Numéro
Cah. Agric.
Volume 31, 2022
Agriculteurs et artisans transformateurs, l'autre facette des filières d'huile de palme / Smallholders and artisanal millers: the least known actors of the global oil palm sector. Coordonnateurs : Sylvain Rafflegeau, George N. Curry
Numéro d'article 14
Nombre de pages 9
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2022010
Publié en ligne 23 juin 2022

© A. Masure et al., Hosted by EDP Sciences 2022

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1 Introduction

En Afrique tropicale humide, jusqu’au XIXe siècle, l’exploitation du palmier à huile, Elaeis guineensis Jacq., consistait à cueillir les régimes dans les palmeraies subspontanées, puis à extraire l’huile par lavage à l’eau et écrémage (Hartley, 1988). Ces palmeraies subspontanées, appelées palmeraies « naturelles » en français, correspondaient à des défriches humaines recolonisées spontanément par des palmiers ou semées à la volée, mais aussi à des palmiers maintenus à faibles densités (une trentaine de pieds/ha) dans les parcelles en rotation jachère-vivrier. Au XIXe siècle, les colons ont investi dans les premières plantations de palmiers d’origine locale (Cochard et al., 2001), plantées en ligne, et dans des huileries. Au XXe siècle, l’amélioration génétique a permis de disposer de matériel végétal sélectionné offrant un rendement accru en régimes et en huile, tandis que les avancées technologiques ont permis d’augmenter les capacités de traitement des huileries (Ndjogui et al., 2014). Ainsi, les premières agro-industries privées ont vu le jour en Afrique et en Asie, où le palmier a été introduit. Après les indépendances, les bailleurs internationaux y ont financé le développement élaeicole en soutenant des agro-industries publiques développées à cette intention. Ces agro-industries étaient constituées de palmeraies et d’huileries industrielles dotées de grandes capacités de traitement (20–60 t/h), en partie approvisionnées par des « petits planteurs » exploitant leur palmeraie « villageoise » (Cheyns et Rafflegeau, 2005). Ces palmeraies étaient plantées de palmiers sélectionnés de type Tenera, selon un dispositif de plantation en triangle équilatéral à 9 m de côté. Ce dispositif de plantation en culture pure a alors été adopté par la plupart des élaeiculteurs, y compris les bénéficiaires des projets de développement d’Afrique et d’Asie du Sud-Est. Depuis, le développement massif des palmeraies industrielles et villageoises repose majoritairement sur des investissements privés et reproduit ce dispositif dominant. Ce schéma de plantation monospécifique, le plus souvent avec une densité de 143 ou 160 pieds/ha (PalmElit, 2019), a également été introduit en Amérique latine au sein de systèmes industriels ou villageois.

Aujourd’hui, les exploitations familiales et les entreprises agricoles des investisseurs locaux gèrent 41 % de la surface de palmeraie cultivée dans le monde (Rafflegeau et al., 2014). Certains agriculteurs mettent en place des systèmes de culture du palmier à huile en l’associant à d’autres cultures. Il existe deux types d’associations. L’une consiste à associer des cultures vivrières au jeune âge des palmiers, et l’autre, spécifique à l’Afrique, consiste à cultiver des palmiers isolés dans les parcelles en rotation jachère-vivrier, suivant un schéma traditionnel, antérieur aux actions de développement élaeicole. En attribuant à cette plante arborée un statut équivalent à celui d’un arbre, ces systèmes de culture correspondent à des systèmes agroforestiers (SAF) (Torquebiau, 2007). Ces SAF produisent une diversité de produits agricoles répondant aux objectifs et aux besoins des agriculteurs, et fournissent un éventail de services écosystémiques (Seghieri et Harmand, 2019). Dans un contexte de changement climatique, de demande croissante en huile de palme, de demande sociétale de réduire les impacts environnementaux du développement élaeicole (Rival et Levang, 2013 ; Lesage et al., 2021) et de moindre disponibilité de surfaces optimales pour cette culture (Pirker et al., 2016), ces SAF proposent des systèmes de culture alternatifs plus résilients et mieux adaptés à ce contexte.

