Issue |
Cah. Agric.
Volume 30, 2021
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Article Number | 19 | |
Number of page(s) | 7 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2021005 | |
Published online | 16 March 2021 |
Publication de données de recherche / Data paper
Performance économique des chaînes de valeur des crevettes d’eaux douces au Bénin
Economic performance of fresh water shrimps value chains in Benin
1
Laboratoire d’Analyse et de Recherches sur les Dynamiques Economiques et Sociales (LARDES), Faculté d’Agronomie, Département d’Economie et de Sociologie Rurales, Université de Parakou,
BP 123,
Parakou, Bénin
2
Université Nationale d’Agriculture (UNA),
BP 43,
Kétou, Bénin
3
École d’Aquaculture, Université Nationale d’Agriculture (UNA),
BP 43,
Kétou, Bénin
* Auteur de correspondance : nouroudineolabode@gmail.com
L’exportation des crevettes du Bénin pourrait se développer, mais reste quasi-inexistante en raison du non-respect des normes sanitaires exigées sur le marché international, ce qui fragilise la durabilité des chaînes de valeur de crevettes. Cette étude évalue les performances économiques des chaînes de valeur de crevettes d’eaux douces au Bénin. Les approches conceptuelle et comptable de la chaîne de valeur ont été utilisées pour identifier les acteurs, analyser les liens d’affaires et évaluer le processus de création et de redistribution de la richesse créée le long des différentes filières. Des données socio-économiques ont été collectées à travers une enquête sur un échantillon aléatoire de 204 acteurs des chaînes de valeur de crevettes dans six communes du Sud du Bénin. Les résultats obtenus montrent trois filières majeures commercialisant des produits différenciés (crevettes fraîches, fumées et frites) et dans lesquelles opèrent cinq types d’acteurs directs. L’analyse comptable révèle que les valeurs ajoutées totales, de même que les profits créés par chacune des trois filières, sont positifs, mettant ainsi en évidence que les trois sont performantes et présentent des avantages comparatifs. La chaîne de valeur de crevettes fumées est plus performante que les deux autres du point de vue de la valeur ajoutée et du profit. Des actions de soutien telles que le financement, l’appui-conseil, l’organisation des acteurs pourraient accompagner les trois filières afin de renforcer la création de valeur ajoutée dans l’industrie de la crevette au Bénin.
Abstract
The export of shrimp from Benin could develop, but remains almost non-existent due to the non-compliance with sanitary standards required on the international market, which undermines the sustainability of shrimp value chains. This study evaluates the economic performance of freshwater shrimp value chains in Benin. The conceptual and accounting approaches of the value chain were used to identify stakeholders, analyse their business linkages and evaluate the process of creation and reallocation of the wealth along the different value chains. Socio-economic data were collected through an individual survey on a random sample of 204 stakeholders in shrimp value chains, distributed in six communes in Southern Benin. Results display three major value chains based on three differentiated products (fresh, smoked and fried shrimps) where five types of direct stakeholders operate. The value chains accounting profile analysis reveals that the total added value, as well as the profit created by each of the three value chains, are all positive, highlighting that all three are efficient and have comparative advantages. The smoked shrimp value chain is more efficient than the other two, regarding added value and profit. Support actions such as funding, advisory support, and organization of stakeholders, could support the three value chains in order to strengthen the creation of added value in the shrimp sector in Benin.
Mots clés : chaîne de valeur / crevette / approche conceptuelle / approche comptable / eau douce
Key words: Benin / value chain / shrimp / conceptual and accounting approach / freshwater
© N. Ollabodé et al., Hosted by EDP Sciences 2021
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1 Introduction
La pêche demeure, pour des millions de personnes à travers le monde, une activité très importante en termes de ressources alimentaires et de revenus (FAO, 2016). La production halieutique mondiale était d’environ 171 millions de tonnes en 2016 (FAO, 2018). Au Bénin, l’industrie de la pêche emploie plus de 600 000 personnes et contribue au Produit intérieur brut (PIB) agricole pour 11,46 % et au PIB national pour 3,2 % (MAEP, 2017). La pêche continentale représente 80 % de la pêche nationale et constitue l’une des principales activités génératrices de revenus pour les populations riveraines des plans et cours d’eau (Ollabodé, 2019). La filière crevettière mobiliserait près de 65 000 actifs (Sachi et al., 2016). Au cours de ces dernières décennies, la production de crevettes est évaluée à 3000 tonnes/an pour les eaux continentales (douces et saumâtres) et 500 tonnes/an pour les eaux maritimes du sud du Bénin (DP, 2004). Selon Degnon et al. (2013), la filière crevettière génère annuellement un chiffre d’affaire de plus de 10 milliards de FCFA au Bénin et représente ainsi une source de revenus pouvant permettre de réduire la pauvreté.
