Issue
Cah. Agric.
Volume 34, 2025
Réduire l’utilisation des pesticides agricoles dans les pays du Sud : verrous et leviers socio-techniques / Reducing the use of agricultural pesticides in Southern countries: socio-technical barriers and levers. Coordonnateurs : Ludovic Temple, Nathalie Jas, Fabrice Le Bellec, Jean-Noël Aubertot, Olivier Dangles, Jean-Philippe Deguine, Catherine Abadie, Eveline Compaore Sawadogo, François-Xavier Cote
Article Number 1
Number of page(s) 8
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2024034
Published online 24 January 2025

© O. Ouedraogo et al., Hosted by EDP Sciences 2025

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

Dans de nombreux pays africains, l’agriculture urbaine joue un rôle central dans l’alimentation des citadins. Mais cette production maraîchère est confrontée à d’importantes pertes liées aux attaques de ravageurs. Afin de contrôler ces derniers en vue d’optimiser les rendements, les producteurs utilisent des pesticides de synthèse (Balasha et Fyama, 2020 ; Zongo et al., 2023). Or, cette utilisation ne respecte ni les dosages, ni les fréquences de traitement, ni la période de rémanence avant récolte (Goura et al., 2023), engendrant ainsi des risques sanitaires et environnementaux. Ces nombreux risques incitent à recourir à des systèmes de protection des cultures moins dangereux pour la santé des producteurs et des consommateurs (De Bon et al., 2018 ; Kpadenou et al., 2020 ; Yonli et Ouédraogo, 2023). Ainsi, les producteurs sont encouragés par les Organisations non gouvernementales (ONG) et les associations qui leur apportent un appui technique à recourir aux biopesticides au lieu des pesticides de synthèse. Les biopesticides représentent une alternative à la dépendance aux pesticides de synthèse et sont considérés comme des intrants biologiques (Deravel et al., 2014). Ces substances d’origine végétale sont surtout utilisées en agroécologie, qui apparaît depuis quelques années comme une alternative à l’agriculture intensive. Toutefois, si l’innocuité des bio-insecticides pour des organismes non ciblés (insectes non sensibles et vertébrés) sur une courte période (toxicité aiguë) a été montrée, les effets indésirables potentiels d’une exposition à long terme (toxicité chronique) ne sont pas connus (Joly et al., 2020).

L’agroécologie reste un concept encore peu concrétisé dans de nombreux pays africains (Besse et Del Corso, 2021). Ainsi, chaque pays réadapte les 13 principes de durabilité énoncés en 2019 par le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE) pour la définir. Au Burkina Faso, elle est définie par le Conseil national de l’agriculture biologique (CNABIO) comme la limitation, voire l’interdiction des intrants chimiques de synthèse, en prenant en compte l’ensemble des paramètres écologiques de l’espace cultivé (CNABIO, 2021). Bien que la définition soit multidimensionnelle, au Burkina Faso le principe 2, qui se traduit par la substitution partielle ou totale des pesticides de synthèse par une pratique agroécologique reposant sur les biopesticides, constitue un principe phare de l’agroécologie. L’usage des biopesticides apparaît donc comme un enjeu important pour apprécier l’évolution vers de nouvelles pratiques agricoles maraîchères.

Au Burkina Faso, l’agroécologie a d’abord été développée par Pierre Rabbhi comme moyen de remédier aux sécheresses et à la désertification (Gross, 2018). Dans la communauté de communes du Grand Ouaga, son développement est surtout lié à l’accompagnement et à l’investissement des ONG pour étendre la pratique. Ces dernières promeuvent depuis quelques années des techniques de substitution aux pesticides de synthèse.

L’objectif de cet article est d’analyser les modes de diffusion des biopesticides et de décrire les limites à leur adoption par les maraîchers. Pour cela, nous montrons la place importante des pesticides de synthèse dans le maraîchage conventionnel. Puis, nous analysons les modes d’intervention des nouveaux acteurs qui participent à la transformation progressive des pratiques par la diffusion des biopesticides. Enfin, nous décrivons les caractéristiques des producteurs qui ont recours aux biopesticides et les limites à l’adoption de ces derniers.