En recensant la diversité des expériences de SAF à palmiers à huile tentées dans le monde, l’objectif du présent article est d’apporter une meilleure connaissance des dispositifs de plantation en agroforesterie, des acteurs qui les mettent en place, et des choix qui poussent ces acteurs à rechercher des alternatives au dispositif monospécifique dominant. Ce travail a conduit à l’identification et à la caractérisation des SAF via une typologie de l’existant. Leur analyse nous permet de dessiner des perspectives de développement offertes par ces SAF pour les filières élaeicoles.

2 Méthodologie

Pour conduire le présent travail, nous avons adapté la méthode de la traque aux innovations, de (Salembier et al. 2016), dans laquelle les trois premières étapes permettent d’identifier les acteurs selon la méthode boule de neige et de décrire leur innovation via des entretiens semi-directifs. L’étape suivante porte sur la conduite d’une analyse multicritères des descripteurs associés à chaque entretien.

La mise en œuvre de la méthode a consisté : i) à recenser les SAF à partir d’articles, de rapports, de sites internet d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’entretiens avec des agents de la filière (e.g., de PalmElit et du Cirad) ; ii) à identifier le modèle de description d’un SAF ; iii) à proposer une typologie de caractérisation des SAF pour mettre en évidence leur diversité ; et iv) à définir un modèle de description des services écosystémiques. L’analyse a consisté à comparer la description des SAF effectuée au moyen de ces trois modèles.

2.1 Description d’un système agroforestier

Le modèle de description d’un SAF a été réalisé à partir de la représentation d’un système proposé par la modélisation systémique, qui le décrit sous la forme de systèmes interdépendants en interaction (Le Moigne, 2006). La formalisation systémique obtenue (Fig. 1), utilisant des concepts de l’agronomie et de l’agroéconomie, a ensuite été reformulée sous la forme d’un vocabulaire hiérarchisé de descripteurs de SAF. Décrire un SAF consiste donc à associer les données collectées aux descripteurs correspondants.

thumbnail Fig. 1

Modèle de description d’un système agroforestier à base de palmiers (SAF), élaboré selon l’approche systémique (Le Moigne, 2006).

Model describing an oil palm agroforestry system (SAF), built using the systemic approach (Le Moigne, 2006).

2.2 Caractérisation de la diversité des systèmes agroforestiers par une typologie

Pour décrire la diversité des SAF, nous avons construit une typologie combinant deux critères : l’initiateur du SAF et la caractérisation de la phase agroforestière du système de culture. L’initiateur du SAF peut être un acteur de la recherche-développement ou de la production agricole. En se basant sur la typologie des exploitations agricoles proposée par ( Marzin et al. 2014), qui distingue plusieurs types d’agriculture en fonction de l’organisation du travail, adaptée au contexte d’usage (Baron et al., 2017), trois types d’acteur ont été définis : l’institution de recherche-développement, l’exploitation familiale et l’entreprise agricole.

La phase agroforestière du système de culture a été caractérisée par la durée et le positionnement du cycle de culture du palmier à huile pour distinguer trois situations différentes : i) l’agroforesterie temporaire en début de cycle (palmiers immatures) ; ii) l’agroforesterie temporaire en fin de cycle (palmiers matures dont les couronnes se situent à un minimum de 2 m de haut) ; et iii) l’agroforesterie permanente (pendant toute la culture du palmier à huile). Deux pratiques culturales ont été prises en compte pour ces trois situations : la régularité du dispositif de plantation (régulier vs. irrégulier), et l’origine du matériel végétal (local/tout-venant vs. sélectionné).

2.3 Description des services écosystémiques

Les services écosystémiques représentent les bénéfices offerts par les écosystèmes auprès des sociétés humaines. Les services mobilisés par les SAF ont été classés d’après la Common International Classification of Ecosystem Services (CICES) (Haines-Young et Potschin, 2018). Nous avons adopté le concept du Motif fonctionnel des services écosystémiques (ESFM) : i) pour représenter l’organisation spatiale d’une palmeraie agroforestière et son évolution temporelle en présence d’autres espèces végétales et/ou animales ; et ii) pour représenter les interactions entre espèces dans la parcelle incluant les services écosystémiques d’intérêt pour les acteurs. L’EFSM est défini comme la plus petite unité spatiale d’un système de culture dans laquelle tous les services écosystémiques ciblés sont rendus par les espèces présentes dans la même proportion que sur l’ensemble de la parcelle (Rafflegeau et al., 2019). Notre objectif étant de faire ressortir les services ciblés et reconnus par les concepteurs, seuls les services cités dans la littérature et mentionnés lors des entretiens ont été recensés.

