Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 32, 2023
Numéro d'article 3
Nombre de pages 9
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2022034
Publié en ligne 19 janvier 2023

© N.E.I. Boumali et al., Hosted by EDP Sciences 2023

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1 Introduction

Dans de nombreux pays en développement, la tendance globale d’adoption des technologies reste faible (Feder et al., 1985 ; Takahashi et al., 2020). Selon Magruder (2018), l’essentiel des contraintes liées à l’adoption de l’innovation agricole réside dans quatre facteurs ; (i) les sources de financement ; (ii) la gestion des risques de rentabilité ; (iii) l’information dans le sens de l’intelligence économique et (iv) l’intégration au marché. La coopérative serait un levier important pour surmonter ces difficultés en milieu agricole et stimuler l’adoption de l’innovation (Osuntogun et al., 1986), en particulier pour la petite agriculture (Cook et Plunkett, 2006).

Alors que la question des performances des coopératives traditionnelles a été largement discutée, elle l’a été beaucoup moins pour des coopératives innovantes. De plus, jusqu’ici, la plupart des études sur les performances des coopératives se sont appuyées sur un nombre limité d’indicateurs financiers, tels que les ratios de rentabilité (Lerman et Parliament, 1990 ; Hind, 1994 ; Gentzoglanis, 1997). Malgré l’éclatement des objets et des unités d’analyse (Deville et Mouray, 2018), les recherches bibliométriques sur les coopératives agricoles signalent pour la plupart une intégration de plus en plus importante de ces « autres dimensions », notamment celles en lien avec le développement durable et les attentes sociétales et environnementales (Ensslin et al., 2014 ; Marcis et al., 2019). Nous introduisons ici une évaluation plus globale des performances socio-économiques des coopératives agricoles. Nous interrogeons donc les autres fonctions, territoriales et socio-politiques, de ces structures. Cette étude cherche à mettre en lumière l’impact de l’innovation sur l’orientation vers le marché et les autres performances d’une coopérative innovante.

Ces questionnements sont appliqués au cas de Nopaltec, coopérative de valorisation de la figue de Barbarie (Opuntia ficus-indica) en Algérie. Malgré son ancrage historique et les dynamiques récentes de son développement (Madani et al., 2016), cette filière reste peu structurée et confrontée à de nombreuses contraintes pour sa promotion sur le marché local et international. La coopérative en question est un cas unique dans cette filière en Algérie, à la fois pour sa forme entrepreneuriale collective et pour ses stratégies organisationnelles et commerciales.

2 Cadrage théorique et démarche méthodologique

2.1 Les mesures de la performance des coopératives agricoles

Même si les coopératives sont fondées sur des principes partenariaux et des objectifs s’écartant des objectifs « classiques » des entreprises (rentabilité et profits), de nombreux chercheurs les ont abordées sous l’angle financier de la performance (Sentis, 2014), même pour des coopératives innovantes (Sekhar et Vijayan, 2020). Ils analysent celle-ci dans une optique proche des autres structures complexes. Cependant Saisset (2014), en développant un modèle de gouvernance tridimensionnelle (disciplinaire, cognitive et partenariale), ajoute aux performances financières, des performances amont, relatives aux potentiels de production, et des performances aval, portant sur les capacités de production. Dans une analyse bibliographique récente, d’autres chercheurs (Piot-Lepetit et al., 2019) ont confirmé la multidimensionnalité de la performance économique des coopératives : rémunération des membres, activité de production, maîtrise des coûts et rentabilité.

Certaines coopératives déploient des efforts soutenus pour l’appropriation ou la diffusion d’innovations. Filippi et Triboulet (2006) expliquent les performances des coopératives en la matière par des différences de profil, de taille et de « design organisationnel » (insertion dans les réseaux et gouvernance) de ces structures. Une autre dimension concerne l’orientation aval et la prise en compte croissante du client, à travers la valorisation de la qualité et des stratégies de différenciation.

Enfin, une dernière série de mesures des résultats des coopératives agricoles porte sur leur rôle dans la structuration des filières, la gestion des territoires et des proximités, et la coordination de l’action des autres acteurs institutionnels. Ainsi, l’ancrage territorial des coopératives peut répondre à des besoins sociaux des acteurs locaux. Pierre et Bioteau (2017) ont montré que certains projets coopératifs de l’Ouest de la France avaient principalement des objectifs d’utilité sociale locale : entraide, implication des collectivités territoriales, diffusion collective d’innovation technique.

