Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 33, 2024
Numéro d'article 3
Nombre de pages 10
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2023027
Publié en ligne 18 janvier 2024

© A. Khardi et al., Hosted by EDP Sciences 2024

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1 Introduction

Le palmier dattier (Phoenix dactylifera L) est l’une des cultures les plus anciennes dont l’homme ait tiré profit (Zaid et Arias-Jiménez, 2002 ; Cournoyer, 2004 ; Issa et al., 2018). Il est considéré comme la culture fruitière la plus importante dans les régions arides.

Au Maroc, le palmier dattier est une culture séculaire et constitue un levier de développement socio-économique des oasis. La superficie des terres agricoles dédiées au palmier dattier est passée de 50 000 ha en 2008–2009 à près de 63 000 ha en 2020–2021, marquant une nette progression de 26 %. La palmeraie nationale compte actuellement près de 6 million de palmiers (Agrimaroc.ma, 2022). Dans la région du Tafilalet, les terrains collectifs et les abords des oasis ont connu une dynamique de plantation de palmiers lors des deux dernières décennies : 7345 ha ont été plantés de 2011 à 2022, soit 876 947 pieds de palmier dattier (ORMVA-TF, 2022). Les formes modernes et traditionnelles d’agriculture coexistent donc dans ces régions oasiennes (Bouaziz et al., 2018).

Outre les fruits, le palmier dattier fournit un grand nombre d’autres produits largement utilisés par l’homme dans tous les aspects de la vie quotidienne (Barreveld, 1993 ; Agoudjil et al., 2011). Le palmier dattier produit mondialement près de 2 millions de tonnes de résidus par an (Agoudjil et al., 2011). Dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, les sous-produits sont évalués à près de 758 000 tonnes par an, dont 104 000 tonnes au Maroc (OSS, 2014).

Ces dernières décennies, la demande pour ces sous-produits a décliné en raison de la disponibilité de produits manufacturés et du changement du mode de vie des oasiens (Barreveld, 1993). Selon Meradi et al. (2016), 1,5 millions de tonnes/an de résidus de palmier dattier dans le monde sont laissés en tas sur le sol ou à l’extérieur des parcelles sans aucune forme de valorisation. Dans les pays producteurs de dattes, les sous-produits du palmier dattier ont été remplacés par d’autres matériaux importés pour la fabrication d’articles artisanaux, d’outils de production et de combustibles (Tahir et al., 2020). De plus, les efforts de valorisation ont été orientés vers le fruit du dattier, car sur le plan économique, les dattes et leurs sous-produits sont précieux pour leurs propriétés nutritionnelles et diététiques et pour les revenus qu’ils génèrent pour les populations oasiennes (Al-Shahib et Marshall, 2003 ; Chao et Krueger, 2007 ; Saafi et al., 2011 ; Amirou, 2021). L’utilisation des sous-produits reste très limitée et ne permet pas aux phœniciculteurs d’en tirer le meilleur profit.

Au cours des dernières décennies, les sous-produits ont été laissés par la plupart des phœniciculteurs dans les palmeraies et les zones limitrophes. Leur accumulation altère sévèrement le paysage et crée des nuisances à l’environnement. Dans une palmeraie infectée par le Fusarium oxysporum f.sp. albedinis (bayoud), l’accumulation et la décomposition des déchets contaminés sont une cause d’extension des foyers de la maladie et de propagation de champignons pathogènes (Hakkou et Bouakka, 2004 ; Chakroune et al., 2005). Selon El Janati et al. (2022), les sous-produits du palmier dattier abandonnés dans les champs peuvent causer une infestation d’insectes et de maladies, ou servir de combustible pour des incendies accidentels.

L’utilisation des résidus a diminué parallèlement à l’augmentation de la culture du palmier dattier (Tahir et al., 2020). Au Maroc, la situation est d’autant plus inquiétante que les quantités de sous-produits sont appelées à augmenter avec l’extension des plantations de palmier dattier et l’intensification de la mise en valeur agricole des palmeraies dans le cadre de la nouvelle stratégie « Génération Green 2020–2030 », qui vise la plantation de 5 millions de palmiers dattiers à l’horizon 2030, dont 3 millions dans la palmeraie traditionnelle (Agrimaroc.ma, 2022).

