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Review
Issue
Cah. Agric.
Volume 34, 2025
Article Number 18
Number of page(s) 14
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2025018
Published online 04 June 2025

© J. Lavarenne et al., Hosted by EDP Sciences 2025

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

Depuis plusieurs décennies, l’agriculture mondiale est confrontée à des défis majeurs liés au changement climatique, à l’origine d’évènements d’insécurité alimentaire et d’une augmentation de la pression sur les ressources naturelles. Face à ces enjeux, les modèles de simulation de culture sont devenus des outils essentiels pour anticiper les impacts climatiques et adapter les pratiques agricoles. Ces modèles ont évolué grâce à la disponibilité accrue des données d’observation de la Terre, facilitant la prise de décision dans des systèmes agricoles complexes. En particulier, les systèmes agricoles situés dans les zones intertropicales sèches et humides présentent des défis uniques liés à l’irrégularité des précipitations et aux extrêmes climatiques (Traoré et al., 2000).

Les modèles de simulation de culture de la famille SARRA (Système d’analyse régional des risques agroclimatiques) se distinguent par un nombre limité de paramètres, un choix méthodologique qui reflète leur conception et leur évaluation fondées sur une approche ancrée dans les réalités agricoles. Ils s’appuient principalement sur des observations en milieu paysan, complétées par des expérimentations ciblées, afin d’intégrer les pratiques agricoles dans leur diversité et d’évaluer leur résilience dans des environnements contrastés. Cette approche privilégie le recours à des diagnostics agronomiques, des enquêtes et des suivis auprès des agriculteurs pour analyser l’adéquation des pratiques mises en œuvre aux contraintes locales. Si elle permet d’explorer différentes échelles d’analyse et de s’adapter aux données disponibles, elle se distingue des modèles plus complexes et riches en paramètres, tels qu’APSIM (Holzworth et al., 2014), DSSAT (Hoogenboom et al., 2019) ou STICS (Brisson et al., 2003), qui mobilisent des volumes de données plus importants et s’appuient davantage sur des expérimentations en conditions contrôlées pour caractériser finement les contributions des différents facteurs et innovations techniques. En effet, les modèles SARRA reposent sur deux principes fondamentaux : la simplicité et la robustesse.

Initialement focalisés sur l’évaluation des stress hydriques des cultures pluviales, l’évolution des modèles SARRA a permis d’élargir leur champ d’application aux risques agroclimatiques, intégrant non seulement les déficits hydriques, mais aussi les autres aléas climatiques impactant la productivité agricole. Ce sont désormais des modèles déterministes de simulation de croissance des cultures annuelles. Ils estiment la production de biomasse à partir de l’efficience d’utilisation du rayonnement global, en se basant sur des stades phénologiques définis par l’environnement (température et photopériode). Un bilan hydrique permet de simuler l’impact des contraintes hydriques sur l’accumulation de biomasse et le rendement.

Développés par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) en partenariat avec des centres de recherche d’Afrique de l’Ouest et du Brésil, les modèles SARRA ont été adaptés aux contraintes spécifiques des environnements intertropicaux grâce à des contributions scientifiques et techniques continues. Ces évolutions reflètent les avancées de la modélisation des cultures au CIRAD et dans les institutions partenaires telles que l’AGRHYMET, le Centre d’étude régional pour l’amélioration de l’adaptation à la sécheresse (CERAAS) et l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA) au Sénégal, l’Institut d’économie rurale (IER) au Mali, l’Institut national de la recherche agronomique du Niger (INRAN) et l’Institut de l’environnement et des recherches agricoles (INERA) au Burkina Faso, sur des questions relatives à l’ensemble des étapes de développement de ces outils – la notion d’outil représentant à la fois les modèles et les logiciels qui les incarnent : caractérisation des données d’entrée disponibles sur le terrain, formalisation mathématique des processus, développement informatique et expérience utilisateur. Les modèles SARRA ont été largement utilisés pour l’appui aux campagnes agricoles (planification, suivi) en Afrique de l’Ouest et au Brésil, ainsi que comme outils de recherche en agroclimatologie. En outre, leurs interactions avec d’autres modèles ont mené à la création de versions spécialisées, adaptées à des usages spécifiques, notamment pour la définition d’idéotypes variétaux (Folliard et al., 2004). Pour plus d’informations et un accès direct aux outils et ressources SARRA, le site dédié https://sarra-h.teledetection.fr centralise les versions actuellement disponibles et documentations associées.

Cet article propose une revue chronologique des évolutions et des développements des modèles SARRA, en mettant en lumière les dynamiques des institutions impliqués au sein de fortes évolutions technologiques et d’accès aux connaissances et aux données. Il s’appuie sur des entretiens avec les contributeurs du projet, la littérature grise disponible dans l’archive institutionnelle Agritrop du CIRAD, les publications scientifiques issues de l’utilisation des modèles, ainsi que deux études de cas – évaluation d’impact ImpresS ex post (Barret et al., 2017 ; Nonfon, 2021 ; Nunes, 2021, voir aussi https://www.cirad.fr/nos-activites-notre-impact/notre-impact/recits-d-impact/bresil-quelle-appropriation-des-modeles-de-cultures-sarra) portant sur leur usage en Afrique de l’Ouest et au Brésil. Il offre ainsi un aperçu historique pour mieux appréhender la trajectoire complexe de ces modèles, façonnée par les évolutions du CIRAD, de ses partenaires et des nombreux projets associés, et contribue à saisir le positionnement actuel du modèle. Enfin, il propose une analyse critique des versions contemporaines, explorant leur utilité et leur potentiel pour les futures orientations de la recherche agronomique, notamment en régions tropicales.

