Numéro |
Cah. Agric.
Volume 33, 2024
Les systèmes agricoles des zones arides du Maghreb face aux changements : acteurs, territoires et nouvelles dynamiques / Farming systems in arid areas in the Maghreb facing changes: actors, territories and new dynamics. Coordonnateurs : Mohamed Taher Sraïri, Fatah Ameur, Insaf Mekki, Caroline Lejars
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Numéro d'article | 29 | |
Nombre de pages | 10 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2024025 | |
Publié en ligne | 17 octobre 2024 |
Article de recherche / Research Article
Stratégies de femmes entrepreneures dans les oasis de Ghardaïa en Algérie : s’adapter à un contexte patriarcal et saisir de nouvelles opportunités économiques
Strategies of women entrepreneurs in the oases of Ghardaïa, Algeria: adapting to a patriarchal context and seizing new economic opportunities
1
Centre de Recherché en Économie Appliquée pour le Développement CREAD, Alger, Algérie
2
Bureau de Recherche pour le Développement agricole (BRDA), Montpellier, France
3
CIRAD, UMR G-EAU, F-34398, Montpellier, France
4
Institut National Agronomique de Tunis, Tunis, Tunisie
5
G-EAU, Univ Montpellier, Montpellier, France
* Auteur correspondant : ambzdz@yahoo.fr
Au Maghreb, les femmes entrepreneures font face à de nombreuses contraintes économiques, sociales et culturelles. Ces contraintes, identifiées dans de nombreuses études, limitent souvent fortement la capacité des femmes à initier leur projet d’entrepreneuriat et à le développer. L’étude analyse les stratégies menées par des femmes entrepreneures pour surmonter les différentes contraintes à leur activité économique. L’étude a été menée auprès de 40 femmes entrepreneures à Ghardaïa (sud de l’Algérie). Dans cette région oasienne, les normes sociales et culturelles sont marquées par le patriarcat et contraignent fortement l’accès des femmes à l’espace public. Les femmes entrepreneures interrogées ont développé des stratégies pour faire face aux contraintes économiques (comme la saturation du marché local en produits traditionnels) en valorisant mieux leurs produits et en créant des produits et services pour répondre aux nouvelles demandes de consommation. Elles ont aussi mobilisé des stratégies pour surmonter les contraintes socioculturelles, notamment en utilisant les outils numériques, en impliquant les hommes de leurs foyers familiaux dans leur projet d’entrepreneuriat, et en s’investissant dans de nouveaux espaces publics où la présence des femmes est acceptée. Ces différentes stratégies ont permis aux femmes de développer leurs activités économiques en s’adaptant aux normes locales plutôt qu’en entrant en conflit avec elles. Cependant, les activités développées restent en général dans le secteur informel. L’essor de cet entrepreneuriat se produit ainsi loin des dispositifs publics d’appui, qui bénéficient avant tout aux entreprises formellement établies.
Abstract
In the Maghreb, women entrepreneurs face many economic, social and cultural constraints. These constraints, identified in numerous studies, often severely limit women’s ability to initiate and develop their entrepreneurial projects. The study analyses the strategies used by women entrepreneurs to overcome the various constraints on their economic activity. The study involved 40 women entrepreneurs in Ghardaïa (southern Algeria). In this oasis region, cultural norms are marked by patriarchy and strongly restrict women’s access to public spaces. The women entrepreneurs surveyed have developed strategies to deal with economic constraints (such as the saturation of the local market with traditional products) by enhancing the value and price of their products and by creating products and services to meet new consumer demands. They have also designed strategies to overcome socio-cultural constraints, in particular by using digital tools, by involving the men from their family households in their entrepreneurial project, and by being present in new public spaces where the presence of women is accepted. These different strategies have enabled women to develop their activities by adapting to rather than by clashing with local norms. However, the activities developed generally remain in the informal sector. The growth of this entrepreneurship is therefore taking place far from the public support systems, which primarily benefit formally established businesses.
Mots clés : entrepreneuriat féminin / genre / stratégies / oasis / Ghardaïa
Key words: female entrepreneurship / gender / Ghardaia / oasis / strategies
© A. Bouzid et al., Hosted by EDP Sciences 2024
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
L’entrepreneuriat féminin suscite un intérêt croissant au Maghreb (Ben Habib et al., 2014 ; Bouzekraoui et Ferhane, 2017). Il se définit comme le processus par lequel les femmes identifient, évaluent et exploitent des opportunités commerciales en utilisant leur créativité, leurs compétences et leurs ressources pour créer et développer des entreprises, tout en surmontant les obstacles spécifiques liés à leur genre (Jennings et Brush, 2013). Au Maghreb, l’entrepreneuriat féminin est de plus en plus perçu par les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds comme un levier essentiel pour réduire les inégalités de genre et pour faire face au taux élevé de chômage des jeunes femmes (Metaiche et Bendiabdellah, 2016 ; Laffineur et al., 2018 ; Jaouad et Moufdi, 2021).