3 Résultats

Au total, trente-neuf SAF ont été recensés à travers le monde (Masure et al., 2021 ; Masure et al., 2022).

3.1 Les systèmes agroforestiers à palmiers à travers le monde

La figure 2 est une représentation matricielle des SAF, décrits selon leur typologie. Cinq types de SAF se distinguent, à chacun desquels un type d’acteur est associé. Le premier type de SAF, appelé R&D (Fig. 2), rassemble tous les acteurs issus des institutions de recherche-développement. Ces acteurs installent majoritairement des SAF permanents associant des cultures pérennes aux palmiers, quel que soit le continent considéré. Ils tendent à faire évoluer le dispositif à 143 palmiers/ha, en conduisant des essais à densité plus faible en palmiers selon des dispositifs variés (e.g., doubles lignes jumelées, ou éclaircissage important). Des essais de SAF sont également effectués à diverses périodes du cycle du palmier. Le matériel végétal est sélectionné et implanté selon un dispositif régulier.

Les trois types de SAF suivants, i.e., VIVRIER, PASTO et PERM, sont conçus par des exploitations familiales et des entreprises agricoles. Ces acteurs choisissent un matériel végétal sélectionné et l’implantent selon un dispositif régulier (en carré ou en triangle) d’espacement de 9 à 8 m entre les palmiers, correspondant à des densités de 123 à 160 palmiers/hectare. Au-delà de ces similitudes, ces trois types de SAF se distinguent entre eux par la temporalité du SAF au cours du cycle de culture du palmier, mettant ainsi en évidence où se situe l’intérêt du producteur. Le second type de SAF appelé VIVRIER (Fig. 2) regroupe les acteurs qui implantent des SAF temporaires en début de cycle de culture du palmier. Ces SAF sont présents partout dans le monde. Les cultures associées pendant la phase juvénile des palmiers sont très majoritairement des cultures vivrières (maïs, arachide, manioc, plantains…) destinées à l’autoconsommation et/ou à la vente. Le troisième type, appelé PASTO (Fig. 2), rassemble les acteurs qui installent des SAF temporaires pendant la phase de production des régimes, lorsque les palmiers sont devenus suffisamment grands pour ne pas risquer d’être endommagés par le bétail. Il s’agit du seul SAF couramment mis en place par les agro-industries. Le quatrième type, appelé PERM (Fig. 2), rassemble les agriculteurs qui implantent des SAF permanents en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. Les agriculteurs familiaux innovent plutôt sans conseil extérieur pour implanter des SAF permanents sur leurs exploitations.

Le cinquième type de SAF, appelé TRAD (Fig. 2), regroupe les exploitations familiales qui implantent majoritairement des SAF permanents en utilisant du matériel végétal non-sélectionné planté selon un dispositif irrégulier ; ce qui les différencie des R&D et PERM. Alors que les quatre premiers types sont présents sur tous les continents, ce dernier n’existe qu’en Afrique. Uniquement mis en place par des exploitations familiales, les SAF de type TRAD perdurent. Il en existe deux sous-types : les agroforêts permanentes à faible densité (30 à 50 palmiers/ha) dans des parcelles en rotation vivrier-jachère (Madelaine et al., 2008), et les palmeraies vignobles à forte densité exploitées pour le vin de palme (Yemadje et al., 2012).

thumbnail Fig. 2

Nombre et type de systèmes agroforestiers à base de palmier à huile (SAF) recensés par continent. Pour simplifier la présentation des résultats, le type de matériel végétal planté est porté en colonne. Af, As et AL correspondent respectivement à Afrique, Asie et Amérique latine.