Le relation causale inverse a également été vérifiée : parce qu’ils sont proches géographiquement, certains acteurs s’engagent dans des processus d’innovation collaborative en développant des projets collectifs, le plus souvent à travers des structures coopératives. Martin et Tanguy (2018) l’ont illustré à travers les cas des légumes du Val de Saône et du crémant de Bourgogne. D’autres auteurs ont développé des indicateurs de mesure de ces liens aux territoires.

Ainsi, Filippi et al. (2008) proposent une grille d’évaluation basée sur les investissements productifs localisés, les partenariats locaux, les produits, les services ou les projets territoriaux ainsi que la politique environnementale locale. C’est cette approche multidimensionnelle de la performance (Piot-Lepetit et al., 2019) qui est utilisée pour apprécier les résultats socio-économiques de la coopérative Nopaltec, en lien avec l’appropriation et la diffusion des innovations techniques.

2.2 Présentation de la coopérative Nopaltec

Attirée par la réussite des expériences de culture de la figue de Barbarie dans les pays voisins, Maroc et Tunisie, l’Algérie connaît depuis une dizaine d’années un regain d’intérêt pour cette production et la diversification de ses utilisations. Actuellement, l’Algérie compte une superficie de plus de 150 000 ha de figuiers, dont 60 % dans la zone de Sidi-Fredj située dans la wilaya de Souk Ahras au Nord-Est de l’Algérie. Sidi-Fredj compte 7500 habitants et est considérée par les autorités publiques comme l’une des communes les plus pauvres en Algérie avec près de 1300 ménages ruraux à faibles revenus.

Nopaltec a été créée en 2015 à Sidi-Fredj. La coopérative valorise exclusivement les coproduits du fruit du figuier de Barbarie, selon plusieurs étapes. Tout d’abord, la collecte se fait auprès des agriculteurs locaux, durant deux mois (juillet et août). Dès la première année, la quantité réceptionnée a été d’environ 70 quintaux par jour, soit 325 tonnes/an pour une valeur de 4 550 000 DA (35 000 €). En 2019, la quantité collectée a atteint 500 tonnes. Ensuite, le tri s’effectue après le lavage et l’enlèvement des épines par balayage manuel. Pour la suite du processus, la coopérative utilise une machine « séparatrice » qui coûte 7,5 millions DA (56 000 €), pour séparer les jus et les graines.

Enfin, la transformation est spécifique à chaque coproduit :

  • Le jus obtenu est laissé en fermentation pendant 6 mois dans des citernes. En 2017, Nopaltec a transformé 5000 L de jus en 1000 L de vinaigre, vendu aux grossistes 1000 DA/L (7,5 €/L). La quantité de vinaigre produite est passée en 2019 à 10 000 L, vendus à 300 DA/L. La baisse sensible des prix est due à la perte des débouchés à l’exportation.

  • La pulpe obtenue après pressurage du jus et séparation des graines, est séchée manuellement en la laissant exposée aux rayons du soleil pendant deux semaines, puis elle est valorisée dans l’aliment du bétail.

  • La mélasse (mélange de jus et de pulpes issu de la fabrication du vinaigre) est aussi valorisée dans l’aliment du bétail, en mélange avec du son de blé.

À l’avenir, la coopérative compte aussi utiliser les pulpes pour fabriquer de la confiture de figue de Barbarie.

2.3 Collecte des données : méthode qualitative et cas unique

Ce travail exploratoire est basé sur une démarche qualitative (Fig. 1). Nous nous sommes basés sur les modes de recueil de données indiqués pour les études de cas unique (Yin, 2017). Du fait de la nature de l’innovation introduite et de l’absence d’une autre forme d’entreprenariat coopératif exerçant dans ce secteur, la méthodologie des cas uniques s’imposait. Cette méthode requiert une observation du contexte et des acteurs, un recueil de données primaires (entretiens) et également une collecte de données secondaires permettant de mieux décrire et analyser le cas d’étude en question. Dans une optique de triangulation des sources d’information, cette étude de cas est donc basée sur la collecte directe des données qualitatives (appréciations, discours) et quantitatives (données comptables, de production et financières) (Ritchie et Spencer, 2002 ; Baxter et Jack, 2008 ; Yin, 2017). Nous avons également collecté des données secondaires (coupures de presse, interview et monographies de la filière figue de Barbarie en Algérie et à l’international).