La littérature sur l’entrepreneuriat féminin au Maghreb se concentre principalement sur l’analyse des motivations des femmes et sur les contraintes qu’elles rencontrent (Bouzekraoui et Ferhane, 2017 ; Laffineur et al., 2018 ; Naguib, 2024). Les principales contraintes sont maintenant bien identifiées dans cette littérature. Il existe premièrement des contraintes qui limitent la capacité des femmes à accéder aux ressources nécessaires au développement d’une activité économique. Dans les zones rurales, les femmes ont un accès limité aux ressources naturelles, telles que les terres agricoles (Bossenbroek et al., 2015). L’accès au financement formel est souvent limité voire inexistant (Medouni et Bedrani, 2016). La codification du comportement des femmes dans l’espace public complique leur accès aux crédits et aux opportunités de financement (Naguib, 2024). Par ailleurs, les femmes qui exercent leurs activités dans le secteur informel sont souvent exclues non seulement des systèmes financiers formels, mais également des garanties nécessaires pour accéder aux financements institutionnels (Kane et Chroqui, 2021 ; El Ghmari et Oukassi, 2021). Enfin, la commercialisation des produits artisanaux est un défi majeur pour les entrepreneures maghrébines, particulièrement dans les contextes où la demande locale est rapidement saturée et où l’accès aux marchés plus lointains est difficile (Bossenbroek et al., 2024).
Deuxièmement, les femmes entrepreneures font face à des contraintes sociales et culturelles. Le caractère généralement patriarcal des sociétés au Maghreb, qui se manifeste à travers des normes sociales, limite l’accès aux femmes à l’espace public, leur capacité à agir de manière autonome de leur famille, en particulier des hommes, et leur mobilité professionnelle (Constantinidis et al., 2017 ; El Abboubi et al., 2022 ; Kane et Chroqui, 2021 ; Kerrou, 2024). L’obligation de concilier vie familiale et vie professionnelle constitue également un frein à l’entrepreneuriat féminin, notamment dans un contexte où les travaux domestiques sont habituellement perçus comme relevant de la responsabilité principale des femmes (Bouzekraoui et Ferhane, 2017 ; Ziani et Bouzidi, 2017). Les préjugés liés aux stéréotypes de genre sur la capacité des femmes à prendre des risques et à posséder les compétences pour gérer une entreprise, freinent la création de microentreprises par les femmes (Constantinidis, 2021 ; El Abboubi et al., 2022). De plus, le manque d’accompagnement des femmes et le manque d’exemples de réussite de l’entrepreneuriat féminin font que les femmes peuvent parfois aussi être convaincues elles-mêmes d’une moindre capacité à l’entrepreneuriat que les hommes (Metaiche et Bendiabdellah, 2016). Ceci peut se manifester notamment par un manque de confiance en soi et une peur de l’échec (Ghiat, 2015 ; Bouzekraoui et Ferhane, 2017).
Ces contraintes à l’entrepreneuriat féminin ne sont pas uniformes au Maghreb. Dans certaines zones urbaines, en particulier dans les grandes villes, les contraintes au développement de l’entrepreneuriat liées au genre peuvent être peu présentes (Metaiche et Bendiabdellah, 2016 ; Chaker et Zouaoui, 2023). Ces contraintes varient dans l’espace mais sont aussi évolutives dans le temps, en particulier avec l’amélioration des niveaux d’éducation formelle des femmes et l’essor des réseaux sociaux sur internet. Cependant, ces contraintes sont encore extrêmement structurantes pour les femmes dans de nombreuses régions rurales du Maghreb, notamment dans les oasis (Kerrou, 2024).
Ces différentes études dessinent un tableau assez précis des contraintes à l’entrepreneuriat féminin mais elles n’ont que marginalement abordé la question des stratégies mobilisées par les femmes pour faire face à ces nombreuses contraintes. Certaines études mentionnent ponctuellement l’utilisation des réseaux sociaux (Nechar, 2021 ; Bossenbroek et al., 2024) ou l’implication des maris dans les projets d’entrepreneuriat féminin (Constantinidis et al., 2019). Cependant, elles n’ont pas fait une analyse de la diversité des stratégies mises en œuvre pour faire face aux différentes contraintes mentionnées ci-dessus. Si les études sur l’entrepreneuriat féminin se limitent à énumérer les contraintes auxquelles les femmes entrepreneures font face, le risque est de considérer ces contraintes comme définissant un horizon indépassable et figé qui définirait les limites possibles des activités et de l’ampleur de l’entrepreneuriat féminin.
La présente étude analyse les stratégies mises en œuvre par les femmes entrepreneures pour faire face aux contraintes limitant l’entrepreneuriat féminin et se saisir de nouvelles opportunités économiques, dans un contexte rural maghrébin caractérisé par de fortes normes patriarcales. L’étude porte sur des femmes entrepreneures de la wilaya de Ghardaïa en Algérie, où ces contraintes sont particulièrement fortes. Cette étude n’a pas pour objectif d’analyser les motivations des femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat, ni l’impact de l’entrepreneuriat féminin sur leur situation.
2 Méthodologie
2.1 Zone d’étude
La région de Ghardaïa est située à 600 km au sud d’Alger dans le Sahara algérien (Fig. 1). L’enquête auprès des femmes a été menée dans les oasis de la vallée du M’zab, de Metlili et de Berriane. La région de Ghardaïa est historiquement marquée par un caractère patriarcal et conservateur profondément ancré au sein des sociétés locales. La vie quotidienne est réglementée par des normes socioculturelles et religieuses strictes.
