Numéro
Cah. Agric.
Volume 29, 2020
Durabilité de la production dans les zones cotonnières d’Afrique de l’Ouest. Coordonnateurs : Mamy Soumare, Michel Havard, Bruno Bachelier
Numéro d'article 4
Nombre de pages 9
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2020005
Publié en ligne 3 mars 2020

© M. Le Bars et al., Hosted by EDP Sciences 2020

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1 Introduction

L’Afrique est le continent qui utilise le moins de pesticides en volume, mais l’arsenal de ceux utilisés en agriculture est très vaste. Les informations concernant leur impact sur la santé et sur les écosystèmes sont rarement connues par les fournisseurs, les acteurs du développement agricole et les agriculteurs.

Au Mali, un des premiers producteurs de coton d’Afrique, la filière non biologique représente la part la plus importante de la production (Soumaré et al., 2015). Cette dernière utilise à la fois l’apport d’engrais et celui de pesticides (fongicides, herbicides, insecticides). Afin de doubler ses productions en cinq ans (2014–2018), le gouvernement a augmenté les subventions aux engrais chimiques. L’utilisation des pesticides permet d’assurer un bon rendement de la culture de coton et de réduire les pertes liées aux ravageurs ou maladies (Adechian et al., 2015). Ces pesticides sont principalement distribués par la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) mais les agriculteurs peuvent en trouver en complément chez les agro-fournisseurs et sur les marchés locaux.

Au Burkina Faso et au Bénin, des travaux ont été réalisés pour évaluer les risques sanitaires et environnementaux des pratiques phytosanitaires sur cotonnier (Adechian et al., 2015; Djagni et Fok, 2019). Ils soulèvent une mauvaise connaissance, de la part des agriculteurs, des matières actives qu’ils utilisent, des doses à appliquer, des fréquences de traitement et de leurs effets sur la santé humaine et sur l’environnement (Mamane, 2015). Des pesticides obsolètes ou non homologués sont trouvés régulièrement sur les marchés ou chez les agriculteurs. Pourtant, les États membres du Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) ont signé en 1992 une réglementation commune pour l’homologation des pesticides (CILSS, 1999). Ainsi, le Comité sahélien des pesticides (CSP), organe d’exécution du CILSS, évalue chaque année les dossiers d’homologation de pesticides soumis par les firmes phytopharmaceutiques et octroie les autorisations de vente pour l’ensemble des États membres.

Au Mali, il existe peu d’études sur les risques sur la santé des populations rurales et sur l’environnement de ces pesticides destinés à la culture du coton (Kergna et al., 2018). C’est dans ce contexte que notre étude a été menée sur les pesticides (herbicides, insecticides, fongicides) destinés à la culture du coton. Pour une question d’éthique, nous avons fait délibérément le choix de ne pas citer le nom de ces pesticides, mais de présenter nos résultats sur les différentes matières actives présentes dans ces pesticides. Nous ne tiendrons pas compte du niveau d’exposition aux pesticides des agriculteurs, car nous n’avons pas réalisé d’enquêtes de terrain sur les itinéraires techniques suivis par les agriculteurs. Les objectifs de ce texte sont les suivants : (i) identifier l’ensemble des matières actives utilisées présentes dans les pesticides homologués par le CSP pour les états membres du CILSS dont le Mali ; (ii) déterminer pour les différentes matières actives, celles à plus haut risque pour la santé et la pollution des eaux et des sols en tenant compte de leurs caractéristiques physicochimiques ; (iii) sensibiliser les acteurs du développement agricole et les pouvoirs publics aux risques de ces matières actives sur la santé et l’environnement dans le but de les amener à proposer des alternatives aux pesticides les plus nocifs.

2 Méthode

Pour mener à bien cette étude, nous avons procédé (i) à la collecte des données sur les pesticides et les matières actives disponibles pour la culture du coton et ceux utilisés au Mali, (ii) pour chaque matière active homologuée par le CSP au calcul de l’indice du risque de toxicité et à la détermination du potentiel de lessivage tenant compte des propriétés physicochimiques de chaque matière active.

