Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 33, 2024
Numéro d'article 20
Nombre de pages 10
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2024019
Publié en ligne 27 août 2024

© R. de Lange et al., Hosted by EDP Sciences 2024

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1 Introduction

Oliviers et vignes, cultures caractéristiques du bassin méditerranéen, font partie intégrante de son patrimoine et de ses paysages. Ces deux cultures ont une forte importance socio-économique sur le bassin méditerranéen. Elles ont longtemps subsisté de manière traditionnelle en France, mais leurs modes de production se sont intensifiés après la Seconde Guerre mondiale, avec des conséquences environnementales, sociales et économiques. Les cultures pérennes sont désormais majoritairement cultivées en monoculture et sont intensives en intrants (ex. : usages des pesticides en vigne, Meziere et al., 2009), ce qui conduit à leur mise en cause dans la pollution des eaux et des sols (Métayer et al., 2024). Elles subissent aussi des aléas croissants, relatifs notamment à la variabilité du climat et des prix (Galtier, 2012). Des systèmes oléicoles et viticoles diversifiés pourraient être des alternatives plus durables (Altieri et al., 2015), et résilientes face au changement climatique (Duru et al., 2015) et aux impacts des ravageurs (Ponti et al., 2014), voire plus productifs (ex. : agroforesterie au Maroc, Amassaghrou et al., 2021). Dans cet article, nous considérons uniquement les associations de plusieurs espèces à l’intérieur d’une parcelle (nous avons exclu les haies ou arbres en bordure de parcelle), en excluant les associations de plusieurs variétés d’une même espèce. Ces systèmes diversifiés sont aujourd’hui encore marginaux en Europe (par exemple, 8,8 % de la surface agricole est utilisée en agroforesterie, selon Den Herder et al., 2017). Mieux connaître ces systèmes, leurs avantages et leurs inconvénients, pourrait apporter des connaissances utiles à des agriculteurs souhaitant diversifier leurs systèmes, par des références mobilisables pour la conception de systèmes plus durables (Feike et al., 2010).

L’objectif de cette étude est d’identifier et de caractériser des systèmes oléicoles et viticoles diversifiés dans le sud de la France, en mobilisant la méthode de la traque aux innovations, pour identifier leurs spécificités et points communs, les objectifs et les critères de performances des agriculteurs et leurs profils, ainsi que les freins et les leviers à la diversification. Salembier et al. (2016) ont construit cette méthode pour repérer et analyser des systèmes innovants chez les agriculteurs en considérant ceux-ci comme des moteurs de l’innovation agricole. Nous avons choisi cette méthode car elle a fait ses preuves dans une diversité de contextes, par exemple pour identifier des innovations numériques pour l’agroécologie au Bénin (Paget et al., 2022), ou des systèmes de culture ou des mélanges de cultures incluant des légumineuses en France (Verret et al., 2020 ; Périnelle et al., 2021).

2 Matériels et méthodes

La méthode de traque à l’innovation comprend cinq étapes (Fig. 1). Nous nous sommes focalisés sur les systèmes portés par des professionnels agricoles, i.e. à des fins de commercialisation. Pour caractériser les systèmes dominants (étape 1, Fig. 1), nous avons mobilisé les conseillers des Chambres d’agriculture locales (Pyrénées-Orientales, Hérault et Var) et le recensement agricole (Agreste, 2023). Pour catégoriser les pratiques associées aux systèmes dominants, nous avons synthétisé les informations de différentes sources, parfois contradictoires, en choisissant : (1) la modalité la plus fréquemment citée (ex. : pour l’enherbement) ; ou (2) fait des moyennes pour les informations chiffrées (ex. : densités). Pour identifier les agriculteurs innovants (étape 2), nous avons mobilisé plusieurs réseaux : (1) Agricultures durables en Méditerranée, projet porté par les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (CIVAM) des régions Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur, référençant des agriculteurs avec des pratiques durables ; (2) la liste « Agroforesterie » (liste de diffusion sur les pratiques agroforestières, gérée par le Groupe de recherche en agriculture biologique) ; (3) les réseaux des conseillers techniques (CIVAM, Chambres d’agriculture, Agroof – bureau d’étude en agroforesterie) ; (4) des blogs et groupes informels des réseaux sociaux. Nous avons également utilisé la méthode « boule de neige » pour identifier de nouveaux agriculteurs (i.e., demander à chaque agriculteur les noms des collègues ayant un système diversifié). Quarante-cinq agriculteurs ont été interrogés, avec 18 entretiens en oléiculture et 28 en viticulture (un des agriculteurs se présentait comme oléiculteur et viticulteur). Les entretiens étaient de type semi-directif. Le guide d’entretien visait plusieurs objectifs : (1) décrire techniquement le système diversifié ; (2) décrire son objectif et ses critères de performances selon l’agriculteur ; (3) décrire l’émergence de ce système, en particulier le rôle du réseau sociotechnique, les freins et les leviers, et les évènements déclenchants. Au début de l’entretien, l’agriculteur présentait son exploitation, replacée dans sa trajectoire (installation, foncier, main-d’œuvre, etc.).