De 2009 à 2013, les crevettes du Bénin ont été très demandées sur le marché européen du fait de leur haute valeur marchande et de leur qualité organoleptique (Sachi et al., 2016). Leur production, essentiellement basée sur la pêche en mer, dans les lagunes et les fleuves, était destinée à satisfaire les besoins nationaux et les demandes des usines de traitement et d’exportation (INRAB, 2006). Mais la présence de métaux lourds dans les sédiments et les eaux des milieux de pêche, le non-respect des normes sanitaires exigées sur le marché international des produits de la pêche (Kindji et Faure, 2014) et les problèmes de conservation des crevettes constituaient des handicaps pour la compétitivité des systèmes de production et de commercialisation des crevettes au Bénin (Ollabodé, 2019 ; Aquilas et al., 2013). À cause des exigences du marché, les crevettes ne sont donc pas exportées en quantité suffisante, alors que l’extension de la pêche de crevettes pourrait permettre aux acteurs et à l’économie béninoise de tirer pleinement profit du commerce international (Bokossa et al., 2016). Face à cette situation, la filière crevettière du Bénin a bénéficié ces dernières années d’importants investissements et de programmes pour une meilleure organisation des chaînes de valeur (CVA) et leur mise aux normes sanitaires afin qu’elles soient plus compétitives sur le marché international (MAEP, 2017). Toutefois, il n’existe aucune structure d’élevage de crevettes pouvant contribuer à l’augmentation de la production et à la préservation de la biodiversité des espèces autochtones du Bénin (Gangbé et al., 2016), et à même d’assurer la durabilité des chaînes de valeur de crevettes. Les espèces exploitées sont demeurées à l’état sauvage (Dovonou et al., 2011). Bien que des études antérieures aient examiné les chaînes de valeur de crevettes au Bénin (Aquilas et al., 2013 ; Houngbo et al., 2015 ; Sachi et al., 2016), aucune d’entre elles ne s’est véritablement intéressée aux crevettes d’eaux douces et n’a quantifié le poids économique et les contributions des acteurs impliqués dans chacune des chaînes de valeur. Vu l’importance socio-économique de la filière crevettière au Bénin, son développement pourrait être source de bénéfices économiques potentiels pour les différents acteurs impliqués. La présente étude vise à évaluer les performances économiques des chaînes de valeur de crevettes d’eaux douces au Bénin en vue de contribuer à l’amélioration de leur durabilité.
2 Matériel et méthodes
2.1 Approches conceptuelle et comptable de la chaîne de valeur
Le concept de chaîne de valeur proposé par Porter (1985) a été mobilisé dans cette étude. Selon cet auteur, la chaîne de valeur est l’ensemble des processus qui permet à une firme de proposer des produits et/ou services différenciés à des clients. Une firme crée de la valeur en améliorant l’efficacité de ses activités à valeur ajoutée parce qu’elle concourt à la satisfaction du client. Cette approche conceptuelle met l’accent sur l’ajout de valeur dans des marchés concurrentiels comme élément central de la chaîne des activités menées entre la production et la consommation (FAO, 2017). La structure de gouvernance d’une chaîne de valeur est essentielle (FAO, 2015). Gereffi et al. (2005) ont développé le concept de filière globale en y incluant la notion de gouvernance de la chaîne de valeur, définie comme la façon dont les différentes entreprises de la chaîne sont coordonnées pour devenir plus compétitives et ajouter davantage de valeur. La gouvernance d’une filière porte sur des éléments clés tels que l’échange d’informations, la détermination des prix, les normes, les contrats incluant ou non des services, la puissance commerciale, les systèmes de marché de gros, etc. (FAO, 2015).