Number and type of oil palm agroforestry systems (SAF) counted per continent. In order to simplify the presentation of the results, the type of the planting material is entered in columns. AF, As, and AL correspond respectively to Africa, Asia, and Latin America

3.2 Intérêts des systèmes agroforestiers à palmiers pour les agriculteurs

Vingt-huit services écosystémiques ont été identifiés dans les SAF (Masure et al., 2021). Treize d’entre-eux relèvent de l’approvisionnement et s’inscrivent dans sept classes, i.e., nutrition, fibre, énergie, médecine, qualité de l’eau, production et alimentation animale. Parmi ces classes, le plus grand nombre de services concerne la nutrition humaine (i.e., 36 SAF concernés), et en particulier des cultures plantées pour leurs graines ou leurs fruits (maïs, arachide, banane), leurs tubercules (manioc, patate douce), ou leurs feuilles (e.g., légume-feuille). Les quinze autres services rendus par les SAF relèvent de la régulation et sont répartis dans 10 classes (e.g., contrôle de l’érosion, régulation de l’eau, brise-vent). Le grand nombre de services de régulation recensés dans les SAF (101) met en évidence la richesse et la diversité des services rendus, autres que la production.

De nombreuses espèces autres que le palmier sont présentes dans les SAF. Le tableau 1 présente les espèces de plantes majoritairement utilisées pour rendre les huit services principaux, chacun étant présent dans 25 % des SAF au minimum. Les élaeiculteurs justifient l’attractivité de l’agroforesterie par la diversité, et l’étalement sur l’année, des productions et des revenus. De plus, comparativement à une palmeraie monospécifique, les interactions entre espèces réduisent les charges opérationnelles. La lutte contre les adventices repose sur l’utilisation d’espèces végétales de couverture, sur le pâturage du bétail qui régule la végétation spontanée, ou sur un travail du sol superficiel pour des cultures vivrières associées. La gestion des ravageurs est assurée par l’introduction de plantes de services et la bio-régulation. Enfin, la fertilité des sols peut être améliorée à court terme par l’installation de légumineuses fixatrices d’azote, l’incorporation de la matière organique résiduelle provenant des autres cultures et des déjections des animaux, ou encore l’enracinement profond de certaines plantes qui améliore la structure du sol. Cette fertilité est entretenue sur le long terme par la couverture permanente du sol, luttant ainsi contre l’érosion. La figure 3 illustre la mobilisation de certaines de ces espèces au cours du temps au sein des SAF de type TRAD, PASTO et R&D.

Tableau 1

Espèces végétales majoritairement utilisées pour rendre les principaux services écosystémiques dans les systèmes agroforestiers à base de palmier.

Plant species mainly adopted to provide the main ecosystem services in the oil palm agroforestry systems (SAFs).

thumbnail Fig. 3

Illustration de la diversité des systèmes agroforestiers à base de palmier à huile (SAF) par trois exemples : a) traditionnel (TRAD) exploité pour la production d’huile de palme, puis d’alcool de palme ; b) pastoral (PASTO) d’après le modèle industriel exploitant du bétail ; c) recherche et développement (R&D) en doubles lignes jumelées de palmiers associés à des espèces ligneuses fixatrices d’azote, également exploitées pour le bois d’œuvre.

Illustration of oil palm agroforestry system (SAF) diversity through three examples: a) traditional (TRAD) adopted for palm oil production and then sap extraction; b) pastoral (PASTO) respecting the industrial model integrating livestock; c) R&D in double twin rows of oil palms associated with nitrogen-fixing timber species producing wood.

4 Discussion

Les ouvrages généraux sur le palmier à huile (Corley et Tinker, 2015 ; Hartley, 1988 ; Jacquemard, 2013) indiquent que les SAF à palmiers connus par les agronomes sont de type TRAD, VIVRIER en palmeraies immatures, et PASTO sous palmeraie adulte. Ces ouvrages fournissent divers exemples de SAF, sans en décrire la diversité. Cette étude révèle l’existence d’autres designs agroforestiers de palmeraies sélectionnées selon un dispositif régulier.

