Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 25, Numéro 3, Mai-Juin 2016
Numéro d'article 35003
Nombre de pages 8
Section Études originales / Original Studies
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2016016
Publié en ligne 18 mai 2016

© E.G. Videgla et al., published by EDP Sciences, 2016

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1 Introduction

Les filières arachidières africaines sont dominées par des exploitations familiales souvent petites et peu mécanisées ; leur compétitivité s’est effondrée dans les années 70–90 face à la concurrence des huiles produites à grande échelle (palme, soja, colza, etc.). Avec cette faillite, les appuis à la recherche et aux politiques agricoles ont été retirés aux filières arachidières ouest-africaines. Cela a été en particulier le cas au Bénin, où pourtant la filière arachidière perdure grâce aux transformations artisanales locales qui tirent de l’arachide des produits dérivés très appréciés par les consommateurs ruraux et urbains. L’arachide est ainsi transformée en huile et en pâte d’arachide partiellement déshuilée. Le kwlikwli ou kluiklui est issu de cette pâte d’arachide déshuilée, roulée en bâtonnets et frite (Fig. 1). Il constitue une source peu coûteuse de protéines, lipides, minéraux et vitamines entrant dans l’alimentation des populations, en particulier des enfants. Des produits similaires mais issus de procédés légèrement différents sont commercialisés dans d’autres régions du Bénin, notamment au Nord (commune de Djougou) où ils prennent la forme de galettes et au Sud-Est dans le Mono (communes de Lokossa et de Dogbo) où ils prennent la forme de cercles ou d’escargots. Le processus artisanal d’obtention de l’huile et de ces bâtonnets demande une expertise ne pouvant être acquise que par une longue pratique. Le produit se conserve assez bien sur une longue période (Garba et al., 2015). Les quantités produites ne sont pas négligeables. Lors de notre recensement des unités de transformation dans les trois principales communes productrices de la zone Agonlin, nous avons pu estimer les quantités de kwlikwli produites à 20–25 tonnes par mois. La spécificité du produit est liée pour une bonne part au procédé. Cela n’exclut pas un essaimage géographique des unités de transformation puisque des femmes ayant acquis cette expertise vont migrer, en particulier en zone urbaine, et proposer ce produit dans leur nouveau lieu de résidence.

Cette étude se penche sur l’importance qu’a le kwlikwli d’Agonlin pour les consommateurs locaux au Bénin et sur les attributs de qualité pris en compte lors de l’achat, en particulier le lien à l’origine.

thumbnail Fig. 1

Cuisson des bâtonnets de pâte d’arachide déshuilée kwlikwli.

Kwlikwli sticks out of fried groundnut paste.

2 Qualité et lien à l’origine d’un produit

L’analyse des caractéristiques sur lesquelles des consommateurs fondent leur décision a fait l’objet de nombreux travaux dans des disciplines allant de la gestion à la psychologie et à l’économie des institutions. Ces travaux donnent des clés sur les attributs qui peuvent orienter des consommateurs se trouvant confrontés à une offre de plus en plus variée alors que les liens aux zones de production s’effritent et se dépersonnalisent. Ils classent ainsi les attributs selon une typologie en fonction de l’expérience que le consommateur peut avoir avec le produit, distinguant les attributs dits « de recherche », qui peuvent être appréciés avant l’achat par le biais des cinq sens, les attributs « d’expérience », qui demandent une consommation avant d’être évalués et les attributs « de croyance », non appréciables directement, ni avant ni après consommation, et pour lesquels l’acheteur se réfère pour son information à des tiers plus ou moins identifiés auxquels il prête foi ; c’est le cas par exemple des effets sur la nutrition, de la pureté bactériologique ou chimique, etc. (Darby et Karni, 1973 ; Nelson, 1970). D’attribut de recherche géographique pour celui qui achète en vente directe chez la transformatrice, l’origine devient un attribut de croyance quand le circuit de commercialisation s’allonge.