2 Genèse et évolution du modèle

2.1 Des premières analyses hydriques aux bases du modèle BIP (1977–1985)

Le développement des modèles de simulation de la famille SARRA débute dans les années 1960 avec des recherches menées par l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM, désormais IRD) et l’Institut de recherches agronomiques tropicales et des cultures vivrières (IRAT, intégré depuis au CIRAD) (Nicou, 2003). Ces travaux sur la fréquence des précipitations (Franquin, 1969) ont mené à la conception d’un premier modèle de bilan hydrique (Franquin et Forest, 1977). Ce modèle fut utilisé au Brésil pour le zonage agroclimatique du riz pluvial (Silva et al., 1995 ; Steinmetz et al., 1988).

Dans les années 1980, les modèles GRO (Wilkerson et al., 1983) et CERES (Boote et al., 1986) intègrent les dynamiques de l’eau, de l’azote et de la croissance des plantes (Jones et al., 2017). Les progrès des chercheurs du CIRAD en modélisation du continuum sol/plante/atmosphère permettent d’aboutir au modèle BIP/BIP-IRAT (Forest, 1984), qui réalise un bilan hydrique décadaire pour des cultures comme le mil, le sorgho, le maïs, et l’arachide, en estimant le stress hydrique par le rapport entre l’évapotranspiration réelle et maximale. Dès 1986, BIP/BIP-IRAT a été largement diffusé auprès des institutions agrométéorologiques d’Afrique de l’Ouest pour le suivi des campagnes agricoles. Dans les années 1990, des versions dérivées de BIP ont été développées : BIPODE, pour la gestion de l’irrigation, incluant les phénomènes de ruissellement (Vaksmann et Traoré, 1989), et BIPZON, pour les zonages agroclimatiques basés sur des réseaux de stations pluviométriques, afin d’identifier les périodes optimales de semis. Cette période était marquée par une prolifération de versions, de modèles et de contributeurs. La dernière version, BIP4, a été utilisée jusqu’en 2009 au nord du Cameroun (M’Biandoun et Olina, 2009).

Initialement motivés par des questions scientifiques (Nicou, 2003), les modèles ont évolué à partir des années 1990 pour répondre aux besoins opérationnels des utilisateurs, besoins devenus un moteur central de l’évolution des modèles de la famille SARRA (Affholder et al., 2006).

2.2 DHC4 : un outil pour l’alerte précoce et la planification régionale (1985–1991)

En 1973, à la suite d’une sécheresse ayant provoqué des crises alimentaires majeures dans plusieurs pays soudano-sahéliens, le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) est créé, regroupant neuf pays de la région. En 1985, un partenariat entre le CIRAD et le Centre régional AGRHYMET, une institution du CILSS, aboutit à la mise en place d’un système d’alerte précoce régional couvrant les alertes météorologiques, les invasions de criquets, les risques d’inondations et les risques de pénurie alimentaire et d’insécurité alimentaire sévère. Ce système repose sur un réseau de plus de 700 stations pluviométriques géoréférencées gérées par AGRHYMET, qui produit des bulletins décadaires et mensuels pour soutenir la prise de décision et aider les agriculteurs à s’adapter aux risques agrométéorologiques.

Le logiciel DHC4 (Diagnostic hydrique des cultures), dérivé de BIP4 (Cortier et Allab, 1991 ; Cortier et Forest, 1991 ; Samba et al., 2001), joue un rôle central dans ce dispositif. Développé en collaboration avec AGRHYMET, DHC4 fournit des indicateurs utiles pour la planification de la saison agricole, tels que les dates de début de semis et les indices de rendement espéré du mil. De nombreux travaux ont validé les performances des simulations de DHC4 dans diverses conditions climatiques, allant des zones semi-arides (Fréteaud et al., 1987 ; Rousseau, 1988) aux zones sub-humides (Chopart et Vauclin, 1990 ; Poss, 1991 ; Affholder et Rodrigues, 1995). Le logiciel, développé en Pascal, se distingue également par sa capacité à s’interfacer avec les bases de données climatiques du Centre AGRHYMET, facilitant les simulations massives et l’actualisation rapide des prévisions. Une version dérivée, DHC-cp, intègre pour la première fois la télédétection, utilisant les données Météosat pour corréler la température du couvert nuageux au potentiel de précipitations, et cartographier les résultats par krigeage, améliorant la précision de l’identification des zones à risque hydrique (Bergès, 1993 ; Samba et al., 2001).

Durant les décennies 1980 et 1990, DHC4 a été un outil clé pour le suivi des campagnes agricoles et la gestion des crises alimentaires au Sahel (Forest, 1984 ; Samba, 1999 ; Alhassane, 2009). Le logiciel a contribué au renforcement des capacités des services météorologiques nationaux des pays du CILSS et a encouragé la réplication des résultats régionaux, établissant des liens durables entre institutions jusqu’au début des années 2000 (« Rapport de synthèse, indice de rendement espéré du mil hivernage 1988 », 1989). Une étude d’évaluation utilisant la méthode ImpresS ex post (Barret et al., 2017 ; Nonfon, 2021) a montré comment l’appropriation de DHC4 a contribué, dans cette région, à renforcer les capacités agrométéorologiques régionales et a consolidé les collaborations pour la sécurité alimentaire.

2.3 De DHC à SARRA : intégrer le climat, le bilan hydrique et le zonage des cultures vivrières

L’arrivée des ordinateurs personnels dans les années 1990 a rendu les outils de calcul plus accessibles, ouvrant la voie au développement de nouveaux outils tels que le Système d’analyse régional des risques agroclimatiques (SARRA). La première version de SARRA, publiée en 1991, se composait de modules indépendants : SARRAMET, SARRABIL et SARRAZON, dévolus respectivement à l’analyse des données climatiques, au calcul du bilan hydrique à l’échelle de la parcelle, et à l’évaluation des bilans hydriques pour des réseaux de stations (Forest et Clopes, 1991 ; Baron et al., 1999).

SARRA a introduit des formalismes de calcul de bilan hydrique quotidien dans un réservoir à deux couches et une méthode simplifiée pour estimer le rendement. Contrairement à DHC4, SARRA simule la biomasse tout au long de la saison de croissance pour calculer un indice de rendement espéré basé sur la satisfaction des besoins hydriques aux stades clés de la culture. Les nouveaux formalismes de SARRA ont également été intégrés dans une mise à jour de DHC4 (Samba et al., 2001).