Une des limites de l’approche conceptuelle est le déficit d’outils de calcul d’indicateurs de performance des entreprises qui opèrent dans une chaîne de valeur. Ainsi, l’approche comptable a été combinée à l’approche conceptuelle pour évaluer les coûts des ressources engagées par les entreprises opérant dans chacune des chaînes de valeur de crevettes au Bénin et leur rentabilité au cours du cycle d’exploitation. Elle analyse le processus de création et de redistribution de la valeur ajoutée au sein de l’industrie crevettière au Bénin. Pour chaque chaîne de valeur, les coûts totaux, les valeurs ajoutées et les profits de chaque catégorie d’acteurs ont été calculés. Le profit et la valeur ajoutée consolidés ont été ensuite calculés.
Les coûts totaux (CT) sont définis par la somme des coûts variables (CV) et des coûts fixes (CF). Les coûts variables sont les coûts des intrants et de la main-d’œuvre occasionnelle utilisés. Les coûts fixes sont des coûts d’opportunité de la main-d’œuvre familiale et les amortissements.
(1)
La valeur ajoutée (VA) est la différence entre recette (R) et consommations intermédiaires (CI) pour un acteur donné :
(2)
Dans notre étude, les consommations intermédiaires sont égales aux coûts variables.
Le profit est la différence entre recette (R) et coûts totaux (CT) pour un acteur donné :
(3)
2.2 Zone d’étude
L’étude a été menée au sud du Bénin, qui est la zone concentrant le plus grand nombre de plans et cours d’eau et où la pêche crevettière est la plus active. Six villages répartis dans six communes ont été retenus (Fig. 1) : Sô-Tchahoué (Sô-Ava), Djassin (Porto-Novo), Ounkihoué (Grand-Popo), Dogodo (Aguégués), Agonli-Lowé (Adjohoun) et Tchonvi (Semè-Kpodji). La présence dans l’échantillon des villages de Sô-Tchahoué, Dogodo et Tchonvi est due au fait que plusieurs espèces d’eaux douces migrent pendant la saison des pluies vers les lacs et les lagunes pour se reproduire (Koussovi et al., 2019). Les commerçantes et les consommateurs ont été interrogés sur les marchés de Dantokpa (Cotonou), d’Azonwlissè (Adjohoun), de Djassin (Porto Novo), Ounkihoué (Grand-Popo) et Ekpè-Houéssi (Semè-Kpodji).
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Fig. 1 Carte de la zone d’étude. Map of the study area. |
2.3 Échantillonnage et collecte de données
Dans chaque village sélectionné, un échantillon aléatoire de 34 personnes de la filière crevettière a été constitué, soit au total 204 acteurs (Tab. 1). Toute personne à la fois transformatrice et commerçante est comptabilisée deux fois, avec des activités et professions différentes. La collecte des données a été faite au moyen d’enquêtes (entretiens individuels et focus groups). Les données, qualitatives et quantitatives, ont été collectées de juin à octobre 2018 à l’aide d’un questionnaire et d’un guide d’entretien. Pour les pêcheurs, les données collectées portent sur les intrants et les produits des activités de pêche, la main-d’œuvre, les prix et les relations avec les autres acteurs. Pour les mareyeuses, transformatrices et commerçantes, les données collectées concernent les intrants et les produits, les prix, les matériels et équipements, les types et caractéristiques des produits finaux, les frais de transport et de location des matériels. Pour les consommateurs, il s’agit des critères de choix et de préférence, de la fréquence d’achat et des modes de consommation des crevettes.
3 Résultats
3.1 Cartographie et description des chaînes de valeur de la filière crevettière au Bénin
Trois chaînes de valeur (CVA) de crevettes d’eaux douces ont été identifiées au sud du Bénin : crevettes fraîches, crevettes fumées et crevettes frites (Fig. 2), avec une spécialisation des femmes dans les segments mareyage, transformation et commercialisation et une spécialisation des hommes dans le segment correspondant à la pêche sensu stricto.
La CVA de crevettes fraîches regroupe des acteurs directs tels que les pêcheurs, les mareyeuses, les restaurateurs, les exportateurs, les consommateurs locaux et étrangers. Les métiers indirects correspondent aux transporteurs, manutentionnaires, meuniers et aux employés des structures d’appui technique, des projets de développement et des systèmes financiers décentralisés. La relation entre systèmes financiers décentralisés et acteurs directs concerne uniquement l’épargne. Les exportateurs financent les pêcheurs avec lesquels ils ont mis en place des contrats informels.