L’analyse des systèmes innovants (étape 3b) a été réalisée en caractérisant les systèmes diversifiés selon leur configuration spatiale et les espèces associées. Concernant l’évaluation des performances des systèmes par les agriculteurs (étape 4), nous avons classé leurs indicateurs selon leur domaine : environnemental, agronomique, économique, social ; ainsi que la satisfaction des agriculteurs vis-à-vis du système. Une analyse inductive nous a permis de caractériser les profils des agriculteurs (ex. : néo-agriculteur, pluriactivité). Pour l’analyse du rôle du réseau sociotechnique dans la mise en œuvre du système diversifié et des freins et leviers (étape 5), nous avons identifié les plus fréquemment cités pour les deux cultures.

thumbnail Fig. 1

Description des cinq étapes de la démarche. Les étapes sont issues de Salembier et al. (2016) et Salembier et al. (2021) (étapes 3a et 3b) : les spécificités de notre étude sont indiquées en italique. *Les étapes 3, 4 et 5 ont été réalisées lors du même entretien.

Description of the five steps of the approach.

3 Résultats

3.1 Description des systèmes dominants

Pour chaque culture, deux types de systèmes dominants ont été identifiés : en oléiculture, traditionnel extensif vs. intensif avec une évolution vers le système intensif, et en viticulture, conventionnel vs. biologique avec une évolution vers le biologique et davantage d’irrigation (Fig. 2). Par comparaison avec les systèmes oléicoles extensifs, les systèmes intensifs sont plus denses, irrigués, et seuls les systèmes intensifs peuvent être la source principale de revenu pour l’agriculteur. La récolte est semi-mécanique dans les deux cas. Les deux systèmes viticoles présentent les mêmes densités, avec un seul cépage. Une différence majeure est la gestion de l’enherbement sur l’inter-rang, plus présent dans les systèmes biologiques.

thumbnail Fig. 2

Caractérisation des systèmes dominants.

Characterization of the dominant systems.

3.2 Description des systèmes innovants

Chez les 45 agriculteurs, nous avons identifié 74 parcelles diversifiées (i.e., avec des espèces en association), 22 en oléiculture et 53 (1 en commun) en viticulture. La majorité des systèmes associés se basent sur des monocultures déjà en place (60/74), en sec (42/60) (Tab. 1). Dans les systèmes irrigués, l’irrigation bénéficie uniquement à la culture associée (ex. : maraîchage). Les systèmes sont majoritairement en goutte à goutte, et les agriculteurs ne mentionnent pas de contrainte particulière associée à l’irrigation. La diversité des cultures associées est plus élevée pour les systèmes oléicoles que pour les systèmes viticoles (Tab. 1 et 2). Plusieurs systèmes oléicoles (7/22) associent plus de deux espèces, par exemple : oliviers + arbres fruitiers + animaux (Tab. 1).

Parmi les plantations existantes en sec, les associations dominantes sont avec des arbres de service ou fruitiers (ex. : amandiers, abricotiers) ou de l’élevage (16 et 19 systèmes sur 42, respectivement). Pour l’élevage, cela s’explique par la disponibilité d’une surface enherbée et la possibilité de déplacer les animaux lors d’une intervention technique. Les arbres fruitiers sont essentiellement plantés dans le rang, de manière ponctuelle (ex. : en remplacement de cep de vigne mort), ou à la place d’un rang (avec arrachage de rang de vignes pour un système existant) ou en complément (ex. : un fruitier planté entre deux oliviers) (Tab. 2). Les systèmes en place avec irrigation sont plutôt des cultures annuelles sur l’inter-rang (maraîchage [Fig. 3], plantes à parfum ou fleurs). Les systèmes conçus comme diversifiés dès la plantation (16/74, dont 14 viticoles et 3 oléicoles – 1 en commun), associent des arbres (à bois d’œuvre, fruitiers, oliviers), en alternant des rangs de vignes et de fruitiers (10/16 systèmes « à la place d’un rang »).

