Numéro |
Cah. Agric.
Volume 30, 2021
Agriculture et services écosystémiques dans les pays du Sud. Coordonnateurs : Georges Serpantié, Philippe Méral, Fano Andriamahefazafy, Jean-Christophe Castella, Malyne Neang
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Numéro d'article | 18 | |
Nombre de pages | 12 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2021004 | |
Publié en ligne | 16 mars 2021 |
Article de recherche / Research Article
Une approche cognitive co-constructiviste pour définir un service environnemental « bassin versant ». Cas de Tolongoina, Madagascar
A co-constructivist knowledge approach to define a watershed environmental service. Case of Tolongoina, Madagascar
1
UMR SENS (IRD, CIRAD, UM3, Univ. Montpellier), IRD,
BP 182,
Ouagadougou 01, Burkina Faso
2
GRET, Lot II A 119 S Soavimbahoaka,
101
Antananarivo, Madagascar
3
IRD, UMR G-eau (IRD, CIRAD, INRAE),
361 rue Jean-François Breton, BP 5095,
34000
Montpellier, France
4
CIRAD, UMR Innovation,
34398
Montpellier, France
5
INNOVATION, Univ Montpellier, CIRAD, INRAE, Institut Agro,
Montpellier, France
6
C3ED-M, Mention Économie, Université Antananarivo,
BP 905,
Antananarivo, Madagascar
* Auteur de correspondance : georges.serpantie@ird.fr
Lors du montage d’un dispositif de paiement pour service environnemental lié à l’eau (PSE-bassin versant), l’identification précise des services environnementaux en jeu est une étape à forte dimension cognitive, mais souvent laissée implicite. À l’occasion d’un projet d’hydro-électricité à Madagascar dans un contexte conflictuel de déforestation, une recherche-action en partenariat a créé les conditions d’un rapprochement cognitif et d’une explicitation du service environnemental, grâce à des études écohydrologiques participatives, la mobilisation de savoirs locaux et des ateliers-débats multi-acteurs. Suivi d’autres études et négociations, cet apprentissage collectif a facilité l’aboutissement du premier contrat PSE-bassin versant-hydro-électricité dans ce pays, et permis d’y inclure des agriculteurs.
Abstract
When setting-up a Payment for Water-related Environmental Service (PWES) scheme, the definition of the expected environmental services is an important step based on knowledge but is often left implicit. For the purpose of a hydropower project located in Madagascar in a conflictual context of deforestation, a research-action in partnership created the conditions for a cognitive rapprochement and a more explicit definition of environmental services, thanks to participative eco-hydrological studies, local knowledge mobilization, and multi-actor workshops. Followed by others studies and debates, this collective learning made it possible to include farmers in the scheme and facilitated the outcome of the first hydropower PWES in Madagascar.
Mots clés : culture sur brûlis / PSE / bassin versant / déforestation / dialogue science-société
Key words: slash and burn / PWES / watershed / deforestation / science-society dialogues
© G. Serpantié et al., Hosted by EDP Sciences 2021
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Un service environnemental (SE) a été défini comme une externalité positive induite par une activité touchant l’environnement, ou encore une contribution intentionnelle à la gestion d’un espace donné avec un but environnemental et collectif (Aznard et Perrier-Cornet, 2003). L’effort du fournisseur régule une ressource critique pour l’activité du bénéficiaire. L’activité source de service environnemental peut être agricole, si elle agit sur certaines variables environnementales critiques (FAO, 2007). Elle peut aussi consister à protéger un espace naturel rendant des services écosystémiques (Séco), vus comme les contributions directes ou indirectes d’un écosystème au bien-être humain (TEEB, 2010).
1.1 Les dimensions d’un service environnemental
La reconnaissance d’un bénéfice implique celle du coût de l’effort fourni. Cette « internalisation de l’externalité » est à la base du mécanisme de Paiement pour service environnemental (PSE), consistant, en théorie, en une transaction volontaire portant sur un service environnemental (Wunder, 2005). C’est la dimension économique.
Le service environnemental est délivré par l’entremise de pratiques appliquées à un écosystème et ses ressources. Un service environnemental en jeu dans un PSE devrait être « bien défini » et additionnel par rapport à un état de référence (ibid.), ce qui mobilise des savoirs, d’une part, sur la dynamique de l’écosystème et de ses ressources, et, d’autre part, sur les différentes pratiques et leurs effets. Chaque acteur du PSE devrait disposer du même niveau d’information (Ferraro, 2008). C’est la dimension cognitive.
La mise en action des notions de service environnemental et de PSE dans le développement durable engendre aussi de nouveaux enjeux, acteurs et relations, institutions et territoires qui interagissent avec les anciens. Les PSE, en pratique, représentent alors des mécanismes contractuels de transfert de ressources entre acteurs sociaux liés par l’environnement, qui peuvent être indirects et plus ou moins volontaires (Muradian et al., 2010). C’est la dimension institutionnelle.
Cet article traite de la dimension cognitive, en prenant le cas des PSE liés à l’eau.