Dans la CVA de crevettes fumées, les acteurs directs sont les pêcheurs, les mareyeuses, les transformatrices, les grossistes, les semi-grossistes, les détaillants, les restaurateurs et les exportateurs. Ils sont supportés par les systèmes financiers décentralisés, les structures d’appui technique, les meuniers, les transporteurs et les manutentionnaires. Les systèmes financiers décentralisés accordent des crédits aux transformatrices et aux commerçantes. Le système de crédit informel contribue à instaurer des liens étroits entre les acteurs, dans la mesure où ces liens sont basés sur la confiance et la proximité, du fait de l’appartenance au même groupe socio-culturel. Les transformatrices et les commerçantes préfinancent les pêcheurs afin de garantir leur approvisionnement en matière première et de pérenniser les liens d’affaire.
La CVA de crevettes frites regroupe les pêcheurs, les mareyeuses, les transformatrices, les détaillants et les consommateurs locaux. Les projets étatiques et les meuniers interviennent uniquement au niveau des pêcheurs. Les contrats d’approvisionnement existent entre les pêcheurs et les transformatrices, mais sans préfinancement aux pêcheurs. Les engagements sont informels et basés sur la promesse mutuelle d’achat et de vente.
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Fig. 2 Cartographie des chaînes de valeur de crevettes d’eaux douces au Bénin. Map of freshwater shrimp value chains in Benin. |
3.2 Analyse de la performance économique des chaînes de valeur de la filière crevettière au Bénin
Le coût total de production pour l’ensemble des acteurs est plus élevé dans la CVA de crevettes fraîches : 4319 FCFA/kg, soit 6,58 €/kg (1 € = 655,78 FCFA) contre 2935 FCFA/kg pour la CVA de crevettes fumées et 3444 FCFA/kg pour la CVA de crevettes frites (Tab. 2). La CVA de crevettes fumées est plus performante que les deux autres. Les pêcheurs ont un coût total de pêche plus faible comparé aux autres acteurs.
La valeur ajoutée totale et le profit les plus faibles sont enregistrés respectivement dans la CVA de crevettes fraîches (4193 FCFA/kg) et dans celle de crevettes frites (1915 FCFA/kg), alors que la CVA de crevettes fumées présente à la fois la valeur ajoutée et le profit les plus élevés (4563 FCFA/kg et 2976 FCFA/kg respectivement). Ainsi, les niveaux de performance économique des trois chaînes de valeur diffèrent, compte tenu des investissements et des dépenses en intrants. Les valeurs positives des valeurs ajoutées et des profits traduisent le fait que les activités des acteurs sont rentables, car les recettes couvrent les consommations intermédiaires et les coûts totaux de production. Ainsi, les activités menées par les acteurs des trois chaînes de valeur sont toutes créatrices de richesses et sont bénéfiques compte tenu des investissements qu’ils ont dû immobiliser. Ces acteurs allouent efficacement leurs ressources.
Toutefois, ces valeurs ajoutées et profits sont inégalement répartis entre les catégories d’acteurs dans chacune des chaînes de valeur et traduisent des différences de performance sociale (Tab. 3). Les valeurs ajoutées créées sont de 950 FCFA/kg pour les pêcheurs et 1392 FCFA/kg pour les mareyeuses quelle que soit la chaîne de valeur considérée. Dans la CVA de crevettes fraîches, les commerçantes sont en position dominante et captent 44 % de la valeur ajoutée totale, les mareyeuses 33 % et les pêcheurs 23 %. Le positionnement stratégique dans la commercialisation des crevettes fraîches est donc le plus rentable. Dans la CVA de crevettes fumées, les mareyeuses captent 30 %, les commerçantes 27 %, les transformatrices 22 % et les pêcheurs 21 % de la valeur ajoutée totale créée. Dans la CVA de crevettes frites, les mareyeuses captent 33 %, les transformatrices 26 %, les pêcheurs 22 % et les commerçantes 19 % de la valeur ajoutée totale créée. Les mareyeuses sont donc en position dominante dans les CVA de crevettes fumées et crevettes frites alors que, globalement, les pêcheurs sont les acteurs dominés, excepté dans la CVA de crevettes frites.