En oléiculture, une grande partie des diversifications se font sur l’inter-rang, principalement avec du maraîchage (tomate, courgette, aubergine). Les systèmes avec de l’élevage (2 systèmes avec des ovins, 2 avec des équidés, 2 avec des poules) et les Plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) (hélichryse [Fig. 3C], lavandin et safran) sont également fréquents. En viticulture la diversification se fait majoritairement avec des arbres de service ou fruitiers (Tab. 2, Fig. 3B et Fig. 3F). Les espèces rencontrées dans ces systèmes sont des arbres indigènes (ex. : fabacées à la place d’un rang), solitaires ou en haies, ou des arbres fruitiers (ex. : figuiers, abricotiers, pêchers). Les systèmes d’élevage sont aussi fréquents en viticulture (8 systèmes avec des ovins [Fig. 3E], 4 avec des équidés, 4 avec des vaches, 1 système associant les trois).

Nous distinguons ainsi trois principaux types de diversification : (1) avec des animaux sur des îlots ; (2) avec des espèces pérennes essentiellement dans le rang ou sur le rang ; et (3) avec des espèces annuelles sur l’inter-rang (Tab. 2). Cependant, chaque système reste unique et nécessite une adaptation des pratiques culturales. Pour les diversifications végétales dans le rang et sur l’inter-rang, ces pratiques concernent la récolte, l’export des bois de taille, la taille ou encore les traitements phytosanitaires. Pour les traitements phytosanitaires, les agriculteurs mentionnent plusieurs difficultés. Tout d’abord, il faut que les molécules soient homologuées sur l’ensemble des espèces cultivées sur la parcelle. Ensuite, il peut y avoir une incompatibilité temporelle de certains traitements phytosanitaires (ex. : un traitement au cuivre sur la vigne qui peut compromettre la floraison des oliviers (Fig. 3B), ou des délais incompatibles entre un traitement au cuivre sur la vigne et la récolte de légumes). Les agriculteurs insistent aussi sur la nécessité de pulvérisation précise (pulvérisateurs à dos), et, pour certains, le besoin de conserver la possibilité de passer avec le tracteur (Fig. 3F). Concernant la taille des oliviers, ceux-ci sont taillés de manière différente en association : plus bas et plus proche de l’arbre pour assurer un ensoleillement suffisant de l’espèce plantée entre les rangs (ex. : PPAM, céréales), ou plus haut pour faciliter le travail en maraîchage (Fig. 3A).

La récolte des olives nécessite la pose de filet et le passage à pied sur l’inter-rang. La récolte a donc lieu après la récolte de la culture de diversification si celle-ci se situe sur l’inter-rang (par exemple les filets sont posés par-dessus la vigne ou bien la culture est broyée [maraîchage] avant la récolte), ou alors la récolte est manuelle (2 systèmes). Pour la récolte des raisins, certains agriculteurs ont dû passer aux vendanges manuelles (viticulteur 2), par exemple si des légumes ou des arbres sont plantés dans le rang. Cela n’est cependant pas systématique, la mécanisation restant possible dans la plupart des systèmes agroforestiers (où les arbres sont plantés à la place d’un rang) et dans les systèmes céréaliers (où la contrainte est cependant de trouver une moissonneuse d’une largeur adaptée).

Pour la diversification avec des animaux (Fig. 3E), certains viticulteurs ont adapté leur palissage en relevant, voire en supprimant les fils porteurs (viticulteurs 23 et 30). De telles adaptations n’ont pas été identifiées en oléiculture, même si les agriculteurs soulignent un temps de travail supplémentaire lié en particulier à l’installation de clôtures. Ces adaptations illustrent ainsi plusieurs contraintes techniques et organisationnelles à la diversification, qui peuvent limiter leur adaptation à toutes les parcelles et à toutes les exploitations.