La phase d’observation a été réalisée au cours de deux séjours dans la région (4 mois par séjour, en 2017 et 2018). Le recueil des données primaires est basé sur 11 entretiens qualitatifs d’une durée moyenne d’une heure trente, menés auprès du directeur de Nopaltec (2 entretiens : 2017 et 2022), d’autres responsables techniques de la coopérative, d’adhérents (4 entretiens) et de responsables institutionnels (5 entretiens auprès de responsables de la chambre d’agriculture, d’organisations professionnelles et de structures d’accompagnement agricole). Ces entretiens semi-directifs visaient à comprendre l’histoire de la coopérative, son organisation et ses résultats socio-économiques. Un traitement qualitatif des données a été fait avec l’aide de trois chercheurs en gestion et économie agricoles.

L’analyse des résultats s’est appuyée sur le croisement des données secondaires et primaires dans une optique de vérification des informations recueillies. Afin d’aller au-delà d’une simple lecture comptable des résultats, nous nous sommes intéressés aux appréciations des autres parties prenantes (institutions territoriales, organismes professionnels et de recherche) afin de déterminer les effets territoriaux, sociaux et de diffusion technique. Cette lecture par les performances a été complétée par l’analyse des opportunités et des contraintes à la diffusion de l’innovation et par l’examen du rôle de la coopérative dans la structuration de la filière. Enfin, pour la partie économique et commerciale, l’introduction des données portant sur l’orientation marché et client, nous a permis de nous intéresser à la valorisation des autres produits de la filière, les débouchés envisagés et les investissements consentis.

Nous avons examiné l’émergence et la trajectoire (Lehenkari, 2000) de cette coopérative en explorant en détail le rôle joué par les différents acteurs clés et leurs stratégies. Nous avons pu alors analyser les performances socio-économiques de la coopérative entre 2016 et 2019, complétées par l’étude des stratégies d’orientation vers le marché mises en place par Nopaltec (Slater et Narver, 1995).

thumbnail Fig. 1

Démarche méthodologique d’analyse des performances d’une coopérative innovante.

Methodological approach to analyze the performance of an innovative cooperative.

3 Résultats et discussion

3.1 Naissance du projet de coopérative par l’appropriation d’une innovation

La coopérative Nopaltec a été créée sur la base de l’appropriation d’une innovation technologique couplée à une initiative collective pour se positionner sur le marché des coproduits de la figue de Barbarie. Certes, l’extension des surfaces de cultures de la figue de Barbarie dans la région de Souk Ahras, lieu d’implantation de la coopérative Nopaltec, pourrait nous faire penser à une orientation production, mais tout son processus d’émergence, ses stratégies organisationnelles et ses perspectives futures renvoient davantage à une orientation marché.

À l’origine du développement de la figue de Barbarie dans la localité de Sidi-Fredj, il y a un projet de recherche-développement : Mashreq/Maghreb project for the development of integrated crop/livestock production in West Asia and North Africa. Ce projet, mené entre 1995 et 2002 par l’ICARDA (International Center for Agricultural Research in Dry Areas) et cofinancé par les autorités algériennes, avait quatre objectifs : (i) lutter contre la désertification et l’érosion du sol, (ii) constituer une réserve de ressources fourragères pour les animaux, (iii) diversifier la production et (iv) éradiquer la pauvreté en tirant profit de la vente des produits du figuier de Barbarie (Ayouz et al., 2012). Parallèlement, un autre projet, FEMISE 2002–2004 (Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques), piloté aussi par l’ICARDA, avait pour objectif de lutter contre « les obstacles aux transferts technologiques dans les petites et moyennes exploitations agricoles des zones arides et semi-arides du Maghreb ». Les plantations d’une variété de figue de Barbarie sans épine (cactus inerme) ont été promues pour réduire le temps de découpe des raquettes données aux animaux d’élevage et ainsi réduire la dépendance des éleveurs vis-à-vis du marché des aliments du bétail.