1.2 Les dispositifs de paiements pour service environnemental liés à l’eau
Un PSE lié à l’eau, ou PSE-bassin, versant porte sur un bassin versant exploité par des usagers et dont l’écoulement à l’aval est exploité par d’autres usagers. Les PSE carbone et biodiversité ont recours aux sciences pour identifier les dynamiques de référence, les fonctions écologiques en jeu et les impacts (Bidaud et al., 2011). Mais les PSE-bassin versant font exception. Après des pionniers comme le projet Vittel ayant impliqué la recherche (Chia et Barbier, 1999), la plupart ne font pas appel à l’expertise hydrologique (Aylward, 2005 ; Miranda et al., 2007). Dans la synthèse de Feng et al. (2018), les services environnementaux liés aux bassins versants évoqués restent vagues (conservation de l’eau, protection de bassins versants). Le terme hydrology est même absent. Les PSE-bassin versant s’appuient sur l’idée générale que les forêts délivrent des services écosystémiques de régulation de l’eau, transformant leurs gestionnaires en fournisseurs de services environnementaux aux usagers de l’eau. Mais on finit ainsi par idéaliser la forêt en une narration postulant qu’« une forêt ne ruisselle pas, délivre de l’eau pure, protège des inondations, conserve les sources, assainit les sols et fait pleuvoir », indépendamment du contexte. On n’implique ainsi que les gestionnaires forestiers, excluant d’autres usagers du bassin versant. Il est donc primordial de démontrer la relation entre l’écosystème du bassin et l’eau dans le contexte (Lescuyer, 2010).
1.3 Les PSE-bassin versant à Madagascar, leur faible réussite et le risque social
La politique malagasy de gestion forestière communautaire initiée en 1996 a été accompagnée dès 2000 d’une sensibilisation des communautés à l’idée ala loharano « forêt = source d’eau » (Toillier et al., 2008). Les organisations non gouvernementales (ONG) ont ensuite expérimenté l’usage de la notion de service écosystémique et l’approche PSE dans le domaine du carbone et de la biodiversité (Andriamahefazafy et al., 2012). Deux PSE-bassin versant « eau potable » de dimension locale ont été mis en chantier en 2008 par l’ONG Association des populations des montagnes du monde (APMM) sans recours à l’expertise hydrologique, et sans pouvoir atteindre l’étape de contractualisation (Bidaud et al., 2013).
Or, se contenter du postulat « forêt = source d’eau » ne facilite pas l’émergence d’un contrat entre usagers des bassins versants et usagers des eaux. Quand l’État est pauvre, les usagers les plus aptes à financer un service environnemental sont des exploitants industriels de l’eau, relevant d’une culture entrepreneuriale. Leur intérêt dépend des écosystèmes comparés à la forêt et des variables hydrologiques critiques pour leur activité. Un tel postulat général ne les motive pas à s’engager et ils peuvent ainsi échapper à leurs responsabilités d’usagers de ressources naturelles (Bidaud et al., 2011). Ce postulat tend aussi indirectement à stigmatiser les agriculteurs à l’amont, au risque de conflits avec les communautés à l’aval en cas de dégâts cycloniques. On peut passer ainsi à côté des enjeux de régulation hydrique, de financement de la durabilité et d’inclusion sociale, sans être certain d’atteindre les objectifs forestiers.
1.4 Une approche participative, co-constructiviste et interdisciplinaire
En admettant qu’une représentation commune devrait précéder l’action, une mobilisation de tous les savoirs sur la relation pratiques-écosystème-eau et une participation des acteurs concernés à la réflexion en vue de l’identification du service environnemental, favoriseraient l’adaptation au contexte, l’implication d’un maximum de parties prenantes et le maintien d’une symétrie cognitive.
Dans le projet Vittel, un tel apprentissage collectif a permis de réduire les incertitudes (Chia et Barbier, 1999). Des savoirs de différentes natures (théoriques/pratiques, universels/locaux) peuvent dialoguer dans un « forum hydride » vers des savoirs « co-construits » (Callon et al., 2001). Cette idée de co-construction a été depuis définie comme un processus volontaire et formalisé par lequel différents acteurs, avec un animateur légitime, parviennent après travaux en commun puis délibérations, à s’accorder sur une définition ou une façon de faire (Foudriat, 2016). La légitimité des décisions dépend de la participation effective de chaque acteur aux travaux et de la qualité des délibérations (Lavigne Delville et Riegel, 2020).
En matière de travaux en commun, les recherches-actions en partenariat (RAP) permettent d’engager scientifiques et acteurs locaux (Dulcire et al., 2018). Les sciences concernées par un service environnemental bassin versant sont surtout l’écohydrologie (Kundzewicz, 2002), la géographie de l’eau et l’économie institutionnelle. La définition d’un service environnemental bassin versant nécessite aussi de s’entendre sur un schéma d’aménagement et des pratiques susceptibles de garantir le service environnemental et faisables, impliquant agronomie et foresterie. Les usagers du bassin versant et ceux de l’eau peuvent questionner ou consolider cette expertise interdisciplinaire se voulant systémique avec l’ensemble des connaissances, valeurs, savoir-faire et institutions qu’une communauté déploie dans ses rapports avec son milieu, de façon holistique (Marie et al., 2009).
La mise en commun de ces savoirs et la recherche d’un accord de connaissance nécessitent ensuite leur exposition dans des forums hybrides, où les débats supposent une intercompréhension et une ouverture d’esprit (Lavigne Delville et Riegel, 2020). Pour cela, on peut adapter les classifications scientifiques aux classifications locales (Bromberger, 1986) et faciliter les échanges par la traduction et les débats par la modération.
Cet article vise à présenter, sur un cas d’étude, les différentes étapes d’une co-construction de savoirs communs en vue d’une co-définition du service environnemental bassin versant. Nous verrons comment elle a facilité l’émergence d’un contrat PSE-bassin versant pionnier, et discuterons des limites pour sa généralisation.