Tableau 1

Principales caractéristiques des associations. (PPAM : Plantes à parfum, aromatiques et médicinales).

Main characteristics of associations (PPAM: Perfume, aromatic and medicinal plants).

Tableau 2

Associations selon la spatialisation des cultures (PAM : Plantes à parfum, aromatiques et médicinales).

Associations by spatial organization (PPAM: Perfume, aromatic and medicinal plants).

thumbnail Fig. 3

Six systèmes innovants du sud de la France. La création du système diversifié de novo (« Système nouveau ») ou non (« Système existant ») est précisée dans chaque légende. Crédit images A, B, C : R. de Lange ; D, E, F : R. Bernard-Michinov.

Six innovative systems in southern France. Image credits A, B, C: R. de Lange; D, E, F: R. Bernard-Michinov.

3.3 Objectifs et critères d’évaluation des agriculteurs innovants

Les objectifs des agriculteurs pour conserver ou mettre en place une parcelle diversifiée sont : (1) pragmatiques, i.e. optimiser la surface en cultivant les espaces disponibles dans les parcelles ; (2) agro-environnementaux, les agriculteurs mettant en avant une plus-value de la diversification (ex. : augmentation de la fertilité, stabilisation des rendements), en lien avec une vision écosystémique. Les termes « symbiose », « circulaire », « écosystème » et « harmonie » sont ainsi utilisés par les agriculteurs pour parler de leurs systèmes. Avoir un « sol vivant » est aussi une préoccupation majeure, en expliquant qu’un sol « plein de bêtes » est un de leurs objectifs. Tous les agriculteurs interrogés sont conscients de leur impact sur l’environnement et ont une volonté d’améliorer leurs pratiques.

Les critères d’évaluation les plus cités sont environnementaux (biodiversité), économiques (rendement, qualité), puis agronomiques (état du sol et de la culture) (Tab. 3). Pour les systèmes à base d’arbres, leur fonction principale est de protéger les cultures associées par l’ombrage ou le microclimat. Le critère économique est cité en premier par tous les agriculteurs pratiquant le maraîchage en association.

Il est cependant difficile pour les agriculteurs d’évaluer les performances agronomiques et économiques. Les systèmes sont trop jeunes (arbres pas encore en production), ou difficilement comparables (pas de témoin). Cependant, la majorité des agriculteurs sont satisfaits, au moins sur certains critères, de leurs systèmes (22 viticulteurs sur 53 et tous les oléiculteurs), même si des pistes d’amélioration sont considérées, concernant en particulier des espacements différents, d’autres essences ou l’adaptation du matériel de récolte. Une partie des agriculteurs (15 viticulteurs sur 53 et tous les oléiculteurs) jugent leur système satisfaisant sur le plan environnemental, par exemple parce qu’ils observent de nouveaux oiseaux et insectes sur leur parcelle, et sur le plan agronomique, parce que le sol ou la production sont de meilleure qualité : « Cela fait un vin vraiment différent, c’est très intéressant » (viticulteur 19). Le critère esthétique est aussi mis en avant, du fait de paysages plus diversifiés : « La parcelle était tellement belle et extraordinaire comme système, on a voulu la remettre en service » (oléiculteur 20). Les oléiculteurs sont satisfaits de leurs systèmes diversifiés, notamment parce qu’ils n’observent pas de concurrence hydrique entre les cultures associées, ou bien celle-ci est compensée par le gain de productivité par unité de surface. Les viticulteurs sont plus critiques (sur 53 viticulteurs, 5 non satisfaits de leur système, 9 mitigés). Quatre des viticulteurs sont non satisfaits des performances économiques de leur système, du fait du coût du pâturage par les brebis (rémunération du berger) ou de la production trop faible (maraîchage).

Tableau 3

Critères d’évaluation cités par les agriculteurs.

Evaluation criteria cited by farmers.