Ce processus de renforcement des capacités et d’accompagnement de l’innovation a permis à 42 % des ménages ruraux de la zone d’adopter cette culture et de bénéficier de ses avantages comme source d’alimentation (fruits), de fourrage et de revenu par la vente des fruits et des raquettes découpées (Ayouz et al., 2012). Par la suite, la Chambre d’agriculture et la Direction des services agricoles (DSA) ont pris le relais de ces projets de R&D.

3.2 Contribution de la coopérative à la structuration de la filière figue de Barbarie

Pour valoriser l’important gisement que constitue cette culture et grâce aux formations assurées par la Chambre d’agriculture, notamment par le voyage effectué au Maroc, le représentant de cette communauté d’agriculteurs de la tribu des Ouled Khiar, a pu lancer la réflexion pour fonder une unité de transformation coopérative. « Les agriculteurs avaient une surproduction, n’arrivaient à en vendre que 10 à 15 % et le reste pourrissait sur le champ. L’objectif était de valoriser la production via la transformation » explique le PDG de la coopérative.

Le processus d’émergence de cette initiative collective s’est fortement accéléré par l’investissement conjoint public et privé. Cette action a abouti à un développement technique rapide, par réplication d’une technologie et de pratiques existant ailleurs (machinerie, formations, pratiques importées du Maroc et du Mexique). Le partenariat entre la Chambre d’agriculture et les experts de la filière mexicaine fût un véritable levier pour réussir le décollage de cette filière. Leur expertise a permis d’améliorer les rendements en identifiant les variétés les plus avantageuses à cultiver comme l’a expliqué à l’Agence France Presse (AFP) l’ambassadeur du Mexique en Algérie. L’efficacité de ce transfert de technologie a été renforcée par l’intervention des institutions de développement. La trajectoire d’évolution technique des activités innovantes propres à la coopérative (valorisation en aliment du bétail) est encore en cours de développement car, à son stade actuel, l’aliment du bétail issu de la valorisation des coproduits ne constitue qu’un marché limité qui évolue proportionnellement aux deux autres marchés, l’huile et le vinaigre de figue de Barbarie. Leur extension est prévue à l’échelle locale, nationale et internationale.

3.3 Performances financières et économiques de la coopérative

Nous dressons ci-après une évaluation de la rentabilité de la valorisation de la figue de Barbarie de façon générale, puis dans sa dimension de matière première en aliment du bétail, à partir de l’année 2017 (Tab. 1).

Le chiffre d’affaires est de 30 millions DA (233 270 €). La contribution de la valorisation des coproduits de la figue de Barbarie (mélasse et tourteaux de graines) en aliment du bétail est de 28,4 %. Le vinaigre représente une part marginale de 3,2 %. Cependant cette part va prendre de l’importance avec l’apprentissage de la gestion de la qualité du vinaigre, qui posait problème jusqu’en 2017. La part la plus importante du chiffre d’affaires est tirée du produit phare de la coopérative : l’huile de figue de Barbarie. Quant à la valeur ajoutée, elle est égale à 22 385 000 DA (169 260 €), soit 72,5 % du chiffre d’affaires. L’excédent brut d’exploitation est largement suffisant pour autofinancer les futurs investissements envisagés pour l’extension de l’entreprise, avec un résultat d’exploitation de 15 057 000 DA (113 000 €).

La projection de la production selon les perspectives du développement de la culture sur 10 000 ha avec un rendement de 20 t/ha donne une estimation de 200 000 tonnes. Le coût d’implantation est très faible, sachant que les plants sont fournis par le Haut-Commissariat au développement de la steppe à 2 DA symboliques. L’entreprise a actuellement une capacité de transformation de 2 t/h ; en fonctionnant 8 h par jour pendant deux mois, cela équivaut à 960 tonnes, soit moins d’un demi pour cent du potentiel de la zone. L’augmentation de la production de Nopaltec ne pose donc pas de problème d’approvisionnement et l’investissement dans une nouvelle unité de transformation se justifie. Cette coopérative bénéficie d’une exonération d’impôts pendant 10 ans et de la mise à disposition d’un terrain de 5000 m2.

