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Cah. Agric.
Volume 32, 2023
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Article Number | 9 | |
Number of page(s) | 9 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2023002 | |
Published online | 02 March 2023 |
Article de recherche / Research Article
Le partenariat public-privé appliqué aux investissements dans la grande irrigation en Afrique : le Projet de promotion du partenariat rizicole dans le Delta du fleuve Sénégal
The public-private partnership applied to large-scale irrigation investments in Africa: the Senegal River Delta Rice Partnership Promotion Project
1
African Population and Health Research Center (APHRC), Dakar, Sénégal
2
Université Gaston Berger (UGB), Saint-Louis, Sénégal
3
CIRAD, UMR G-EAU, Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement, Ouagadougou, Burkina Faso
4
G-EAU, Univ. Montpellier, Montpellier, France
5
Délégation à l’entrepreneuriat rapide (DER), Dakar, Sénégal
6
Université Cheikh Anta Diop (UCAD), Dakar, Sénégal
7
Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé (SAED), Saint-Louis, Sénégal
* Auteur de correspondance : sylla.el-hadji-malick@ugb.edu.sn
L’autosuffisance en riz poursuivie par l’État du Sénégal depuis l’Indépendance a motivé des investissements colossaux dans le Delta du fleuve Sénégal, au nord du pays. Cet article évalue la contribution du Projet de promotion du partenariat rizicole dans le Delta (3PRD) aux dynamiques organisationnelles et techniques. L’importance de ce projet repose sur le partenariat public-privé, un paradigme récent dans le monde du développement de l’agriculture irriguée. Notre démarche est basée sur un travail de synthèse bibliographique, des visites de terrain, des entretiens avec les responsables du projet et des enquêtes auprès des agriculteurs. Les résultats suggèrent deux progrès majeurs réalisés par le 3PRD : l’autonomisation des producteurs privés dans un grand aménagement collectif impliquant la participation de la société de développement SAED et l’introduction d’un nouveau matériel pour l’irrigation, l’électropompe. Ils montrent aussi que des efforts restent à réaliser en matière d’intensité culturale et de rendement agricole pour permettre aux producteurs de mieux rentabiliser les investissements qu’ils ont réalisés dans leurs périmètres.
Abstract
The Senegalese government’s pursuit of rice self-sufficiency since Independence has motivated massive investments in the Senegal River Delta in northern Senegal. This paper assesses the contribution of the Projet de promotion du partenariat rizicole dans le Delta (3PRD, a project promoting rice partnership) to organizational and technical dynamics. The importance of this project lies in the public-private partnership, a recent paradigm in the world of irrigated agricultural development. Our approach is based on a bibliographic synthesis, field visits, interviews with project managers and surveys of farmers. The results suggest two major advances made by the 3PRD: the empowerment of private producers in a large-scale collective scheme involving the participation of the SAED a development company and the introduction of new irrigation equipment: the electric pump. They also show that efforts still need to be made in terms of crop intensity and agricultural yields to enable producers to make the investments they have made in their irrigation schemes more profitable.
Mots clés : partenariat public-privé / 3PRD / Delta du fleuve Sénégal / aménagement hydroagricole
Key words: public-private partnership / 3PRD / Senegal River Delta / hydro-agricultural development
© E.H.M. Sylla et al., Hosted by EDP Sciences 2023
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Le partenariat public-privé est un paradigme de développement « qui vise à favoriser des partenariats avec le secteur privé du monde de l’économie, créant ainsi un cadre de référence innovant » (Younossian et Dommen, 2005). L’émergence du partenariat public-privé dans le financement de l’agriculture en Afrique à partir des années 2000 s’explique par deux principaux facteurs : tout d’abord, par la persistance de décennies de sous-investissement dans l’agriculture ; ensuite, par le fort intérêt des investisseurs privés à avoir des opportunités de production agricole en Afrique, singulièrement depuis la crise de 2008 (OXFAM, 2014 ; Grain, 2008). Le recours au partenariat public-privé dans le financement de l’agriculture n’est pas une spécificité africaine (FAO, 2016 ; 2020). Le Projet de promotion du partenariat rizicole dans le Delta (3 PRD), conçu selon ce paradigme, a été initié en 2009 par l’État du Sénégal dans le contexte de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (GOANA), suite à la crise alimentaire de 2008. Il s’appuie sur deux leviers : d’une part, sur un partenariat public-privé à travers l’aménagement d’un nouveau type de périmètre irrigué, caractérisé par le partage des coûts d’investissements et des responsabilités entre institutions publiques et producteurs agricoles ; et, d’autre part, sur l’amélioration de la filière rizicole à travers l’intensification de la production, l’organisation de la commercialisation, le financement de l’agriculture, la représentation des organisations professionnelles de producteurs, ainsi que le transfert de technologies.