2.1 Collecte des données sur les pesticides pour la culture du coton

L’inventaire des pesticides disponibles a été réalisé durant la campagne 2016/2017 et remis à jour en 2018 et 2019 à partir : (i) d’enquêtes réalisées auprès des boutiques et des vendeurs sur les marchés locaux (zones de Sikasso, Bougouni et Kita) afin de déterminer les pesticides disponibles à la vente, voir s’ils sont homologués ou non et compléter la liste fournie par le CSP (Comité sahélien des pesticides, 2018, 2019) ; (ii) d’enquêtes effectuées auprès d’un échantillon de 59 producteurs de coton dans la région de Kita, commune de Bougaribaya (zone CMDT) pour permettre d’avoir un aperçu non exhaustif des pesticides utilisés car il y a plusieurs dizaines de milliers de producteurs de coton ; (iii) des données fournies par la CMDT.

Les données sur les matières actives proviennent de la base de données européenne footprint mise à jour tous les mois (Lin et al., 2016). Les données collectées pour chaque pesticide disponible sont : la ou les matières actives associées et leur famille chimique, leur concentration, les doses homologuées, la firme qui les fabrique, le fournisseur au Mali et son homologation ou non par le CSP. Ces données ont été saisies dans le tableur Excel et traitées par le logiciel EtoPhy (Caubel et al., 2019).

2.2 Indice de risque de toxicité (IRT) d’une matière active

L’IRT est un indicateur lié aux propriétés physicochimiques des matières actives (Samuel et al., 2012). Il se calcule selon la formule suivante :

Le risque de toxicité aiguë correspond à ce qui est perçu directement par l’Homme lors de l’application des pesticides. Il est déterminé selon sept critères : toxicité orale (en fonction de la dose létale médiane [DL50]), toxicité cutanée (en fonction de la DL50), toxicité inhalation (en fonction de la concentration létale moyenne [CL50]), irritations cutanée, oculaire, respiratoire et de sensibilisation.

Le risque de toxicité chronique correspond aux risques sur le long terme suite à l’application répétée de pesticides. Il est déterminé selon cinq critères : cancérigène, perturbateur endocrinien, neurotoxique, reproduction et développement, effets cumulés en tenant compte du facteur de persistance dans les tissus (Fper) qui dépend du facteur de bioaccumulation et de la demi-vie de la molécule active (DT50).

Le logiciel EtoPhy donne pour chaque matière active l’ensemble des indicateurs de toxicités aigüe et chronique, permettant de calculer l’IRT.

2.3 Indicateur de contamination des eaux souterraines par les pesticides

Il s’agit de déterminer le potentiel de lessivage de chaque matière active à partir de ses propriétés physicochimiques, à l’aide d’un indice intitulé GUS (Groundwater Ubiquity Score). Celui-ci permet de calculer le potentiel d’un pesticide à contaminer l’eau souterraine par lessivage et l’eau de surface par l’infiltration via les systèmes de drainage. Cet indice se base sur deux propriétés physico-chimiques d’un composé : le coefficient d’adsorption sur le carbone organique (Koc en ml/g) et de sa demi-vie dans les sols. L’indice de GUS se détermine selon la formule suivante :

Son interprétation est la suivante : le potentiel de lessivage est faible si l’indice de GUS < 1,8, moyen si l’indice de GUS est ≥ 1,8 et < 2,8 et élevé si l’indice de GUS ≥ 2,8.

3 Résultats

3.1 Diversité des pesticides homologués pour le coton

Parmi les 55 pesticides identifiés lors des enquêtes auprès des fournisseurs, CMDT et agriculteurs, un herbicide utilisé n’est pas sur la liste des 174 pesticides homologués par le CSP pour la culture de coton : 106 insecticides et fongicides et 68 herbicides. Ces 174 pesticides sont formulés à partir de 50 matières actives dont 10 sont interdites en Europe et se retrouvent dans 35 pesticides homologués (soit 20 % des pesticides disponibles) (Tab. 1). Ils sont sous forme de formulation simple (84 pesticides), binaire (80 pesticides) ou ternaire (9 pesticides).