Dans ce contexte, notre travail a pour objectif de réduire les risques de dissémination du bayoud et la fréquence des incendies causés par l’accumulation des sous-produits du palmier dattier dans les oasis, à travers la valorisation des résidus de culture du palmier dattier.

2 Méthodologie

2.1 La phœniciculture dans la zone d’étude

La zone d’étude, le Tafilalet, est située au sud-est du Maroc (Figure 1) et compte cinq ensembles de palmeraies, à savoir Errachidia-Aoufous, Erfoud-Jorf, Rissani, Goulmima-Tinejdad et Boudenib. Les palmeraies du Tafilalet s’étendent sur une superficie de 28 181 ha, avec 2 921 150 palmiers. La production de dattes dans la zone s’élève à 52 100 tonnes (ORMVA-TF, 2021), en incluant les nouveaux vergers installés dans les zones d’extension de la culture du palmier dattier. Les oasis traditionnelles comportent des palmiers entourés de plusieurs rejets de différents âges, appelés communément touffes, et des palmiers ne comportant pas de rejets. Les problématiques principales de ces oasis sont la propagation du bayoud, maladie causée par le Fusarium oxysporum f.sp. albedinis, l’accumulation des sous-produits du palmier dattier et les incendies de palmeraies.

Tout au long de leur vie productive, les palmiers dattiers font l’objet de diverses pratiques agricoles essentielles comme l’irrigation, la fertilisation, l’élagage, la pollinisation et la récolte, dans le but d’optimiser leur croissance et la production de dattes. La récolte des dattes se fait en grimpant sur le palmier, par grappillage ou en coupant la hampe florale. L’élagage consiste à enlever du palmier dattier les organes secs qui encombrent le plant, gênent les travaux culturaux et abritent souvent les parasites ; il s’agit donc d’arracher chaque année les palmes sèches, les rejets aériens, les spadices et les hampes. Ces opérations sont effectuées chaque année par les phœniciculteurs ou par des coopératives agricoles offrant des prestations de service en matière d’élagage, de pollinisation du palmier dattier et de récolte. Elles sont gérées par un conseil d’administration et les prestations de services sont assurées par les membres de la coopérative.

thumbnail Figure 1

Localisation des palmeraies du Tafilalet.

Location of palm groves in Tafilalet.

2.2 Enquête

L’objectif de l’enquête était de collecter des données sur les sous-produits enlevés lors des opérations d’entretien, d’identifier leur mode de gestion, les problèmes engendrés par leur accumulation et d’explorer les voies de pérennisation des opérations d’élagage et de nettoyage des palmeraies avec les phœniciculteurs.

Pour mieux cerner la problématique, une revue de la littérature scientifique a été effectuée et des phœniciculteurs ont été interrogés. Des entretiens sur la problématique et les solutions envisageables ont été réalisés avec les différents services travaillant sur la filière dattes.

50 enquêtes ont été menées dans les oasis avec deux niveaux d’enquête : 5 focus groups de coopératives de services agricoles et 45 entretiens individuels avec des phœniciculteurs, répartis dans les oasis de la zone d’étude. De plus, 10 entretiens ont été menés individuellement avec des phœniciculteurs installés dans les zones d’extension du palmier dattier. Il s’agit d’un échantillon aléatoire et simple par tirage au sort dans une liste des phœniciculteurs. Il a concerné 60 phœniciculteurs au total. Les personnes interrogées se répartissent sur les ensembles oasiens comme suit : 16 à Errachidia-Aoufous, 11 à Erfoud-jorf, 9 à Rissani, 11 à Boudenib et 13 à Goulmima-Tinejdad.

La première partie de la fiche d’enquête concernait les entretiens réalisés avec les phœniciculteurs et les coopératives de services :

  • conduite du palmier dattier (irrigation, fertilisation et élagage) ;

  • types et quantités de résidus enlevés lors de l’élagage, et utilisations qui en sont faites ;

  • causes de l’accumulation des sous-produits et problèmes qui en découlent ;

  • voies de pérennisation de l’opération d’élagage du palmier et de l’enlèvement des résidus des palmeraies.

La deuxième partie était consacrée à l’évaluation de la biomasse enlevée et à sa gestion par les phœniciculteurs installés dans les zones d’extension.