2 Contexte et méthodes
2.1 Le projet d’hydro-électrification rurale de Tolongoina
Le projet d’hydro-électrification rurale de Tolongoina a pour cadre une commune située à l’est de Madagascar en pays Tanala au niveau de la Falaise orientale, dans une zone de déforestation active (Fig. 1a). Après un échec en « thermique », la commune a résolu de s’équiper d’une microcentrale hydro-électrique encouragée par un projet américain (ERI) de type « conservation et développement intégré ». À titre conservatoire, elle a interdit en 2007 les feux agricoles sur le bassin versant du projet. Cette mesure sans accompagnement social a été la source d’un conflit avec les résidents du bassin versant. Lorsque le GRET, une ONG française, a repris le projet avec l’Union européenne, le montage d’un PSE-bassin versant pilote est apparu comme une option possible, à la fois pour apaiser les tensions et pour garantir une pérennité de la ressource (Toillier, 2009).
La figure 1b résume le contexte physique du bassin versant d’Andasy. Avec une topographie très accidentée (pentes de 20 à 40 %), sous un climat quasi équatorial (pluie annuelle de 3000 mm), des sols ferralitiques rajeunis aux capacités d’infiltration variées (Rakotonirina, 2006), le paysage se partage entre forêt dense à l’amont (5 km2) et mosaïque agriforestière à l’aval (1 km2), combinant cultures annuelles, plantations pérennes, jachères et bosquets. Une trentaine de familles, d’origine surtout Betsileo, descendantes de bûcherons (années 1950) l’occupent, et se répartissent entre planteurs (banane, café) et porteurs (Fig. 1a). Toutes pratiquent des cultures vivrières, soit sur défriche-brûlis, soit sur sol travaillé. Elles ne disposent d’aucun droit foncier reconnu. Néanmoins, en qualité de descendants des défricheurs, leur présence est tolérée par le Mpanjaka de Sahamaloto, un village Tanala au finage duquel Andasy est rattaché.
Depuis 2002, plusieurs contrats pour la gestion concertée des forêts, mis en œuvre par les associations COBA (communautés de base) sur le finage de chaque village Tanala, concernent le bassin versant (Fig. 1a). À partir de 2007, les COBA ont été associées à la gestion d’une nouvelle aire protégée (COFAV) avec l’ONG CI (Fig. 1b), en échange de microprojets (programme Node, ONG Ny Tanintsika) en 2010, puis de salaires de patrouilleurs (programme CSP) au nom du carbone séquestré et de la biodiversité conservée, selon des mécanismes de type PSE. Quelques paysans d’Andasy en sont membres.
Soumise à la fois aux règles des COBA, du COFAV et de la commune, perçue comme illégitime et menaçant le projet, la petite communauté d’Andasy a perdu des activités forestières, des revenus, des possibilités, et est périodiquement menacée d’éviction.
Fig. 1 (a) Contexte du projet. (source : auteurs, BD500 FTM, SIG eaux et forêts) ; (b) sous-bassins d’Andasy (source : auteurs, cartes FTM) ; (c) situation à Madagascar (source : auteurs). (a) Project context; (b) sub-basins of Andasy; (c) study area in Madagascar. |
2.2 Le dispositif de recherche-action en partenariat
Une phase d’études a été prévue par le GRET avant d’engager des négociations entre des parties prenantes en voie de structuration (Toillier, 2009). Une recherche-action en partenariat a été conçue par le GRET (programme Rhyvière 1) et l’IRD/C3EDM (programme ANR Serena), puis menée entre 2009 et 2012 (Moyen, 2010 ; Rakotonirina, 2011 ; Roche, 2011 ; Serpantié et al., 2012).
Cette recherche-action en partenariat visait une représentation partagée sur le fonctionnement écohydrologique et à identifier une gamme de pratiques compatibles avec la durabilité du projet, en préalable à la construction d’un schéma d’aménagement susceptible de délivrer des services environnementaux « bien définis » aux usagers de l’eau.
2.2.1 Consentement progressif à une étude participative
Lors des premières réunions du « comité de projet » organisées à Tolongoina en juillet 2009, des usagers du sol ont dénoncé les contraintes de la règle anti-feu de 2007. Non-bénéficiaires directs du projet, ils ne souhaitaient pas faciliter sa mise en œuvre. Mais cinq ménages ont accepté de participer aux réunions ultérieures de présentation du mécanisme PSE et ont collaboré à un état des lieux des modes d’utilisation du sol.
La première rencontre et visite multi-acteurs du bassin versant (septembre 2009) visait à soumettre l’idée d’impliquer des chercheurs, des étudiants et la population du bassin versant dans l’étude. Un programme d’enquêtes, de suivis hydrologiques locaux, et d’échanges a été proposé, sans trouver d’opposition. Mal perçus au début, les enquêteurs ont finalement pu mener leurs travaux, marquant une acceptation progressive du processus.