Les attributs de qualité peuvent être aussi classés en deux groupes (Szybillo et Jacoby, 1974). Contrairement aux attributs intrinsèques, les attributs extrinsèques (comme le prix, la marque commerciale mais aussi les labels et certifications) peuvent se modifier alors que le produit ne se modifie pas. Plus le consommateur devient dépendant d’attributs extrinsèques ou de croyance pour son information et plus les labels, marques et certifications prennent de l’importance dès lors que ces signaux jouissent de suffisamment de crédibilité.

Trois modèles explicatifs ont été repérés pour traiter du lien à l’origine d’un produit dans cette quête d’information. (1) Le lien entre qualité et origine a des bases objectives qui se trouvent dans les savoir-faire spécifiques et dans l’environnement naturel pour les produits dont la qualité en dépend. Van Ittersum et al. (2003) ont ainsi mis en évidence l’influence de ces deux dimensions pour des produits pour lesquels l’origine était évoquée lors du choix. L’origine résume l’ensemble des croyances dans la capacité de la région à produire ce produit spécifique et sert en quelque sorte de « marqueur » de qualité tout comme une marque commerciale. (2) Ce lien concerne le territoire et l’image que l’acheteur s’en fait (Dekhili et al., 2010 ; Menapace et al., 2011). Même certains consommateurs n’ayant aucun lien direct ni avec le territoire d’origine ni avec le produit, associent des attributs positifs au territoire, qu’ils affectent aussi aux produits qui en sont issus. (3) Le lien à l’origine se construit sur les liens socioculturels des populations urbaines avec leur territoire d’origine. Les produits de terroir sont ainsi crédités d’attributs spécifiques liés au renouvellement de l’identité socio-culturelle par les modes de consommation alimentaire (Bérard et Marchenay, 2007).

Ce dernier modèle permet de prendre en considération la capacité d’action des consommateurs qui sont des usagers mais aussi des co-producteurs des produits par des processus de production de plats, de sens et de liens sociaux pour en tirer une utilité multidimensionnelle telle que spécifiée par Lancaster (1966). Des compétences et des techniques collectives de consommation sont indispensables pour transformer un produit en utilités et elles sont tout aussi importantes pour la demande de ce produit et sa patrimonialisation que les compétences au niveau de la production (Chabrol et Muchnik, 2011). Cette expertise qui permet d’intégrer un produit dans l’alimentation est liée aux habitudes alimentaires ; mais les anthropologues de l’alimentation mettent aussi en évidence que ce type de lien au territoire d’origine, via la cuisine, est renouvelé et parfois réinventé par des migrants des diasporas (Dedeire et Tozanli, 2008).

Dès lors que l’origine ne se confond plus avec des attributs de qualité perçus directement par les consommateurs, les questions de certification formalisée du lien à l’origine se posent. Néanmoins, les besoins en informations vont différer selon les types de consommateurs (Lenglet, 2014). Ceux pour qui l’origine est une garantie de qualité intrinsèque (souvent sensorielle) ont besoin d’un label de qualité. Les migrants initialement acquis au produit d’origine sur la base d’habitudes alimentaires accordent de la valeur au renouvellement de leur identité socio-culturelle mais dans un contexte où ces habitudes alimentaires se modifient. Pour les groupes pour lesquels le lien à l’origine du produit dépend de l’image de son territoire, il sera nécessaire de comprendre ce qui fait son attractivité. C’est pourquoi le lien à l’origine a été au centre de l’enquête auprès des consommateurs de kwlikwli d’Agonlin et a été analysé.

3 Une enquête aux points de vente

La zone d’étude s’étend sur deux villes côtières (Cotonou et Abomey-Calavi) et trois communes rurales du Bénin (Covè, Za-Kpota et Zangnanado), constituant respectivement des lieux de consommation et de production importants (Fig. 2). Les trois communes rurales sont situées en pays Agonlin à environ 120 km de Cotonou et sont le foyer de l’activité de production de l’huile d’Agonlin et du kwlikwli. En 2014, une enquête individuelle avec questionnaire a été conduite au moment de l’achat auprès d’un échantillon de 150 acheteurs de kwlikwli d’Agonlin. Notons que les commerçantes se regroupent par produit sur les marchés et pour un même produit, par origine.