Il apparaît clairement que la valorisation des coproduits issus de la transformation de la figue de Barbarie crée de la valeur ajoutée. Nopaltec a permis aux agriculteurs de vendre 500 tonnes de figues en 2019 et d’envisager la croissance de la production. De plus, à quantité égale de fruits produite, le chiffre d’affaires généré a été porté par Nopaltec de 4,5 millions de DA (équivalent en vente brute) à 30 millions de DA (après valorisation des coproduits du fruit). La coopérative permet non seulement de garantir des revenus aux agriculteurs, mais leur distribue également des revenus supplémentaires grâce au partage des bénéfices de la valorisation de leur production. Les agriculteurs s’en réjouissent : « la figue de Barbarie est devenue notre principale source de revenu avec la vente de ses fruits, [la vente] en aliments du bétail pour ovin, bovin et caprin et grâce à [la valorisation par] la coopérative de diverses transformations ».

Tableau 1

Synthèse des performances financières de Nopaltec.

Summary of Nopaltec’s financial performance.

3.4 Performances managériales basées sur l’orientation vers le marché

Pour atteindre ces résultats, Nopaltec a pris trois orientations stratégiques : une orientation vers les concurrents et les partenaires, vers le client et une coordination inter-fonctionnelle.

Une orientation vers la concurrence. Cette orientation comprend les activités liées à l’acquisition d’informations sur les concurrents et à leur transmission au sein de l’entreprise. Elle est à l’origine même de la création de la coopérative. En effet, les différentes formations effectuées par le représentant de la communauté des Ouled Khiar (devenu par la suite président directeur de Nopaltec) et l’apprentissage qui s’en est suivi au Maroc sur la maîtrise des innovations techniques de la transformation du fruit, ont permis à la coopérative : (i) de devancer ses concurrents présents sur le marché national algérien et (ii) de se positionner sur le marché international à la manière des transformateurs marocains dont elle s’est inspirée pour ses stratégies opérationnelles et organisationnelles.

Sur le marché national, Nopaltec est la plus grande unité de transformation de figue de Barbarie avec une capacité technique d’extraction de l’huile de 4160 L/an, soit 4 fois la capacité moyenne des dix autres unités de transformation locales et fonctionnelles (économie d’échelle). Les liens que la coopérative avait tissés avec les institutions de l’État et les organisations professionnelles lui ont permis un meilleur apprentissage du fonctionnement du marché et d’asseoir une stratégie concurrentielle efficace. Cela s’est traduit par la fluidité des débouchés pour ses produits (huile, vinaigre et aliment du bétail).

La reproduction des innovations technologiques et organisationnelles observées au Maroc, et les différents partenariats engagés avec des organismes étrangers (GIZ et ambassade du Mexique) ont permis à la coopérative de percer sur le marché international, de renforcer sa compétitivité par l’innovation et une meilleure gestion de la qualité (économie de gamme). C’est sur cet axe que la stratégie marketing de Nopaltec s’est forgée pour l’huile et le vinaigre.

Une orientation client. Cette orientation comprend les activités liées à l’acquisition d’informations sur les clients du marché cible et à leur diffusion dans l’entreprise. L’étude du marché pour l’huile de figue de Barbarie a été progressivement réalisée avec les différents partenaires publics et privés. Cette phase de prospection a permis à Nopaltec, dès le démarrage de ses activités opérationnelles, de trouver des débouchés pour ses différents produits. Mais la gestion de la qualité demeurait un enjeu pour répondre aux attentes des clients pour l’huile (pureté) et le vinaigre (acidité). Nopaltec a mis trois ans pour mettre au point le procédé de fabrication du vinaigre permettant d’atteindre la qualité demandée par ses futurs clients saoudiens (acidité < 5 % sans ajout de produits chimiques). Les exportations d’huile de figue de Barbarie devraient avoir un effet supplémentaire avec l’obtention de la certification Bio, en adéquation avec le marché de niche visé (produits diététiques et cosmétiques de luxe). Pour la conquête de nouveaux marchés, la coopérative Nopaltec s’est lancée dans des essais techniques pour produire de nouveaux produits à partir de la figue de Barbarie comme la confiture et le jus. Enfin, son partenariat avec l’ONAB (Office national des aliments du bétail) devrait aboutir à de nouvelles formules de fabrication d’aliments du bétail incorporant les coproduits de la figue de Barbarie (tourteaux et mélasse). Cela nous a été indiqué par les responsables de la coopérative comme perspectives futures : « la coopérative compte introduire les coproduits dans l’alimentation animale… nous collaborons avec l’ITELV d’Alger pour développer les formules d’aliment du bétail à base des coproduits de la figue de Barbarie… et nous souhaitons travailler avec les chercheurs et les universités sur de nouveaux coproduits et de nouvelles innovations ».