Plusieurs études portant sur le Delta du fleuve Sénégal ont montré que les investissements lourds consentis dans le passé par l’État pour développer l’irrigation et atteindre l’autosuffisance en riz ont abouti à des résultats plutôt mitigés (Camara, 1993 ; Bélières et Touré, 1999 ; Dia, 2001 ; Seck, 2009 ; Kamara, 2013 ; Girard et al., 2019 ; Sylla et al., 2021). Parmi les raisons, sont souvent cités les problèmes de maintenance des aménagements et la faible responsabilisation des producteurs. Le projet du 3PRD, qui promeut une rupture avec les politiques antérieures de financement et de développement de l’agriculture tout en améliorant les performances de la riziculture irriguée, a été jusque-là peu documenté.
L’objectif de cet article est de questionner, d’une part, les innovations techniques et organisationnelles apportées par le 3PRD dans l’environnement de production du riz irrigué et, d’autre part, de voir l’effet de ces innovations sur les rendements et l’intensité culturale des bénéficiaires de ce projet, comparés à d’autres riziculteurs de la même zone. L’hypothèse qui sous-tend cette problématique est que le partenariat public-privé est une nouvelle expérience dans le Delta, qui, bien qu’innovante dans la réalisation des aménagements hydroagricoles, comporte des problèmes qui peuvent obérer sa durabilité si ces problèmes ne sont pas très tôt résolus.
2 Méthodologie
2.1 Cadre de l’étude
L’étude porte exclusivement sur les communes de Diama et de Ross-Béthio, situées dans le Delta du fleuve Sénégal (Fig. 1). La phase de collecte des données comprend une phase exploratoire et une phase d’enquêtes de terrain. Durant la phase exploratoire, comprise entre janvier et juillet 2019, nous avons effectué des entretiens individuels avec des agents de la Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé (SAED) en charge du 3PRD, dont le coordinateur du 3PRD, le chargé de la mise en opération du 3PRD et le chargé de suivi-évaluation du 3PRD. Nous avons également mené un entretien avec le Secrétaire municipal de la commune de Diama qui a affecté les terres au projet 3PRD. L’objectif de ces entretiens était de disposer des rapports techniques du projet, de la liste des bénéficiaires, et de questionner les autorités impliquées sur les innovations apportées par le 3PRD et sur les problèmes qu’il a rencontrés durant son exécution. À la suite de ces interviews, nous avons effectué des entretiens qualitatifs avec 19 chefs de villages pour connaître leur perception par rapport aux dynamiques en cours, pour savoir si leurs villages comptaient des bénéficiaires du 3PRD ou non, mais aussi pour disposer de la liste des ménages de leur village en vue de préparer les enquêtes quantitatives.