Dans ces trois oasis, les communautés partagent dans l’ensemble des normes culturelles qui influencent et façonnent les rôles et les comportements des femmes. Les contraintes socio-culturelles sont plus rigides dans la communauté mozabite que dans les autres communautés. Les Mozabites se sont installés dans la vallée du M’zab en raison de sa géographie isolée et de son accès limité, ce qui leur a permis de conserver leur mode de vie et leurs croyances religieuses.
La vie féminine au M’zab est réglementée jusqu’aux moindres détails (Benessaiah, 2015). Les femmes mozabites de cette région sont soumises à un contrôle social strict concernant leur accès à l’espace public et leur mobilité spatiale (Spiga, 2010). Par exemple, le comité des femmes appelé timsirdine, une assemblée féminine à caractère religieux, veille à ce que les règles et les normes soient respectées par la communauté féminine mozabite et transmises de génération en génération. Elles doivent également se conformer à des codes vestimentaires conservateurs, et sont limitées dans leurs interactions sociales en dehors de la sphère familiale.
Les normes sociales et religieuses qui considèrent l’espace public comme « masculin » et qui interdisent la mixité et le travail en dehors du foyer, sont des obstacles majeurs à l’entrepreneuriat féminin dans la région de Ghardaïa. Ces restrictions empêchent, par exemple, les femmes de développer des partenariats avec des hommes (fournisseurs ou clients) ou de se rendre au sein des administrations pour s’informer sur les opportunités de financement. Ces contraintes socioculturelles restreignent aussi l’accès des femmes aux marchés. De ce fait, leurs produits sont vendus, le plus souvent, soit à domicile entre femmes, soit sur les marchés locaux et nationaux par l’intermédiaire d’un homme de la famille.
Fig. 1 Les oasis de la vallée du M’zab, Berriane et Metlili (wilaya de Ghardaïa). The oases of the M’zab valley, Berriane and Metlili (wilaya of Ghardaïa). |
2.2 Approche
Dans un contexte où le comportement des femmes est « scruté à la loupe » dans l’espace public, et où l’interaction avec des personnes extérieures à la communauté est mal perçue socialement, il a été très difficile pour nous d’entrer en contact avec des femmes de Ghardaïa. Pour cela, nous avons mobilisé différents réseaux. Nous avons d’abord sollicité un réseau masculin avec qui nous avions déjà eu l’occasion de travailler (agriculteurs, gestionnaire coutumier de l’eau d’irrigation, association de protection de l’environnement). Notre engagement sur le terrain et la relation de confiance construite depuis plusieurs années ont été déterminants pour convaincre certains hommes de nous mettre en contact avec des femmes entrepreneures. D’autres hommes ont décliné notre demande par crainte de l’influence – vue comme possiblement négative – que nous pourrions avoir sur les femmes de leur famille. Nous avons aussi fait appel au réseau familial de l’une des co-auteurs, originaire de la région. Enfin, nous avons contacté une association féminine locale. Du fait de ces difficultés, l’objectif de l’étude est de mettre en évidence diverses stratégies mobilisées par des femmes entrepreneures de Ghardaïa pour faire face aux contraintes pesant sur leurs projets. Il ne s’agit pas d’identifier l’ensemble de ces stratégies ni de qualifier dans quelle mesure ces stratégies sont représentatives, en termes quantitatifs, de l’ensemble de cas de projets féminins d’entrepreneuriat à Ghardaïa.
Grâce aux différents réseaux mobilisés, 40 femmes entrepreneures ont participé à un atelier qui a eu lieu en septembre 2022 à Ghardaïa sur le thème de l’entrepreneuriat féminin dans les oasis. Cet atelier visait à rencontrer ces femmes en personne, créer une relation de confiance et à construire une collaboration dans le cadre du projet de recherche Massire sur les innovations agricoles et rurales dans les zones sud du Maghreb.
À partir des premiers éléments obtenus lors de l’atelier, des entretiens individuels ont été menés avec ces 40 femmes entre octobre 2022 et février 2023, pour aborder les stratégies des femmes entrepreneures pour mettre en place leur entreprise. Lors de l’atelier et des entretiens, les stratégies ont été entendues au sens de Chandler (1962, p. 13) : « la détermination des objectifs fondamentaux à long terme [...], l’adoption d’actions et l’affectation de ressources nécessaires à la réalisation de ces objectifs ».
Les profils dressés dans le Tableau 1 illustrent l’hétérogénéité des femmes entrepreneures, en termes de statuts matrimoniaux, d’âge et de niveaux d’instruction. La communauté d’origine des femmes ne détermine pas de manière significative les types d’activité et les trajectoires des femmes entrepreneures. Dans la partie de résultats ci-dessous, afin de garantir la confidentialité, nous avons modifié les prénoms de ces femmes.
Profils des 40 femmes entrepreneures interrogées.
Main characteristics of the 40 interviewed women entrepreneurs.