2 Matériel et méthodes

L’étude a été réalisée dans le territoire géographique du Grand Ouaga. Il regroupe les régions Centre et Plateau central, composées d’un ensemble de huit communes (Fig. 1).

Les exploitations maraîchères conventionnelles étudiées ont été identifiées avec l’aide des agents des Unités d’animation technique (UAT) et à l’aide de la méthode boule de neige. Les producteurs qui utilisent les biopesticides ont été choisis sur la base des informations fournies par le CNABIO, de l’ONG Manitese et de l’association Manegdbzanga. Au total, 125 maraîchers, dont 110 issus de 12 associations, et 15 producteurs individuels ont été interrogés. Le questionnaire a été implémenté sur la plateforme Kobotoolbox et la saisie a été faite via des smartphones. Les données géographiques concernant la localisation des zones de production ont été collectées simultanément lors de l’administration du questionnaire.

Des entretiens ont également été réalisés avec des acteurs qui interviennent auprès des producteurs, comme le CNABIO, des agents de l’État désignés sous l’appellation de chefs de Zone d’appui technique (ZAT), l’association Manegdbzanga, l’ONG Terre et humanisme et l’Association Songui Manégré / Aide au développement endogène (ASMADE).

Pour l’interprétation des données quantitatives, des statistiques descriptives ont été générées sur Excel pour donner un aperçu des caractéristiques des exploitants et réaliser des tableaux croisés. Les entretiens ont été retranscrits et analysés selon leur contenu. Les données spatiales ont été mises en carte à l’aide du logiciel Arcgis 10.8 par les auteurs.

thumbnail Fig. 1

Localisation des zones de production agricole.

Localization of agricultural production areas.

3 Résultats

3.1 L’usage des pesticides de synthèse, point commun de la majorité des maraîchers

Parmi les maraîchers interrogés, 64 % (Tab. 1) ont recours aux pesticides de synthèse (37 % étant des femmes et 27 % des hommes). Ces produits chimiques, destinés à lutter contre les nuisibles et les végétaux indésirables, regroupent les insecticides, les herbicides et les fongicides. Ces derniers sont les plus utilisés par les maraîchers du Grand Ouaga. Cependant, ce n’est pas tant l’usage de ces pesticides qui pose problème, mais leurs conditions d’utilisation et leurs modes d’emploi. En effet, ils sont soit mélangés, soit reconditionnés.

Pour certains producteurs, le reconditionnement est lié au coût. En effet, le prix des bouteilles de pesticides de synthèse varie de 500 FCFA à 3000 FCFA. Afin de faciliter la vente quel que soit le revenu des producteurs, les revendeurs reconditionnent les produits dans d’autres contenants. Ceux qui ne peuvent se procurer la bouteille entière achètent la bouteille reconditionnée vendue à prix réduit (Fig. 2). Ainsi, un producteur de Loumbila nous confie : « Alligator coûte 3000 FCFA mais il y a des producteurs qui n’ont pas les moyens de l’acheter. Donc il est reconditionné dans des bouteilles de sucrerie (0,5 l) pour être revendu à 1000 FCFA ». 41 % des maraîchers ont recours à cette pratique.

Lorsque le producteur n’arrive pas à lutter efficacement contre certains ravageurs avec un seul pesticide de synthèse, il procède à des mélanges (Fig. 3). Dans notre échantillon, 31 % des producteurs ont recours à cette pratique. Cette manière de faire peut contribuer à développer des résistances chez les ravageurs, rendant inefficace le mélange et incitant le producteur à augmenter les doses.

Les pratiques des maraîchers traduisent une réalité économique car ils ont besoin de revenus pour satisfaire leurs besoins vitaux. Pour eux, c’est une question de survie et l’économie prime sur la santé. Toutefois, ces dernières années, la prise de conscience des producteurs, des ONG et des associations concernant les impacts négatifs des pesticides de synthèse sur la santé et l’environnement les conduit à sensibiliser et à former les producteurs à l’adoption des biopesticides. Les démarches de conversion des producteurs conventionnels reposent alors sur des incitations à recourir à une pratique agroécologique.

Tableau 1

Variables socio-démographiques des maraîchers.