Fig. 1 Répartition des villages étudiés dans le Delta du fleuve Sénégal. Source des données : SAED, conception des auteurs. Distribution of the villages surveyed in the Senegal River Delta. |
2.2 Échantillonnage des producteurs interrogés
Les deux bases de sondage utilisées pour la réalisation des enquêtes de terrain sont : la liste des bénéficiaires du 3PRD et la liste de tous les ménages des communes de Diama et de Ross-Béthio. La population mère du 3PRD était composée de 145 bénéficiaires au début de notre phase de terrain. La base de sondage de tous les ménages des communes de Diama et de Ross-Béthio était constituée de 5 784 ménages répartis dans 103 villages et hameaux. Toutefois, tous les villages sont différents par leurs détails et leurs activités socio-économiques. Par exemple, tous les ménages ne sont pas agriculteurs. À l’aide des entretiens réalisés avec les agents de la SAED, le Secrétaire municipal de Diama et les chefs de villages, nous avons ainsi choisi de circonscrire notre étude à 17 villages, soit 1 600 ménages pratiquant l’agriculture. Ce choix s’explique par plusieurs aspects parmi lesquels :
la position géographique par rapport à la route nationale, en considérant dans l’échantillon des villages proches, assez proches ou éloignés de la route nationale, et en mettant l’accent sur les localités du Walo (terres inondables correspondant à des cuvettes de décantation aux sols lourds favorables aux cultures de décrue ou au riz), plus concernées par l’agriculture irriguée ;
la proximité ou l’éloignement du village par rapport aux périmètres du 3 PRD, du Programme de développement des marchés agricoles du Sénégal (PDMAS) et des agro-industries.
Ainsi, un échantillonnage aléatoire simple stratifié (2 strates) a été la méthode choisie pour déterminer l’échantillon à étudier à partir de nos différentes bases de sondage. Il sert à minimiser l’erreur de choisir une population non représentative (Preston, 2009) ou d’avoir dans l’échantillon peu de bénéficiaires du 3PRD. Les deux strates utilisées sont donc :
strate 1 : projet 3PRD, regroupant les producteurs qui exploitent une ou plusieurs parcelles dans le périmètre du 3PRD ;
strate 2 : autres riziculteurs, regroupant les producteurs des autres exploitations familiales, qui n’ont pas bénéficié de parcelles dans le 3PRD.
Dans la première strate, le taux de sondage est d’environ 27 % afin d’avoir un échantillon représentatif de la population étudiée. Le taux de sondage pour la seconde strate est de 18 %. Ce taux est représentatif et permet d’étudier un échantillon susceptible d’être couvert par nos moyens financiers et matériels. Les effectifs de ménages à interviewer pour chaque strate ont été obtenus de la manière suivante :
strate 1 : 3 PRD : 27 × 145 / 100 = 40 ;
strate 2 : AUTRES EXFAM :18 × 1600 / 100 = 288.
Dans cet effectif de la strate AUTRES EXFAM, deux questionnaires mal remplis ont été éliminés, ramenant ainsi le total de l’effectif interviewé pour cette strate à 286 ménages d’agriculteurs. Au total, en additionnant les deux strates, nous avons interviewé 326 ménages agricoles répartis dans 17 villages du Delta central et du Bas-Delta des deux communes étudiées. Dans chaque village, un tirage aléatoire simple a été réalisé pour désigner le nombre de ménages à interroger, en tenant compte de son poids démographique et des deux strates considérées. Le questionnaire portait sur les caractéristiques du ménage, les biens agricoles du ménage, toutes les spéculations cultivées durant les campagnes de 2018 à 2019 en fonction des saisons, les coûts et les résultats agricoles réalisés (rendements, production, charges de cultures, bénéfices) durant chaque saison, et l’appréciation sur l’évolution de la pauvreté au fil des années.
3 Résultats
3.1 Mise en œuvre du 3PRD selon le paradigme du partenariat public-privé
Le 3PRD a tenté d’aménager 2 500 ha sur la rive gauche du marigot Gorom aval (un défluent du fleuve Sénégal) pour un coût global estimé à 23 milliards de FCFA (1 € = 656 FCFA), financé essentiellement par l’État (19 milliards) avec une participation des producteurs privés (4 milliards de FCFA). L’État, sur budget national et à travers des prêts de l’Agence française de développement (AFD) et de la Banque ouest-africaine pour le développement (BOAD), réalise les aménagements structurants qui comprennent les réseaux primaires et secondaires d’irrigation et de drainage, les pistes de desserte pour faciliter l’accès au périmètre, l’électrification de la zone, les principaux ouvrages hydrauliques (dalots simples, dalots vannés) et la station d’exhaure de type « vis d’Archimède » qui est une nouveauté dans ces paysages (Drieu et al., 2011). Les contributions des bénéficiaires sont destinées à financer les aménagements terminaux des terres qui leur sont attribuées (parcelle agricole constituée par le bassin de dissipation, le planage adéquat, les diguettes, le point de pompage permanent sur l’adducteur, ainsi que l’équipement qui l’accompagne, à savoir l’électropompe et les accessoires correspondants) ; leur niveau de subvention dépend de la taille de l’exploitation du bénéficiaire. Le schéma privilégie les « petits producteurs » de 5 ha, considérant que ceux qui ont plus de moyens financiers s’intéresseront aux exploitations de taille supérieure. Toutefois, la subvention est très loin d’être proportionnelle aux coûts de l’aménagement terminal selon les exploitations, ainsi que le montre le tableau 1.
