Numéro
Cah. Agric.
Volume 26, Numéro 6, Novembre-Décembre 2017
Production agricole et sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest. Coordonnateurs : Sandrine Dury, Eric Vall, Jacques Imbernon
Numéro d'article 61001
Nombre de pages 4
Section Editorial / Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2017047
Publié en ligne 17 novembre 2017

Le numéro thématique des Cahiers Agricultures intitulé « Production agricole et sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest » (Dury et al., 2017) rassemble une partie des résultats d'un projet éponyme, financé par la direction scientifique du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) entre 2013 et 2015, dont l'objectif était d'établir un bilan « scientifique » et « thématique » des recherches actuelles conduites en Afrique de l'Ouest par le Cirad et ses partenaires à l'intersection entre ces domaines. La traduction en enjeux clairs de développement et en questions de recherche a été un véritable casse-tête, tant le domaine était vaste et les visions et les approches disciplinaires différentes. Formuler les questions traitées et/ou qui méritaient de l'être pour le futur, établir des ponts entre des postulats disciplinaires potentiellement contradictoires, établir des liens de causalité entre la production agricole et la satisfaction des besoins alimentaires (Fig. 1) ont été les défis de cette initiative.

Pour les porteurs d'une vision orthodoxe du lien causal entre la production agricole et la sécurité alimentaire des ménages agricoles, augmenter les rendements céréaliers et animaux signifie, et sans ambiguïté, contribuer à améliorer la sécurité alimentaire de ces ménages (Vall et al., 2017). L'enjeu est de trouver des moyens durables, écologiques, socialement et économiquement accessibles (Guibert et al., 2016) pour atteindre un niveau de production suffisant au niveau des exploitations. La recherche agronomique finalisée se concentre ainsi sur ces moyens (techniques, organisationnels ou socio-économiques…), au niveau des parcelles, des troupeaux, des exploitations, des territoires et des pays, pour soutenir cette production. Il s'agit de réduire le yield gap, l'écart entre le potentiel de production et le réalisé (Affholder et al., 2013), et d'investir dans les politiques publiques pour produire suffisamment pour couvrir les besoins alimentaires des ménages agricoles dans leur diversité (Gerard et al., 2012). Les nouveautés et spécificités actuelles concernent :

  • les questions relatives au changement climatique, à ses effets sur la production, et en retour, aux effets de la production sur le changement climatique (voir l'initiative 4 pour mille, par exemple) ;

  • les progrès (bio)technologiques et la révélation des problèmes environnementaux et sociaux liés à la révolution verte (Godfray et al., 2010 ; Griffon, 2006). En bref, toutes les questions contemporaines relatives à l'augmentation de la production agricole peuvent devenir de cette manière des questions de sécurité alimentaire quand elles s'appliquent à l'Afrique subsaharienne.

Pour d'autres auteurs, porteurs d'une vision plus hétérodoxe, la sécurité alimentaire (accès à l'alimentation de tous) et la réduction de la malnutrition ne sont pas toujours liées à l'augmentation de la production agricole (Dury et al., 2015 ; Haddad, 2000 ; Headey et al., 2012 ; Herforth et al., 2015 ; Webb et Kennedy, 2014). Ces auteurs s'intéressent plus spécifiquement aux relations entre l'augmentation de la production agricole et la sécurité alimentaire, et pour ce faire, élaborent des cadres conceptuels dans lesquels ils postulent l'existence de plusieurs « chemins d'impact » possibles entre l'agriculture (au niveau des exploitations, des régions ou des pays) et la nutrition (au niveau des individus ou des populations).

Au niveau micro-économique des exploitations et/ou des ménages agricoles, ces travaux montrent que l'agriculture peut contribuer à la sécurité alimentaire via la production de produits directement consommés par les producteurs, ou bien via des revenus issus de cultures vendues, revenus qui servent à acheter des aliments sur les marchés. À un niveau infra-ménage, ces auteurs soulignent que les formes d'agriculture plus favorables aux femmes (respect des conditions de travail, équilibre des revenus, meilleurs droits) sont plus favorables à la sécurité alimentaire (Sraboni et al., 2014). Les débats qui animent les auteurs travaillant à ce niveau concernent les formes désirables d'exploitations agricoles. Par exemple, au sujet de la diversité de l'alimentation des familles d'agriculteurs (comme indicateur de la qualité de l'alimentation, qui est une des dimensions de la sécurité alimentaire), certains travaux montrent une plus grande efficacité des systèmes de production plus spécialisés et orientés vers le commerce (Sibhatu et al., 2015), tandis que d'autres montrent au contraire que la diversité de la production à un niveau local (Remans et al., 2015) ou des exploitations individuelles (Berti, 2015) a de meilleurs effets sur la diversité de la consommation alimentaire.