Socio-demographic variables of market gardeners.

thumbnail Fig. 2

L’herbicide Alligator® reconditionné.

Alligator® synthetic herbicide repackaged.

thumbnail Fig. 3

Mélange de deux pesticides.

Mixture of two pesticides.

3.2 Les acteurs du changement de pratiques et les modes d’intervention

Les acteurs qui interviennent auprès des producteurs sont les ONG et les associations. Les actions réalisées sont la sensibilisation et la formation à la production de biopesticides et de biofertilisants, au compostage, aux techniques de restauration des eaux et des sols, ainsi qu’à la formation en micro-jardinage.

Le CNABIO est la faîtière des associations d’agroécologie au Burkina Faso. Elle mène des activités de sensibilisation et de formation auprès de ses membres. Elle est également l’intermédiaire entre les associations et le ministère en charge de l’Agriculture pour la promotion de l’agroécologie.

Excepté les associations Yelemani et Manegdbzanga qui sont situées dans la commune de Loumbila, tous les autres acteurs sont localisés dans la commune de Ouagadougou, mais leurs interventions s’étendent aux autres communes, voire au-delà de la limite du territoire du Grand Ouaga. Ils accompagnent les producteurs regroupés en associations, plus organisés et accessibles. Chaque acteur fait la promotion d’une pratique d’agroécologie à travers différentes actions.

Yelemani, Béoneere et La saisonnière sont des associations d’agriculture biologique, dont les responsables promeuvent cette forme d’agriculture auprès des producteurs conventionnels. À travers des sensibilisations et des formations, elles participent aux changements de pratiques de certains producteurs. Même s’ils n’utilisent pas exclusivement les biopesticides, ils peuvent adopter des comportements plus responsables en réduisant les pesticides de synthèse.

L’association Manegdbzanga forme les producteurs à travers des champs-écoles, un dispositif pédagogique basé sur des démonstrations réalisées en présence du producteur, qui peut y apporter son expérience personnelle. Les formations dans le champ-école sont interactives et motivent ainsi les producteurs à utiliser les biopesticides.

Terre et humanisme est une ONG qui opère à travers la valorisation des savoirs et savoir-faire locaux. Le chargé de projet de l’ONG précise que « les savoirs sont capitalisés à travers des cadres d’échange, pour ensuite les améliorer, les diffuser et les vulgariser auprès des producteurs ».

L’ONG ASMADE intervient dans des jardins-écoles où les pratiques agricoles écologiques sont enseignées. Après la formation, les maraîchers repartent dans leur parcelle privée pour appliquer à leur tour les biopesticides.

Cependant, le paysage agricole est dominé par l’utilisation des pesticides de synthèse, et malgré l’action conjuguée des acteurs qui interviennent dans le domaine, l’adoption est lente et partielle.

3.3 Les pratiques variées des utilisateurs de biopesticides

Dans le Grand Ouaga, les premiers producteurs ont commencé à pratiquer l’agroécologie à partir de 2010. Ils l’ont ensuite diffusée, ainsi que les ONG intervenant dans le domaine. Les maraîchers qui utilisent des biopesticides sont installés dans des espaces différents de ceux du maraîchage conventionnel. Ils se regroupent en trois catégories :

  • les maraîchers qui sont certifiés biologiques par le CNABIO. Ils utilisent exclusivement des biopesticides pour lutter contre les nuisibles. Ils représentent 36 % des producteurs et sont issus de sept organisations collectives ;

  • les maraîchers qui mettent en place une pratique basée sur les biopesticides sur des parcelles situées à distance de celles du maraîchage conventionnel. Ils représentent 37 % des producteurs. Ils sont regroupés dans deux associations et exploitent deux sites collectifs. Chaque producteur dispose de quelques parcelles pour une exploitation personnelle sur le site collectif équipé d’un forage. Mais ils n’abandonnent pas les pratiques conventionnelles qu’ils poursuivent sur d’autres parcelles individuelles ailleurs. Ces sites de production sont des champs-écoles et ont pour objectif d’inciter par l’exemple les producteurs à adopter une pratique agroécologique, selon le responsable de l’association Manegdbzanga ;

  • les maraîchers qui utilisent des biopesticides sur des champs localisés à proximité de ceux du maraîchage conventionnel. Ils sont regroupés dans une seule association, mais chacun exploite individuellement ses parcelles. Ils représentent 63 % des producteurs. Le maraîcher subdivise sa parcelle en deux. Une grande portion est dédiée au maraîchage conventionnel et seulement 0,25 ha est consacré à l’expérimentation des biopesticides.