Des travaux de calibration de SARRA ont été menés dans le cadre des projets ESPACE et AMMA, en collaboration avec des institutions telles que le CERAAS, l’IER, l’INRAN et l’INERA, ainsi qu’avec le Centre AGRHYMET (Traoré et al., 2011). Ces travaux ont permis de calibrer le module hydrique pour une grande variété de sols, de climats et de cultures tropicales (Rossetti, 2001 ; Affholder et al., 2006) et ont initié des échanges avec l’équipe du modèle STICS (Affholder, 2001).

Grâce à sa simplicité et à ses fonctionnalités, SARRA, développé en Turbo Pascal, est devenu un modèle accessible et opérationnel, utilisé en Afrique subsaharienne, au Brésil et en Indonésie dès 1994. Au Brésil, il est intégré à l’outil de politique agricole "Zonage des risques climatiques agricoles" (ZARC) pour déterminer l’accès aux assurances en cas de perte de récoltes depuis 1997 et calculer les primes d’assurances depuis 2003, tous les deux dans le cadre de la politique agricole brésilienne. Plus précisément, le modèle SARRA, et particulièrement le module de zonage SARRAZON, a été utilisé depuis 1995 dans le cadre du zonage des risques agroclimatiques, une initiative du ministère de l’Agriculture. Ce zonage intègre des données climatiques, pédologiques et les cycles de culture pour recommander les espèces et variétés ainsi que les périodes optimales de semis (Fig. 1). Ce référentiel a pu contribuer à définir les zones et périodes éligibles pour l’assurance agricole et le crédit, permettant ainsi une meilleure adéquation entre culture et climat. Le programme de garantie agricole ProAgro s’est appuyé sur ces recommandations, renforçant la résilience économique des exploitants agricoles par une planification optimisée et une réduction des risques assurantiels. Une étude de cas (Nunes, 2021) utilisant la méthode ImpresS ex post (Barret et al., 2017), souligne l’importance de l’initiative ZARC pour orienter certaines pratiques de cultures au Brésil et leur adaptation aux aléas climatiques.

Enfin, des modifications de SARRA ont été proposées pour identifier les propriétés écophysiologiques des variétés adaptées au climat et analyser les interactions entre la fertilité des sols, le développement des cultures et les stress hydriques (Vaksmann et al., 1996 ; Affholder, 1997).

thumbnail Fig. 1

Exemple de date de semis recommandée pour la culture de maïs à cycle moyen (110 jours) du 20 au 31 décembre, en sol de texture moyenne (15–35 % d’argile), utilisée dans le zonage agroclimatique par le Programme de garantie des activités agricoles (ProAgro) au Brésil. Ce zonage vise à minimiser les risques de pertes de récolte en définissant des périodes optimales de semis et les communes éligibles au soutien financier pour maximiser les chances de réussite des récoltes. L’utilisation de SARRAZON pour le ZARC a assuré la pérennisation et l’expansion de la politique nationale de gestion de risques agroclimatiques au Brésil.

Example of recommended sowing date for medium-cycle maize (110 days), from December 20 to 31, in medium-textured soil (15-35% clay), used in agroclimatic zoning by the Agricultural Activities Guarantee Program (ProAgro) in Brazil. This zoning aims to minimize the risk of crop loss by defining optimal sowing periods and identifying eligible municipalities for financial support to maximize the chances of successful harvests. The use of SARRAZON for ZARC ensured the perennation and expansion of the national agroclimatic risk management policy in Brazil.

2.4 SARRA-H : modélisation avancée de la biomasse sous stress hydrique et thermique

Au début des années 2000, SARRA évolue vers une version plus complexe, SARRA-H (Baron et al., 2003 ; Dingkuhn et al., 2003 ; Sultan et al., 2005) (Fig. 2), pour répondre aux nouveaux besoins d’études d’impact climatique. Cette version a été implémentée dans ECOTROP, une plateforme modulaire issue de l’équipe de recherche du même nom (voir https://web.archive.org/web/20130716023302/http://ecotrop.cirad.fr/sommaire.php3) conçue pour mutualiser les efforts de modélisation et faciliter le développement de modèles de simulation des cultures. ECOTROP a également accueilli d’autres modèles, tels qu’EcoPalm, dédié au palmier à huile (Combres et al., 2009), qui intégrait différents modules de bilan hydrique issus du modèle SARRA-H. Particularité notable, le logiciel SARRA-H, développé en Delphi, repose entièrement sur une gestion par base de données : il centralise non seulement les données d’entrée et de sortie, mais aussi les paramètres, la définition des jeux de simulation, la visualisation des résultats, ainsi que les différentes versions du modèle et le lancement des simulations. Cette architecture permet notamment de comparer un même jeu de simulation sur plusieurs versions du modèle en parallèle.

Le modèle SARRA-H intègre un bilan hydrique et carboné journalier, prenant en compte les stress liés à l’eau et au rayonnement pour simuler la dynamique quotidienne des biomasses des racines, tiges, feuilles et grains, ainsi que l’indice de surface foliaire (LAI). Ce modèle permet aussi de simuler des phénomènes de sénescence, particulièrement pertinents pour les variétés à haut potentiel de rendement comme le maïs et le riz hybrides, ainsi que les variétés locales de mil et de sorgho en conditions de stress. Selon Bassu et al. (2014), SARRA-H appartient à la catégorie des modèles à « distribution linéaire des racines » (prise en compte de l’enracinement journalier par la vitesse de croissance racinaire) et à « dynamique de l’eau basée sur des réservoirs basculants » (transfert de l’eau du réservoir supérieur au suivant par débordement, simulant le processus d’infiltration). Sa robustesse de simulation face à la variabilité des rendements a été validée dans divers environnements (Alhassane, 2009 ; Traore et al., 2014), à l’aide de données de la FAO (Sultan et al., 2014), avec des performances comparables à celles de DHC4 (Genesio et al., 2011).