2.2.2 Cartographie des acteurs de la recherche-action en partenariat
Le dispositif articulait quatre familles d’acteurs selon leur positionnement :
-
des scientifiques et étudiants associés aux ingénieurs, les premiers dédiés à l’accompagnement cognitif, les seconds à l’animation et aux études techniques ;
-
la communauté agriforestière d’Andasy, dont une partie était contre le projet. Elle cherchait à renforcer sa position précaire, à s’adapter aux règles de 2007 au nom de l’eau, voire à les dénoncer. Beaucoup de paysans avaient un niveau d’étude primaire ;
-
des représentants de la commune de Tolongoina, des notables des villages Tanala bénéficiaires du projet d’électrification, des agents forestiers en retraite, des associations agricoles et des employés de l’entreprise SM3E (Société pour la maîtrise de l’eau, de l’énergie et de l’environnement), représentant les usagers d’eau et autorités, espérant un projet d’électrification financé et durable. La plupart jugeaient que la communauté d’Andasy menaçait l’aboutissement du projet ;
-
trois COBA co-gestionnaires du COFAV, dont les sièges sont dans les villages Tanala.
2.3 Axes de la recherche-action en partenariat et méthodes
La recherche-action en partenariat a développé trois axes de recherche associant chacun plusieurs types d’acteurs, plus un axe transversal de débats impliquant tous les acteurs.
2.3.1 Axe 1 : identifier les fonctions hydrologiques critiques pour la durabilité du projet et poser des hypothèses sur leur tendance (ingénieurs, exploitant SM3E, chercheurs)
Les chercheurs ont recueilli auprès des ingénieurs industriels (GRET et SM3E) les besoins en eau (qualité, quantité) puis ont réuni des références bibliographiques sur l’effet relatif des paysages actuels ou futurs du bassin versant.
L’effet hydrologique des usages du sol est difficile à cerner (Bruijnzeel, 2004). La méthode diachronique des bassins versants expérimentaux, très rigoureuse, compare les écoulements avant et après un changement d’occupation, par rapport à un bassin versant témoin inchangé. La méthode synchronique compare plusieurs bassins versants voisins, à pluies, sols et relief identiques. On a recherché ce type de résultat obtenu dans des conditions aussi proches que possible de celles d’Andasy.
2.3.2 Axe 2 : étude hydrologique participative pour valider ces hypothèses dans le contexte (chercheurs, ingénieurs, usagers du sol et COBA)
Deux jeunes chefs de famille (dont un membre de COBA) ont été recrutés parmi les exploitants du bassin versant (Fig. 2a) pour participer, contre rémunération, aux installations et aux mesures manuelles. Ils ont joué des rôles multiples : fournisseurs de données, traduction et médiation.
Un pluviographe a été installé. La station climatologique de Ranomafana a fourni l’évapotranspiration potentielle (ETP). Plusieurs sous-bassins versants à pentes et sols comparables ont été délimités d’après un modèle numérique de terrain. On a équipé d’échelles de crue un sous-bassin versant forestier de 5 km2 (SBV-F1), et un sous-bassin versant de mosaïque agriforestière de 1 km2 (SBV-M) (Fig. 1b). Des mesures manuelles de hauteur d’eau matinale ont été effectuées par périodes de 2010 à 2012. Plusieurs suivis de crues (hauteur, prélèvements pour analyse de charge en suspension, recueil de charges de fond) ont eu lieu (pas de temps : 15 mn à 1 h sur 2 jours). Des jaugeages (par dilution et flotteur) ont permis d’établir les relations hauteur-débit. Le débit de base à l’étiage mesuré par exutoire canalisé et seau a été comparé entre SBV-M (1 km2) et SBV-F2 (1 km2) (Fig. 1b).
Les données ont permis de caler le modèle hydrologique GR4j (Perrin et al., 2003) pour simuler des scénarios.
Fig. 2 (a) Observateurs locaux ; (b) un atelier in situ (01-06-2011) ; (c) un poster bilingue ; (d) le jeu de territoire (adapté de Roche, 2011) (clichés G. Serpantié). (a) Local observers; (b) an in situ workshop (01-06-2011); (c) a bilingual poster; (d) territory game. |
2.3.3 Axe 3 : recueil de valeurs, représentations et savoir-faire locaux (chercheurs, usagers du sol)
Une bibliographie a rassemblé les données ethno-scientifiques sur sols et eaux dans la zone.
Des entretiens semi-directifs sur la relation usages du sol/eau et sur certaines valeurs et perceptions ont été menés fin 2009 auprès des 30 chefs de ménages résidents, dont des jeunes et des femmes. Une seconde enquête (questions fermées) a été dédiée aux exploitations agricoles des mêmes ménages, pour construire une typologie.
En 2010 et 2011, des entretiens libres auprès d’acteurs et d’anciens résidents ont abordé les terminologies, les savoir-faire et les difficultés d’application des règles.
Mi-2011, la moitié des ménages (17) ont été interrogés sur les liens entre cultures et érosion, ce qui a permis de calculer un score de risque perçu d’érosion par culture. Un débat multi-acteurs autour d’alternatives a renseigné sur d’autres savoir-faire.
2.3.4 Axe transversal : ateliers-débats (tous acteurs)
Six ateliers cognitifs multi-acteurs ont eu lieu entre 2009 et 2012 (Tab. 1), en amont des ateliers plus politiques d’identification des services environnementaux, des fournisseurs/bénéficiaires et du schéma d’aménagement. Tous les types d’acteurs ont été représentés. Dans les ateliers in situ (bassin versant), les résidents n’étaient pas limités en nombre, tandis qu’à Tolongoina, seuls quelques représentants de chaque groupe d’acteurs étaient présents.
Les ingénieurs malagasy et les observateurs locaux ont joué les rôles d’animateurs, traducteurs et modérateurs, en s’appuyant sur des posters bilingues (Fig. 2b, c), des schémas hydrologiques simplifiés et accessibles, des cartes, des listes d’alternatives et des jeux de rôles.