Les attributs ainsi que la fréquence de la consommation du produit ont été mis en relation avec divers facteurs du profil du consommateur susceptibles d’expliquer sa place dans la consommation alimentaire et sa préférence pour un kwlikwli de cette origine. L’enquête a en effet pris en compte les niveaux de revenu, le profil socio-économique et les liens au territoire d’origine des acheteurs. L’enquête a permis de vérifier si les acheteurs se soucient de la qualité et de l’origine du produit et a analysé la nature du lien à l’origine ainsi que sa possible dilution chez des consommateurs urbains confrontés à une offre diversifiée.

thumbnail Fig. 2

Carte du Bénin montrant les régions incluses dans l’étude.

Study sites in Benin.

4 Résultats

4.1 Comment et où le produit est-il acheté ?

Le produit est un bâtonnet qui se conserve plusieurs jours s’il est mis à l’abri de l’humidité. Il est vendu par quarantaine entre transformatrices et grossistes mais le plus souvent en petits paquets de 10 (ou 11) ou à l’unité au consommateur.

En zone de production, 55 % des consommateurs s’approvisionnent directement chez une transformatrice et 45 % sur les marchés, où ce sont du reste aussi souvent des transformatrices qui détiennent des droits de place hérités de mère en fille ou belle-fille. Le critère avancé pour le choix de la source d’approvisionnement est la qualité du produit pour 89,4 % des acheteurs.

En milieu urbain, les détaillantes se postent sur les marchés mais aussi dans les rues, les maisons ou à proximité des écoles. Elles sont approvisionnées par un réseau de grossistes achetant dans les ateliers des 384 transformatrices recensées dans la zone d’Agonlin. Cinquante-sept pour cent des consommateurs enquêtés s’approvisionnent auprès des détaillantes, 32 % sur les marchés et 11 % directement chez les transformatrices (de la zone d’origine ou ayant émigré en ville et poursuivi leur activité). Le choix de la source d’approvisionnement est surtout basé sur la qualité, qui a parfois été vérifiée en testant le produit puis en devenant client fidèle, rarement sur le prix du produit qui est le plus souvent fixe. Les liens interpersonnels sont plus importants en zone urbaine où le choix d’une vendeuse est basé sur l’amitié, la religion, la parenté, l’ethnie tandis que 21 % des acheteurs déclarent se baser sur de simples relations de proximité (Tab. 1).

Tableau 1

Nature des liens entre acheteurs et vendeuses de kwlikwli en zone de production et en zone urbaine (% acheteurs).

Linkages between kwlikwli customers and traders in production area and in urban area (% customers).

4.2 Profil social des consommateurs

Le kwlikwli est essentiellement acheté par des hommes (64 %), souvent par des jeunes (55 %) et des célibataires (43 %). C’est un produit adapté à des personnes sans foyer au sens figuré comme au sens propre, avec parmi les consommateurs, de nombreux élèves, étudiants et apprentis qui cherchent des produits ne demandant pas de cuisson.

Le kwlikwli est consommé plusieurs fois par semaine par 43 % des acheteurs mais cette incidence passe à 54 % chez les consommateurs à bas revenu (Tab. 2). Les consommateurs urbains sont plus nombreux que les consommateurs de la zone d’origine à le consommer fréquemment : 47 % des urbains contre 33 % des habitants d’Agonlin en consomment plusieurs fois par semaine. Plus de la moitié des consommateurs (51 %) ont un revenu très faible (il s’agit du revenu déclaré par l’individu lors des enquêtes), inférieur au salaire minimum légal de 40 000 FCFA par mois, soit 61 euros (Fig. 3). Néanmoins, malgré son marquage de « produit pour les pauvres », la fréquence de consommation reste assez élevée chez les hauts revenus en ville.