Les données d’incendies de palmeraies ont été fournies par les responsables de la protection civile, sous forme d’un fichier comportant la liste des localités qui ont fait l’objet d’incendies, la date, le nombre de palmiers brulés et la superficie des cultures basses touchées.

2.3 Évaluation de la biomasse des sous-produits du palmier dattier

Afin d’évaluer la biomasse produite par le palmier, nous avons procédé à l’élagage du palmier et à la pesée des différents types de sous-produits secs sur un échantillon de 57 palmiers, dont 20 font partie des touffes. Une moyenne a été ensuite calculée et utilisée pour l’évaluation de la biomasse.

Pour cela, un échantillonnage aléatoire a été adopté pour les parcelles dans les palmeraies, puisqu’elles ont des caractéristiques communes liées à leur environnement oasien : disponibilité ou non de l’eau d’irrigation et mode de conduite traditionnel. La quasi-totalité des parcelles (80 %) appartiennent aux phœniciculteurs interrogés individuellement et le reste des parcelles appartiennent à certains phœniciculteurs qui ont participé aux focus groups. Les palmiers de ces parcelles ne présentent pas de différences d’âge et de vigueur car ils sont conduits de la même façon par les producteurs. Le pied taillé est choisi d’une façon aléatoire à l’intérieur de chaque parcelle.

2.4 Analyse des données

Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse descriptive à l’aide d’un tableur électronique. La statistique descriptive permet de décrire et de structurer les données qualitatives et quantitatives recueillies et de traduire les observations par des chiffres et des pourcentages, ce qui permet d’avoir des informations sur la population interrogée.

3 Résultats

3.1 Conduite du palmier dattier

3.1.1 Irrigation et fertilisation

Les enquêtes ont montré que 56 % des phœniciculteurs n’apportent pas de fumure spécifique au palmier dattier et que ce dernier profite des eaux et des fumures apportées aux cultures associées. Seuls 24 % et 20 % des phœniciculteurs apportent respectivement 2 à 5 kg et 5 à 10 kg de fumier par pied de jeune plant de palmier (Figure 2), alors que 22 % des phœniciculteurs apportent 15 à 30 kg de fumier par pied adulte, et 4 % appliquent 30 à 60 kg par pied adulte (Figure 2b). Concernant la fertilisation minérale, 10 % des phœniciculteurs appliquent 1 à 2 kg d’engrais composés (NPK) par pied et du fumier aux meilleures variétés de leurs parcelles. Lors de la réalisation de nos enquêtes, les phœniciculteurs ont déclaré qu’il y avait une diminution notable des ressources en eau, et la plupart des oasiens ignorent la biotechnologie du compost.

thumbnail Figure 2

Répartition des agriculteurs selon la quantité de fumier apportée au palmier dattier (a) jeunes plants ; (b) pieds adultes.

Distribution of farmers according to the quantity of manure applied to date palms (a) young plants; (b) adult plants.

3.1.2 Élagage du palmier

L’étude a montré que 60 % des phœniciculteurs procèdent à l’élagage du palmier dattier. Ce sont les variétés qui produisent des dattes de qualité qui font l’objet d’élagage. Les parties enlevées sont les palmes sèches, les spadices, les pétioles instables, les rejets aériens et les rafles (régimes vides) qui sont récupérées après la récolte des dattes. Un palmier produit chaque année, en moyenne, 0,62 kg de fibrillium (lif en arabe, gaine de fibres qui entoure le stipe entre les bases des palmes), 15 palmes sèches, 10 rafles et 7 pétioles. Le nombre de palmes sèches enlevées varie selon les clones du palmier et leur vigueur. 71 % des phœniciculteurs interrogés enlèvent 10 à 15 palmes sèches/an pour les variétés Mejhoul, Boufeggouss et certains clones, 18 % enlèvent 15 à 25 palmes sèches/an pour certains clones, dont la variété Bouslikhen, et jusqu’à 30 palmes sèches en cas de sécheresse. 11 % affirment que le palmier produit 6 à 10 palmes sèches/an.

3.2 Potentiel de biomasse des sous-produits

3.2.1 Poids unitaire des sous-produits

Les résultats des pesées des différents types de sous-produits résultant de l’élagage d’un palmier ont permis d’en évaluer le poids moyen par unité ou par pied (fibrillium), comme indiqué dans le tableau 1. C’est ainsi qu’un palmier dattier produit en moyenne 21,2 kg de résidus secs/pied/an (15 palmes x 0,91 kg/palme + 0,62 kg de fibrillium + 10 rafles x 0,39 kg/rafle + 7 pétioles x 0,43 kg/pétiole = 21,18 kg).