3.4 Profils des agriculteurs, freins et leviers à la diversification

Parmi les 45 agriculteurs, la diversification a lieu à différents moments clés : reprise d’exploitation, installation ou suite à un évènement marquant (ex. : climat, marché, pollution). Vingt-cinq ont repris l’exploitation familiale, dont 19 qui ont diversifié après la reprise des terres. Parmi les néo-installés, 8 ont repris une parcelle déjà diversifiée. Dix-neuf agriculteurs sur 45 sont des néo-agriculteurs. Dix-huit agriculteurs sont pluriactifs, 8 ont une activité en lien avec leur activité agricole (ex. : négociant en vin), 8 en lien avec leur immobilier agricole (ex. : gîte).

Seulement 3 agriculteurs (2 oléiculteurs et 1 viticulteur) innovants ont été identifiés par la méthode « boule de neige », indiquant l’absence de réseaux structurés d’oléiculteurs ou de viticulteurs diversifiés. Le manque d’accompagnement à la conception et à la mise en œuvre de la diversification est le premier frein mentionné par les agriculteurs. Cependant, certains agriculteurs ont cité des acteurs et des réseaux ayant influencé et soutenu leur diversification, en particulier en viticulture où 7 (sur 53) viticulteurs ont été accompagnés par Agroof ou Arbres et paysages (bureaux d’étude). Aucun oléiculteur n’a été directement accompagné dans la mise en place de son système innovant. Les oléiculteurs disent connaître ces structures, mais trouvent les coûts élevés et les délais longs, en l’absence de connaissance spécifique pour la conception de systèmes à base d’oliviers. Les structures spécialisées en agroforesterie, en particulier Agroof et Arbre et paysage 32, ont quand même permis d’accéder à des formations généralistes. Les agriculteurs sont aussi accompagnés par d’autres structures (ex. : CIVAM, moulin, ou cave coopérative) et s’informent en ligne (YouTube, Facebook, forums) et à l’aide de réseaux agroécologiques généralistes (ex. : Maraîchage sol vivant). Deux viticulteurs ont été à l’initiative de la création d’un réseau de partage de connaissances : le premier via une association visant à promouvoir l’agroécologie par des formations et du conseil agronomique, le second avec un groupe Facebook sur l’agriculture de conservation des sols.

D’autres freins et leviers à l’émergence des systèmes innovants ont été évoqués par les agriculteurs. Les freins sont surtout liés au manque de soutien technique (en particulier sur les associations d’espèces) et financier. Le manque de soutien technique est évoqué particulièrement par les oléiculteurs car il y a un manque d’information sur les systèmes oléicoles agroforestiers dans la littérature et chez les conseillers agricoles. Sur le plan financier, la diversification requiert un investissement dans de nouveaux outils ou du matériel végétal. Les viticulteurs ayant été accompagné ont eu accès à des aides (Plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles, Plan de relance de l’État, programme du Compte d’affectation spécial pour le développement agricole et rural). Des progrès sont encore à faire, selon les viticulteurs, notamment pour les déclarations de la Politique agricole commune (PAC), où « une même parcelle ne peut pas être déclarée en vigne et en pâturage » (viticulteur 9). Les oléiculteurs sont moins informés des aides économiques possibles, ou jugent le processus de demande trop contraignant par rapport à leur montant.

4 Discussion

Notre étude montre qu’une large gamme de systèmes oléicoles et viticoles diversifiés existe dans le sud de la France. L’approche par la traque a permis d’identifier les contraintes à la diversification (ex. : récolte des olives avec une culture sur l’inter-rang), la manière dont les agriculteurs innovent pour y faire face (ex. : adapter le mode de récolte ou la taille), ainsi que les profils et les objectifs des agriculteurs choisissant de diversifier à l’intérieur de leurs parcelles. La mise en lumière de ces systèmes diversifiés peut directement servir aux agriculteurs ayant des conditions locales similaires, ou servir d’inspiration dans d’autres contextes. Cela permet d’ouvrir le champ des possibles vers des solutions innovantes, en constituant une « bibliothèque de situations innovantes » (Meynard et al., 2012) utile à la conception ad hoc. Nous avons ainsi construit des ressources mobilisables dans le cadre d’ateliers de conception (Jeuffroy et al., 2022). Ces ressources ont consisté en la création de fiches regroupant les systèmes selon leur configuration spatiale et les espèces associées. Les fiches présentent les caractéristiques du système, les objectifs et les pratiques des agriculteurs, ainsi que les avantages et inconvénients perçus par les agriculteurs (https://hal.inrae.fr/hal-04597985). Elles ne présentent cependant pas les performances économiques des systèmes alternatifs, non quantifiées dans nos enquêtes. Une évaluation des systèmes diversifiés avec des annuelles semble plus accessible que pour des combinaisons avec des pérennes, qui représentent un investissement sur le long terme plus incertain pour l’agriculteur. Cela permettrait d’évaluer la durabilité et la résilience des systèmes face à des chocs (prix, canicule ou sécheresse, bioagresseurs).