En zone de production, les consommateurs sont essentiellement du groupe ethnolinguistique Fon-Mahi (87,2 %) auquel appartiennent aussi celles qui détiennent le savoir-faire de la transformation artisanale et qui sont largement majoritaires en Agonlin. En milieu urbain, les ressortissants de ce groupe sont aussi les plus nombreux (60 %) et surreprésentés par rapport à la population urbaine (33 % de Fon-Mahi à Cotonou et 40 % à Abomey-Calavi selon le dernier recensement disponible). Ainsi les consommateurs de kwlikwli d’Agonlin sont-ils majoritairement, mais pas exclusivement, originaires de la zone de production.

Tableau 2

Fréquence de consommation du kwlikwli d’Agonlin selon le niveau de revenu (% acheteurs).

Kwlikwli weekly consumption frequency and income level (% customers).

thumbnail Fig. 3

Fréquence de la consommation de kwlikwli selon le niveau de revenu de l’acheteur en milieu urbain et en zone d’origine.

Customers’ weekly consumption frequency according to income level in urban and rural production areas.

4.3 Attributs de qualité du kwlikwli d’Agonlin perçus par les consommateurs

Bien que ce soient les consommateurs du kwlikwli d’Agonlin qui aient été questionnés, il ressort des résultats de l’enquête que ces derniers consomment également les autres kwlikwli produits au Bénin, mais qu’ils ont une grande préférence pour celui de la région Agonlin.

Les données recueillies auprès des consommateurs lors de la phase exploratoire ont permis d’identifier huit attributs de qualité. De tous ces attributs, le goût est le plus cité (par 88 % des acheteurs). Les acheteurs en zone de production se repèrent aussi à l’odeur, très développée quand le produit est chaud, tandis que les consommateurs urbains vérifient la croustillance, qui disparaît après exposition à un air libre humide (Tab. 3). Les transformatrices d’Agonlin ont développé de plus en plus de variantes d’assaisonnement des kwlikwli (sel, oignon, piment, gingembre, etc.) et ce caractère est un élément important d’appréciation, surtout en ville. Quant au caractère nutritif, il vient rarement spontanément à l’esprit des consommateurs. Le caractère non frelaté (pas de mélange avec du maïs) et naturel est cité par 16 % des acheteurs, mais rarement comme un caractère prioritaire en milieu rural où les contrefaçons semblent rares. L’origine Agonlin, citée par 27 % des acheteurs (36 % des acheteurs en zone de production), est rarement un attribut cité en première position mais plutôt en deuxième ou troisième position.

Tableau 3

Importance des attributs du kwlikwli en zone d’origine et en zone urbaine (% consommateurs ayant cité l’attribut).

Attributes quoted by customers in production in rural and in urban areas (% customers).

4.4 Faut-il améliorer le kwlikwli d’Agonlin ?

Les acheteurs estiment qu’une amélioration du kwlikwli d’Agonlin par label et conditionnement rendra le produit plus attrayant, un argument surtout avancé en ville, tandis que dans la zone de production, les acheteurs sont surtout sensibles à des améliorations de la contribution du produit à l’économie locale, le conditionnement permettant d’en faire un produit d’exportation, porteur d’un label Bénin, ou tout au moins d’en améliorer l’image et le prix sur le marché domestique (Tab. 4).

Tableau 4

Perception des consommateurs sur la contribution potentielle de l’amélioration du kwlikwli (% acheteurs).

Potential contribution of kwlikwli improvements perceived by customers (% customers).

5 Discussion

Le kwlikwli est perçu comme étant un aliment de la consommation usuelle des personnes à faibles revenus. Ainsi, les étudiants trop démunis pour se permettre un repas chaud se constituent par dérision en « clubs de délayeurs de gari » où la semoule de manioc grillée trempée dans l’eau froide est accompagnée le plus souvent de kwlikwli ; les apprentis évoquent quant à eux le kwlikwli comme un outil indispensable à leur métier, sous le nom de « bic-maçon ». Le produit est donc consommé par des groupes sociaux sans foyer ou démunis, mais cela ne les empêche pas d’exprimer des préférences en matière de qualité et de rechercher le produit leur convenant. De plus, en milieu urbain, la consommation régulière est également fréquente dans les ménages plus aisés, en particulier comme goûter et en-cas pour les enfants.