Tableau 1

Poids moyen unitaire des différents types de résidus.

Average unit weight of different types of residue.

3.2.2 Évaluation du potentiel de biomasse totale des résidus

L’exploitation des résultats qui précèdent et des données du palmier dattier (ORMVA-TF, 2018) a permis d’estimer la biomasse des résidus produits annuellement par les palmiers des oasis traditionnelles à 49 100 tonnes de matière sèche, (2 317 836 pieds x 21,18 kg/pieds = 49 101 tonnes). Parmi ces résidus, les palmes sèches représentent 63 %, suivies par les rafles, les pétioles et le fibrillium, avec des parts de 19 %, 14 % et 4 % respectivement.

Dans les nouveaux vergers de palmier dattier situés sur les zones d’extension, la quantité moyenne produite par les jeunes plants (3 à 5 ans) s’élève à 9,42 kg de résidus secs/pied/an. Multiplié par l’effectif de ce type de plants, qui s’élève à 350 350 pieds (ORMVA-TF, 2022), le tonnage de ces sous-produits est de 3300 t, dont près de 90 % est brulé ou déposé à l’extérieur des exploitations. Le potentiel en biomasse du palmier dattier des oasis du Tafilalet s’élève donc à 52 400 t de matière sèche/an.

L’augmentation des effectifs de palmiers dattiers par la plantation de 2,3 millions de palmiers au Tafilalet, dans le cadre de la nouvelle Stratégie agricole Green Generation (SGG 2020–2030) va générer un potentiel supplémentaire en sous-produits qui s’élève à 49 000 tonnes, ce qui porte le potentiel annuel en biomasse sèche du palmier dattier à près de 101 400 tonnes à l’horizon 2035.

À cette quantité, il y a lieu d’ajouter les disponibilités potentielles en dattes non destinées à la consommation humaine, en troncs de palmiers desséchés qui restent à l’intérieur de l’oasis et en palmes sèches abandonnées sur les pieds.

3.3 Utilisation des sous-produits

Selon les phœniciculteurs, 35 % de la biomasse des sous-produits est utilisée comme combustible pour la cuisson des aliments, le chauffage et l’alimentation du bétail. Il s’agit des palmes, des pétioles et du fibrillium. Une partie des palmes (2 % du potentiel en biomasse) est vendue à des fins de lutte contre l’ensablement. L’artisanat est peu pratiqué et la quantité de sous-produits utilisés par les artisans est estimée à 150 t/an (0,5 % du potentiel en biomasse). Le broyat des palmes est utilisé pour l’entretien des anciennes constructions en pisé, pour embellir les constructions hôtelières et comme litière par certains éleveurs. Il ressort donc que 62 % des sous-produits enlevés sont abandonnés en tas dans les parcelles ou brulés par les phœniciculteurs sur les parcelles pour restituer au sol les minéraux contenus dans les cendres.

En zone d’extension de la culture du palmier dattier, 10 % des phœniciculteurs procèdent au compostage d’une partie des palmes et à l’utilisation de leur broyat comme paillage pour minimiser l’évaporation de l’eau d’irrigation et contrôler les mauvaises herbes (Figure 3). La quantité de palmes transformées en compost et en mulch est estimée à 130 tonnes/an (0,2 % du potentiel en biomasse des sous-produits). Le reste des résidus est brulé (Figure 4) ou déposé aux abords des fermes pour éviter l’encombrement (Figure 4b).

thumbnail Figure 3

Palmes broyées utilisées pour contrôler les adventices et économiser l’eau.

Crushed palms used to control weeds and save water.

thumbnail Figure 4

Quelques aspects de gestion des résidus de palmier dattier au Tafilalet et leurs effets : (a) résidus de palmier abandonnés sur pied et au sol ; (b) résidus déposés aux abords d’une ferme ; (c) incinération des résidus ; (d) dégâts sur palmiers dattiers après un incendie de palmeraie.