Chaque présentation de poster était suivie d’une discussion où les participants questionnaient, complétaient ou corrigeaient selon leur expérience individuelle et collective. Les débats conclusifs visaient à établir une compréhension commune sous forme d’énoncés simples.
L’atelier d’aide à l’identification d’alternatives (19-08-2011) s’est inspiré de la méthode des « jeux de territoire » (Toillier et al., 2008) après une répartition des participants exploitants par type d’exploitation (Fig. 2d).
3 Résultats
3.1 Fonctions hydrologiques critiques requises et hypothèses pour le bassin versant d’Andasy
Les besoins du projet pour la durabilité sont à la fois qualitatifs et quantitatifs :
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pics de crue limités et stables dans le temps (risque de dépasser la crue de projet) ;
-
charge solide minimale (risque d’usure des turbines) ;
-
écoulement de base d’étiage minimal de 107 L/s, soit une lame de 1,5 mm/j sur le bassin (risque de baisse de production).
L’étude synchronique du Centre technique forestier tropical (CTFT) du plateau d’Andasibe (Bailly et al., 1973) est « la » référence pour l’évaluation économique des services écosystémiques des forêts primaires (Kramer et al., 1997 ; MEA, 2005). Le taux de ruissellement (écoulements de crue/pluie annuelle), de 2 % pour la forêt mature, passe à 6 % pour la forêt secondaire (savoka mody), soit le triple. Toutefois, cette référence est non seulement peu représentative de milieux escarpés, mais s’avère biaisée par une faille dans l’axe du bassin versant forestier (Fig. 3), qui augmente le drainage souterrain (+200 % selon le bilan d’eau effectué à partir des données publiées), créant des opportunités d’infiltration. Ce biais peut suffire à expliquer l’infime ruissellement relevé pour la forêt mature.
Une référence plus proche des conditions d’Andasy est l’expérience diachronique du projet ECEREX en Guyane française (Fritsch, 1995), basée sur 10 micro-bassins versants forestiers de 1,5 ha, aux pentes entre 20 et 40 % sur sols ferralitiques. Le taux de ruissellement variait entre 6 % et 35 % du cumul annuel des pluies, selon les sols et la présence d’une nappe affleurante.
Après conversion de la forêt, les plus fortes augmentations de ruissellement ont été constatées sur défriche mécanisée (+60 à 150 %) et sur prairies pâturées (+30 à 60 %) aux sols tassés. Les plus faibles étaient après défriche-brûlis manuelle (+25 %) et dans les recrûs forestiers (0 à +20 %). Sur cette base, la forêt d’Andasy aurait alors un ruissellement entre 6 et 35 % et la mosaïque l’augmenterait de moins d’un quart.
Un paysage de savane comme on en voit à Tolongoina (Fig. 1b), de même qu’un bassin de cultures annuelles, seraient les pires en termes de ruissellement (+60 %) et d’érosion (+600 %) (Brand et Rakotovao, 1997 à Beforona ; Zwartendijk et al., 2017). Le gingembre est la culture la plus érosive à Beforona.
Les crises cycloniques (février 2012 : 780 mm en 7 jours) engorgent tous les sols et déclenchent des effondrements. Mais le risque d’ensablement en aval de bassins versants forestiers est moindre (Brand, 1997).
Le régime d’étiage en saison sèche chaude (novembre) pourrait être plus abondant dans la mosaïque du fait de la plus forte évapotranspiration de la forêt (Robinson et al., 2003).
Fig. 3 Géologie des bassins de référence CTFT d’Andasibe – ex-Périnet (d’après carte géologique de Madagascar). Geology of the CTFT Andasibe reference watersheds. |
3.2 Contextualisation
À Andasy, des crues s’observent dans les deux paysages (Fig. 4a). Cela confirme l’hypothèse d’un ruissellement important sous forêt (fortes pentes avec ruissellements hypodermiques, sols peu perméables). Il est de l’ordre de 15 % de la pluie annuelle.
Mais la mosaïque montre des pics de crue plus prononcés (Fig. 4a) : l’écoulement en 24 h y est de 7 % plus fort que dans la forêt lors de pluies peu intenses (ici 57 mm/j), qui sont les plus fréquentes (les pluies de moins de 70 mm/j représentent 80 % du cumul annuel). L’augmentation du ruissellement est plus élevée (+23 %) lors de pluies intenses (ici 129 mm/j), qui sont les plus rares (Fig. 4a). Cela confirme l’hypothèse d’une faible augmentation de ruissellement dans la mosaïque (inférieure à +25 %).
Lors de la pluie de 129 mm/j, la charge en suspension est équivalente (Fig. 4b), mais la charge collectée au fond du torrent est faite de feuilles en forêt, et de sables dans la mosaïque (Fig. 4c). Les sables peuvent provenir des sols travaillés localement (manioc), superficiellement (haricot) ou plus profondément (gingembre).
En fin de saison pluvieuse (période fraîche), l’écoulement de base est plus élevé en forêt (Fig. 4d), du fait du moindre taux de ruissellement et de la contribution des brouillards interceptés par la canopée. Il est plus régulier du fait de la plus grande taille de SBV-F1 par rapport à SBV-M.
En revanche, en saison chaude sèche sans brouillards, l’étiage est deux fois plus faible en SBV-F2 qu’en SBV-M (Fig. 4e). Cette baisse de 0,5 mm/j est compatible avec une plus forte évapotranspiration de la forêt.