3 Résultats
3.1 Stratégies pour faire face aux contraintes économiques et tirer profit des opportunités
Pour faire face aux contraintes économiques et tirer parti de nouvelles demandes de consommation locale, les femmes interrogées ont développé deux stratégies principales : une meilleure valorisation des produits traditionnels et le développement de nouveaux produits et services (Fig. 2).
Fig. 2 Stratégies des femmes entrepreneures pour faire face aux contraintes économiques et pour saisir de nouvelles opportunités. Strategies of women entrepreneurs to deal with economic constraints and to seize new opportunities. |
3.1.1 Meilleure valorisation de produits traditionnels
Sur les 40 femmes interrogées, 16 ont développé une entreprise à partir des activités traditionnelles. Les activités traditionnelles les plus répandues sont le tissage, la transformation des produits agricoles, la couture et la broderie, ainsi que la préparation de pâtes et de plats traditionnels. Ces activités, longtemps considérées comme des tâches domestiques féminines, étaient par le passé destinées avant tout à un usage familial dont le surplus éventuel était vendu. Le savoir-faire pour ces activités traditionnelles est transmis d’une génération à une autre. Pour développer une entreprise autour de ces activités, les femmes ont dû faire face à différentes contraintes économiques (saturation du marché local, concurrence entre femmes fabriquant les mêmes produits, monopole des intermédiaires, etc.) : elles ont donc dû innover pour mieux valoriser leurs produits.
3.1.1.1 Organiser l’estampillage des tapis
Quatre femmes sont devenues membres de deux associations féminines dédiées au tissage et qui ont initié l’estampillage des tapis. Souad (40 ans), présidente d’une association, souligne que « l’estampille représente la garantie de l’État que le tapis traditionnel est fabriqué à la main et avec des matières premières naturelles ». Saïda (40 ans), présidente de l’autre association, souligne que « l’estampillage a un double objectif : préserver l’activité ancestrale de tissage de la contrefaçon tout en lui conférant une plus-value économique et une opportunité d’exportation ».
3.1.1.2 Utiliser des emballages artisanaux et personnalisés
Cinq des 16 femmes ont recours à des emballages artisanaux et personnalisés. Cette stratégie a pour objectif de se différencier sur le marché. Hamida (55 ans), qui fabrique des produits alimentaires en utilisant différentes recettes à base de blé, emballe ses produits dans des sacs en tulle auxquels elle joint sa carte de visite : « La transformation des produits agricoles est ma principale source de revenu. On est nombreuses dans le ksar [village ancien] à exercer cette activité car c’est à la portée de tout le monde. J’étais obligée de me distinguer des autres femmes pour générer un revenu qui me permette de couvrir mes besoins ». Les cartes de visite permettent aux femmes de garder un contact direct avec les clients et ainsi de limiter le rôle des intermédiaires.
3.1.1.3 Organiser des ateliers de tissage pour les touristes
Une des associations féminines actives dans le tissage traditionnel dans la région de Ghardaïa a récemment initié des ateliers de tissage au profit des touristes. Trois femmes sur 16 sont impliquées dans cette nouvelle dynamique encadrée par une association culturelle locale. La présidente de cette association s’est associée à des agences de voyage locales, avec l’appui de la chambre de l’artisanat, pour mettre en place cette initiative innovante dans la région. D’après cette dernière (Souad) : « l’idée des ateliers touristiques de tissage a émergé à la suite d’une forte demande de la part des touristes européens adeptes de cette activité ». Durant ces ateliers, la présidente et de deux membres du bureau enseignent aux touristes les rudiments du tissage (en présence de leurs entourages masculins).
3.1.2 Développement de nouveaux produits et services
Trente-deux femmes ont initié de nouvelles activités économiques en réponse aux besoins émergents au sein de la communauté féminine. Ces activités concernent notamment des salons de beauté, des cabinets de médecine alternative (phytothérapie, acupuncture, etc.) et des magasins de vaisselle et de vêtements pour femmes et enfants. Des femmes se sont lancées dans la confection de petits accessoires féminins à la mode en tissage ou en broderie. Il s’agit par exemple de pochettes de téléphone, de sacs et d’étuis à lunettes. D’autres femmes se sont orientées vers des productions innovantes comme des produits cosmétiques et des huiles essentielles.
3.1.2.1 Créer des accessoires de mode en revisitant le savoir traditionnel
La volonté d’adopter un style de vie similaire à celui des femmes urbaines et occidentales est une tendance marquante à Ghardaïa. Les femmes sont influencées par les réseaux sociaux. Selon Sarah (18 ans) : « Sous leur hayak [vêtement traditionnel], les femmes de la région veulent être coquettes. Elles veulent faire du sport et faire du shopping. »
Pour répondre à cette demande, dix femmes ont entrepris de réinterpréter les savoir-faire ancestraux, en innovant dans le domaine du tissage et de la broderie. Djamila (32 ans) partage son expérience : « L’idée m’est venue après un tour au marché de Ghardaïa pour acheter un sac : les prix étaient excessivement chers. N’ayant pas les moyens suffisants pour m’en acheter un, j’ai décidé de confectionner un sac par moi-même. Ayant une base en couture, j’ai acheté un coupon de skaï et regardé des tutos sur YouTube. J’ai montré par la suite le produit final aux femmes de ma famille pour avoir leur avis. Elles ont toutes aimé le sac et m’ont encouragée à développer cette activité entrepreneuriale ». Djamila a ajouté que « les nouvelles activités de tissage et de broderie ne sont pas forcément en contradiction avec les anciennes. Les activités ancestrales ont été revisitées pour répondre aux besoins et aux attentes des Algériennes. Nous nous appuyons sur le savoir-faire traditionnel tout en cherchant à nous démarquer des autres femmes actives dans le tissage ». Cette ambition de combiner tradition et modernité a également été mise en avant par Souhila (29 ans) : « Mon objectif est de cibler une catégorie de jeunes qui ne s’intéressent généralement pas à l’achat de tapis, mais qui seraient attirées par des accessoires à la mode ».