Les montants des investissements réalisés dans les différents segments des chaînes de valeur expliquent les différences de profit et de performance économique des acteurs et des chaînes de valeur. Dans la CVA de crevettes fraîches, les commerçantes réalisent 44 % du profit total, les pêcheurs 37 % et les mareyeuses 19 %. Dans la CVA de crevettes fumées, les commerçantes réalisent 31 % du profit total, suivies des transformatrices (30 %), des pêcheurs (25 %) et des mareyeuses (14 %). Enfin, dans la CVA de crevettes frites, les pêcheurs réalisent 39 % du profit total, suivis des transformatrices (24 %), des mareyeuses (21 %) et des commerçantes (16 %). Dans l’ensemble des trois chaînes de valeur, la baisse relative des parts de profit des mareyeuses et des commerçantes tient aux coûts des facteurs fixes mobilisés.
Coûts de production des acteurs au sein des chaînes de valeur de crevettes (FCFA/kg).
Production costs of the stakeholders within shrimp value chains (FCFA/kg).
Récapitulatif des indicateurs de performance des acteurs des chaînes de valeur de crevettes (FCFA/kg).
Summary of performance indicators of the stakeholders in shrimp value chains (FCFA/kg).
3.3 Gouvernance des chaînes de valeur de crevettes au Bénin
La CVA de crevettes fraîches destinées aux marchés locaux et régionaux est plus courte comparativement aux deux autres. Les gouverneurs-clés de cette chaîne sont les commerçantes, car elles dépensent 2583 FCFA/kg et obtiennent la plus grande valeur ajoutée (Tab. 3). Quant aux CVA de crevettes fumées et frites, les mareyeuses en constituent les gouverneurs-clés car elles obtiennent la plus forte valeur ajoutée, 1392 FCFA/kg, et y investissent 1436 FCFA/kg. Les mareyeuses arrivent à dominer les autres acteurs dans la fixation des prix qui se fait par négociation. L’émergence de ces deux CVA dépendrait ainsi en majeure partie des mareyeuses.
4 Discussion et conclusion
Trois chaînes de valeur de crevettes sont identifiées dans la filière crevettière au Bénin dans le cadre de notre étude, ce qui rejoint les résultats de Houngbo et al. (2015). Toutes les trois sont performantes car elles génèrent des profits et valeurs ajoutées positifs pour tous les segments des filières et sont ainsi sources de revenus. Par là même, elles contribuent à la réduction de la pauvreté en milieu rural au Bénin (Sachi et al., 2016). La CVA de crevettes fumées est la plus rentable en termes de valeur ajoutée et de profit. Sur la base d’une production annuelle de 2000 tonnes de crevettes fumées, elle génère une richesse globale annuelle de 9,1 milliards FCFA (13,9 millions €). Elle cible le marché national, mais s’est aussi partiellement adaptée en ciblant des marchés régionaux comme celui du Togo et du Nigéria. Alors que la CVA de crevettes frites vise uniquement le marché local, la CVA de crevettes fraîches cible principalement le marché de l’Union européenne et génère une richesse globale annuelle de 2,9 milliards FCFA (4,5 millions €) pour une production annuelle de 700 tonnes, soit plus de trois fois moins que la valeur ajoutée globale créée par la CVA de crevettes fumées. Ainsi, la CVA de crevettes fumées représente un poids économique relativement dominant dans la filière crevettière au Bénin. La moins rentable financièrement est la CVA de crevettes fraîches, car celles-ci ne subissent aucune transformation avant leur mise en marché. Sachi et al. (2016) ont trouvé des valeurs ajoutées légèrement supérieures à celles calculées dans notre étude : 1262 FCFA/kg pour la pêche, 1070 FCFA/kg pour la transformation et 1104 FCFA/kg pour la commercialisation dans la CVA de crevettes fumées des eaux saumâtres. Cette différence s’expliquerait par les coûts des intrants au niveau de chaque maillon. Les profits obtenus dans cette étude sont inférieurs à ceux rapportés par Aquilas et al. (2013), qui les avaient estimés à 2273 FCFA/kg et 3557 FCFA/kg respectivement pour les CVA de crevettes fraîches et crevettes fumées.