Les observations validées par bilan d’eau ont permis de caler les paramètres du modèle GR4j avec un niveau d’efficacité acceptable (critère de Nash > 60). Pour 2010–2011, le bassin versant actuel garantit 279 jours de débit supérieur au débit nécessaire, 277 s’il était entièrement forestier, et 275 s’il était entièrement agriforestier. Les résultats sont donc peu discriminants.
Les fonctions hydrologiques critiques de ces deux paysages sont proches. Elles diffèrent un peu sur la charge de fond et les pics de crue (au bénéfice de la forêt) et sur l’étiage (au bénéfice de la mosaïque).
Fig. 4 Résultats écohydrologiques locaux (source : auteurs). Local eco-hydrological results. |
3.3 Savoirs, savoir-faire et valeurs des usagers du sol et autres acteurs
3.3.1 Valeurs d’entraide
L’enquête de 2009 avait abordé les relations possibles entre résidents du bassin versant et la commune, en cas d’efforts demandés pour gérer l’eau : 7 % parlaient de takalo (échange) ; 31 % de fanampiana (aide pour l’adaptation) ; 38 % d’asa fanasoavana (service gratuit à la communauté) ; et 24 % de tombotsoan’ny tontolo ianana (actions pour un bien commun). Les réponses montraient une diversité d’attitudes et de valeurs. L’idée d’échange n’effleurait qu’une minorité et une majorité parlait de devoir d’entraide. Un tiers réclamait une aide.
3.3.2 Paysages et eau
En 2009, la question sur l’effet des paysages sur l’eau avait obtenu 60 % de sans avis ou répondant à côté, marquant une majorité de désintérêt ou d’ignorance du sujet ; 58 % des autres liaient un possible tarissement à une terre trop usée, 25 % à des feux trop répétés, et 17 %, une minorité, à l’absence de forêt.
En 2011, pour 100 % des personnes interrogées, des crues existaient dans les deux paysages, et 65 % les voyaient colorées par de la terre (Fig. 5). En matière de cultures, la banane peu dense, le manioc et le gingembre (pratiqué par une minorité) avaient les scores de ruissellement les plus élevés. L’érosion concernait surtout manioc et gingembre (Fig. 5).
Une riche terminologie locale a été collectée dans les deux dialectes. Chaque type de pente et de sol porte un nom. Tsangy (Betsileo) et Sagoaka (Tanala) désignent le ruissellement sortant d’une parcelle. Ranovohitra correspond au ruissellement venant de l’amont des parcelles pendant les plus fortes pluies. Riaka est la crue observée à un exutoire vava-saha (« bouche du vallon »). Kaoka ny tany exprime l’érosion hydrique. Tany vaky (Betsileo) et longeona (Tanala) sont les fissures et chenaux souterrains (ruissellement hypodermique) à l’origine de la couleur des crues forestières, et qui peuvent déclencher des effondrements tany toha. Cette terminologie et ces processus discutés lors des ateliers ont été utilisés par les animateurs et ont renforcé la compréhension collective de l’existence de crues forestières chargées en terre.
Fig. 5 Résultats d’enquêtes individuelles sur l’existence de crues et d’érosion (source : auteurs). Survey about individual skills. Runoff and erosion. |
3.3.3 Réduction de l’érosion
Les paysans disposent de savoir-faire anti-érosif dans ce milieu très agressif pour un sol travaillé (climat, pentes). Rakotoson et al. (2010) avaient observé des principes restrictifs dans les villages Tanala de Tolongoina : mettre en place des cultures temporaires ou arbustives selon les sols, éviter le travail du sol autant que possible, maintenir les forêts sommitales, laisser les chaumes en place après récolte. À Andasy (Betsileo) des pratiques de protection active existent aussi : paillis de résidus sur labours de gingembre, rigoles en amont. Pour le manioc, les paysans proposent d’utiliser la technique ratsofoka de plantation sans travail du sol, plutôt que la technique kibokaka avec travail du sol localisé. Pour la banane, ils prévoient de défricher et de pailler le sol. Ils proposent de développer les cultures pérennes (canne) et des vivriers sous couvert comme le taro. En complément, l’ONG Fafiala, sollicitée par le GRET, a introduit plusieurs espèces pour l’agroforesterie et d’autres méthodes anti-érosives : haies isohypses de canne et micro-terrasses.
3.3.4 Dynamiques écologiques et alternatives aux feux
Les Tanala confirment le rôle des feux répétés dans l’apparition des savanes roranga. Mais se passer du feu est très difficile à Andasy, tant pour la surcharge de travail que du fait des sols réputés manara (froid) ne convenant pas au haricot ou au riz sans feu. Les paysans comptent augmenter les autres cultures (pérennes, gingembre, pomme de terre, taro, arachide) dans le bassin versant, et réaliser haricot et riz hors bassin versant. Certains cultivent sans feu un haricot rampant ou grimpant (pois du Cap) sur terres appauvries, mais peu productif sans fertilisation. La présidente du groupement Koloharena a recommandé la technique « basket-compost » et une étudiante agronome a étudié la possibilité de maraîchage (Roche, 2011).