Au début des années 2010, les chercheurs du CIRAD ont exploré les liens entre processus écophysiologiques, traits morphologiques et marqueurs moléculaires. Ces travaux ont donné naissance au modèle SAMARA, enrichi de nouveaux formalismes pour affiner des idéotypes céréaliers adaptés aux conditions climatiques et agronomiques variées (Dingkuhn et al., 2006 ; Luquet et al., 2005, 2006) (voir Encadré 1). Pour tenir compte de la sensibilité à la photopériode, un processus essentiel pour les agriculteurs soudano-sahéliens, des fonctionnalités supplémentaires ont été intégrées (Kouressy et al., 2008). Par la suite, un processus de sélection assistée par les marqueurs moléculaires a été réalisé directement sur les paramètres du modèle contribuant au développement de variétés mieux adaptées à la variabilité climatique (Guitton et al., 2018 ; Témé et al., 2022). Cette approche permet d’identifier et de sélectionner des allèles associés à des traits agronomiques clés, facilitant ainsi l’amélioration variétale en lien avec les paramètres du modèle.

De SARRA-H, via EcoMeristem, à SAMARA.

SARRA-H, principalement utilisé pour l’analyse des risques pluviométriques et les calendriers culturaux (Kouressy et al., 2008 : Sultan et al., 2005, 2008), apportait une meilleure représentation de la phénologie et un bilan carboné, mais restait limité pour des études approfondies de plasticité phénotypique. EcoMeristem a été développé pour répondre à ce besoin (Luquet et al., 2005, 2006), intégrant une répartition dynamique des assimilats via un indice de compétition entre organes (Ic = offre/demande). Ce modèle permet l’étude de la diversité génétique et de la plasticité phénotypique sous contraintes hydriques, notamment pour le riz et le sorgho (Rebolledo et al., 2012, 2015).

En continuité, SAMARA a été développé entre 2011 et 2014 avec le soutien de GIZ, CCAFS et IRRI (Kouressy et al., 2008). SAMARA intègre les principes d’EcoMeristem et le bilan hydrique de SARRA-H pour simuler la plasticité morphologique des plantes en réponse aux ressources disponibles et aux stress. Ce modèle est utilisé pour concevoir des idéotypes céréaliers adaptés aux conditions climatiques variées et modéliser des compromis physiologiques, par exemple entre la hauteur, le tallage et l’indice de récolte. SAMARA est aussi capable de simuler des pratiques de gestion de l’eau, telles que l’« alternate wetting and drying » (AWD) pour le riz (Dingkuhn et al., 2020). Bien qu’avancé et complexe à calibrer, SAMARA reste un outil de recherche précieux pour l’étude des interactions entre traits génétiques et environnementaux dans les régions soumises aux contraintes climatiques.

À la même époque, le développement de SARRA s’est poursuivi au sein de l’UMR TETIS (Territoires, environnement, télédétection et information spatiale), spécialisée en traitement de l’information géospatiale, ainsi qu’en approches intégratives autour de la sécurité alimentaire, le changement climatique et le suivi en milieu paysan (Baron et al., 2005).

thumbnail Fig. 2

Captures d’écran de SARRA-H et exemples de sorties graphiques. De droite à gauche et de haut en bas : gestion des simulations, paramètres de culture, données climatiques et exemple annoté de résultats graphiques.

Screenshots of SARRA-H and examples of graphical outputs. From right to left and top to bottom: simulation management, crop parameters, climate data, and an annotated example of graphical outputs.

2.5 SARRA-O : spatialisation et intégration de la télédétection pour la gestion des risques agricoles

En 2010, l’évolution rapide des technologies d’observation de la Terre et de la géomatique a ouvert de nouvelles opportunités pour les modèles de simulation de cultures. Les avancées en télédétection, notamment avec le programme Sentinel, ont permis de lier observations satellitaires et simulations des dynamiques de végétation, améliorant ainsi la précision des simulations agricoles. Parallèlement, des initiatives telles que CMIP (« Coupled Model Intercomparison Project ») et AgMIP (« Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project ») ont encouragé de nouveaux axes de recherche prospective auxquels l’UMR TETIS a participé dès 2011 avec SARRA-H (Bassu et al., 2014).

Cette concordance d’évènements a conduit en 2014 au développement de SARRA-O, une version spatialisée de SARRA-H utilisant Ocelet, une plateforme dédiée aux objets géoréférencés (Degenne et Seen, 2016). Plusieurs années de travaux en commun avec les partenaires africains, notamment le Centre AGRHYMET, ont permis de définir les grandes lignes du cahier des charges de cette nouvelle version permettant un renouveau des suivis de campagne aux échelles régionales. Cette évolution a permis une modélisation dynamique des cultures à l’échelle du paysage, répondant aux besoins de gestion des systèmes agricoles (Jahel, 2016).

SARRA-O, version totalement spatialisée, est capable de calculs en grille et dispose d’une interface graphique pour la simulation des cultures à grande échelle (Castets, 2015) (Fig. 3). En collaboration avec le Centre AGRHYMET, SARRA-O a relancé la dynamique autour des systèmes d’alerte précoce pour la sécurité alimentaire. Utilisant des données climatiques sous forme de fichiers GeoTIFF, un format standardisé pour le stockage de données géoréférencées, SARRA-O permet de produire des cartes thématiques actualisées pour le suivi de la saison agricole, diffusées aux gouvernements, ONG et services météorologiques nationaux de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Les avancées de SARRA-O ont significativement renforcé les capacités d’AGRHYMET en matière de sécurité alimentaire, en améliorant le suivi agricole en temps réel et la gestion des crises alimentaires. Intégré aux bulletins de suivi de saison agricole (Fig. 3), il constitue un outil clé pour la prise de décision des comités régionaux de sécurité alimentaire et des services météorologiques nationaux de la CEDEAO.