Notre porte d’entrée de la diversification était l’espèce principale : la vigne ou l’olivier. Ainsi, pour les oliveraies, nous avons limité notre étude au type « Agroforesterie d’arbres à haute valeur ajoutée », ne nous intéressant pas aux systèmes arables ou d’élevage intégrant des arbres (3 types définis par Den Herder et al., 2017). Ainsi, nous n’avons pas intégré les systèmes présentant des arbres épars ou des oliviers à faible densité, a contrario de Leauthaud et al. (2022). À l’inverse, les arbres épars étaient considérés comme une forme de diversification dans les vignobles. McAdam et al. (2008) proposent de typer les systèmes agroforestiers selon « leurs composants, leur disposition spatiale et temporelle, leur zone agroécologique et leurs aspects socio-économiques ». Nous nous sommes ici focalisés sur les deux premiers éléments, tout en cherchant à illustrer les aspects socio-économiques. Notre analyse des éléments inclus dans les systèmes identifiés nous a permis de repérer plusieurs types caractérisés par McAdam et al. (2008) ; des systèmes agri-sylvicoles, sylvopastoraux, agri-sylvopastoraux et apicoles. En viticulture, les études s’intéressant à la diversification se sont principalement concentrées sur les cultures de service sur l’inter-rang (Garcia et al., 2018) et sur leur diversité spatiale et temporelle (Fernández-Mena et al., 2021).

McAdam et al. (2008) proposent des fonctions associées à l’agroforesterie : fonction de production, d’habitat, de régulation et culturelle. Ces quatre fonctions ont été mentionnées par les agriculteurs interrogés, permettant d’explorer les critères d’évaluation des agriculteurs. Contrairement aux résultats de Périnelle et al. (2021), les critères des agriculteurs ne sont pas tous de court terme (ex. : biodiversité, fonction habitat), les agriculteurs insistant sur des processus potentiellement longs. Ainsi, certains critères des agriculteurs diffèrent de ceux des agronomes, tout en mettant en avant les performances agronomiques et économiques, comme l’indiquent Leauthaud et al., 2022 chez des agriculteurs pratiquant l’agroforesterie à base d’oliviers en Tunisie. La durabilité environnementale est mise en avant par de nombreux agriculteurs, la durabilité économique est citée par certains, et la durabilité sociale plus rarement (esthétique, bien-être animal).

Notre étude n’a pas permis d’explorer complètement les conditions favorables à l’apparition des systèmes diversifiés (étape 5 de la traque). Dans le cas de la diversification en Argentine, Salembier et al. (2016) ont mentionné les prix, les compétences, et les orientations des politiques publiques (export) comme des facteurs clés. Dans notre cas, trois facteurs clés apparaissent : l’accompagnement technique à la diversification (espèces, itinéraire technique, adaptation du matériel), l’accès aux aides publiques (pour planter et/ou acheter du matériel) et les réglementations phytosanitaires (homologation multi-espèces des molécules). Contrairement à Leauthaud et al. (2022), l’accès aux ressources (foncier, eau, capital) n’a pas été identifié comme clé pour la diversification.