Au niveau méso ou macroéconomique, les effets de l'augmentation de la production sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle sont également contrastés. De façon statique, on constate avec Gomez et al. (2013) que les pays où la productivité du travail agricole est la plus élevée (valeur de la production divisée par le nombre d'actifs agricoles) ont moins de problèmes de carences alimentaires et nutritionnelles que les autres. Par ailleurs, les liens positifs entre croissance de la production agricole, croissance de la richesse nationale et réduction de la pauvreté sont mis en exergue comme justification au (ré)investissement dans l'agriculture dans le continent africain (Byerlee et al., 2009 ; Gerard et al., 2012 ; Ogundari, 2014) pour réduire l'insécurité alimentaire (cf. le premier paragraphe de ce texte). Enfin, selon plusieurs auteurs, la réduction de la malnutrition est relativement peu liée aux progrès agricoles. Par exemple, en Inde comme au Bangladesh, à des périodes différentes, les progrès de productivité agricole ne semblent pas s'être accompagnés d'une amélioration de la consommation calorique ni de progrès notables en termes nutritionnels (Deaton et Drèze, 2009), alors que l'éducation des parents ou l'accumulation de richesse ont été des facteurs essentiels (Headey et al., 2015). Ces auteurs ne disent néanmoins rien sur l'origine de cette accumulation de richesse, et il est possible qu'elle soit d'origine agricole. Si c'est le cas, cela montrerait que la croissance agricole a eu un effet indirect positif.

Les articles de ce numéro reflètent ainsi la diversité des points de départ et des points de vue. Quatre des cinq articles publiés dans ce numéro donnent des éclairages « flash » issus de travaux empiriques, menés à des échelles très différentes : parcelles de culture de maïs (Guibert et al., 2016), exploitation agricole familiale (Vall et al., 2017), individu, ménage et exploitation agricoles (Lourme-Ruiz et al., 2016), population urbaine (Bricas et al., 2016). L'article de Simon Vonthron et al. (2016) est une synthèse de littérature et d'expertise issue de l'expérience des auteurs dans la mise en œuvre du concept de résilience dans le domaine des projets de développement concernant la sécurité alimentaire.

Vall et al. (2017) mettent en exergue les trajectoires historiques de l'intégration entre l'agriculture et l'élevage dans les exploitations des zones céréalières et cotonnières du Burkina et du Cameroun. Ils montrent que les cultivateurs ont intégré des animaux dans leurs exploitations et que nombre d'éleveurs ont développé des pratiques agricoles. L'intégration agriculture–élevage prend la forme de transfert de fumure des animaux vers les champs, et dans l'autre sens d'une utilisation des résidus de cultures pour le fourrage et l'aliment du bétail. Selon les formes d'exploitation (à dominante agriculture, élevage, ou mixte ; de taille plus ou moins grande) l'intégration prend des modalités différentes, mais elle correspond la plupart du temps à une intensification par augmentation des inputs par surface. Ces auteurs montrent que les performances des exploitations les plus intégrées, quelle que soit leur taille, sont plus durables sur plusieurs critères, dont celui de la production céréalière par personne, qui est un indicateur de la sécurité alimentaire dans ces régions. Ils montrent ainsi que, privés de capital permettant l'accès aux intrants modernes, de nombreux producteurs, plus ou moins incités par des politiques spécifiques, augmentent leur production par hectare et par personne grâce à l'intégration de l'agriculture et des animaux.