Dix-neuf matières actives (8 non homologuées en Europe) entrent dans la composition des 68 herbicides. Elles sont réparties dans 12 familles chimiques (Tab. 1). Parmi celles-ci, les phénylurées et les sulfonylurées, les triazines, les chloroacétamides et les aryloxyphenoxypropionate présentent des matières actives retirées de l’homologation en Europe pour leur risque très élevé pour la santé ou pour leur écotoxicité. Dans la famille des chloroacétamides peu solubles dans l’eau et provoquant des problèmes d’accumulation dans les organismes et les sols, la matière active acétochlore se retrouve dans trois herbicides homologués en 2018 mais supprimés en 2019. Par contre, le métolachlore est toujours présent dans 4 pesticides homologués. Dans la famille des triazines qui a un rôle très important dans la contamination des eaux souterraines, nous retrouvons deux matières actives qui ne sont plus homologuées en Europe depuis les années 2000 : le terbutryne et la prometryne (seules ou associées dans 11 herbicides homologués). Le diuron (famille des phénylurées), présent dans quatre herbicides homologués, a été interdit dans les années 2000 en Europe pour son impact important sur la santé (Tab. 1) et sur l’environnement (toxique pour les poissons et les invertébrés aquatiques).

Trente et une matières actives entrent dans la composition des 106 insecticides et fongicides. Elles sont réparties en 2 grandes classes : les biopesticides (3 molécules actives) et les pesticides standards (28 molécules) issus de 16 familles chimiques (Tab. 2). La famille des pyréthrinoïdes domine le marché mondial des insecticides : 7 matières actives dans 35 % des insecticides. Pour les biopesticides, 3 matières actives : emamectine benzoate, spinosad, abamectine se retrouvent seules ou associées dans 17 insecticides. Sur les 28 autres matières actives présentes dans 89 insecticides et fongicides, 4 ne sont plus homologuées en Europe (chlofluazuron, Thirame [fongicide], profenofos, perméthrine). En effet, la perméthrine présente des risques pour la santé à long terme, et une toxicité très élevée pour le milieu aquatique. Le profenofos (alternative à l’endosulfan) de la famille des organophosphorés, distribué pour la campagne 2016–2017, se retrouve seul ou associé dans dix-neuf insecticides (20 % des produits) et présente un risque majeur pour la santé (neurotoxique sévère).

L’enquête menée auprès d’un échantillon de 59 agriculteurs est un aperçu sur les pesticides distribués et réellement utilisés sur la culture de coton : 4 insecticides homologués CSP contenant 7 matières actives (Tab. 2) dont 2 non homologuées en Europe (thirame et profenofos) et 4 herbicides, dont un non homologué par le CSP qui contient de la quizalofop-p-ethyl, homologuée en Europe (Tab. 1). Les 3 autres herbicides sont formulés à partir de 5 matières actives, dont la prométryne interdite en Europe. Les produits distribués aux agriculteurs interrogés présentent des risques de toxicité élevés : IRT variant de 810 à 84 (Tab. 1 et 2).

Tableau 1

IRT pour les 19 matières actives présentes dans les herbicides : liste CSP, fournisseurs et enquêtes producteurs.

Herbicides: IRT for 19 active ingredients.

Tableau 2

IRT pour les 31 matières actives présentes dans les 28 insecticides et les 3 fongicides : liste CSP, fournisseurs et enquêtes producteurs.

Insecticides: IRT for 31 active ingredients.