Les acheteurs ne se plaignent pas de difficultés à trouver les kwlikwli d’une qualité qui leur convienne : les qualités organoleptiques recherchées sont corrélées à l’origine car le kwlikwli d’Agonlin serait suffisamment distinctif et spécifique, et l’identification dès lors aisée. Il s’agit donc bien d’un produit de réputation liée à l’origine.

Au-delà de ces attributs sensoriels, le lien à l’origine s’exprime en milieu urbain par le fait que les consommateurs urbains de l’aire culturelle Fon-Mahi sont surreprésentés parmi les acheteurs de kwlikwli d’Agonlin. Les circuits courts dominent en zone d’origine et les circuits fidélisés et socialement marqués par des liens entre acheteur et vendeuse dominent largement en ville. Les liens à leur territoire des migrants ne se diluent pas pour l’instant. Dans de tels réseaux, un label formel n’apporterait peut-être pas un grand plus en matière de sécurisation des acheteurs. Par contre, les acheteurs pourraient être sensibles à un meilleur conditionnement conservant la croustillance et la propreté du produit ainsi qu’au renforcement du lien au territoire par un marquage visible du produit comme provenant du terroir ancestral.

Ce lien à l’origine s’exprime aussi dans les espoirs que les consommateurs mettent dans une amélioration du produit. Là, ce sont surtout les acheteurs de la zone d’origine qui espèrent voir s’élargir le marché national et international et s’améliorer l’image de la zone de production.

Nous montrons ici que le lien à l’origine n’est pas qu’une représentation mais aussi un lien social tangible. Si dans les pays développés à économie mondialisée et dominance de la grande distribution, le lien à l’origine dépend de plus en plus souvent des marquages formalisés (labels, indication géographique protégée, etc.), dans les pays du Sud, le lien à l’origine est construit et attesté par le réseau marchand. Cette « personnalisation de l’impersonnel » a été étudiée pour caractériser les relations des producteurs et des commerçants (Adanguidi, 2001 ; de Haan et Quarles van Ufford, 2002) et les réseaux du commerce de proximité en milieu urbain constitués de nombreuses détaillantes qui maintiennent des liens physiques et sociaux avec le territoire dont elles sont issues (Floquet, 2012). Ici, ce sont les consommateurs qui s’adressent préférentiellement à des migrants de même origine qu’eux. Ces liens sociaux sont à la base de la confiance que permettent la proximité géographique et la proximité sociale et contribuent à la patrimonialisation du produit. Le lien à l’origine n’est pas qu’un ensemble de croyances, qu’un bon marketing pourrait manipuler, mais aussi et surtout un ensemble de pratiques sociales dans les domaines de l’alimentation, des relations interpersonnelles et des savoir-faire partagés.

6 Conclusions et perspectives

Le kwlikwli d’Agonlin jouit d’une bonne spécificité physique liée aux particularités de son procédé de production qui se traduit par un produit original, mais aussi d’une spécificité sociale basée sur les liens des acheteurs au territoire d’origine. Sa spécificité physique se caractérise par des attributs de qualité tels que le goût, l’assaisonnement et la croustillance. Son image de moteur potentiel d’une promotion territoriale est assez développée.

Néanmoins, au vu de sa dépendance vis-à-vis des liens de proximité géographique et socio-ethniques, le kwlikwli ne risque-t-il pas de voir son lien à l’origine se réduire au fur et à mesure que les modes de distribution se dépersonnalisent ? Réduire la consommation des produits d’un terroir à ceux originaires de ce terroir (locaux et migrants) risque aussi de devenir un facteur limitant, car rien ne dit que les migrants de deuxième et troisième génération vont maintenir les habitudes alimentaires et les préférences que les migrants de première génération ont entretenues.