4.1 Les systèmes agroforestiers à palmier, alternative à la palmeraie monospécifique

Les services de vulgarisation et de recherche, impliqués dans le développement élaeicole, recommandent aux agriculteurs d’implanter une palmeraie monospécifique avec des palmiers sélectionnés plantés en triangle équilatéral, puis de leur apporter des engrais minéraux. Ce conseil a contribué au succès économique de nombreux acteurs de la production agricole. Les ouvrages généraux sur le palmier à huile (Jaquemard, 2013 ; Corley, 2015) recommandent d’implanter la palmeraie monospécifique avec une légumineuse de couverture, et suggèrent d’associer des cultures vivrières en phase juvénile à la place de la légumineuse de couverture comme une possibilité mise en œuvre par des agriculteurs sous contraintes économiques ou de main-d’œuvre familiale. En effet, l’introduction de cultures vivrières à cycle long dans une jeune palmeraie monospécifique se traduit par une entrée en production tardive et une diminution des rendements du palmier sur le long terme (Rafflegeau et al., 2010 ; Koussihouede et al., 2020). La mise en place des SAF de type PERM et de type R&D, plus récents, requiert ainsi un accompagnement du processus d’innovation par le suivi des prototypes pour confirmer les choix d’espèces et de dispositif, ainsi que le maintien de la fertilité des sols. Concernant les SAF de type TRAD, le besoin d’accompagnement à l’intensification agroécologique porte avant tout sur l’introduction de matériel végétal sélectionné. Enfin, les SAF de type PASTO, existant depuis longtemps, nécessitent un accompagnement à la capitalisation et à la diffusion des savoirs.

Les analyses économiques sur la viabilité des SAF font cruellement défaut dans la littérature. Néanmoins, les SAF mis en place et maintenus par les agriculteurs sont une alternative viable au dispositif dominant de palmeraie monospécifique. En enrichissant ainsi la biodiversité cultivée dans les systèmes de culture du palmier à huile, de nombreux chemins de transition agroécologique s’ouvrent aux élaeiculteurs, à la fois pour de nouvelles palmeraies, mais aussi lors de la replantation d’anciennes palmeraies. Cette agroécologie forte, profonde, qui repose sur l’introduction de biodiversité dans les systèmes de culture (Duru et al., 2014), vise des services écosystémiques qui relèvent de l’approvisionnement ou de la régulation. Ces services peuvent permettre : i) de palier la contrainte financière de l’absence de revenus pendant les trois premières années de plantation du palmier ; ii) de diversifier les productions végétales et animales tout du long du cycle afin de sécuriser les revenus, de maintenir un entretien régulier des parcelles et d’être finalement plus résilient économiquement par rapport aux marchés et aux aléas climatiques ; et iii) d’augmenter la résilience écologique du système, notamment dans les zones marginales où l’adaptation au changement climatique est impérative.

À chaque type d’acteur correspondent des opportunités et des contraintes d’exploitation. Après avoir initié des SAF de type PASTO, le courant de l’agroécologie a conduit peu à peu les agro-industries du palmier à introduire de la biodiversité cultivée dans leurs plantations industrielles via l’implantation de plantes de service. Les exploitations familiales et les entreprises agricoles ont plutôt tendance à associer d’autres cultures dans leur SAF. Ainsi, différentes stratégies de mise en place de SAF peuvent être envisagées selon les objectifs agronomiques, économiques et environnementaux de chacun.

4.2 Introduire la biodiversité dans les territoires spécialisés dans la culture du palmier

Le modèle de développement « Nucleus-Estate & Smallholders » adopté en Indonésie et en Malaisie, repose sur l’implantation par l’agro-industrie de palmeraies industrielles et de plantations « plasma » destinées aux « petits planteurs », toutes monospécifiques, accompagnées d’huileries de grande capacité (40–60 t/h). Ce modèle a conduit à convertir les forêts en une « mer de palmiers » homogène. Pour réintroduire de la biodiversité au sein de ce type de paysage, certains auteurs comme (Zemp et al. 2019) proposent d’introduire des îlots de biodiversité au sein des plantations. D’autres auteurs, comme (Luke et al. 2020) et (Woodham et al. 2019), proposent de maintenir des couloirs écologiques comme les ripisylves le long des cours d’eau ou ailleurs dans les palmeraies, pour améliorer la connectivité entre espaces protégés, préservant ainsi la mobilité des espèces sauvages au sein de ces territoires (Ancrenaz et al., 2021).

D’une manière générale, la biodiversité cultivée peut être intégrée, dans un premier temps, sans renouveler la plantation ou modifier sa densité. Ainsi Ayob (2009) et (Tohiran et al. 2019) proposent d’intégrer des activités d’élevage et la culture de plantes de couverture et de service pendant la phase de production comme dans le SAF de type PASTO. Selon ces auteurs, ce système serait relativement rapide et aisé à intégrer dans les palmeraies, même industrielles. (Budiadi et al. 2019) et (Mathur et al. 2017) suggèrent d’intercaler des cultures pérennes sciaphiles entre les rangs et sous les palmiers, soit un SAF de type PERM. (Gawankar et al. 2018) et (Slingerland et al. 2019) proposent d’associer des espèces en début de cycle, tant que le palmier est au stade juvénile, comme dans le modèle de SAF de type VIVRIER. Enfin, (Miccolis et al. 2019) recommandent d’adapter le dispositif de plantation des palmiers (en doubles lignes jumelées ou en pratiquant des éclaircies importantes), afin de favoriser l’introduction d’autres espèces pérennes qui vont assurer des services d’approvisionnement (production) et/ou de régulations, c’est-à-dire le SAF de type R&D.