Guibert et al. (2016) ont comparé sur deux sites, sur des champs fertiles et dégradés, trois pratiques de la culture de maïs, telles que menées par les agriculteurs, telles que proposées par la vulgarisation agricole, et encore plus intensive. Ils montrent que les exploitants suivent un itinéraire technique relativement proche de ceux recommandés par la vulgarisation agricole (itinéraire technique, travail du sol, date de semis, semences améliorées et traitées, ajout d'engrais minéraux). Ils montrent également que le niveau d'intensification supérieur qui permet de passer d'un rendement d'environ 1,5 t/ha à plus de 3 t/ha nécessite à la fois plus de travail et induit des coûts supérieurs. Dans les conditions actuelles du coût des intrants, du prix du maïs payé bord champs, ils montrent que ce sont les pratiques des producteurs qui permettent la meilleure valorisation de la journée de travail dans 3 cas sur 4. Ils en concluent que l'intensification, et donc la production en maïs, ne peut être augmentée dans les conditions de prix actuelles par les producteurs familiaux qui n'ont pas les moyens de vendre leur production directement en ville.

Bricas et al. (2016), à partir d'une analyse des marchés de consommation de 14 capitales d'Afrique de l'Ouest entre 2003 et 2011, montrent que les importations alimentaires (riz et blé essentiellement) représentent finalement une faible part des dépenses alimentaires des ménages, même s'ils constituent deux tiers des dépenses des ménages en produits amylacés. Ils montrent également que la dépendance des villes en produits amylacés vis-à-vis du marché international est moins forte dans certaines villes (Bamako, Lomé, Cotonou), grâce à un approvisionnement en céréales (riz maïs), racines et tubercules ou plantains locaux. Ils insistent sur le fait que les céréales et autres produits amylacés ne constituent qu'un tiers des dépenses alimentaires des ménages. Aussi est-il nécessaire d'améliorer l'accès aux aliments non céréaliers (produits animaux, fruits et légumes, légumineuses…),  à la fois coûteux et indispensables à une alimentation équilibrée. Au-delà de la question de l'accès, ils rappellent que les enjeux nutritionnels contemporains sont moins que par le passé liés à des carences en énergie, mais correspondent à la montée rapide de l'obésité, y compris dans les villes africaines, et aux carences en minéraux et vitamines.

Dans une perspective de qualité au sens diversité de l'alimentation, en milieu rural cette fois, Lourme-Ruiz et al. (2016) s'intéressent aux relations entre la diversité de la production agricole et la diversité de la consommation alimentaire. À partir d'une enquête menée dans 580 exploitations de la zone cotonnière et céréalière de l'ouest du Burkina Faso, ces auteurs montrent que la diversité alimentaire est largement en deçà des seuils recommandés pour couvrir les besoins nutritionnels en micronutriments, essentiels à un bon développement. Ils montrent également que la production agricole dans les exploitations, décrite par différents indicateurs (volumes produits, valeur des recettes agricoles, variété des cultures), est peu liée à la diversité de l'alimentation. En revanche, les revenus spécifiques des femmes, quelle que soit leur nature (dons perçus, revenu d'une activité indépendante), et la présence d'arbres sur les parcelles agricoles sont positivement associés à la diversité alimentaire. Ainsi, et de façon plus générale, Lourme-Ruiz (2017) montre que dans ce contexte, et comme l'ont écrit Malapit et al. (2015) dans le cas du Népal, « l'empowerment » des femmes atténue les effets négatifs d'une faible diversité agricole sur la nutrition des femmes et des enfants.

Enfin, le cinquième article de Vonthron et al. (2016) propose une réflexion sur l'intégration des deux notions de résilience et de sécurité alimentaire, dans le contexte du développement en Afrique en particulier, à partir d'une analyse de documents. Les auteurs montrent, entre autres, les difficultés rencontrées par les acteurs de terrain en charge des différentes actions de sécurité alimentaire à y intégrer la notion de « résilience », systémique, dynamique et multi-scalaire. Dans un désir d'opérationnalisation, différentes initiatives, notamment de mesure de la résilience, sont testées et discutées. Il apparaît enfin que la résilience est une des ressources mobilisées pour mieux intégrer les différentes interventions, de court ou long terme, de différents secteurs visant à la sécurité alimentaire : politiques agricoles, politiques sociales, économiques (régulation des prix, par exemple), aide alimentaire d'urgence…

Remerciements

Les auteurs de ce numéro thématique remercient la direction scientifique du Cirad pour avoir soutenu sa publication dans les Cahiers Agricultures.

Références


© S. Dury et al., Published by EDP Sciences 2017

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Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Schéma simplifié des liens de la production vers la sécurité alimentaire dans les exploitations agricoles.

Simple representation of the links from production to food security in family farms.

Dans le texte

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