Some aspects of date palm residue management in Tafilalet and their effects: (a) palm residues left standing and on the ground; (b) residues left on the outskirts of a farm; (c) incineration of residues; (d) damage to date palms after a palm grove fire.

3.4 Gestion actuelle des sous-produits

Les entretiens ont permis de comprendre la logique actuelle des phœniciculteurs en matière de gestion des résidus de palmier, et de collecter les recommandations à même d’améliorer la situation des oasis.

3.4.1 Causes du délaissement des sous-produits

Les phœniciculteurs déclarent que les sous-produits sont de plus en plus délaissés pour les raisons suivantes :

  • le changement de mode de vie des populations locales et l’introduction de produits de substitution en plastique aux articles artisanaux et du gaz butane pour la cuisson des aliments et le chauffage ;

  • la rareté de la main-d’œuvre spécialisée à cause du vieillissement des producteurs, de l’exode rural et du désintérêt des jeunes vis à vis de la palmeraie traditionnelle ;

  • le mode de faire valoir indirect des terrains agricoles, qui n’encourage pas les exploitants de la terre à assurer l’entretien du palmier dattier dont ils ne profitent pas ;

  • le manque de moyens financiers chez les phœniciculteurs, car la qualité et la production de dattes obtenues ne permettent pas de couvrir les charges des opérations d’élagage et du transport des sous-produits à l’extérieur de la palmeraie ;

  • l’absence d’idées et de projets de valorisation des sous-produits du palmier dattier, d’incitations de l’Etat en la matière et la rareté des chantiers de lutte contre l’ensablement qui demandent des palmes.

3.4.2 Conséquences du délaissement des sous-produits

L’enquête a montré une prise de conscience des producteurs sur les risques engendrés par l’accumulation des sous-produits du palmier, qui menacent les palmeraies de dégradation. Ils ont affirmé :

  • que les sous-produits abandonnés au sol contribuent à la dissémination du bayoud, à la prolifération de la cochenille blanche et au déclenchement des incendies ;

  • que le développement des touffes de palmiers et les tas de sous-produits, laissés au sol, provoquent la perte d’une partie de la production de dattes lors de la récolte et constitue une entrave à la circulation, au travail des parcelles (Figure 4a) et un refuge pour les insectes et les serpents.

3.4.3 Propositions pour améliorer l’état des palmeraies

Les phœniciculteurs ont proposé :

  • de rechercher des techniques de valorisation de ces résidus, rémunératrices et profitant aux phœniciculteurs pour créer un effet d’entraînement sur l’élagage du palmier dattier et garantir la durabilité des opérations d’entretien du palmier dattier et de nettoyage des palmeraies de ces résidus ;

  • de renforcer les opérations d’élagage du palmier dattier et de sensibilisation réalisées chaque année par les services de l’agriculture ;

  • de former les jeunes et d’encourager les coopératives de services à réaliser l’élagage du palmier dattier et à valoriser les résidus du palmier ;

  • que les services de l’agriculture s’accordent à leur tour sur les opérations de valorisation qui profiteraient aux phœniciculteurs, pour les motiver à assurer l’élagage régulier et continu de leurs palmiers dattiers.

3.5 Les incendies de palmeraies

Les palmeraies du Tafilalet connaissent des incendies à répétition (Figure 4d). Certains l’expliquent par des facteurs naturels dont les effets sont accentués par les changements climatiques. D’autres y voient les conséquences de l’abandon des sous-produits du palmier et des herbes sèches, qui constituent un combustible idéal qui peut s’enflammer à la moindre étincelle. L’exploitation des données d’incendies fournies par la Direction provinciale de la protection civile pour la période 2009–2021 (Figure 5) montrent :

  • que les 911 incendies survenus ont touché 36 281 palmiers dattiers, soit l’équivalent de 362,8 ha. Ces incendies, accidentels ou causés par des phœniciculteurs qui brûlent des résidus, entraînent une perte de la production pour une ou deux années, ou bien la mort du palmier dattier, ce qui pèse sur les petits phœniciculteurs qui en tirent l’essentiel de leurs ressources ;

  • que les palmeraies de toutes les communes territoriales (CT) ont été touchées par des incendies, à des degrés différents (43 incendies par CT en moyenne) ;

  • que la commune territoriale Arab Sebbah Ziz (ASZ) est la plus touchée par les incendies de palmeraies, suivi de celle d’Aoufous et de la municipalité de Goulmima ; mais du point de vue de l’importance des dégâts, la CT d’Aoufous est la plus touchée, avec 11 537 pieds contre 6685 à Arab Sebbah Ziz (Figure 5b).

thumbnail Figure 5

Nombre d’incendies par mois (a) et nombre de pieds de palmiers touchés (b) par commune territoriale. Source : Direction provinciale de la protection civile, 2022.