3.1.2.2 Développer des prestations de service et des produits innovants
Vingt-deux femmes se sont lancées dans des activités innovantes : des produits cosmétiques, des huiles essentielles, des salons de massage et de bien-être, des cabinets de médecine alternative, des pâtisseries avec des recettes occidentales contemporaines, et de la vente d’électroménager, de vaisselle et de vêtements pour femmes et enfants. Selon Saliha (36 ans) : « depuis trois ans, plusieurs familles du ksar commandent chez moi des gâteaux d’anniversaire à thème. Cela ne se faisait pas avant… les familles sont influencées par les réseaux sociaux ». Un autre jeune femme mariée et âgée de 22 ans, Meriem, a eu l’idée de fabriquer et de vendre des produits cosmétiques à partir de plantes naturelles, notamment le safran cultivé par son mari dans l’exploitation familiale.
Ces nouvelles activités sont perçues par les femmes – en particulier les jeunes – comme une alternative intéressante, notamment car elles sont souvent moins ardues physiquement que les activités traditionnelles. D’après Souad, la présidente d’une association, « de nouvelles activités économiques se sont développées ces dernières années comme solution alternative au tissage traditionnel, telles que la pâtisserie, la coiffure et les soins esthétiques. Au cours de ces dernières années, les jeunes filles et les femmes se sont progressivement détachées du tissage, estimant qu’il est peu rémunérateur. Et pour cause, elles sont exploitées par les intermédiaires qui achètent à prix cassé les tapis mozabites puis les revendent à prix d’or dans les marchés locaux, dans les grandes villes algériennes et à l’étranger ».
3.2 Stratégies des femmes pour faire face aux contraintes socioculturelles
Les femmes ont développé des stratégies pour d’adapter aux contraintes socioculturelles à l’entrepreneuriat (Fig. 3).
Fig. 3 Stratégies et actions entreprises par les femmes entrepreneures pour dépasser les contraintes socio-culturelles. Strategies and actions undertaken by women entrepreneurs to deal with sociocultural constraints. |
3.2.1 Usage du numérique
Les nouvelles activités nécessitent le développement de compétences non disponibles localement. Trente femmes sur 40 utilisent les réseaux sociaux pour se former à domicile, respectant ainsi les normes qui interdisent la fréquentation de lieux mixtes en termes de genre. Le renforcement des capacités se fait principalement par l’autoformation via la visualisation de tutoriels sur les réseaux sociaux ou sur internet (cf. l’exemple de Djamila mentionné ci-dessus qui confectionne des sacs en simili cuir en suivant des tutoriels sur YouTube). Meriem (22 ans, mariée) a suivi trois formations internationales en ligne sur la fabrication artisanale de produits cosmétiques naturels à base de plantes. Cela lui a permis de lancer son propre projet de fabrication de produits cosmétiques et d’aménager un espace de beauté et de détente chez elle.
De plus, 28 femmes nous ont confié que le monde virtuel leur permet de développer des relations sociales avec des personnes extérieures à leur entourage. Meriem nous a expliqué que « les médias sociaux m’offrent la possibilité de discuter virtuellement avec des acheteurs potentiels et les fournisseurs de matières premières ». Sabah (33 ans) a ajouté que « les réseaux sociaux permettent aux femmes de travailler de manière plus autonome et flexible. Ils offrent une certaine liberté pour travailler à distance. Les femmes peuvent promouvoir leurs produits ou services auprès d’un public beaucoup plus large, sans avoir besoin d’une présence physique constante ». Cet usage du numérique permet aux femmes entrepreneures de travailler depuis leur domicile, tout en restant connectées aux marchés. Elles peuvent ainsi maintenir un équilibre entre les responsabilités familiales et professionnelles.
3.2.2 Implication des hommes
Les femmes interrogées ont déclaré qu’elles ont dû convaincre leurs proches masculins de leur motivation et de leur désir d’entreprendre. Elles ont dû également démontrer la pertinence du projet pour le bien-être de la famille et de la communauté tout en assurant qu’il respecterait les normes et les valeurs sociétales. Au-delà de la question de l’accord pour initier une entreprise, 27 femmes sur 40 ont impliqué des hommes à différents stades de leur parcours entrepreneurial, depuis l’idée initiale jusqu’à la gestion quotidienne de l’activité. Cette implication était particulièrement importante lorsque les femmes ne possédaient ni un capital financier nécessaire pour le lancement de leur activité ni un fonds de roulement pour assurer son fonctionnement. Celles qui n’ont pas impliqué les hommes ont mobilisé des associations féminines pour développer leur projet d’entrepreneuriat (par exemple des associations pour le tissage ou pour la production de produits traditionnels). Grâce à ces associations, elles n’ont pas eu besoin de capital pour investir ou pour commercialiser leurs produits.