Une coordination inter-fonctionnelle. Cette orientation comprend les efforts coordonnés de l’entreprise pour créer et exploiter l’apprentissage afin de répondre aux attentes des clients. En plus de la coordination fonctionnelle linéaire liée aux différentes activités de la coopérative (collecte, tri, transformation, conditionnement et vente), sa stratégie organisationnelle interne est basée sur la coordination des tâches pour optimiser la gestion des flux des coproduits générés, tout en garantissant leur qualité. La gestion des activités opérationnelles décrites plus haut requiert une maîtrise technique et organisationnelle que les employés de la coopérative ne cessent d’optimiser, non seulement par l’apprentissage continu (learning by doing), mais aussi grâce aux partenariats d’accompagnement conclus avec les institutions locales et internationales. La solidarité communautaire de ses adhérents permet à Nopaltec de mieux agir en amont pour garantir la gestion des récoltes en quantité et en qualité, ainsi que leur gestion logistique (transport, réception, stockage). Ces acquis opérationnels et organisationnels lui offrent la possibilité de mettre en place une stratégie proactive vis-à-vis des tendances du marché, de constituer un capital entrepreneurial solide et de renforcer ainsi ses performances socio-économiques.

3.5 Gouvernance collective et fonctions sociales et territoriales de la coopérative

Nopaltec se positionne aujourd’hui comme l’opérateur principal d’une filière qui contribue à la dynamique sociale de son territoire. En effet, la coopérative a commencé avec un personnel restreint de 5 personnes permanentes en 2015. Elle est passée à 17 employés dont 10 saisonniers en 2016, puis à 110 saisonniers (pris parmi ses adhérents) en 2019. Le salaire annuel moyen versé par Nopaltec est de 2700 €. Ceci montre l’impact social positif par le développement de l’emploi local, qui ne comptait jusqu’ici que 310 emplois permanents, hors agriculture et commerce informel.

Les salaires versés respectent les minima sociaux et l’entreprise finance une couverture sociale avec l’assurance maladie et accident, et une cotisation retraite. Ces mesures manquent dans le secteur agricole en Algérie, où la couverture sociale ne touche que 2 % des agriculteurs. La période creuse (l’hiver) constitue par ailleurs pour ces employés, des congés payés. Ils s’occupent de leurs affaires familiales, et de leurs activités agricoles et artisanales. En outre, certaines familles ont pu abandonner la vente des figues de Barbarie dans les rues par leurs enfants, ce qui permet à ces familles démunies d’assurer la scolarité de leurs enfants. Selon la Chambre d’agriculture, les revenus gagnés avec Nopaltec représentaient 50 % des revenus totaux de ses adhérents pluriactifs en 2017. Au moins 24 ménages ont un revenu agricole tiré exclusivement de la vente des figues de Barbarie à la coopérative. Ce revenu dépend de la surface cultivée et du rendement. Ainsi la Chambre d’agriculture estime la moyenne du revenu à l’hectare à 1900 € contre 940 € avant la naissance de la coopérative (augmentation des quantités achetées et de leur prix).

Par ailleurs, les adhérents et le personnel de Nopaltec bénéficient de formations et d’informations sur les activités de valorisation du figuier de Barbarie (en moyenne une formation tous les deux mois). Les riverains apprennent de nouveaux savoir-faire : les bonnes pratiques culturales, les itinéraires techniques, etc., et de nouveaux savoir-être : le travail collectif, le travail salarial, les démarches administratives, la coopération et la coordination. Le travail de proximité permet aussi au personnel de nouer des relations sociales et professionnelles très importantes dans le tissu social local. La coopérative comptait en 2019 plus de 160 adhérents, dont 85 adhérents coopérateurs. Cette inclusion sociale est élargie aux ménages (Kumar et al., 2015). Les femmes des producteurs de figue de Barbarie participent à la cueillette et contribuent au revenu familial. La coopérative compte au moins 16 femmes impliquées dans les activités de l’amont. Un agriculteur interrogé sur cette nouvelle façon de faire répond : « Auparavant, ma femme ne travaillait pas avec moi, mais aujourd’hui elle participe à la cueillette pour gagner de l’argent ». Pour leur donner plus d’accès aux opportunités de développement et surmonter le clivage du système traditionnel local patriarcal, la Chambre d’agriculture compte soutenir la création d’associations de femmes rurales qui participent à l’amont de la filière.