Quelle que soit la solution retenue, réintroduire de la biodiversité dans les territoires spécialisés dans la culture du palmier demande une prise de conscience des élaeiculteurs de la valeur potentielle des services rendus par les espèces associées. Ces services peuvent autant valoriser leur exploitation qu’impacter positivement sa durabilité par la diversification de la production (vivrier, produits forestiers), l’amélioration de la fertilité des sols (fixation d’azote, matière organique), le contrôle de l’érosion et la régulation du cycle hydrologique, ou le biocontrôle des adventices et des ravageurs. Dans le cas de l’initiation d’un SAF de type VIVRIER, il faudra toutefois prendre garde aux innovations susceptibles de se transformer en un disservice relatif au maintien de la fertilité des sols et à la production de régimes de palmier.

4.3 Perspectives de développement

L’agroforesterie à base de palmier à huile offre de nouvelles perspectives de développement susceptibles de favoriser la biodiversité cultivée au sein des parcelles. Le respect des critères de durabilité encadrant le standard Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO, 2021) ne laisse que deux précédents envisageables pour implanter un SAF : une palmeraie monospécifique à différents stades de son cycle de culture, ou une parcelle agricole en culture ou en jachère. Dans les deux cas, la transition vers un SAF peut s’effectuer en détruisant l’intégralité du couvert en place, ou en transformant le couvert en place en SAF à palmier.

L’agroforesterie à base de palmiers à huile est à la fois envisageable dans les bassins de production élaeicole actuels, mais également dans de nouvelles zones de culture, y compris en zones suboptimales en terme climatique. La réduction de la densité en palmiers et l’implantation d’associations judicieuses avec des espèces en complémentarité de niche pour l’accès aux ressources permettent d’envisager des rendements par pied supérieurs à ceux qu’on obtiendrait dans une palmeraie monospécifique cultivée dans les mêmes conditions. En zone suboptimale comme le sud du Bénin, où le déficit hydrique est prononcé, très peu de régimes de palme parviennent à maturité pendant la saison de basse production du palmier. Il serait ainsi opportun d’associer, dans les SAF à palmier, des cultures récoltées pendant la basse saison de production de régimes.

Selon ce même principe d’associations d’espèces en complémentarité d’accès aux ressources, l’agroforesterie offre des possibilités d’adaptation au changement climatique, comparativement aux mêmes espèces cultivées en culture pure. Les exploitations familiales et les entreprises agricoles des investisseurs locaux sont les acteurs majeurs capables de mettre en place et de gérer des SAF complexes, et de valoriser par la vente et l’autoconsommation tous les produits issus des SAF. Les exploitations familiales bénéficient d’un accès plus facile à des terres éparses et de surface modeste même dans des zones peuplées, contrairement aux agro-industries.

De nombreux essais et expériences de SAF à base de palmier à huile ont déjà été conduits, mais peu de communications ont été réalisées sur ce sujet. La promotion des réussites, des échecs et des leçons apprises, l’analyse critique et argumentée des prototypes en cours d’essai (Koussihouèdé et al., 2020 ; Miccolis et al., 2019) font encore défaut. Il en est de même pour les études concernant les choix d’association d’espèces et de dispositifs. C’est le cas des prototypes de SAF à palmiers et cacaoyers, expérimentés dans la région Centre du Cameroun, dans lesquels le cacaoyer subit gravement la compétition pour l’accès aux ressources hydriques et édaphiques, plus ou moins rapidement selon la richesse et la profondeur du sol, ou la proximité d’un cours d’eau (Masure et al., 2021).