Dans la première catégorie, les maraîchers s’inscrivent dans une démarche d’agriculture biologique parce qu’ils suivent un cahier des charges (utilisation de semences biologiques, de biopesticides, d’eau de qualité, de compost, etc.). Ils occupent de nouveaux espaces éloignés de ceux du maraîchage conventionnel.

Dans les deux autres catégories, les producteurs ne sont pas certifiés, mais ils ont une démarche qui s’appuie principalement sur les biopesticides et associe de façon irrégulière le compostage ou d’autres techniques agroécologiques. L’accent est mis sur les biopesticides car « les producteurs "déversent" énormément de pesticides chimiques sur les cultures » affirme un producteur.

Le niveau d’instruction des producteurs qui utilisent les biopesticides et les pesticides de synthèse est le même. En effet, 68 % sont sans niveau d’instruction ; 17 % et 9 % ont respectivement le niveau primaire et secondaire ; seuls 4 % ont fait des études supérieures (Fig. 4). Ces derniers sont les responsables des associations qui utilisent exclusivement des biopesticides.

thumbnail Fig. 4

Niveau d’instruction des exploitants maraîchers.

Education level of market gardeners.

3.4 Une production facile des biopesticides, mais une efficacité critiquée

Les biopesticides sont des substances naturelles utilisées pour lutter contre les ravageurs des cultures. Les enquêtes ont permis de décrire leur composition à base de feuilles de neem, de papayer, de mélina, de débris de végétaux, de poudre de savon, de levure (obtenue à partir de la fermentation de la boisson locale faite à base de sorgho rouge), du mélange de certaines feuilles aromatiques, de tabac, de gingembre, d’ail, etc. (Fig. 5). Toutes ces substances peuvent se trouver localement.

Tous les producteurs n’ont pas recours aux biopesticides. Les non-adoptants sont souvent ceux qui n’ont jamais eu l’information. D’autres en ont entendu parler mais ne sont pas convaincus. Ils représentent 33 % des maraîchers et sont constitués de tous les producteurs individuels, et de quelques producteurs en association qui pratiquent le maraîchage conventionnel.

Les maraîchers qui adoptent partiellement les biopesticides alternent avec des pesticides de synthèse sur leurs parcelles en maraîchage conventionnel. Les biopesticides ne sont pas l’apanage exclusif des producteurs qui pratiquent l’agroécologie. À Ouagadougou, au secteur 39, et à Loumbila, 7 % des producteurs individuels en maraîchage conventionnel ont expérimenté les biopesticides. De même, l’association Yelemani a formé les parents d’élèves à Loumbila (commune du Grand Ouaga). Cependant, ces producteurs ont rapidement arrêté de les acheter ou de les autoproduire car ils les trouvaient inefficaces.

Les maraîchers conventionnels trouvent les biopesticides « inefficaces » car ils n’agissent pas de la même manière que les pesticides de synthèse. De ce fait, ces biopesticides ne bénéficient pas d’une « cote de popularité » élevée auprès des maraîchers conventionnels, alors qu’ils participent à un système de production durable. Les producteurs ne se soucient pas de la durabilité de la filière, mais plutôt de l’efficacité des produits. Une productrice de Noungou affirme « J’ai utilisé une fois, mais le temps de production est long car on ne peut pas le faire sur place. Souvent, il y a des ravageurs pour lesquels on ne peut pas lutter avec les biopesticides. Tu es obligé de prendre des pesticides de synthèse ». En fait, les biopesticides ne sont pas curatifs, il faut les pulvériser à titre préventif. Cela nécessite donc plusieurs traitements réguliers.