Number of fires per month (a) and number of palm trees affected (b) per territorial municipality. Source: Provincial Directorate of Civil Protection, 2022.

4 Discussion

En matière de fertilisation, les enquêtes montrent que 56 % des oasiens n’effectuent pas d’apports spécifiques aux palmiers dattiers. La plupart des palmiers n’exploitent que le lessivage des engrais d’origine minérale et organique qui étaient destinés à des cultures associées (Sedra, 2003 ; Toutain, 1975). Les apports en fumier aux pieds jeunes ou adultes de palmier dattier sont faibles, comparés à ce qui a été rapporté par certains auteurs : Peyron (2000) indique 100 kg de fumier/an en hiver pour un palmier dattier en pleine production, et Houssin Mahmoud et Sabah (2012) estiment que le palmier dattier exige un apport annuel en éléments fertilisants de 1,5 à 3 kg N, 0,5 kg P et 2 à 3 kg K. Selon Toutain et al. (1978), la fumure ne semble pas produire une variation très sensible de l’effectif annuel de palmes actives, et ce critère est en liaison avec le rendement en dattes.

Concernant l’élagage du palmier, le nombre moyen de palmes enlevées dans les oasis du Tafilalet est de 15 palmes sèches/pied/an. Ce résultat confirme celui d’Agoudjil et al. (2011), stipulant que chaque année, dans des conditions normales de croissance, le palmier génère en moyenne 12 à 15 nouvelles palmes sèches. La gamme de 15 à 25 palmes sèches avancées par certains phœniciculteurs confirme le résultat de Ben Salem et al. (2004), affirmant qu’un palmier produit 15 à 25 palmes sèches/an. Chehma et Longo (2001) ont observé une moyenne de 18 à 20 palmes sèches/an, alors que Barreveld (1993) indique une moyenne de 10 à 30. Sedra (2012) a avancé 20 à 30 palmes sèches/an selon les cultivars et les conditions de culture.

Le nombre de régimes produits par pied diffère d’une variété à une autre, selon les conditions du milieu et la conduite du palmier (Sebihi, 2014). Selon le même auteur, le palmier dattier produit en moyenne 11 régimes. Les entretiens ont montré qu’en moyenne, chaque pied produit 10 rafles et que 7 pétioles/an sont arrachés lors des opérations d’élagage et de récolte. Ces résultats avoisinent ceux de Slimani et al. (2019), affirmant qu’un palmier produit en moyenne 14 palmes sèches par an, 8 rafles et que le nombre de pétioles coupés lors de la récolte et de l’élagage varie de 7 à 13 pétioles par pied.

Concernant le poids des sous-produits (en matière sèche), le poids moyen d’une palme est de 0,9 kg (Chehma et Longo, 2001). Slimani et al. (2019) avancent un poids moyen de palmes, de régimes (sans dattes) et de pétioles de 0,71 kg, 0,29 kg et 0,21 kg/palmier respectivement, ainsi que 0,43 kg de fibrillium/palmier/an au Sud de l’Algérie. La quantité de fibrillium relativement élevée dans notre zone (0,62 kg/pied/an) peut être due à l’enlèvement des pétioles instables à la base de la couronne lors des opérations d’entretien du palmier.

Concernant la quantité de biomasse produite par palmier, Mallaki et Fatehi (2014) rapportent que les palmiers dattiers produisent chaque année environ 40 kg de sous-produits secs potentiellement valorisables, y compris des palmes sèches, des spathes, des graines et des pétioles.

Ces différences dans les quantités produites par pied, dérivent des différences dans les conditions de conduite de la culture et d’état sanitaire du palmier dattier. Dans les oasis du Tafilalet, le résultat affiché (21,2 kg/pied), qui demeure faible, peut s’expliquer par le fait que les besoins du palmier en fumure et en eau d’irrigation ne sont pas convenablement couverts.