3.2 Risque de toxicité (IRT) pour les herbicides

Sur les 19 matières actives de la liste CSP, treize ont un risque de toxicité aiguë plus important que le risque chronique (68 %) (Tab. 1). L’IRT varie de 548 à 48. La pendiméthaline présente le risque le plus élevé pour la santé à long terme (reproduction et développement) car son facteur de persistance dans les tissus est très important. Cette matière active se retrouve seule dans neuf herbicides (15 % des pesticides). Le diuron se distingue des autres matières actives par son risque de toxicité aiguë le plus important par inhalation, irritations cutanée, oculaire et respiratoire. Sur le long terme, il entraîne des risques élevés de cancer par effet cumulatif important. Il est interdit dans les pays européens depuis les années 2000. Au Mali, on le retrouve dans quatre herbicides dont les autorisations d’homologation par le CSP n’expirent pas avant 2021, voire 2023 pour l’un d’entre eux. Pour les autres matières actives, les IRT sont largement moins élevés et les niveaux de risque de toxicité aiguë et chronique variables. Certaines matières actives ont un risque chronique plus important que le risque aigu : pendiméthaline, propaquizafoq, fluometuron, oxyfluorfen, terbutryne, prométryne. Sur les 68 produits recensés, ces matières actives se retrouvent seules ou associées dans 21 produits (30,5 %). La terbutryne et la prométryne, qui sont suspendues d’homologation en Europe pour leurs risques avérés sur la santé, sont retrouvées dans 11 de ces 21 produits homologués par le CSP.

3.3 Risque de toxicité (IRT) pour les insecticides

Le risque de toxicité aiguë, de toxicité chronique et l’IRT ont été déterminés par matière active (Tab. 2) pour l’ensemble des insecticides et fongicides. Douze (37,5 %) des 31 matières actives ont un risque de toxicité chronique supérieur à leur risque de toxicité aiguë. Leur IRT varie de 1823 à 14. La famille des pyréthrinoïdes présente les risques pour la santé sur le long terme les plus importants : 41 (38,6 %) pesticides sur les 106 disponibles. La bifenthrine est la matière active qui a un risque de toxicité le plus élevée (IRT de 1823) et présente un risque de toxicité chronique très important. Son facteur de persistance dans les tissus est très élevé ce qui en fait une matière active considérée comme fortement cancérigène. L’indoxacarbe présente des risques importants pour le système nerveux (neurotoxique). Sur le long terme, la permethrine, perturbateur endocrinien, a un niveau de risque extrêmement élevé sur la reproduction, le système nerveux (neurotoxique). C’est un facteur de bioaccumulation important dans les tissus. Le chlorpyriphos-éthyl, la cyperméthrine et la deltaméthrine présentent aussi des risques élevés pour la santé sur le long terme.

Concernant les biopesticides, l’abamectine et l’emamectine benzoate présentent des risques de toxicité aiguë élevés par voie orale et par inhalation.

3.4 Indicateur de contamination des sols et des eaux par les herbicides

Trois classes se distinguent pour les herbicides (Tab. 3). Sur les 19 matières actives présentes dans les herbicides, 10 ont un faible potentiel de lessivage (GUS inférieur à 1,8). La pendiméthaline est fortement absorbée au sol (avec Koc > 10 000 ml/g) et persistante dans les sols. Le glyphosate est faiblement persistant dans les sols (DT50 de 24 jours). Il est légèrement mobile à immobile dans les sols avec un potentiel de lessivage faible. Il n’est donc pas susceptible de contaminer les eaux souterraines.

Sept matières actives ont un potentiel de lessivage moyen (GUS compris entre 1,8 et 2,8). La constante d’absorption du diuron sur le carbone organique est peu élevée (Koc de 800 mg/l). Il est donc modérément mobile dans les sols. Sa persistance dans les sols est importante (89 jours) et, à fortes doses, les résidus peuvent persister plus d’un an et contaminer fortement les eaux souterraines par lessivage des sols. Le métalochlore, la prométhrine, le terbutryne et le trifloxysulfuron-sodium (interdits en Europe) ont aussi un potentiel de lessivage moyen. La prométhrine est faiblement absorbée (Koc de 400 ml/g). Son potentiel de lessivage est relativement élevé et elle peut donc contaminer les eaux souterraines par lixiviation. Ce qui est aussi le cas du trifloxysulfuron-sodium.

Deux matières actives présentent un potentiel de lessivage élevé (GUS supérieur ou égal à 2,8). Parmi elles, le clomazone est mobile mais faiblement persistant dans les sols. Il peut donc contaminer les eaux souterraines par lixiviation et les eaux de surface par ruissellement.