On constate qu’avec 1 375 000 FCFA on peut avoir deux exploitations de 5 ha, soit 10 ha, alors que pour une exploitation de 10 ha, le bénéficiaire doit verser 3 450 000 FCFA. La même observation peut être faite en considérant deux exploitations de 25 ha (25 millions de FCFA) et une exploitation de 50 ha (60 millions de FCFA). Sachant qu’on ne peut pas avoir deux parcelles, certains agriculteurs ont multiplié les initiatives pour obtenir deux exploitations de même taille, l’une à leur nom et l’autre sous-couvert d’un membre de leur famille ou de leur entreprise. Les exploitations de 100 ha initialement prévues ont été supprimées, sans doute en raison de l’absence de subvention, de leur coût élevé (200 millions de FCFA) et de la possibilité d’avoir 2 × 50 ha avec seulement 120 millions de FCFA.
La zone retenue pour abriter le 3PRD (Fig. 2a et 2b) est aménagée et exploitée à partir des années 1990. La SAED dénombre 154 occupants (153 en situation régulière) avant la mise en œuvre du 3PRD, dont la plupart venaient des villages environnants. Mais au-delà de la mauvaise qualité des aménagements, l’exploitation de ces terres agricoles était très faible. En 2008, le taux de mise en valeur agricole du périmètre tournait autour de 22 % en hivernage et 13 % en contre-saison chaude, alors que 62,8 % de la surface restait inexploitée (3PRD, 2009).
Le problème majeur qui empêchait les producteurs de cultiver leurs terres était la salinité des sols, pour laquelle ils n’avaient pas beaucoup de solutions compte tenu du processus de sodisation prononcée. Cette salinité était aggravée par l’absence de canaux de drainage, ainsi que l’illustre le paysage agraire de la figure 2a qui montre quatre adducteurs directement reliés au cours d’eau (Gorom aval) irriguant des parcelles, sans réseau de drainage. Cette salinité ne pouvait être réduite que par un système d’irrigation et de drainage adéquat, ce qui nécessitait des investissements coûteux. Ce sont ces investissements que le 3PRD a tenté de réaliser à travers des aménagements structurants et des aménagements terminaux, comme nous l’avons expliqué plus haut. Parmi ces différents aménagements qui ont permis la modification du paysage agraire, nous avons représenté sur la figure 2b le réseau hiérarchisé d’irrigation (AD) et de drainage (DP) qui a été mis en place, ainsi que la position des parcelles par rapport à ce réseau.
Les bénéficiaires du projet sont choisis à partir d’une procédure de sélection prenant en compte des critères comme la capacité financière du demandeur, son expérience dans l’agriculture, son lieu de résidence, son âge et son niveau d’instruction (3PRD, 2012). L’idée était de choisir des producteurs capables de rentabiliser les investissements coûteux réalisés et d’atteindre les objectifs fixés en matière d’intensité culturale qui étaient fixés à 1,7 par le cahier des charges signé par chaque bénéficiaire du projet.
Taille des exploitations et contribution des attributaires du 3PRD (1 € = 656 FCFA).
Farm size and contribution of 3PRD beneficiaries.