Aujourd’hui, la famille SARRA comprend deux branches principales :

  • SARRA-H : utilisé pour des simulations ponctuelles à l’échelle de la parcelle, il est employé principalement pour la recherche, le diagnostic, l’étude de la sensibilité aux conditions de culture et les formations, grâce à sa simplicité de calibration et à ses sorties graphiques explicites ;

  • SARRA-O : version spatialisée pour des simulations à grande échelle spatiale, utilisant des données climatiques géoréférencées. Il contribue à l’analyse des impacts des changements climatiques sur les cultures comme le mil et le sorgho en Afrique de l’Ouest (Sultan et al., 2013 ; Defrance et al., 2020).

Pour centraliser les différents logiciels et informations, un site internet dédié aux modèles SARRA a été lancé : https://sarra-h.teledetection.fr. La dernière version de SARRA-H, v4.2, y est disponible, intégrant de nouveaux processus tels que : 1) l’impact des techniques de paillis sur le ruissellement et l’évaporation du sol, 2) l’effet de l’augmentation du CO2 sur la croissance des cultures dans un contexte de changement climatique, 3) l’influence de la densité des semis sur la biomasse produite par hectare, et 4) l’intégration d’un indice d’intensification agricole (travail du sol, fertilisation…) affectant la dynamique des biomasses (Pierre et al., 2015, 2018 ; Durand et al., 2018 ; Pierre et al., 2022).

thumbnail Fig. 3

Captures d’écran de SARRA-O. De gauche à droite et de haut en bas : (1) sélection du territoire pour les simulations, (2) choix des données pluviométriques et climatiques, (3) sélection des variables à exporter, et exemples de résultats de simulation : (4) bulletin agrométéorologique décadaire de l’ANACIM, (5) et (6) suivi de campagne agricole par le Centre AGRHYMET.

Screenshots of SARRA-O. From left to right and top to bottom: (1) selection of the simulation area, (2) selection of rainfall and climate datasets, (3) selection of variables to export, and examples of simulation results: (4) ANACIM’s decadal agrometeorological bulletin, (5) and (6) agricultural campaign monitoring by the AGRHYMET Center.

3 Discussion

Les modèles SARRA sont le fruit d’une recherche appliquée visant principalement les pays du Sud, dont l’évolution s’est poursuivie à l’image de modèles tels que DSSAT, APSIM et STICS (Fig. 4). Leur développement a bénéficié de contributions interdisciplinaires d’écophysiologistes, d’agrométéorologues et de climatologues spécialisés dans les climats tropicaux. Ces collaborations ont généré un corpus de publications conséquent, illustrant la diversité des travaux autour de SARRA (recensés sur une bibliothèque Zotero à l’adresse https://www.zotero.org/groups/5369680/prj_sarra_cropmodels/library).

Cette rétrospective met en lumière une philosophie fondée sur le triptyque « utile, utilisable, utilisé ». SARRA a été conçu pour répondre aux besoins de la recherche (utile), être facilement calibré et validé en conditions tropicales (utilisable), et évoluer en fonction des attentes des utilisateurs (utilisé). Son développement repose sur un principe de parcimonie, privilégiant des formalismes simples et des paramètres aisément mesurables sur le terrain, en contraste avec d’autres modèles nécessitant un grand nombre de paramètres, souvent difficiles à obtenir. Les sorties de SARRA sont conçues pour être compréhensibles par un large éventail d’utilisateurs, ce qui en fait un outil de référence dans le domaine de l’agronomie. Son importance est notamment reconnue dans des ouvrages spécialisés, tels que le Mémento de l’agronome (Affholder et al., 2023).

Malgré ses atouts, SARRA présente certaines limites liées aux formalismes adoptés. Ces contraintes, progressivement explorées et traitées par une communauté multidisciplinaire de chercheurs rassemblés autour des équipes du CIRAD, ont nourri des débats et stimulé le développement de versions dérivées adaptées à des besoins spécifiques. Parmi celles-ci, BIPODE, EcoMeristem, SAMARA, IMPATIENCE et CELSIUS ont élargi le champ d’application des modèles SARRA, contribuant ainsi à leur diversification et à leur adaptation à des contextes variés.

thumbnail Fig. 4

Chronologie des modèles et formalismes de la famille SARRA de 1980 à 2020, montrant l’introduction progressive de nouveaux processus (par exemple, ETP : évapotranspiration potentielle ; ETR : évapotranspiration réelle ; Evap/EvapPot : évaporation et évaporation potentielle ; Transpi/TP : transpiration et transpiration potentielle ; LAI : Leaf Area Index ; Rdt : rendement), de différents environnements logiciels (Fortran, Basic, Pascal, etc.), de modules (par exemple, BDD : base de données), ainsi que des régions d’application (AO : Afrique de l’Ouest) et des thématiques abordées.

Chronology of the SARRA model family and formalisms from 1980 to 2020, showing the progressive introduction of new processes (e.g., ETP: potential evapotranspiration; ETR: actual evapotranspiration; Evap/EvapPot: evaporation and potential evaporation; Transpi/TP: transpiration and potential transpiration; LAI: Leaf Area Index; Rdt: yield), different software environments (Fortran, Basic, Pascal, etc.), modules (e.g., BDD: database), as well as application regions (AO: West Africa) and addressed thematic areas.

3.1 Positionnement et utilisateurs cibles des modèles SARRA

La famille SARRA se distingue par sa simplicité et son accessibilité, s’adressant en priorité à l’agriculture familiale en régions intertropicales, où les parcelles sont généralement de petite taille (environ un demi-hectare). Contrairement aux systèmes intensifs, cette agriculture, en Afrique de l’Ouest notamment, repose principalement sur des variétés locales, sélectionnées non pas pour des rendements maximisés par les intrants chimiques, mais pour leur résilience face aux contraintes environnementales (Kouressy et al., 2020). Le modèle SARRA a été conçu pour capturer la variabilité de ces rendements et reproduire les stratégies paysannes adaptées aux conditions locales. Il privilégie ainsi une approche empirique, reflétant les dynamiques agroécologiques et les choix des agriculteurs, plutôt qu’une prédiction stricte des rendements fondée uniquement sur des paramètres optimisés.