Tableau 3

Indicateur de mobilité des 19 matières actives pour les herbicides.

Herbicide: index of mobility for 19 active ingredients.

3.5 Indicateur de contamination des sols et des eaux par les insecticides

Sur les 31 matières actives présentes dans les insecticides (y compris les biopesticides), 25 sont peu mobiles (80 %) avec un indice GUS inférieur à 1,8 (Tab. 4). La deltamétrine, la lambda-cyhalothrine la bifenthrine, le fludioxonyl, la cypermethrine et la perméthrine ont une constante d’absorption sur le carbone organique très élevée (Koc > 10 000 mg/l). Ces 6 matières actives ayant un faible potentiel de lessivage sont immobiles dans les sols mais peuvent contaminer les eaux de surface par ruissellement. Les autres matières actives présentes dans 37 % des insecticides sont faiblement persistantes dans les sols (DT50 inférieure à 20 jours). Elles ont aussi un potentiel de lessivage faible mais sont légèrement mobiles dans les sols et se dégradent très rapidement par hydrolyse dans les milieux neutres et alcalins.

Deux matières actives ont un potentiel de lessivage moyen (indice GUS compris entre 1,8 et 2,8) : le cyantraniliprole et le métalaxyle. La constante d’absorption du métalaxyle sur le carbone organique est peu élevée (Koc de 162 mg/l). Il est donc modérément mobile et persistant dans les sols (DT50 de 40 jours).

Quatre matières actives présentes dans 20 % des insecticides pour le coton ont un potentiel de lessivage élevé (indice GUS supérieur ou égal à 2,8). Par exemple, le chlorantraniliprole (interdit en Europe) est modérément mobile dans les sols (Koc de 362 ml/g). Etant donné qu’il est persistant (DT50 de plus de 200 jours), son potentiel de lessivage est élevé. Il peut donc contaminer fortement les eaux de surface par ruissellement. Par contre, le thiamethoxam a une constante d’absorption sur le carbone organique faible (56 mg/l). Ceci indique qu’il est très mobile dans les sols. Son potentiel de lessivage est le plus élevé et présente un risque important de contamination des eaux souterraines.

Tableau 4

Indicateurs de mobilité des 31 matières actives présentes dans les insecticides.

Insecticide: Index of mobility for 31 active ingredients.

4 Discussions et conclusion

Nos travaux montrent un nombre important de pesticides disponibles pour la culture de coton (174). Le plus souvent, les études réalisées sur les pesticides recensent les différents problèmes sanitaires mentionnés par les agriculteurs (Kanda et al., 2013). Par contre, les risques de toxicité chronique d’une matière active difficilement identifiables sur le court terme sont peu mentionnés dans la littérature bien qu’ils représentent un enjeu de santé publique majeur. Les risques sur la santé sont différents selon les matières actives présentes dans les herbicides et les insecticides. L’utilisateur se méfiera moins d’une matière active qui présente un faible risque de toxicité aiguë, alors qu’elle pourra présenter un risque élevé de toxicité chronique. Un des cas les plus significatifs concerne les nombreux insecticides à base de pyréthrinoïdes utilisés depuis de nombreuses années pour lutter, entre autres, contre la chenille Helicoverpa armigera. Les matières actives de cette famille chimique ont un risque pour la santé modéré sur le court terme, mais élevé sur le long terme et elles ont montré leur inefficacité vis-à-vis de cette chenille. Les producteurs continuent pourtant à utiliser ces matières actives et augmentent le nombre de traitements pour limiter sa propagation (Gouda et al., 2018).

Une matière active peut aussi avoir un IRT élevé mais être présente en faible concentration dans les pesticides ou l’inverse. Par exemple, pour les insecticides, la bifenthrine a l’IRT le plus important mais n’est présente qu’en concentration faible dans les produits (120 g/l). À la différence du profenofos, qui a un IRT peu élevé mais est présent à des concentrations qui varient de 500 à 600 g/l dans les pesticides. Ces différences de concentration des produits et de combinaison des matières actives sont importantes à prendre en compte dans le choix des pesticides.