5 Conclusion

Alors que les palmeraies monospécifiques plantées en triangle équilatéral restent le dispositif de plantation le plus largement répandu dans le monde, nos résultats mettent en évidence une large diversité de systèmes agroforestiers à base de palmier à huile. En effet, nous avons pu identifier cinq types de SAF plantés en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, puis nous les avons caractérisés selon leur initiateur et la phase agroforestière du système de culture du palmier prise en compte.

L’identification de ces nouveaux types de SAF montre clairement un intérêt des élaeiculteurs pour ces approches alternatives, qui intègrent des pratiques compatibles avec une production de régimes satisfaisante. Aujourd’hui, le déficit constaté en analyses économiques dédiées, tant dans la bibliographie qu’auprès des sites internet des acteurs du développement, reste un obstacle à une véritable évaluation de la performance économique des SAF.

Une approche synchronique d’étude des SAF fournirait des résultats annuels à court terme, tandis qu’une approche diachronique permettrait d’envisager la transition vers le type de SAF le plus adapté pour l’agriculteur. Le recueil des services écosystémiques rendus par les diverses espèces végétales, tel que présenté dans le présent article, peut servir d’aide à la décision concernant le prototypage du type de SAF retenu.

La demande sociétale, appelant à une durabilité accrue de la production d’huile de palme, remet en cause les modèles de développement adoptés par la majorité des agro-industries et des agriculteurs sous contrat, du fait de leurs externalités négatives, directes ou indirectes (déforestation, perte de biodiversité et accaparement de terres). Même si les innovations adoptées au sein des SAF n’occupent actuellement qu’une petite partie des palmeraies dans le monde, elles présentent un fort potentiel de diversification des systèmes de culture. En effet, elles réintroduisent de la biodiversité dans les systèmes de culture, avec la possibilité de restaurer la fertilité des sols, et laissent augurer d’une meilleure adaptation au changement climatique que les systèmes monospécifiques intensifs. Ces systèmes offrent l’opportunité, pour les exploitations familiales situées en zones suboptimales, de disposer de systèmes de culture du palmier plus résilients, et capables de satisfaire les besoins locaux en huile végétale pour l’alimentation humaine.

Remerciements

Les auteurs remercient l’entreprise PalmElit SAS pour avoir financé ce travail réalisé dans le cadre d’un stage d’ingénieur. Ce travail a donné lieu à un rapport de stage (Masure, 2021), source des données extraites pour produire le présent article.

Références

Citation de l'article: Masure A, Martin P, Lacan X, Rafflegeau S. 2022. Promouvoir l’agroforesterie à base de palmiers à huile : un atout pour la durabilité de la filière. Cah. Agric. 31: 14. https://doi.org/10.1051/cagri/2022010

Liste des tableaux

Tableau 1

Espèces végétales majoritairement utilisées pour rendre les principaux services écosystémiques dans les systèmes agroforestiers à base de palmier.

Plant species mainly adopted to provide the main ecosystem services in the oil palm agroforestry systems (SAFs).

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Modèle de description d’un système agroforestier à base de palmiers (SAF), élaboré selon l’approche systémique (Le Moigne, 2006).

Model describing an oil palm agroforestry system (SAF), built using the systemic approach (Le Moigne, 2006).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Nombre et type de systèmes agroforestiers à base de palmier à huile (SAF) recensés par continent. Pour simplifier la présentation des résultats, le type de matériel végétal planté est porté en colonne. Af, As et AL correspondent respectivement à Afrique, Asie et Amérique latine.

Number and type of oil palm agroforestry systems (SAF) counted per continent. In order to simplify the presentation of the results, the type of the planting material is entered in columns. AF, As, and AL correspond respectively to Africa, Asia, and Latin America

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thumbnail Fig. 3

Illustration de la diversité des systèmes agroforestiers à base de palmier à huile (SAF) par trois exemples : a) traditionnel (TRAD) exploité pour la production d’huile de palme, puis d’alcool de palme ; b) pastoral (PASTO) d’après le modèle industriel exploitant du bétail ; c) recherche et développement (R&D) en doubles lignes jumelées de palmiers associés à des espèces ligneuses fixatrices d’azote, également exploitées pour le bois d’œuvre.

Illustration of oil palm agroforestry system (SAF) diversity through three examples: a) traditional (TRAD) adopted for palm oil production and then sap extraction; b) pastoral (PASTO) respecting the industrial model integrating livestock; c) R&D in double twin rows of oil palms associated with nitrogen-fixing timber species producing wood.

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