3.2 Robustesse des modèles, traçabilité des formalismes et gouvernance

SARRA a été évalué dans le cadre de plusieurs études du projet AgMIP, où il a été testé aux côtés d’une trentaine d’autres modèles de simulation de cultures (Bassu et al., 2014 : Kimball et al., 2019). Cet exercice a mis en évidence sa capacité à fonctionner avec des données limitées, un atout majeur pour les régions où l’accès aux données de terrain est restreint. Par ailleurs, SARRA est mentionné dans le 6e rapport du GIEC (Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), 2023) aux côtés d’autres modèles utilisés pour évaluer les impacts du changement climatique sur l’agriculture. Sa large adoption par des utilisateurs opérationnels, notamment pour le suivi des campagnes agricoles et l’aide à la décision, témoigne de sa pertinence sur le terrain et de sa robustesse dans ces contextes. Malgré toutes les évolutions de la famille SARRA, l’EMBRAPA a décidé de continuer de travailler sur la base du modèle SARRAZON, du moins jusqu’en 2021, car cela répond aux besoins du système de zonage agricole brésilien ZARC.

Cependant, la traçabilité des formalismes et la gouvernance du modèle ont été historiquement marquées par des évolutions liées aux dynamiques de projet et aux changements d’équipe. Alors que les développements initiaux de SARRA étaient portés par une équipe dédiée, après la finalisation des premières versions son suivi s’est limité à un appui ponctuel. La structuration d’une nouvelle équipe au sein d’ECOTROP a permis un regain d’activité, avec la mise en place d’une plateforme de modélisation homonyme et l’évolution vers SARRA-H. Plus tard, le développement de SARRA-O, fortement attendu par les partenaires africains, a marqué une nouvelle phase de structuration, notamment au sein de l’UMR TETIS. Contrairement à des modèles comme STICS, DSSAT ou APSIM, qui reposent sur une infrastructure informatique fortement structurée, les modèles SARRA ont suivi une approche plus flexible et itérative, s’adaptant aux besoins spécifiques des utilisateurs et des recherches appliquées.

Aujourd’hui, le modèle dans sa version la plus récente (SARRA-Py) est engagé dans une transition vers une gouvernance plus ouverte et le partage du code en open source (sous licence GPLv3, désormais versionné sous Git et hébergé sur GitHub). Cette dynamique, qui vise à consolider la traçabilité des évolutions du modèle tout en facilitant son accès et son utilisation par une communauté plus large, devrait faciliter son intégration dans divers projets, bien qu’un renforcement du suivi technique et de la structuration du développement reste souhaitable.

3.3 Limites liées aux formalismes et à leur traçabilité

Au fil des évolutions du modèle, la traçabilité des formalismes de SARRA-H et SARRA-O demeure parfois incertaine. Certains d’entre eux, comme la corrélation entre la biomasse foliaire verte et l’indice foliaire (LAI), reposent sur des observations empiriques. Cette limite découle du développement itératif du modèle, souvent guidé par des besoins immédiats des utilisateurs, ce qui a parfois conduit à une documentation fragmentaire, s’appuyant largement sur la littérature grise.

Contrairement aux modèles STICS, DSSAT ou APSIM, les modèles SARRA n’intègrent pas explicitement les stress trophiques du sol. Ce choix, conçu pour simplifier les interactions sol-plante, repose sur l’utilisation de « niveaux d’intensification de la culture » afin d’évaluer les risques agricoles. Cette approche répond aux besoins initiaux du projet en facilitant l’application du modèle à divers contextes, mais au prix d’une moindre précision dans la représentation des interactions fines entre gestion de la fertilité et risques climatiques. Si cette simplification est adaptée aux classifications couramment utilisées dans les contextes d’application du modèle, elle pose cependant un défi méthodologique : les niveaux d’intensification définis dans SARRA sont des indices composites intégrant plusieurs facteurs (travail du sol, fertilisation, pratiques culturales), ce qui complexifie leur calibration et leur validation. En effet, ces niveaux ne correspondent pas à une variable directement mesurable en conditions expérimentales, rendant leur évaluation empirique plus difficile. Cela peut, en conséquence, limiter la précision des simulations et des diagnostics agroclimatiques associés.

3.4 Limites liées à la calibration des paramètres de simulation

La méthode de calibration à l’origine des paramètres variétaux offerts par défaut dans SARRA-H et SARRA-O s’appuie sur les fonctionnalités logicielles de SARRA-H que sont le module d’analyse de sensibilité et l’interface graphique de visualisation des sorties. Cette méthode privilégie l’analyse de la cohérence d’un ensemble de dynamiques (biomasses, LAI, stocks d’eau), en regard des connaissances et mesures de terrain, plutôt que l’optimisation d’indicateurs statistiques. En cela, la calibration des modèles SARRA s’est souvent faite de manière qualitative, et, bien que simple et transférable, cette méthode repose en partie sur une interprétation subjective, limitant la rigueur et la reproductibilité de l’exercice de calibration. L’utilisation des paramètres variétaux proposés dans SARRA demeure conditionnée à un exercice indispensable de validation. Afin de garantir une meilleure robustesse du modèle dans un cadre spatialisé, l’intégration de méthodes quantitatives de calibration apparaît nécessaire pour améliorer la fiabilité des simulations et assurer une meilleure adaptation aux variabilités agroclimatiques locales.

