertises mondiales sur la sécurité alimentaire : l’exemple du HLPE-FSN. Cah. Agric. 34: 32. https://doi.org/10.1051/cagri/2025032
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Fig. 1 Revisiter les destins liés de l’agriculture et l’alimentation. Revisiting the intertwined destinies of agriculture and food. |
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