Par son développement, la coopérative est devenue un acteur important de l’attractivité du territoire. Elle permet à la fois de valoriser un territoire jusque-là marginalisé mais aussi d’attirer de nouvelles activités socio-économiques. Selon les responsables de la structure, « le travail ne consiste pas seulement à trouver des débouchés et encourager la culture de la figue de Barbarie… mais à créer des petites activités économiques, surtout que cette filière intéresse les grands investisseurs dans et hors région. Le développement de cette filière va améliorer le mode de vie des populations et encourager d’autres activités économiques et touristiques »

La gouvernance collective de la coopérative donne une bonne image de la participation à la prise de décision au sein d’une communauté défavorisée, en optimisant l’utilité sociale plutôt qu’individuelle. Les bénéfices sont partagés entre les adhérents et les non-adhérents apporteurs des figues de Barbarie. De plus, les éleveurs de ce territoire bénéficient de leur proximité avec cette filière pour s’approvisionner en aliment du bétail. Finalement, la coopérative contribue au développement territorial de la localité de Sidi-Fredj (Filippi, 2002 ; Triboulet et al., 2013 ; Razafindrazaka et Fourcade, 2016). À cela s’ajoute le volet du développement humain avec l’ouverture aux autres dans le cadre des partenariats (formations, recherche-développement, forums, contrats commerciaux…). Le bilan social dressé est plutôt positif et ces acquis touchent toutes les catégories sociales : les enfants, les jeunes, les adultes et les femmes.

3.6 Discussion et perspectives

Traditionnellement, les créations de coopératives agricoles résultent de la mise en commun de moyens techniques pour réaliser des fonctions antérieurement assurées au sein des exploitations. L’innovation arrive plus tard. Dans le cas de Nopaltec, la forme coopérative a favorisé le développement par l’innovation et a permis l’atteinte de multiples performances, au-delà des résultats économiques et financiers (Tab. 2).

L’originalité de l’étude de cas de Nopaltec vient de ce que l’innovation par transfert de technologie est simultanée à la création de la coopérative grâce, entre autres, à la création d’un effet de levier sur les ressources et la réalisation d’économies d’échelle. Il s’agit là d’un résultat important car une coopérative peut se créer à travers une appropriation-diffusion d’un transfert technique (valorisation et développement des débouchés et des sous-produits), avant de se lancer elle-même dans un nouveau cycle d’innovation (développement de coproduits). Cette orientation vers l’innovation pourrait même conduire à de meilleures performances économiques (Sekhar et Vijayan 2020 ; Chen et al., 2017). Faute d’une étude comparative coopérative / firme privée, ou coopérative innovante / coopérative traditionnelle, nous ne pouvons cependant pas confirmer cette relation causale. C’est la limite de la méthode du cas unique, et ce à double titre : d’une part, un seul cas fait l’objet de la démonstration, et d’autre part, il est également unique puisqu’il s’agit de la seule expérience de la filière figue de Barbarie en Algérie.

Cette étude montre également qu’au-delà des performances financières réalisées par Nopaltec, et de la rémunération des adhérents, il s’agissait surtout de la création d’un nouveau débouché et de revenus additionnels beaucoup plus importants que ceux issus de l’exploitation des fruits bruts. La tendance à la recherche de valeur ajoutée complémentaire dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire est une voie classique en situation de crise. Le passage du statut de sous-produit à celui de coproduit est fréquemment soutenu par la recherche publique, comme en viticulture (acide tartrique, colorants, huile, alcool, énergie, molécules à haute valeur ajoutée). Elle correspond également à une forte demande sociale en matière de gestion du territoire et de protection de l’environnement.

L’étude du cas de la coopérative Nopaltec a permis de rendre compte du rôle social, territorial et sociétal de cette structure. Au-delà des débouchés commerciaux, du transfert technique et de la rémunération des adhérents, la coopérative devient un acteur important de valorisation du territoire, de liens avec les institutions et la recherche publique, de développement de services sociaux pour les populations de la région. Au regard de la littérature, cet exemple valide les approches multidimensionnelles des mesures de performance des coopératives agricoles (Piot-Lepetit et al., 2019), en suggérant l’ajout des fonctions de structuration des filières, d’appropriation-diffusion des innovations techniques et de création de marchés par la valorisation de coproduits.