3.5 Avantages et limites de la spatialisation via SARRA-O

SARRA-O ouvre de nouvelles perspectives en permettant l’utilisation de diverses sources de données géoréférencées, telles qu’issues de scénarios de changement climatique, de cartes de propriété des sols ou de télédétection de différentes origines et qualités (Satgé et al., 2020), ainsi que des cartes thématiques des sols. SARRA-O a ainsi été largement mobilisé pour des analyses de diagnostic agronomique, notamment pour évaluer la variabilité interannuelle des rendements, déterminer des fenêtres de semis optimales, ou évaluer l’effet de pratiques telles que le paillage ou la densité de semis sur la gestion de l’eau dans le sol. Grâce à sa capacité à intégrer différentes sources de données climatiques et pédologiques, SARRA-O a également été utilisé pour générer des cartes de risques agroclimatiques facilitant la prise de décision à l’échelle régionale. Cependant, l’interface reste rigide, limitant l’ajout de nouvelles espèces, variétés ou autres sources de cartes thématiques sans intervention de programmation

Un des défis majeurs de l’évolution de SARRA réside dans l’équilibre entre simplicité et complexité. Conçu à l’origine pour fournir des diagnostics agroclimatiques accessibles, il a progressivement intégré des processus plus détaillés, notamment en phénologie avec l’introduction du photopériodisme, ouvrant des utilisations plus tournées vers la recherche. Cependant, l’ajout de nouvelles espèces ou variétés reste limité par la structure rigide de l’interface actuelle, ce qui soulève la question de la modularité nécessaire pour répondre aux nouvelles attentes des utilisateurs.

4 Perspectives

Depuis les années 1970, l’évolution des modèles SARRA illustre leur capacité à répondre aux enjeux des agricultures intertropicales, grâce à une approche interdisciplinaire et partenariale. Face au changement climatique et à la nécessité de renforcer la résilience agricole, la modélisation doit continuer à jouer un rôle central pour accompagner l’évolution des pratiques agricoles et des stratégies d’adaptation aux contraintes agroclimatiques.

Un enjeu prioritaire à court terme est l’amélioration de la documentation du modèle et de ses modules afin de mieux structurer son appropriation par la communauté scientifique et technique. Cette démarche est essentielle pour faciliter une adoption élargie du modèle, notamment dans le cadre de son passage en open source. L’ouverture du code via GitHub (https://github.com/SARRA-cropmodels) permettra une co-construction collaborative, une amélioration continue de la documentation, ainsi qu’une meilleure traçabilité des simulations. Grâce au versionnage structuré et à l’archivage des versions avec DOI sur Zenodo, la traçabilité sera renforcée, garantissant la réplicabilité des résultats et facilitant la citation du modèle dans les publications scientifiques. La clarification progressive des processus simulés et de leur domaine de validité pourra ainsi s’opérer à travers des contributions collectives et des projets de recherche appliqués, plutôt qu’à travers une refonte immédiate et globale du modèle.

Le développement de SARRA-Py, implémenté en Python (https://github.com/SARRA-cropmodels/SARRA-Py), constitue une avancée majeure pour améliorer la flexibilité et les performances du modèle. Son intégration dans un environnement informatique moderne permettra d’optimiser les flux de données et d’exploiter des ressources de calcul haute performance pour améliorer l’efficacité des simulations. L’utilisation croissante de données spatialisées de télédétection constituera également un levier essentiel pour affiner la calibration du modèle et accroître la précision des simulations.

L’élargissement du champ d’application du modèle passera par l’intégration progressive de nouvelles cultures, comme le coton, ainsi que par l’inclusion de pratiques agricoles résilientes, telles que le zaï, afin de répondre aux besoins spécifiques des utilisateurs finaux. Toutefois, l’ajout de ces nouvelles composantes devra être encadré pour éviter une fragmentation excessive du modèle et assurer une cohérence dans son développement.

Enfin, l’évolution de SARRA ouvre des perspectives vers le couplage avec d’autres modèles (élevage, sols, biodiversité), permettant ainsi la mise en place de systèmes de simulation intégrés pour une agriculture plus résiliente et durable. La structuration d’une gouvernance plus solide et l’émergence d’une demande explicite des utilisateurs seront essentielles pour guider les développements futurs et assurer une trajectoire d’évolution alignée avec les besoins des acteurs agricoles et institutionnels.

5 Conclusion

Depuis plus de quatre décennies, les modèles de la famille SARRA ont évolué pour répondre aux besoins des agricultures intertropicales, en conciliant simplicité, robustesse et accessibilité. Issus des premiers travaux sur le bilan hydrique dans les années 1970, ils se sont progressivement enrichis, passant de modèles opérationnels d’alerte précoce à des outils d’analyse plus complexes intégrant la dynamique des cultures et des scénarios climatiques. Leur développement s’est construit dans une logique partenariale, en interaction avec les acteurs de la recherche et les utilisateurs opérationnels, et leur adoption à différentes échelles, du suivi de campagnes agricoles aux études de vulnérabilité climatique, témoigne de leur utilité et de leur capacité d’adaptation.

Toutefois, cette évolution a aussi révélé des défis majeurs, notamment en termes de traçabilité des formalismes, de structuration de la gouvernance et d’intégration des nouvelles connaissances agronomiques et climatiques. La transition actuelle vers une gouvernance plus ouverte, illustrée par le développement de SARRA-Py et la mise à disposition du code source en open source, constitue une opportunité pour renforcer la transparence et la collaboration autour du modèle. L’intégration croissante de données spatialisées et de nouvelles pratiques agricoles, ainsi que la possibilité de couplage avec d’autres modèles, ouvre également la voie à une approche plus intégrée des systèmes agricoles.

Dans un contexte de changements climatiques et d’intensification des défis agroécologiques, les modèles SARRA doivent continuer à évoluer pour allier pertinence scientifique et utilité opérationnelle. Leur avenir dépendra non seulement des innovations technologiques, mais aussi de la capacité à structurer une communauté d’utilisateurs et de contributeurs engagés dans une dynamique collective de co-construction. À ce titre, ils constituent un exemple représentatif des tensions entre modèle de recherche et outil opérationnel, illustrant comment la modélisation peut servir à la fois l’exploration scientifique et l’aide à la décision en agriculture.