Le feu est connoté positivement en tant que facteur de fertilité : y renoncer est difficile, mais pas exclu. L’eau aussi est un sujet sérieux, à forte charge symbolique. À Madagascar, les eaux sont perçues comme sacrées et habitées, et objet de rituels (Decary, 1959). Sur le bassin versant, certaines espèces forestières sont protégées, comme les ficus réputés sources d’eau. Sur les hautes terres herbeuses, les Betsileo accordent aux forêts-reliques certaines vertus pour les sources. Elles sont protégées du feu par l’humidité, mais aussi par des interdits locaux. Les devins-guérisseurs y mènent des rituels de purification (Rafanomezantsoa, 2014). Cela montre que le feu et la coupe d’arbres peuvent être socialement régulés à cause de l’eau. Le slogan « forêt = source d’eau » s’appuie en partie sur ces représentations.
3.4 Accords de connaissance
3.4.1 Débats de connaissance
Deux ateliers in situ (les 08-05-2010 et 01-06-2011), impliquant tous les types d’acteurs, ont permis de généraliser l’apprentissage collectif avec le partage en malagasy des résultats hydrologiques et des savoirs locaux recueillis, en utilisant la terminologie locale (Fig. 2b et Fig. 2c). Les avis qualitatifs des riverains et les résultats hydrologiques étaient compatibles. La mosaïque différait peu des forêts. Bien que tranchant avec le postulat de la « forêt source d’eau », les présentations n’ont jamais déclenché de controverses. Les participants se sont accordés sur l’existence d’érosion dans certaines cultures et de crues forestières chargées. Mais, voyant les pics de crue plus élevés dans la mosaïque, les usagers du sol ont questionné la commune sur leurs responsabilités en cas de crues dévastatrices, en raison de déclarations entendues qu’ils seraient tenus pour responsables en cas de non-aboutissement du projet de barrage.
Le renforcement de capacités a surtout touché ceux qui étaient les plus proches d’une culture technique : autorités communales, usagers urbains de d’électricité et responsable de la centrale. Ils ont mieux perçu les enjeux et pu positiver l’influence des paysans tant qu’ils n’engendraient pas un paysage de savane. Cela n’invalidait pas la mesure anti-feu de 2007, mais précisait sa justification et la temporalité de l’objectif.
Une vision commune a donc pu émerger sous forme d’énoncés synthétiques :
-
la mosaïque agriforestière n’est pas néfaste pour le débit d’étiage ni pour la charge fine en suspension, tant qu’elle ne devient pas une savane (processus lent lié au feu) ;
-
les cultures annuelles avec travail du sol (manioc, gingembre) produisent de la charge grossière, mais il existe des savoir-faire anti-érosifs et des alternatives au feu ;
-
les pics de crue de la mosaïque sont supérieurs, mais dilués par la faible part de la mosaïque. Le risque principal est cyclonique. La responsabilité des usagers du sol est donc limitée.
3.4.2 Choix d’alternatives pour l’adaptation aux règles de 2007 et la réduction de l’érosion
Alors que le chantier venait de commencer, l’atelier de définition d’alternatives s’est appuyé sur une carte de la zone agricole du bassin versant, où chacun pouvait positionner ses parcelles (Fig. 2d). L’objet était de discuter des alternatives par groupe de type d’exploitant. Celles-ci pouvaient être librement proposées, d’autres étaient listées sur un tableau. Chaque groupe discutait alors des points de blocage qu’il rencontrait, de ses atouts (par exemple des terres hors bassin versant, du matériel végétal ou animal, un savoir-faire…) et des besoins d’appuis. Les échanges ont été longs et riches, mais, avec l’arrivée trop précoce des autorités, un autre enjeu s’est imposé. Des revendications pour des recrutements au nouveau chantier et des actions concrètes d’appui ont empêché de délibérer sur ces mêmes besoins d’appuis adaptés à chaque type d’exploitation. En attendant que le courant électrique arrive et puisse financer le PSE, quelques actions ont été menées fin 2011 selon les désirs finalement exprimés auprès du GRET (fourniture de semences et jeunes volailles) et en 2012 (appui à l’agroforesterie). Cette première concrétisation a facilité la poursuite du processus.
4 Discussion et conclusion
Ce dispositif de recherche-action en partenariat en amont du montage d’un PSE-bassin versant pionnier, articulant recherches participatives et dialogue science-société montre quelques limites qui n’enlèvent cependant rien à son utilité.
4.1 Limites
Outre une relative lenteur, un coût et des imperfections (sous-bassins versants de taille différente, précision moyenne des données manuelles), les périodes de mesures hydrologiques limitées ont longtemps maintenu des incertitudes, jusqu’à la mise en évidence de cohérence entre les hypothèses issues de la littérature, les données de terrain et les savoirs locaux. L’étude locale n’était certes pas une hydrologie de pointe, mais une « science de compromis », participative, répondant aux attentes tout en restant de coût raisonnable. La participation ne répondait pas qu’à l’enjeu cognitif de complémentarité entre science et empirisme local, mais aussi à celui de reconnaissance sociale et de légitimité portant sur les connaissances détenues (Barthélémy, 2005). Cette participation était suffisamment volontaire et active (conditions de la co-construction), mais néanmoins perturbée et incomplète. Les attentes fortes de mesures sociales immédiates rendaient les débats houleux. Effectivement, les appuis concrets n’ont commencé qu’en 2011, pour des mesures de sauvegarde environnementale datant de 2007. De plus, compte tenu des menaces antérieures d’éviction, et des craintes que les savoirs co-construits ne servent de preuves à charge en cas de dégâts aux installations, on peut douter de la parfaite sincérité des débats. Mais les ateliers ont aussi permis de rassurer progressivement la communauté. Les décideurs de l’entreprise, peu disponibles, ont délégué leurs agents locaux, mais ont finalement accepté d’être « bénéficiaires », donc redevables. La durée du processus, l’usage des terminologies locales, le nombre d’ateliers participatifs effectués in situ, la médiation par des observateurs locaux, des enquêtes auprès de chaque famille et de chaque type d’acteur ont été les atouts favorisant l’intercompréhension et la symétrie. Les savoirs et avis locaux ont été pris en compte et se sont avérés précieux.