Fig. 2a Occupation de l’espace avant l’implantation du 3PRD. Land use before the implementation of 3PRD. |
Fig. 2b Occupation de l’espace après l’implantation du 3PRD. Source : SAED, Google Earth, conception auteur. Land use after the implementation of 3PRD. |
3.2 Surfaces agricoles cultivées et bénéfices obtenus
Quatre variables ont permis de comparer les résultats des bénéficiaires du 3PRD par rapport aux autres riziculteurs interrogés. Il s’agit des moyennes : (i) de la superficie cultivée ; (ii) des coûts de production ; (iii) du revenu total et (iv) de la marge bénéficiaire. La campagne de référence est celle de la contre-saison chaude, qui mobilise plus de producteurs et de superficies emblavées. La superficie moyenne cultivée par les bénéficiaires de ce projet est de 13,34 ha, contre 1,89 ha pour les riziculteurs non bénéficiaires (Tab. 2).
En considérant la moyenne des coûts totaux de production et des revenus obtenus, les bénéficiaires du 3PRD obtiennent des revenus très nettement supérieurs de la riziculture. En effet, ces derniers ont gagné en moyenne 5 622 842 FCFA lors de la contre-saison chaude 2018, alors que les non-bénéficiaires n’ont gagné en moyenne que 1 998 359 FCFA. Ces revenus s’expliquent par la taille des exploitations. Le 3PRD, en accordant des superficies plus importantes aux producteurs, génère (s’ils mettent en valeur leurs parcelles) de meilleurs revenus en riziculture de contre-saison que pour les autres riziculteurs. En moyenne, ce sont les bénéficiaires du 3PRD qui emblavent les plus grandes superficies, font les plus gros investissements, obtiennent les plus grandes productions et dégagent des revenus intéressants par exploitant.
Comparaison des moyennes des statistiques de la production rizicole entre les riziculteurs bénéficiaires du 3PRD et les non-bénéficiaires.
Comparison of average rice production statistics between 3PRD beneficiaries and non-beneficiary rice farmers.
3.3 Une faible mise en valeur du périmètre durant l’hivernage
Les statistiques moyennes observées chez les bénéficiaires du 3PRD ne doivent pas occulter les problèmes qui commencent à apparaître et qui risquent de compromettre la durabilité de ce projet. Selon les données de la SAED, entre 2017 et 2021, le rapport entre la superficie exploitable et la superficie mise en valeur montre qu’à chaque campagne, de nombreuses parcelles restent inexploitées (Fig. 3). Hormis les campagnes 2017–2018 où l’intensité culturale (IC) se situe à 1,8, en 2018–2019 et en 2019–2020, l’IC est estimée respectivement à 1,2 et à 1,5, ce qui est en deçà de la norme de 1,7 imposée par le cahier des charges.
Ces terres inexploitées sont plus importantes en hivernage (1 389 ha pour l’hivernage 2018–2019 et 866 ha pour 2020–2021). En saison sèche chaude, les surfaces inexploitées sont moins importantes (401 ha en 2017, 83 ha en 2018, 285 ha en 2019 et 88 ha en 2020). Les superficies non mises en valeur en hivernage s’expliquent en partie par le retard de la fin de la campagne de contre-saison chaude, qui peut empiéter sur celle d’hivernage. Si les cultivateurs du 3PRD peuvent démarrer leur campagne à tout moment, la majorité d’entre eux ne disposant pas de moissonneuse sont obligés d’attendre que cette machine soit disponible pour pouvoir récolter leur riz. L’insuffisance du nombre de machines dans cette zone implique que la récolte de la production de contre-saison chaude coïncide souvent avec l’apparition des premières pluies, qui rendent difficiles le labour des parcelles pour la campagne d’hivernage.