Glossaire

AgMIP : Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project – Initiative internationale visant à comparer et améliorer les modèles agroclimatiques pour évaluer l’impact du changement climatique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire

Agritrop : Archive institutionnelle de publications du Cirad, accessible à l’adresse https://agritrop.cirad.fr

AMMA : Projet “Analyses Multidisciplinaires de la Mousson Africaine” (2002-2020)

ANACIM : Agence Nationale de l’Aviation Civile et de la Météorologie (Sénégal)

CEDEAO : Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest

CERAAS : Centre d’Étude Régional pour l’Amélioration de l’Adaptation à la Sécheresse

CILSS : Comité Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel

CMIP : Coupled Model Intercomparison Project –Programme international coordonné par le WCRP, visant à comparer les modèles climatiques et à standardiser l’analyse des projections climatiques. Il sert de référence pour les rapports du GIEC et les études sur le changement climatique

DHC : Diagnostic Hydrique des Cultures

EMBRAPA : Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária (Entreprise Brésilienne de Recherche Agricole)

ESPACE : Projet “Évaluer et Suivre les Productions Agricoles en fonction du Climat et de l’Environnement” (1988–1991, voir https://agritrop.cirad.fr/309751/)

ImpresS : Impact of Research in the South (https://impress-impact-recherche.cirad.fr/fr)

ImpresS ex post : Méthode d’évaluation d’impact développée par le CIRAD, basée sur l’analyse rétrospective de processus d’innovations agricoles à long terme. Elle vise à retracer le processus d’innovation, identifier les contributions de la recherche, au sein de ce processus, à des impacts sociétaux, en mobilisant une approche participative, itérative, et des outils tels que le chemin d’impact, la cartographie d’acteur, et le récit d’innovation

IRAT : Institut de Recherches Agronomiques Tropicales (ancien nom, intégré dans le CIRAD, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)

IRD : Institut de Recherche pour le Développement (anciennement ORSTOM)

ISRA : Institut Sénégalais de Recherches Agricoles

ORSTOM : Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (devenu l’IRD)

SARRA : Système d’Analyse Régional des Risques Agroclimatiques

ZARC : Zoneamento Agrícola de Risco Climático (Système de zonage agricole pour la gestion du risque climatique, au Brésil)

Références

Citation de l’article : Lavarenne J, Vaksmann M, Affholder F, Ferré M, Nunes K, Dingkuhn M, Macena Da Silva FA, Alhassane A, Traoré S, Sultan B, Bonnal V, Castets M, Clopes A, Reitz P, Songoti H, Forest F, Baron C. 2025. SARRA, histoire d’un modèle de simulation des cultures pour les zones intertropicales. Cah. Agric. 34, 18. https://doi.org/10.1051/cagri/2025018

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Exemple de date de semis recommandée pour la culture de maïs à cycle moyen (110 jours) du 20 au 31 décembre, en sol de texture moyenne (15–35 % d’argile), utilisée dans le zonage agroclimatique par le Programme de garantie des activités agricoles (ProAgro) au Brésil. Ce zonage vise à minimiser les risques de pertes de récolte en définissant des périodes optimales de semis et les communes éligibles au soutien financier pour maximiser les chances de réussite des récoltes. L’utilisation de SARRAZON pour le ZARC a assuré la pérennisation et l’expansion de la politique nationale de gestion de risques agroclimatiques au Brésil.

Example of recommended sowing date for medium-cycle maize (110 days), from December 20 to 31, in medium-textured soil (15-35% clay), used in agroclimatic zoning by the Agricultural Activities Guarantee Program (ProAgro) in Brazil. This zoning aims to minimize the risk of crop loss by defining optimal sowing periods and identifying eligible municipalities for financial support to maximize the chances of successful harvests. The use of SARRAZON for ZARC ensured the perennation and expansion of the national agroclimatic risk management policy in Brazil.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Captures d’écran de SARRA-H et exemples de sorties graphiques. De droite à gauche et de haut en bas : gestion des simulations, paramètres de culture, données climatiques et exemple annoté de résultats graphiques.

Screenshots of SARRA-H and examples of graphical outputs. From right to left and top to bottom: simulation management, crop parameters, climate data, and an annotated example of graphical outputs.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Captures d’écran de SARRA-O. De gauche à droite et de haut en bas : (1) sélection du territoire pour les simulations, (2) choix des données pluviométriques et climatiques, (3) sélection des variables à exporter, et exemples de résultats de simulation : (4) bulletin agrométéorologique décadaire de l’ANACIM, (5) et (6) suivi de campagne agricole par le Centre AGRHYMET.

Screenshots of SARRA-O. From left to right and top to bottom: (1) selection of the simulation area, (2) selection of rainfall and climate datasets, (3) selection of variables to export, and examples of simulation results: (4) ANACIM’s decadal agrometeorological bulletin, (5) and (6) agricultural campaign monitoring by the AGRHYMET Center.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Chronologie des modèles et formalismes de la famille SARRA de 1980 à 2020, montrant l’introduction progressive de nouveaux processus (par exemple, ETP : évapotranspiration potentielle ; ETR : évapotranspiration réelle ; Evap/EvapPot : évaporation et évaporation potentielle ; Transpi/TP : transpiration et transpiration potentielle ; LAI : Leaf Area Index ; Rdt : rendement), de différents environnements logiciels (Fortran, Basic, Pascal, etc.), de modules (par exemple, BDD : base de données), ainsi que des régions d’application (AO : Afrique de l’Ouest) et des thématiques abordées.

Chronology of the SARRA model family and formalisms from 1980 to 2020, showing the progressive introduction of new processes (e.g., ETP: potential evapotranspiration; ETR: actual evapotranspiration; Evap/EvapPot: evaporation and potential evaporation; Transpi/TP: transpiration and potential transpiration; LAI: Leaf Area Index; Rdt: yield), different software environments (Fortran, Basic, Pascal, etc.), modules (e.g., BDD: database), as well as application regions (AO: West Africa) and addressed thematic areas.

Dans le texte

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