Les biopesticides réduisent l’utilisation des intrants chimiques utilisés par les producteurs conventionnels, mais leur action lente n’est pas favorable à leur adoption massive. Cela freine souvent l’adhésion des agriculteurs conventionnels. En effet, l’usage des intrants chimiques permet des rendements importants et réduit la charge de travail sur la parcelle, contrairement à l’usage des biopesticides. Même si les biopesticides permettent de réduire la contamination des sols sur le long terme, les agriculteurs envisagent généralement leur activité sur le court terme.

thumbnail Fig. 5

Biopesticide autoproduit et biopesticides commercialisés par Bioprotect®.

Self-produced biopesticide and biopesticides marketed by Bioprotect®.

4 Discussion

4.1 Développement d’une pratique agroécologique dans un contexte de forte domination des modes de production conventionnels

Le mélange de pesticides de synthèse a pour objectif de renforcer leur efficacité et d’éliminer plus rapidement les ennemis des cultures, lorsque le producteur se rend compte de la persistance des nuisibles et du manque d’effet d’un seul pesticide de synthèse. Cette technique est aussi pratiquée par les maraîchers du Congo dans l’espoir d’obtenir plus d’effets sur les ravageurs ciblés (Balasha et Fyama, 2020). Elle est aussi motivée par une recherche de synergies entre pesticides de synthèse de classes distinctes et d’amélioration de l’aspect des productions agricoles (Gaillard, 2022).

L’utilisation des pesticides de synthèse s’explique également par la méconnaissance des alternatives à leur utilisation pour 33 % des maraîchers. Ces producteurs n’ont jamais entendu parler des biopesticides. Ils ont également été identifiés dans l’étude de Zongo et al. (2023), qui montre que certains producteurs ignorent l’existence des biopesticides. Cela explique l’usage permanent des pesticides de synthèse malgré les risques encourus, qui sont majoritairement liés à un mésusage par manque de connaissances et d’encadrement.

Le recours aux pesticides de synthèse est également lié aux rendements plus faibles en moyenne en agroécologie qu’en agriculture conventionnelle (De Bon et al., 2018). Cette baisse de rendement ne motive pas les producteurs, qui préfèrent une production conventionnelle économiquement plus rentable, qui permet de subvenir aux besoins de base vitaux et d’investir davantage dans des postes de dépenses centraux pour le bien-être du ménage (Ba et Cantoreggi, 2018). Cela constitue un facteur favorable à l’agriculture conventionnelle.

Quelques producteurs se distinguent en recourant aux biopesticides. Mais ils cultivent des parcelles avec des pesticides de synthèse à proximité de celles où ils utilisent des biopesticides. L’absence de cahiers des charges ne contraint pas les producteurs au respect d’une distance minimale entre les deux parcelles. Cependant, des grillages sont mis à disposition de chaque producteur pour séparer le champ expérimentant les biopesticides de celui en maraîchage conventionnel. Cette proximité amène les producteurs à comparer la prolifération des ravageurs sur deux parcelles voisines traitées avec des biopesticides ou avec des pesticides de synthèse.

Les biopesticides ont une faible rémanence, mais ils arrivent à maintenir la population des ravageurs en dessous du seuil de nuisibilité et permettent de réduire l’usage des pesticides de synthèse sur les légumes (Rabo et al., 2021). De plus, dans le Grand Ouaga, les producteurs, en plus des biopesticides, pratiquent souvent la rotation, les associations de cultures, l’usage de la citronnelle, etc. comme techniques répulsives. Toutes ces actions combinées peuvent permettre de réduire la population de ravageurs sur le champ traité avec des biopesticides.

4.2 Réticence à l’adoption des méthodes de substitution aux pesticides de synthèse

Certains producteurs ont déjà entendu parler des biopesticides et les ont même expérimentés. Mais leur usage en préventif et le temps de travail consacré à leur production ont amené les producteurs à les abandonner. Ce résultat confirme celui d’une étude réalisée à Lubumbashi, en République démocratique du Congo, où le temps consacré à la préparation des extraits de plantes, leur faible rémanence et leur spectre d’action très réduit, comparé à celui des pesticides de synthèse, ont alimenté chez les agriculteurs des doutes sur leur efficacité (Balasha et Fyama, 2020).