4.2 Intérêts pour la pertinence, l’engagement et la légitimité
Cette démarche co-constructiviste innovait, à cette époque de sensibilisation à une forêt idéale, souvent décalée vis-à-vis du contexte local et socialement inéquitable. Nous avons montré en effet comment des résultats scientifiques discutables et non représentatifs, mais largement repris par l’expertise internationale, ont pu laisser penser qu’un bassin versant de forêt primaire ne ruisselle pas et que tout autre milieu est néfaste, stigmatisant le paysan perturbateur de ce milieu idéal, et dégradant ainsi les conditions d’un dialogue. Un projet pilote appelé à essaimer se devait de critiquer ces présupposés. Le processus a abouti à une représentation commune différente, à la source d’une formulation de « services environnementaux objectivés et contextualisés ». La relativisation du caractère néfaste des pratiques agriforestières, le gain de reconnaissance obtenu, et la considération dont les autorités communales ont fait preuve lors des ateliers in situ ont compté dans l’apaisement du conflit. Un changement d’attitude des autorités, y compris forestières, était palpable, acceptant mieux le principe d’un PSE incluant les agriculteurs. Les COBA, déjà favorisées, ont même proposé de réserver d’éventuels appuis à ces derniers. Les résidents ont aussi mieux compris les raisons de limiter le feu, en prévention de la savanisation. Cet effort cognitif collectif a posé ce PSE pilote sur des bases plus justes dans la répartition des responsabilités, et plus légitimes que si les services environnementaux avaient été définis a priori sur la seule base d’un narratif imposé.
Faire appel aux savoirs locaux dans le montage d’autres PSE-bassin versant est donc très utile, mais l’expertise hydrologique ne doit pas être oubliée pour autant puisque les premiers restent muets sur les aspects quantitatifs ou conditionnés par certaines valeurs. L’expertise hydrologique reste de son côté trop focalisée et peut être coûteuse en moyens et en temps si elle se lance dans des mesures et modélisations. Les deux sont donc complémentaires, et se priver de l’une de ces deux sources de savoir, mais aussi de leur dialogue, serait préjudiciable à la pertinence du projet environnemental, au renforcement des capacités et à l’engagement d’acteurs variés.
4.3 Epilogue
Le 24 mai 2012, après un exposé des résultats synthétiques de la recherche-action en partenariat, un atelier des parties prenantes s’est prononcé sur une définition des services environnementaux en jeu :
-
un service environnemental à court terme : réduire la charge de fond pendant les crues, basé sur la conduite anti-érosive des cultures à risque (gingembre, manioc) et leur abandon sur les terrains trop pentus ou proches d’un cours d’eau, au profit d’une moindre usure des turbines ;
-
un service environnemental à long terme : limiter l’expansion de la mosaïque et le risque de savanisation progressive, en cessant la défriche de forêts et les brûlis, au profit d’un régime d’eau maintenu dans le futur, requalifiant en service environnemental la mesure de 2007.
Ces définitions situent les COBA et les agriculteurs comme fournisseurs potentiels de services environnementaux aux usagers d’eau, et ont permis d’enclencher d’autres études et rencontres sur un schéma d’aménagement permettant de les garantir tout en respectant les règles en vigueur, puis sur les dimensions économiques et la gouvernance, jusqu’à la contractualisation d’un PSE-bassin versant en septembre 2013 (Andriamahefazafy et al., 2020).
Remerciements
Merci aux parties prenantes du PSE Tolongoina, à l’Agence nationale de la recherche (ANR, programme Serena), à l’Union européenne et au FFEM (programme Rhyvière), et aux relecteurs et éditeurs des Cahiers Agricultures.
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Citation de l’article : Serpantié G, Rakotonirina A, Poussin J-C, Toillier A, Andriamahefazafy F. 2021. Une approche cognitive co-constructiviste pour définir un service environnemental « bassin versant ». Cas de Tolongoina, Madagascar. Cah. Agric. 30: 18.
Liste des tableaux
Liste des figures
Fig. 1 (a) Contexte du projet. (source : auteurs, BD500 FTM, SIG eaux et forêts) ; (b) sous-bassins d’Andasy (source : auteurs, cartes FTM) ; (c) situation à Madagascar (source : auteurs). (a) Project context; (b) sub-basins of Andasy; (c) study area in Madagascar. |
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Fig. 2 (a) Observateurs locaux ; (b) un atelier in situ (01-06-2011) ; (c) un poster bilingue ; (d) le jeu de territoire (adapté de Roche, 2011) (clichés G. Serpantié). (a) Local observers; (b) an in situ workshop (01-06-2011); (c) a bilingual poster; (d) territory game. |
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Fig. 3 Géologie des bassins de référence CTFT d’Andasibe – ex-Périnet (d’après carte géologique de Madagascar). Geology of the CTFT Andasibe reference watersheds. |
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Fig. 4 Résultats écohydrologiques locaux (source : auteurs). Local eco-hydrological results. |
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Fig. 5 Résultats d’enquêtes individuelles sur l’existence de crues et d’érosion (source : auteurs). Survey about individual skills. Runoff and erosion. |
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