Différents cas illustrent cette implication des hommes. Le premier cas est celui où l’entourage familial a appuyé et soutenu un projet féminin dès l’idée initiale. Cet entourage a non seulement fourni le capital de démarrage, mais a également accepté que les femmes voyagent, tout en les accompagnant, à l’étranger ou à Alger, pour qu’elles puissent renforcer leurs capacités. Meriem nous a raconté comment son frère, qui vit à l’étranger, ainsi que son mari la soutiennent dans son projet : « Mon frère a payé mes formations en ligne et continue à payer la matière première achetée sur un site étranger puis livrée par un service d’expédition. Mon mari m’a acheté le matériel nécessaire, il a même organisé un voyage en Tunisie pour que je puisse assister à une exposition de produits fabriqués par des femmes ». Un autre exemple : le fils aîné de Saïda a accompagné sa mère à Alger pour qu’elle puisse suivre une formation sur l’exportation : « comme l’estampillage est obligatoire pour exporter nos tapis, j’ai dû me déplacer à Alger, pour suivre une formation sur l’exportation et le commerce international ».
Les femmes sollicitent parfois leurs maris pour gérer les tâches logistiques et les relations avec des fournisseurs ou des acheteurs masculins. Djamila nous a expliqué le rôle de son mari dans l’activité : « comme la matière première, le skaï, n’est pas toujours disponible à l’échelle locale, mon mari se déplace dans d’autres villes pour m’en acheter. Il gère également la communication avec les hommes durant ma participation à des foires. Il est le pilier de mon activité : sans son soutien moral, financier et physique, je n’aurais pas pu concrétiser mon projet ». Le soutien moral a également son importance comme l’a souligné Souhila : « mon père m’encourage à développer davantage mon activité. Il a même accepté que j’aménage un petit atelier à la maison et que je forme des jeunes apprenties ».
3.2.3 Participation à de nouveaux espaces où la présence des femmes est acceptée
Une autre stratégie pour faire face aux contraintes socio-culturelles est de participer à des espaces publics où la présence des femmes est acceptée. Dans ces espaces, la sphère privée et la sphère publique se combinent sans pour autant remettre en cause les normes socioculturelles. Dans ces lieux, les femmes peuvent s’habiller à leur guise, choisir librement les articles qu’elles veulent acheter, acquérir des compétences professionnelles, recevoir des conseils et accéder à des informations.
3.2.3.1 Créer des structures féminines de vente et de services au sein des foyers familiaux
Trente-sept femmes sur 40 ont développé une activité dans leur maison. Ainsi, Farida (35 ans) a installé sa boutique au rez-de-chaussée de sa maison : « Comme mon mari possède une boutique de vaisselle et d’électroménager à Alger, les femmes du ksar me sollicitaient souvent pour des achats. J’ai alors utilisé WhatsApp pour leur envoyer des photos des différents articles et leurs prix. Une fois qu’elles avaient choisi l’article, mon mari envoyait les commandes en taxi. En quelques mois, nous avons développé une clientèle fidèle et une réputation dans tout le ksar, au point que le chiffre d’affaires a doublé ». C’est alors que Farida a proposé à son mari d’aménager une des pièces de leur maison en magasin de vaisselle. Le succès de cette boutique a encouragé le couple à transformer une autre pièce en une boutique de vêtements pour femmes et enfants. D’après Farida : « Les femmes préfèrent faire leurs courses dans les maisons du ksar, surtout dans les boutiques pour femmes, car elles s’y sentent plus à l’aise et libres. Elles peuvent enlever leur hayak, prendre le thé et discuter avec d’autres femmes ».
3.2.3.2 Adhérer à des associations féminines locales
Dix-sept des femmes interviewées ont choisi de s’engager au sein d’associations culturelles locales. Ces associations permettent de mieux se connecter au marché. Notamment, les 37 femmes exerçant dans l’informel n’ont pas accès à la carte d’artisan et ne peuvent pas participer en leur nom propre aux foires. Les associations offrent aux femmes entrepreneures la possibilité de participer en tant qu’adhérentes à des foires et à des salons officiels dans lesquels elles peuvent vendre leurs produits. Par ailleurs, les associations qui participent à des expositions à l’échelle nationale et internationale prennent des échantillons de produits de chacune des adhérentes afin de faire connaître leur travail en dehors de la sphère communautaire. D’après Saïda : « au cours de ces dernières années, les associations œuvrant dans l’artisanat ont permis de casser le monopole du circuit traditionnel de vente par les intermédiaires. De cause à effet, cette perte de mainmise des intermédiaires sur le travail des femmes a incité à considérer les artisanes comme collaboratrices et non comme ouvrières, et à mieux les rémunérer ».