Les producteurs qui ont expérimenté ou adopté partiellement les biopesticides représentent 30 % de l’échantillon. Ils alternent biopesticides et pesticides de synthèse sur leurs parcelles. Ils sont soit non scolarisés, soit ont un niveau d’instruction primaire ou secondaire. Ils sont encadrés par des ONG et bénéficient d’aides à la production de biopesticides.

Les maraîchers adoptant totalement les biopesticides travaillent sur un espace collectif. Ils sont constitués de 89 % de femmes et 11 % d’hommes. Cette adhésion des femmes est liée au processus de fabrication des biopesticides qui se fait avec un mortier, qui est un instrument exclusivement destiné aux femmes sur le plan traditionnel (Zongo et al., 2023).

Généralement, dans les associations qui ont recours uniquement aux biopesticides, les producteurs ont un faible niveau d’instruction, ce qui n’est pas le cas de leurs encadrants. En effet, les responsables d’association ont un niveau d’instruction supérieur. Mais, même si les maraîchers ne font pas partie des responsables, l’étude de Kpadenou et al. (2020) réalisée dans la vallée du Niger (Bénin) montre que l’instruction a également un effet sur le point de vue des maraîchers et leur permet d’appréhender les avantages liés à l’adoption des pratiques agroécologiques sur la santé humaine, l’écosystème, ainsi que sur la productivité.

L’appartenance à une organisation collective et les accompagnements incitent les producteurs à recourir aux biopesticides. Ces organisations sont une force de persuasion pour faire accepter les changements. Des études similaires réalisées au Bénin ont montré que les associations sont un creuset d’échanges de nouvelles informations et/ou de pratiques entre les différents membres. L’appartenance à une association permet aux maraîchers d’obtenir des informations relatives aux biopesticides et donc aux pratiques de l’agroécologie (Adekambi et al., 2010). Malgré cela, l’adoption des biopesticides reste limitée dans le Grand Ouaga.

5 Conclusion

Dans le Grand Ouaga, les maraîchers ont recours aux pesticides de synthèse reconditionnés ou mélangés. Malgré les campagnes de formation et de sensibilisation, de nombreux producteurs conventionnels ont toujours une méconnaissance des biopesticides. Cela peut s’expliquer par un manque d’encadrement et de formation, ou par une diffusion restreinte de l’information.

Depuis quelques années, de nouvelles pratiques se développent avec la diffusion des biopesticides sous l’impulsion des ONG et des associations. Cependant, leurs objectifs ne sont toujours pas atteints car les producteurs continuent d’utiliser des pesticides chimiques. Malgré les connaissances liées à la dangerosité des pesticides de synthèse, les associations n’arrivent pas à convaincre les producteurs. Pour réellement changer les pratiques et faire adopter les biopesticides par les maraîchers, les structures devraient favoriser la commercialisation à grande échelle des biopesticides, car les producteurs évoquent souvent la pénibilité du travail liée à leur fabrication et leur faible disponibilité.

Quand bien même l’usage des biopesticides reste limité, il constitue un premier pas pour l’adoption de pratiques agroécologiques. En effet au Burkina Faso, où l’agriculture est fortement consommatrice d’intrants chimiques, les biopesticides constituent le cœur de l’action des promoteurs de l’agroécologie et une première entrée vers des pratiques plus durables.

Références

Citation de l’article : Ouedraogo O, Nikiema A, Margetic C. 2025. Usage des biopesticides en substitution aux pesticides de synthèse au Burkina Faso : une adoption limitée. Cah. Agric. 34: 1. https://doi.org/10.1051/cagri/2024034

Liste des tableaux

Tableau 1

Variables socio-démographiques des maraîchers.

Socio-demographic variables of market gardeners.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Localisation des zones de production agricole.

Localization of agricultural production areas.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

L’herbicide Alligator® reconditionné.

Alligator® synthetic herbicide repackaged.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Mélange de deux pesticides.

Mixture of two pesticides.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Niveau d’instruction des exploitants maraîchers.

Education level of market gardeners.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Biopesticide autoproduit et biopesticides commercialisés par Bioprotect®.

Self-produced biopesticide and biopesticides marketed by Bioprotect®.

Dans le texte

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