Fig. 3 Superficies exploitables et exploitées dans le périmètre du 3PRD en fonction des campagnes (2017 à 2021). Source : SAED. Usable and utilized farm areas within the 3PRD perimeter based on crop years (2017 to 2021). |
4 Discussion
Les avantages de l’approche proposée par le 3PRD sont liés à certaines innovations. Le périmètre rompt, d’une part, avec les modèles des grands aménagements collectifs réalisés par la SAED, et où les paysans organisés en union hydraulique sont obligés de partir ensemble en campagne agricole (Seck, 2009), et évite, d’autre part, les problèmes des aménagements sommaires de mauvaise qualité que les producteurs, laissés à eux-mêmes, réalisaient avec les périmètres irrigués privés (Bélières et Touré, 1999). Contrairement aux autres grands aménagements, chaque producteur dispose dans le 3PRD, pour son exploitation, de ses propres outils, qui lui permettent d’entamer sa production à n’importe quel moment dans l’année. L’utilisation de l’électropompe dans le cadre de ce projet facilite cette autonomisation des producteurs. Chaque électropompe est composée d’une pompe, des câbles, d’une armoire de commande et des accessoires (pieds d’assise de la pompe, tuyau de refoulement, échelles, vannes, etc.). Cet outil se différencie des stations de pompage conçues pour les grands aménagements et dont les coûts liés au paiement de l’électricité ne peuvent être supportés que par un groupement de producteur. Il se distingue aussi des groupes motopompes utilisés dans les périmètres irrigués privés, qui fonctionnent avec du gazole et sont sujets à des pannes fréquentes. Toutefois, cette autonomie de production n’est pas complète. L’ensemble du périmètre du 3PRD est irrigué par un seul canal d’amenée, sans la mise en eau duquel les cultivateurs ne peuvent pas commencer la campagne. En outre, les adducteurs et les collecteurs que se partagent tous les promoteurs nécessitent des entretiens rigoureux et réguliers pour leur durabilité, à cause de l’abondance des plantes aquatiques qui les envahissent et qui peuvent ralentir la circulation de l’eau. Ces contraintes expliquent la mise en place du Comité de gestion du périmètre après les attributions. Ce Comité a un bureau formé par les bénéficiaires et doit veiller à la durabilité du périmètre, ce qui peut poser problème car il montre que les producteurs ne sont pas totalement autonomes.
Le périmètre a permis aux bénéficiaires de cultiver des parcelles totalisant approximativement 5 ha, ce qui facilite l’intervention des engins lourds comme les tracteurs et les moissonneuses durant les labours ou la récolte, tout en donnant aux producteurs l’opportunité de réaliser un bénéfice global conséquent. Auparavant, la SAED n’attribuait dans les grands aménagements et les aménagements intermédiaires que des superficies d’environ 0,2 ha par actif (Seck, 1981). Pour être plus attrayant, le 3PRD a proposé cinq catégories d’exploitations, allant de 5 à 100 ha (Tab. 1). Cette approche consistant à attribuer des parcelles de taille variable aux producteurs est similaire à celle qui avait déjà été adoptée au Maroc en 2008 dans le cadre du « Plan Maroc Vert », qui visait la modernisation de l’agriculture marocaine à travers la mise en valeur de l’ensemble de son potentiel agricole (Tamehmacht, 2015).
Une autre innovation du 3PRD est la contractualisation des bénéficiaires de ce projet avec la Compagnie agricole de Saint-Louis (CASL), une agro-industrie rizicole qui leur achète le paddy à un prix un peu supérieur à celui du marché, soit 130 FCFA au lieu de 125 FCFA/kg de paddy. C’est un autre facteur qui explique pourquoi les bénéficiaires du projet réalisent des bénéfices supérieurs à ceux des autres riziculteurs interviewés, qui vendent souvent aux petits revendeurs locaux.
Toutefois, malgré les innovations apportées par le 3PRD, certains problèmes pourraient limiter la durabilité de ce projet. Outre le problème de faiblesse des superficies cultivées dans le périmètre du 3PRD durant l’hivernage, les enquêtes réalisées auprès des producteurs du 3PRD et des autres riziculteurs non bénéficiaires, concernant la campagne de contre-saison chaude 2018, montrent que les rendements sont plus importants chez les seconds. En effet, le rendement du riz est beaucoup plus élevé chez les autres riziculteurs, mais avec des surfaces 7 fois plus petites. Ils ont obtenu en moyenne 6,5 t/ha contre 5,6 t/ha dans le 3PRD. Pour la même campagne, le Centre de gestion et d’économie rurale (CGER) trouve le même rendement moyen auprès de 90 producteurs du 3PRD (5,6 t/ha), mais souligne que ce rendement est largement en hausse par rapport à celui enregistré lors de la précédente campagne d’hivernage, qui s’établissait à 4,61 t/ha. Les facteurs qui expliquent le rendement sont nombreux, mais les producteurs interrogés désignent particulièrement la salinité des sols de certaines parties du périmètre du 3PRD. Ils expliquent cette présence du sel, qui affecte les parties les plus proches des canaux de drainage, par trois facteurs :
la salinité du matériau utilisé par l’entrepreneur RC Construções pour compléter les aménagements terminaux et les travaux de terrassement ;
la salinité de l’eau du Gorom qui est utilisée pour irriguer les champs du 3PRD ;
les problèmes de planage à l’intérieur des parcelles, qui font que les parties situées à proximité des drains sont plus salées.