3.2.3.3 Un réseau social qui s’étend
Les activités des femmes entrepreneures leur permettent aussi, progressivement, d’élargir le réseau des personnes avec qui elles sont en contact. Ce réseau s’élargit d’abord au niveau local. Fadila (50 ans) nous a ainsi dit : « J’ai élargi mon réseau de commercialisation. Alors qu’auparavant, je vendais initialement de petites quantités chez moi, aujourd’hui, je négocie avec des magasins d’alimentation générale ainsi que des supérettes pour vendre mes produits de manière plus régulière ». De même, Sabah titulaire d’une licence en droit, a initialement dû convaincre son mari pour qu’elle puisse mener une activité : « malgré mes études, mon mari a imposé à ma famille que je ne travaille pas comme une condition de notre mariage. Après de nombreuses années, mes trois enfants ont grandi, j’ai ressenti le besoin de réaliser quelque chose pour moi-même. Le besoin de me sentir utile à la société ! J’ai donc proposé à mon mari de préparer des gâteaux traditionnels à la maison et de les livrer uniquement à des femmes. Il a difficilement accepté ! Au début, il me prêtait de l’argent pour acheter les ingrédients et les ustensiles nécessaires. Je le remboursais après chaque vente. Au fur et à mesure, je me suis fait un nom et j’ai pu constituer mon propre fonds de roulement. Je livre maintenant dans plusieurs wilayas limitrophes et j’ai même ouvert une école au sein de laquelle j’organise des ateliers de formation pour les jeunes filles de la région ».
4 Discussion
4.1 Dans un contexte contraint, une agentivité
Les stratégies identifiées ci-dessus montrent l’agentivité des femmes entrepreneures de Ghardaïa : elles ont su s’adapter au contexte fait de contraintes et d’opportunités, et elles ont aussi su enrôler les membres masculins de leur famille dans la réalisation de leur projet d’entrepreneuriat. Par ailleurs, les femmes interrogées nous ont dit qu’elles gèrent librement les revenus générés par leurs activités économiques. Ces revenus sont principalement dépensés dans les besoins personnels et, pour les femmes mariées, l’éducation des enfants et le remboursement des emprunts familiaux.
Les stratégies mises en œuvre ont permis de sortir de la situation fréquente en milieu rural au Maghreb, où des femmes produisent de l’artisanat qui est ensuite acheté par des intermédiaires à un prix bien inférieur au prix auquel il est ensuite vendu au consommateur. Ces stratégies ont aussi permis de développer un entrepreneuriat sans contredire officiellement les normes socioculturelles locales. Cela s’est fait notamment par la mobilisation d’espaces sociaux « hybrides », qui ne sont ni la sphère familiale restreinte ni l’espace public – masculin – à Ghardaïa. Ces espaces hybrides sont d’abord les réseaux sociaux sur internet, mais ce sont aussi les nouveaux espaces physiques créés à Ghardaïa : les locaux des associations féminines, ou les boutiques développées dans les foyers familiaux. Ces stratégies font partie d’initiatives plus générales menées par les femmes au Maghreb pour s’ouvrir des marges d’action dans les espaces sociaux sans entrer en confrontation directe avec les normes sociales (Driss, 2013).
Les stratégies et les modèles d’entrepreneuriat que les femmes développent sont mobilisés au sein de différents collectifs, tels que l’unité familiale (et notamment les hommes au sein de cette unité) et les associations féminines. Cela souligne, comme dans d’autres études au niveau international (Wood et al., 2021), que l’entrepreneuriat féminin n’est pas nécessairement un processus d’autonomisation individuelle face à des collectifs vus comme limitants, mais s’appuie plutôt sur une capacité à mobiliser et à agir au sein de ces collectifs. À la différence d’autres études sur l’entrepreneuriat féminin (Semkunde et al., 2022), les femmes de Ghardaïa ne cherchent pas à mobiliser des collectifs uniquement constitués de femmes et séparés des hommes, mais s’appuient souvent sur les hommes de leur foyer familial pour développer leur activité.
4.2 Adapter les dispositifs d’appui et leur accessibilité pour les femmes entrepreneures de Ghardaïa
En Algérie, il existe différents dispositifs publics de soutien à l’entrepreneuriat féminin (Demmene Debbih, 2015 ; Doukhi et Laouedj, 2023). Cependant, les femmes entrepreneures interrogées dans la présente étude ont développé leur activité avec l’appui de la cellule familiale ou d’associations, mais sans l’appui de ces dispositifs publics. En effet, les femmes n’ayant pas l’accès à l’espace public, elles ne peuvent pas aller faire les démarches nécessaires dans les administrations pour bénéficier de ces dispositifs. De plus, elles n’ont pas de compte bancaire autonome, ce qui est un élément important pour bénéficier de ces dispositifs. Les femmes interrogées ne connaissent que peu les dispositifs existants. Cette distance avec les dispositifs d’appui ne permet pas à ces microentreprises de recevoir un soutien face à des difficultés ou des crises, telles que celle du Covid-19 (Ftouhi et al., 2021 ; Hamamouche et Saidani, 2023).