Enfin, et dans une optique territoriale, l’examen du cas Nopaltec permet de constater la pertinence de l’élargissement des indicateurs de performance, en mobilisant des mesures d’ancrage et de proximité géographique : investissements productifs localisés, partenariats locaux, implications des acteurs institutionnels locaux, développement de produits à travers un projet collectif, et objectifs environnementaux à travers la valorisation d’un coproduit peu exploité jusque-là (Filippi et al., 2008).

Ainsi, nos résultats suggèrent l’introduction de quatre dimensions supplémentaires pour évaluer la performance des coopératives agricoles innovantes. Notre proposition s’inscrit dans le cadre des évaluations multidimensionnelles et territorialisées de la performance (Marcis et al., 2019 ; Piot-Lepetit et al., 2019 ; Ensslin et al., 2014). La première dimension porte sur la gouvernance et l’implication des adhérents dans le processus de création et de partage de la valeur, et la prise de décision stratégique, ainsi que sur le rôle joué par la structure comme interface entre les agriculteurs adhérents et les institutions du territoire. La seconde concerne la dimension sociale et porte sur l’amélioration du niveau de vie des ménages et leur insertion sociale (rémunération, accès à l’éducation et à la santé). Des mesures de taux de scolarisation et de couverture sociale ou d’inclusion par des emplois formels pourraient être mobilisées dans ce sens. La troisième est la dimension territoriale et spatiale à travers les mesures de nouvelles installations d’entreprises liées à l’activité de la coopérative ou d’activités agro-touristiques, l’appréciation de la coordination avec les organismes territoriaux et la valorisation de l’origine géographique des produits ou des coproduits (Triboulet et al., 2013). Enfin, la dernière dimension de cette grille de lecture porte sur les aspects techniques et de diffusion de l’innovation, à travers l’amélioration de l’accès des adhérents aux connaissances techniques et à la valorisation des coproduits, ou encore la mise en place d’interfaces d’échanges avec les institutions de recherche (Chen et al., 2017).

Au-delà des difficultés que peut rencontrer cette démarche en termes de mesures des indicateurs de performance, une telle lecture (Tab. 2) rendrait compte des performances non financières des coopératives agricoles innovantes. Dans une optique dynamique, elle permettrait aussi de contextualiser les performances des organisations collectives par rapport à leur territoire et leur trajectoire de développement.

Nopaltec est un cas unique portant sur une expérience originale dans la filière figue de Barbarie en Algérie. De ce fait, il serait judicieux de développer des comparaisons avec d’autres coopératives opérant dans d’autres filières en Algérie (huile d’olive, figues…) et d’analyser la spécificité algérienne de la filière figue de Barbarie au regard des pays concurrents disposant d’une plus grande expérience et antériorité, tels que le Maroc, le Mexique ou l’Italie. Une autre piste de réflexion pourrait conduire à l’analyse des performances comparées des structures coopératives selon leur orientation entrepreneuriale et d’innovation, leurs capacités de résilience et leur gouvernance. Il s’agit là d’autant de perspectives intéressantes de recherches futures.

Tableau 2

Performances sociale, territoriale et institutionnelle de la coopérative Nopaltec.

Social, territorial and institutional performance of the Nopaltec cooperative.

Références

Citation de l’article : Boumali NEI, Mamine F, Cheriet F, Montaigne E. 2023. Performances des coopératives agricoles innovantes : le cas de la valorisation de la figue de Barbarie par Nopaltec en Algérie. Cah. Agric. 32: 3. https://doi.org/10.1051/cagri/2022034

Liste des tableaux

Tableau 1

Synthèse des performances financières de Nopaltec.

Summary of Nopaltec’s financial performance.

Tableau 2

Performances sociale, territoriale et institutionnelle de la coopérative Nopaltec.

Social, territorial and institutional performance of the Nopaltec cooperative.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Démarche méthodologique d’analyse des performances d’une coopérative innovante.

Methodological approach to analyze the performance of an innovative cooperative.

Dans le texte

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