Pour le moment il n’y a pas de mesures sur le niveau de salinité dans le périmètre du 3PRD. Les mesures réalisées par la SAED dans l’avant-projet sommaire indiquaient que le site du projet était constitué de deux zones principales, l’une située du côté du Gorom aval où les classes de salinité varient de « non salées » (CE à 25 °C < 500 μs/cm) à « salées » (CE à 25 °C allant de 1 000 à 2 000 μs/cm) et l’autre située du côté de l’émissaire Delta, où les classes de salinités varient de « salées » à « extrêmement salées » (CE à 25 °C > 4 000 μs/cm) (AGER-SETICO, 2008). Cette salinité est ancienne dans cette zone, mais elle devrait être réduite par les réseaux hiérarchisés d’irrigation et de drainage, ainsi que par le planage adéquat des parcelles réalisés par le 3PRD. Un rapport récent de la SAED sur le 3PRD confirme cette salinité lorsqu’elle note qu’« une partie importante des parcelles du périmètre connaît un niveau élevé de salinité qui compromet les rendements et la production » (3PRD, 2019). Les attributaires du 3PRD interrogés par Diop (2020) jugent également qu’il y a une importante remontée de sel dans les canaux de drainage, surtout ceux des parcelles de 5 et 10 ha, à cause de leur mauvais aménagement.
Ce problème de salinité risque de compromettre la viabilité du modèle et de réduire progressivement la rentabilité de la riziculture irriguée selon le modèle du 3PRD, ce qui pourrait occasionner de lourdes pertes, autant pour les producteurs qui ont contribué au financement des aménagements terminaux que pour l’État. Les attributaires du 3PRD connaissent également d’autres difficultés qui peuvent affecter les performances du périmètre. Selon les résultats de Diop (2020), en fin de campagne de contre-saison chaude et en début d’hivernage, la mauvaise qualité de l’aménagement des pistes de desserte du périmètre du 3PRD fait que ces dernières ne sont plus utilisables durant l’hivernage, ce qui peut entraîner des pertes post-récoltes et/ou augmenter les frais de transport des productions vers les centres d’écoulement.
La faible présence des petits exploitants dans le 3PRD mérite également d’être soulignée. Les critères de sélection ont exclu les plus pauvres et/ou les catégories sociales défavorisées comme les jeunes (Sylla et al., 2021). Selon les résultats de Sylla (2022), qui a analysé les caractéristiques des producteurs du 3PRD comparées à celles des autres riziculteurs de la zone, les bénéficiaires du 3PRD sont dans leur majorité des hommes d’affaires, des dignitaires religieux, des fonctionnaires ou des personnes influentes dans les organisations paysannes.
L’inclusion des petits exploitants dans les projets de type partenariat public-privé est une préconisation de la FAO (2016), mais elle demeure problématique. En fait, le partenariat public-privé sert plutôt à transférer aux producteurs qui en ont les moyens les terres inutilisées ou sous-exploitées, afin d’augmenter les quantités produites et de lutter contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté, alors que la possibilité des petits exploitants de participer à ce processus est difficile, faute de ressources et de soutiens.