Pour que les dispositifs d’appui à l’entrepreneuriat féminin puissent bénéficier aux femmes entrepreneures de Ghardaïa, il serait utile qu’ils prennent mieux en compte les contraintes auxquelles les femmes font face et appuient spécifiquement les stratégies que ces femmes cherchent à mettre en place. Notamment, ces dispositifs sont souvent organisés autour de l’appui à la création d’entreprises individuelles officiellement enregistrées (Demmene Debbih, 2015), alors qu’il est difficile pour les femmes entrepreneures de Ghardaïa d’obtenir un statut formel de microentreprise. Une possibilité pourrait être de permettre aux entrepreneures d’obtenir un appui au travers des associations féminines. Plus généralement, ces associations féminines locales jouent déjà un rôle, encore souvent ponctuel, d’intermédiaires entre les femmes rurales et les acteurs en charge de l’appui à l’entrepreneuriat. Ce rôle pourrait être mieux reconnu : les associations pourraient mieux connecter les offres d’appui (en termes de formation, de micro-crédit, de mise en réseau, d’appui à la commercialisation, etc.) et les demandes des femmes qui ont une activité d’entrepreneure ou qui souhaitent en développer une.
5 Conclusion
Les stratégies développées par les femmes entrepreneures interrogées à Ghardaïa leur ont permis de gérer les nombreuses contraintes, économiques comme socioculturelles, pesant sur le développement de leur activité économique. Ainsi, les contraintes à l’entrepreneuriat féminin au Maghreb, bien identifiées dans la littérature, ne « dessinent » pas un ensemble de barrières figées qui bloqueraient automatiquement, plus ou moins selon le contexte local, les possibilités pour les femmes de se lancer, ou non, dans une activité d’entrepreneuriat.
Certains éléments qui ont rendu possibles ces stratégies sont présents partout dans le monde rural au Maghreb, par exemple l’accès à internet et les réseaux sociaux virtuels. D’autres éléments sont plus spécifiques à la zone étudiée, comme par exemple la présence de touristes intéressés par les savoir-faire traditionnels. Ainsi, certaines stratégies identifiées dans la présente étude peuvent être aisément reproductibles dans d’autres régions du Maghreb ; tandis que d’autres seront plus difficile à transposer. Ce qui compte surtout est la capacité des femmes entrepreneures interrogées à développer de telles stratégies en tirant parti au mieux des opportunités qu’elles peuvent saisir dans un contexte évolutif, notamment en combinant des ressources anciennes (telles que les savoir-faire traditionnels) et de nouvelles ressources, telles que les outils numériques.
La littérature internationale sur l’entrepreneuriat féminin dans des sociétés patriarcales s’est considérablement enrichie ces 10 dernières années et aborde de très nombreuses dimensions, telles que l’intégration du projet d’entrepreneuriat dans les sociétés locales, le degré et les formes d’émancipation et de renforcement des capacités que cet entrepreneuriat permet, au sein des familles comme au sein des communautés locales (Ojediran et Anderson, 2020). La littérature sur ces dimensions de l’entrepreneuriat féminin est en comparaison très limitée au Maghreb (Bastian et al., 2018).
De telles analyses mériteraient d’être approfondies, en particulier pour les zones rurales du Maghreb. D’une part, la présente étude a mis en évidence, sur la base d’un échantillon limité, quelques stratégies mobilisées pour faire face à plusieurs contraintes. Il serait intéressant de mener d’autres enquêtes, à Ghardaïa ou dans d’autres régions où les normes patriarcales sont prégnantes, sur les stratégies mobilisées par les femmes pour mener un projet d’entrepreneuriat. Cela permettrait d’avoir une vision plus large des stratégies possibles pour faire face aux différentes contraintes identifiées en introduction. D’autre part, la présente étude a mis en évidence et caractérisé des stratégies, et les ressources mobilisées pour les mettre en œuvre. D’autres travaux pourraient analyser les impacts de ces initiatives entrepreneuriales, tant au niveau individuel des femmes entrepreneures (revenu, apprentissages, confiance en soi, etc.), qu’au niveau des relations familiales et des communautaires.
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Citation de l’article : Bouzid A, Hamamouche MF, Faysse N. 2024. Stratégies de femmes entrepreneures dans les oasis de Ghardaïa en Algérie : s’adapter à un contexte patriarcal et saisir de nouvelles opportunités économiques. Cah. Agric. 33: 29. https://doi.org/10.1051/cagri/2024025
Liste des tableaux
Profils des 40 femmes entrepreneures interrogées.
Main characteristics of the 40 interviewed women entrepreneurs.
Liste des figures
Fig. 1 Les oasis de la vallée du M’zab, Berriane et Metlili (wilaya de Ghardaïa). The oases of the M’zab valley, Berriane and Metlili (wilaya of Ghardaïa). |
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Fig. 2 Stratégies des femmes entrepreneures pour faire face aux contraintes économiques et pour saisir de nouvelles opportunités. Strategies of women entrepreneurs to deal with economic constraints and to seize new opportunities. |
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Fig. 3 Stratégies et actions entreprises par les femmes entrepreneures pour dépasser les contraintes socio-culturelles. Strategies and actions undertaken by women entrepreneurs to deal with sociocultural constraints. |
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