Au Mali, la CMDT préconise pour chaque campagne agricole un nombre de pesticides à l’ensemble des producteurs de la zone cotonnière. On peut donc penser que l’enquête menée auprès des 59 agriculteurs de la région de Kita est représentative des pesticides réellement utilisés pour les différentes campagnes concernées (2016/2017 et 2018/2019). Parmi les 8 pesticides recensés, certains contiennent des matières actives non homologuées en Europe, mais ce ne sont pas celles les plus à risques. Le nombre de pesticides fournis est très faible (4,5 %) par rapport au nombre total de pesticides proposés (174), mais ils contiennent 12, soit 22,2 %, des 50 matières actives homologuées. Ceci montre donc l’importance de travailler sur les matières actives et non sur les dénominations commerciales. En effet, certains pesticides peuvent ne plus être homologués et être remplacés par d’autres contenant la même matière active (insecticides à base de permethrine par exemple).

Concernant l’homologation des produits, il est plus facile de se baser sur les critères de toxicité aiguë d’une matière active que sur ses risques de toxicité sur le long terme. En Afrique subsaharienne, il est plus difficile d’établir une corrélation entre la toxicité chronique des matières actives et l’utilisation des pesticides qui y est récente et l’espérance de vie plus courte : 58 ans au Mali (OMS, 2019). Actuellement, les organismes décideurs des homologations des produits phytosanitaires au Sahel se basent essentiellement sur la toxicité aiguë, considérant qu’il n’existe pas de liens scientifiques éprouvés entre l’utilisation des pesticides et la toxicité chronique. Il pourrait être envisagé de tenir compte des homologations européennes pour la toxicité chronique (entre autres pour les risques liés à la fertilité et au développement), bien que les priorités sanitaires ne soient pas les mêmes, en particulier pour la gestion des insecticides utilisés plus largement en Afrique en santé publique (lutte contre le paludisme par exemple). À titre d’exemple, il existe beaucoup d’insecticides utilisés en santé publique et la permetrine, qui a un IRT de 922, pourrait être remplacée par une autre matière active à moindre risque. Se posent aussi les questions de l’intérêt, de l’efficacité, des effets sur la santé des populations et sur l’environnement de l’utilisation des pesticides combinant plusieurs matières actives à des concentrations différentes selon les contextes spécifiques : types et importances des ravageurs, des maladies, et des adventices.

Enfin, pour la santé publique, il faut tenir compte des données de mobilité des matières actives, car les eaux de surface ou des puits sont utilisées quotidiennement pour l’alimentation. Le calcul de la mobilité des matières actives permet de déterminer leurs devenirs dans les eaux de surface ou souterraines, que ce soit par ruissellement ou par lixiviation. Compte tenu des enjeux sanitaires et environnementaux, la diffusion de solutions alternatives aux pesticides est primordiale. Comme le soulignent Brévault et al. (2019), le changement de pratiques, notamment l’utilisation des bioagresseurs, est une alternative possible pour mettre en place des modèles d’intensification écologique pour ce type de production et limiter les risques pour la santé.

Références

Citation de l’article : Le Bars M, Sidibe F, Mandart E, Fabre J, Le Grusse P, Diakite CH. 2020. Évaluation des risques liés à l’utilisation de pesticides en culture cotonnière au Mali. Cah. Agric. 29: 4.

Liste des tableaux

Tableau 1

IRT pour les 19 matières actives présentes dans les herbicides : liste CSP, fournisseurs et enquêtes producteurs.

Herbicides: IRT for 19 active ingredients.

Tableau 2

IRT pour les 31 matières actives présentes dans les 28 insecticides et les 3 fongicides : liste CSP, fournisseurs et enquêtes producteurs.

Insecticides: IRT for 31 active ingredients.

Tableau 3

Indicateur de mobilité des 19 matières actives pour les herbicides.

Herbicide: index of mobility for 19 active ingredients.

Tableau 4

Indicateurs de mobilité des 31 matières actives présentes dans les insecticides.

Insecticide: Index of mobility for 31 active ingredients.

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