Il est donc nécessaire d’étudier comment évoluent la perception du produit et le lien au territoire quand le consommateur s’éloigne de sa zone d’origine tant dans l’espace que dans le temps, en replaçant cette évolution dans l’ensemble des changements de modes alimentaires et des relations socialisées avec le territoire en question. De plus, si jusqu’à ce jour l’identification du produit au territoire s’est faite naturellement via des liens sociaux, il faudra à l’avenir construire de façon active cette identité.

L’obtention d’une Indication géographique pourrait-elle contribuer à la construction de cette identité ? Pour obtenir une Indication géographique, un produit doit répondre à deux conditions (Ngo Bagal et Vittori, 2011) : une spécificité liée à un territoire (géographie, histoire, savoir-faire et associations de producteurs), qui distingue nettement le produit de ses concurrents d’autres régions, et une reconnaissance par les consommateurs basée sur une réputation et des qualités spécifiques en lien à une origine donnée (Lenglet, 2014). Nous venons de montrer que cette reconnaissance par les consommateurs existe mais devra être renouvelée et étendue.

Pour cela, un processus de travail collectif au niveau des productrices de kwlikwli de la région sera nécessaire (Boucher, 2009 ; Fournier, 2008) ; il a du reste commencé autour de l’huile d’arachide d’Agonlin, avec l’organisation des femmes transformatrices et le dépôt d’une marque collective pour une huile de qualité bien conditionnée. Les travaux de recherche engagés sur l’arachide, l’huile d’Agonlin et le kwlikwli pour en améliorer la qualité et les performances seront à poursuivre pour pouvoir accompagner efficacement ces transformatrices et les producteurs qui les approvisionnent (Garba et al., 2014, 2015 ; Videgla et al., 2015). Mais au-delà de cette construction au niveau des transformatrices, les promoteurs des IGP devront aussi prêter attention aux consommateurs actuels et potentiels du produit.

Remerciements

Le projet interfacultaire « Gouvernance des Fabriques de produits à Identité de Terroir pour la prospérité des Exploitations Agricoles et de l’Artisanat agroalimentaire au sud et moyen Bénin (GoFIT) » a bénéficié du fonds compétitif mis en place par le Rectorat de l’Université d’Abomey-Calavi.

Références

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Cite this article as: Videgla EG, Floquet A, Mongbo R, Garba K, Tossou HS, Toukourou F. 2016. Liens à l’origine et qualité spécifique d’un produit de l’artisanat agroalimentaire du Bénin – le kluiklui d’Agonlin. Cah. Agric. 25: 35003.

Liste des tableaux

Tableau 1

Nature des liens entre acheteurs et vendeuses de kwlikwli en zone de production et en zone urbaine (% acheteurs).

Linkages between kwlikwli customers and traders in production area and in urban area (% customers).

Tableau 2

Fréquence de consommation du kwlikwli d’Agonlin selon le niveau de revenu (% acheteurs).

Kwlikwli weekly consumption frequency and income level (% customers).

Tableau 3

Importance des attributs du kwlikwli en zone d’origine et en zone urbaine (% consommateurs ayant cité l’attribut).

Attributes quoted by customers in production in rural and in urban areas (% customers).

Tableau 4

Perception des consommateurs sur la contribution potentielle de l’amélioration du kwlikwli (% acheteurs).

Potential contribution of kwlikwli improvements perceived by customers (% customers).

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Cuisson des bâtonnets de pâte d’arachide déshuilée kwlikwli.

Kwlikwli sticks out of fried groundnut paste.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Carte du Bénin montrant les régions incluses dans l’étude.

Study sites in Benin.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Fréquence de la consommation de kwlikwli selon le niveau de revenu de l’acheteur en milieu urbain et en zone d’origine.

Customers’ weekly consumption frequency according to income level in urban and rural production areas.

Dans le texte

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