Les changements de pratiques dans les exploitations peuvent mener à une complexité biophysique, technique et décisionnelle accrue, tel qu’expliqué par Merot et Wéry (2017) pour la conversion à la viticulture biologique, en augmentant notamment les besoins en main-d’œuvre, déjà critiques dans certains systèmes méditerranéens (Hossard et al., 2024). Un point de vigilance pour l’évaluation des systèmes diversifiés devrait donc porter sur ces facteurs importants pour réfléchir à la transposabilité des systèmes. Certains viticulteurs et oléiculteurs (en particulier ceux ayant également un troupeau) ont admis supporter de grosses charges de travail par passion ou par conviction, ce qui peut constituer une limite à la généralisation de ces systèmes. Pour mieux caractériser ces situations, des références économiques et agronomiques sont nécessaires pour que les agriculteurs puissent s’engager dans ces systèmes diversifiés avec moins d’incertitude sur l’équilibre entre revenu et travail. Ces références sont difficiles à construire, mais elles pourraient reposer sur des méthodes telles que l’expérimentation à la ferme (Lacoste et al., 2021). Cette méthode, à la fois expérimentale et collaborative, reflète « les nouvelles exigences en matière de recherche décentralisée et inclusive qui relie les sources de connaissances et favorise l’innovation ouverte » (Lacoste et al., 2021). Elle permet de conduire l’expérimentation sur l’exploitation des agriculteurs en s’insérant dans leur système et leurs itinéraires techniques, et non sur des systèmes conçus extérieurement. Par ailleurs, de nombreux agriculteurs interrogés ont exprimé la volonté d’avoir un suivi de leur système diversifié pour mieux évaluer sa performance, mais aussi pour partager leurs innovations.

5 Conclusion

La traque aux systèmes diversifiés oléicoles et viticoles a permis d’identifier des solutions prometteuses pouvant soutenir la transition agroécologique. Nous distinguons trois types de diversification : (1) avec des animaux sur des îlots ; (2) avec des espèces pérennes essentiellement dans le rang ou sur le rang ; et (3) avec des espèces annuelles sur l’inter-rang, avec une diversité d’espèces associées. Ces résultats pourront inspirer de nouveaux systèmes plus résilients face aux chocs climatiques et économiques, avec la possibilité de repenser les espèces utilisées, leurs configurations et leurs combinaisons en fonction des besoins des agriculteurs. Pour cela, il est nécessaire d’avoir un réseau sociotechnique structuré et des aides financières adaptées pour soutenir les agriculteurs souhaitant se diversifier. Il est aussi nécessaire de développer des références technico-économiques sur les performances de ces systèmes pour impulser la mise en œuvre de systèmes diversifiés par les agriculteurs. Ce travail pourrait être poursuivi par la mise en lumière de systèmes diversifiés dans d’autres zones géographiques, celles-ci pouvant conditionner les associations possibles. Cela pourrait s’appliquer à des zones avec un climat plus chaud et sec, auquel nos régions pourraient être confrontées à l’avenir dans le contexte du changement climatique.

Remerciements

Cette étude a reçu le support financier de PRIMA (projet Biodiversify ANR-19-P026-0008-01), programme financé par l’Union européenne. Nous remercions les conseillers et les agriculteurs ayant participé à cette étude. Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’Initiative for Design in Agrifood Systems (IDEAS).

Références

Citation de l’article : de Lange R, Bernard-Michinov R, Métral R, de Tourdonnet S, Hossard L. 2024. Caractérisation de systèmes oléicoles et viticoles diversifiés dans le sud de la France. Cah. Agric. 33: 20. https://doi.org/10.1051/cagri/2024019

Liste des tableaux

Tableau 1

Principales caractéristiques des associations. (PPAM : Plantes à parfum, aromatiques et médicinales).

Main characteristics of associations (PPAM: Perfume, aromatic and medicinal plants).

Tableau 2

Associations selon la spatialisation des cultures (PAM : Plantes à parfum, aromatiques et médicinales).

Associations by spatial organization (PPAM: Perfume, aromatic and medicinal plants).

Tableau 3

Critères d’évaluation cités par les agriculteurs.

Evaluation criteria cited by farmers.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Description des cinq étapes de la démarche. Les étapes sont issues de Salembier et al. (2016) et Salembier et al. (2021) (étapes 3a et 3b) : les spécificités de notre étude sont indiquées en italique. *Les étapes 3, 4 et 5 ont été réalisées lors du même entretien.

Description of the five steps of the approach.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Caractérisation des systèmes dominants.

Characterization of the dominant systems.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Six systèmes innovants du sud de la France. La création du système diversifié de novo (« Système nouveau ») ou non (« Système existant ») est précisée dans chaque légende. Crédit images A, B, C : R. de Lange ; D, E, F : R. Bernard-Michinov.

Six innovative systems in southern France. Image credits A, B, C: R. de Lange; D, E, F: R. Bernard-Michinov.

Dans le texte

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