Concernant la destination des sous-produits, près de 35 % de la biomasse des sous-produits enlevés est utilisée comme combustible pour la cuisson des aliments, le chauffage et l’alimentation du bétail. La vente occasionnelle des palmes à des fins de lutte contre l’ensablement (près de 2 % de la biomasse) permet aux phœniciculteurs d’obtenir un revenu supplémentaire et de contribuer au maintien des oasis en bon état. La valorisation des sous-produits du palmier dattier par le compostage, le paillage et l’artisanat avoisine 0,5 % de la biomasse. Il en découle que 62 % du potentiel de biomasse valorisable est abandonné ou brulé. Cela constitue une perte de revenus pour les phœniciculteurs.

Concernant le faible entretien du palmier dattier et ses effets, nos résultats confirment ce qui est rapporté par la littérature. De Haas (2001) rapporte qu’au Maroc, le palmier dattier est en net déclin et souffre d’un manque d’entretien et d’intérêt en raison de l’émigration des travailleurs qualifiés pour travailler dans les villes, en plus de la diminution des ressources en eau. D’après Dhehibi (2020), l’accumulation des sous-produits génère des effets néfastes tels que la prolifération des insectes et des parasites. Selon Chakroune et al. (2005), la décomposition des résidus de culture constitue une cause de dissémination du bayoud ; leur gestion incontrôlée peut provoquer des incendies dans les oasis (Hakkou et Bouakka, 2004 ; El Janati et al., 2022). De plus, Bensidhom et al. (2018) affirment que le gaz issus des déchets du palmier dattier contient une quantité importante de CH4 et de H2, ce qui leur confère de bonnes propriétés de combustion. Pachauri et Reisinger (2008) rapportent que l’incinération des déchets végétaux constitue une perte de fertilisants organiques et provoque également une pollution atmosphérique par le dégagement de CO2.

Sur la base de ce qui précède, et pour faire de l’élagage du palmier dattier et du nettoyage des palmeraies des opérations systématiques, procurer des revenus additionnels aux phœniciculteurs, et préserver les palmeraies, nous proposons :

  • l’exploitation de l’excédent des résidus de palmier pour la production de fumure organique par compostage et pour la production de biochar par pyrolyse. Le compost et le biochar possèdent par ailleurs des qualités pour améliorer la fertilité des sols oasiens, pauvres en matière organique dans tout le Tafilalet (Atlas des cartes de fertilité des sols des espaces oasiens marocains, 2022). Ces fumures organiques permettraient non seulement de combler le déficit de fumure organique du palmier et de valoriser les sous-produits, mais le traitement thermique pour produire le biochar et l’augmentation de la température lors du processus de compostage permettraient également d’inactiver les microorganismes pathogènes de ces résidus. S’ajoutent à cela les avantages qu’engendre l’apport d’amendement organique en termes d’augmentation de la rétention en eau des sols et d’amélioration de leurs propriétés physico-chimiques et des rendements des cultures pratiquées. La recherche a démontré que l’application du biochar peut augmenter le carbone organique du sol, améliorer l’approvisionnement en nutriments des plantes et ainsi améliorer la croissance des plantes et les propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol (Glaser et al., 2002 ; Rondon et al., 2007) ;

  • la production de combustible pour le chauffage afin d’atténuer la pression de prélèvement du bois sur les zones de montagne et les parcours ;

  • la formulation de rations d’alimentation du bétail à base de résidus de palmier pour combler le déficit fourrager causé par la succession d’années de sécheresse ;

  • l’encouragement des investissements dans l’industrie des résidus du palmier dattier, car les progrès technologiques ont permis de considérer le palmier comme une matière première à usage industriel (El-Juhany, 2010).

5 Conclusions et recommandations

Ce travail de recherche vise la préservation et le développement durable de la phœniciculture dans la région du Tafilalet et au Maroc en général. Il répond à des problématiques majeures de la filière phœnicicole, telles que la propagation de la maladie du bayoud, l’abandon des sous-produits du palmier dattier et les incendies de palmeraies.

L’étude avait pour objectif de rechercher et d’explorer les voies de pérennisation des opérations d’élagage du palmier dattier et de nettoyage des palmeraies de ses résidus, dans le but de réduire les risques de dissémination du bayoud et d’incendies, et ce à travers la valorisation des sous-produits. Cette valorisation exige d’évaluer le potentiel annuel en biomasse des sous-produits du palmier dans la zone d’étude.