Le coût total de production des crevettes fraîches est plus élevé que celui des crevettes fumées et des crevettes frites en raison des coûts des intrants utilisés et de l’amortissement des matériels et équipements mis en œuvre. Les crevettes fraîches sont stockées et conservées dans des conditions spécifiques dont la rigueur est garante de la qualité du produit final. Le coût total de production de la CVA de crevettes fumées est plus faible comparativement à celui de la CVA de crevettes frites car la production des crevettes fumées n’exige que peu d’intrants pour des techniques de transformation spécifiques. La CVA la plus coûteuse est celle qui a le coût total de production le plus élevé (Sodjinou et al., 2011). La structure des coûts de production montre que le segment mareyage a un coût total de production plus élevé du fait des investissements exigés.
L’analyse de la gouvernance a montré que les commerçantes sont les gouverneurs-clés de la CVA de crevettes fraîches et que les mareyeuses sont les gouverneurs-clés des CVA de crevettes fumées et frites. Ces résultats suggèrent une redistribution inéquitable de la valeur ajoutée, captée majoritairement dans les segments mareyage, transformation et commercialisation au sein des trois chaînes de valeur. Les commerçantes obtiennent la plus grande partie des gains générés dans la CVA de crevettes fraîches du fait qu’elles achètent les crevettes fraîches au volume chez les pêcheurs et les revendent au kilogramme. Les mareyeuses quant à elles sont gagnantes dans les CVA de crevettes fumées et crevettes frites. Cette situation constitue un facteur menaçant la durabilité des chaînes de valeur, car ces deux catégories d’acteurs (commerçantes et mareyeuses) captent plus de valeur ajoutée que tous les autres acteurs. Le fait que les relations d’affaires existant entre les acteurs soient informelles, basées sur la confiance et les liens socio-culturels et de parenté, contribue à faire évoluer ces acteurs dans un environnement instable, qui se traduit par des difficultés à programmer la commercialisation à chaque segment de la chaîne de valeur (Amian et al., 2018). Les stratégies d’amélioration de la performance des chaînes de valeur devraient alors être articulées autour des gouverneurs-clés (Sodjinou et al., 2011). Parmi les défis à relever à l’avenir figure le respect des normes requises pour la conservation et le stockage des crevettes fraîches afin de satisfaire le marché international. La forte demande actuelle en crevettes et autres produits dérivés est une opportunité de marché que pourraient saisir les acteurs afin d’améliorer la performance économique des chaînes de valeur. Les acteurs des trois chaînes de valeur de crevettes ont bénéficié de l’appui technique et financier de structures et d’institutions pour faire face aux contraintes telles que l’instabilité des prix, l’absence de marché structuré, etc. La performance globale des chaînes de valeur dépend en partie de la capacité des acteurs à respecter les règles, les normes et les exigences des consommateurs, et à assurer une redistribution équitable de la richesse créée pour une meilleure durabilité. Les alliances stratégiques et partenariales nouées dans chaque chaîne de valeur sont liées à la qualité de la coopération inter-individus et aux besoins des marchés. Enfin, la demande des marchés existe pour les chaînes de valeur des crevettes d’eaux douces et la maîtrise des paramètres de reproduction des espèces permettrait de sécuriser la production et aiderait ainsi à renforcer leur performance et leur durabilité au Bénin.
Remerciements
Les auteurs remercient le Fonds national de la recherche scientifique et de l’innovation technologique (FNRSIT), qui a financé cette étude, et les évaluateurs anonymes pour leurs commentaires et recommandations.
Références
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Citation de l’article : Ollabodé N, Kpadé CP, Montchowui É, Jabi JA. 2021. Performance économique des chaînes de valeur des crevettes d’eaux douces au Bénin. Cah. Agric. 30: 19.
Liste des tableaux
Coûts de production des acteurs au sein des chaînes de valeur de crevettes (FCFA/kg).
Production costs of the stakeholders within shrimp value chains (FCFA/kg).
Récapitulatif des indicateurs de performance des acteurs des chaînes de valeur de crevettes (FCFA/kg).
Summary of performance indicators of the stakeholders in shrimp value chains (FCFA/kg).
Liste des figures
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Fig. 1 Carte de la zone d’étude. Map of the study area. |
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Fig. 2 Cartographie des chaînes de valeur de crevettes d’eaux douces au Bénin. Map of freshwater shrimp value chains in Benin. |
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