En dehors du Delta du fleuve Sénégal, d’autres projets bâtis autour du partenariat public-privé en Afrique excluent les petits exploitants et, de plus, montrent des résultats mitigés. Ce sont notamment les programmes de pôles de croissance en Tanzanie (Southern Agricultural Growth Corridor of Tanzania ou SAGCOT), au Ghana (Ghana Commercial Agriculture Project ou GCAP), au Malawi (Green Belt Initiative ou GBI), au Burkina Faso (Pôle de croissance de Bagré) et au Mozambique (Pôle de croissance agricole de Beira et Pôle de croissance de Nacala, également appelé « ProSAVANA ») (OXFAM, 2014). Selon OXFAM (2014), ces projets de type partenariat public-privé ne donnent aucune garantie d’efficacité et les avantages des investissements qu’ils réalisent ne profitent qu’aux grands producteurs alors que les intérêts des petits exploitants sont ignorés. C’est l’exemple aussi du projet El Guerdane au Maroc, inauguré en 2008, et qui s’appuie sur le partenariat public-privé pour alimenter en eau 10 000 ha de plantations d’agrumes. Les résultats de Houdret et Bonnet (2016) montrent que le projet El Guerdane sert les intérêts économiques des grands agriculteurs et augmente la marginalisation des petits exploitants en termes d’accès à l’eau et au foncier irrigué.
5 Conclusion
Le 3PRD a innové par l’attribution de grandes superficies et les possibilités offertes par les équipements pour pratiquer la double culture. Toutefois, les contraintes que connaît le périmètre alors qu’il est exploité depuis moins de 5 années méritent réflexion. Les résultats montrent que les attributaires ont des charges de production élevées, alors que les rendements obtenus sont décevants, à cause, entre autres, de problèmes de salinité et de défauts d’aménagement dans certaines parties du périmètre. Un meilleur planage des parcelles, combiné à un meilleur réseau de drainage, pourrait réduire ces handicaps. Les attributaires pointent du doigt la mauvaise qualité de ces aménagements et le matériau qui a été utilisé pour les réaliser. En outre, l’intensification de la riziculture irriguée recherchée par ce projet ne peut être réalisée que si les producteurs arrivent à cultiver aussi bien en contre-saison chaude qu’en hivernage. Dans le projet 3PRD, le retard de récolte des productions de contre-saison chaude induit des difficultés à mettre en valeur les mêmes parcelles pendant l’hivernage. Cela empêche certains attributaires d’atteindre une intensité culturale conforme au cahier des charges et de tirer des profits adéquats de leur exploitation. Ces contraintes doivent être levées pour que les bénéficiaires du projet puissent obtenir un retour sur investissement plus rapide, mais également pour que le modèle d’exploitation du 3PRD puisse motiver et inspirer les futurs aménagements hydroagricoles du Delta et d’ailleurs.
Références
- AGER-SETICO. 2008. Programme 3PRD – Rapport d’APS du schéma d’aménagement des réseaux secondaires d’alimentation et de drainage ainsi que des pistes de desserte de 2.500 ha d’irrigation privée dans la zone du Gorom Aval. 162 p. [Google Scholar]
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Citation de l’article : Sylla EHM, Seck SM, Barbier B, Niang S, Faye CAT, Ndiaye AM. 2023. Le partenariat public-privé appliqué aux investissements dans la grande irrigation en Afrique : le Projet de promotion du partenariat rizicole dans le Delta du fleuve Sénégal. Cah. Agric. 32: 9. https://doi.org/10.1051/cagri/2023002.
Liste des tableaux
Taille des exploitations et contribution des attributaires du 3PRD (1 € = 656 FCFA).
Farm size and contribution of 3PRD beneficiaries.
Comparaison des moyennes des statistiques de la production rizicole entre les riziculteurs bénéficiaires du 3PRD et les non-bénéficiaires.
Comparison of average rice production statistics between 3PRD beneficiaries and non-beneficiary rice farmers.
Liste des figures
Fig. 1 Répartition des villages étudiés dans le Delta du fleuve Sénégal. Source des données : SAED, conception des auteurs. Distribution of the villages surveyed in the Senegal River Delta. |
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Fig. 2a Occupation de l’espace avant l’implantation du 3PRD. Land use before the implementation of 3PRD. |
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Fig. 2b Occupation de l’espace après l’implantation du 3PRD. Source : SAED, Google Earth, conception auteur. Land use after the implementation of 3PRD. |
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Fig. 3 Superficies exploitables et exploitées dans le périmètre du 3PRD en fonction des campagnes (2017 à 2021). Source : SAED. Usable and utilized farm areas within the 3PRD perimeter based on crop years (2017 to 2021). |
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