L’étude a montré : i) que 56 % des oasiens n’apportent pas de fertilisants spécifiques au palmier dattier ; ii) que ce sont surtout les variétés qui produisent des dattes de qualité qui reçoivent des soins particuliers en matière de fertilisation et d’élagage ; iii) qu’un palmier produit annuellement 0,62 kg de fibrillium, 15 palmes sèches, 10 rafles et 7 pétioles, qui pèsent respectivement 0,91 kg, 0,39 kg et 0,43 kg, donc au total 21,2 kg de matière sèche/an ; iv) que la biomasse sèche de sous-produits du palmier générée dans les oasis du Tafilalet s’élève à 52 400 tonnes/an, dont 62 % est abandonnée ou brûlée, soit accidentellement soit volontairement, pour se débarrasser de ces résidus ; v) que l’accumulation des résidus du palmier sur le sol des oasis contribue à la dissémination du bayoud, à la prolifération de la cochenille blanche et au déclenchement des incendies, et que ce gisement délaissé constitue une perte de revenus pour les phœniciculteurs.

La valorisation de ce flux régulier de biomasse, ne peut être que bénéfique pour la population oasienne et la filière phœnicicole. Des opérations de valorisation rémunératrices et profitant aux phœniciculteurs auront probablement un effet d’entraînement sur l’élagage du palmier et le nettoyage des résidus des palmeraies, et garantiront la durabilité de ces opérations pour la préservation de l’environnement. Elles freineront en particulier la dissémination du Fusarium et réduiront la quantité de biomasse qui sert de combustible aux incendies de palmeraies.

À la lumière de ces résultats, nous suggérons d’encourager les projets de valorisation agronomiques de la biomasse de résidus à travers la fabrication de biochar et de compost, la production de combustible de chauffage, d’aliments du bétail, et le développement d’une industrie autour des résidus du palmier dattier. Ce type de projets permettrait de combler le manque d’amendements organiques dans les oasis du Tafilalet et d’améliorer les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols. Ils contribueraient à atténuer l’impact environnemental des sous-produits du palmier et, en conséquence, à la durabilité des oasis. Ainsi, des études sur l’effet des amendements en biochar et en compost sur les différentes cultures oasiennes mériteraient d’être menées.

Références

Citation de l’article : Khardi A, Nogot A, Abdellaoui M, Jaiti F. 2024. Valorisation des sous-produits du palmier-dattier pour contribuer à la durabilité des oasis du Maroc. Cah. Agric. 33: 3. https://doi.org/10.1051/cagri/2023027

Liste des tableaux

Tableau 1

Poids moyen unitaire des différents types de résidus.

Average unit weight of different types of residue.

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Localisation des palmeraies du Tafilalet.

Location of palm groves in Tafilalet.

Dans le texte
thumbnail Figure 2

Répartition des agriculteurs selon la quantité de fumier apportée au palmier dattier (a) jeunes plants ; (b) pieds adultes.

Distribution of farmers according to the quantity of manure applied to date palms (a) young plants; (b) adult plants.

Dans le texte
thumbnail Figure 3

Palmes broyées utilisées pour contrôler les adventices et économiser l’eau.

Crushed palms used to control weeds and save water.

Dans le texte
thumbnail Figure 4

Quelques aspects de gestion des résidus de palmier dattier au Tafilalet et leurs effets : (a) résidus de palmier abandonnés sur pied et au sol ; (b) résidus déposés aux abords d’une ferme ; (c) incinération des résidus ; (d) dégâts sur palmiers dattiers après un incendie de palmeraie.

Some aspects of date palm residue management in Tafilalet and their effects: (a) palm residues left standing and on the ground; (b) residues left on the outskirts of a farm; (c) incineration of residues; (d) damage to date palms after a palm grove fire.

Dans le texte
thumbnail Figure 5

Nombre d’incendies par mois (a) et nombre de pieds de palmiers touchés (b) par commune territoriale. Source : Direction provinciale de la protection civile, 2022.

Number of fires per month (a) and number of palm trees affected (b) per territorial municipality. Source: Provincial Directorate of Civil Protection, 2022.

Dans le texte

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