Numéro |
Cah. Agric.
Volume 34, 2025
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Numéro d'article | 2 | |
Nombre de pages | 17 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2024033 | |
Publié en ligne | 24 janvier 2025 |
Article de synthèse / Review Article
La conservation hermétique des céréales : comment les avancées de la recherche ont été ignorées au XXe siècle en France
Storage of cereal grain in airtight structures: How the grain storage industry ignored research at late 20th Century in France
Consultant, 376 route des anciens moulins, 24800 St-Pierre-de-Côle, France
* Auteur correspondant : francis.fl@orange.fr
Reçu :
19
Décembre
2023
Accepté :
12
Décembre
2023
Pendant la première moitié du XXe siècle, le stockage des grains à la ferme s’est effectué essentiellement en sacs conservés en grenier. À partir des années 1930 sont apparus les premiers silos de stockage de type coopératif. Ces structures de conservation en vrac ont rapidement été confrontées à des difficultés de préservation de la qualité en cas de conservation à long terme. Il en a découlé un besoin de recherche, notamment pour comprendre la dynamique de prolifération des moisissures de stockage et de multiplication des insectes dans ces structures de grand volume. Après la deuxième guerre mondiale et la découverte des premiers insecticides organiques de synthèse, leur utilisation s’est généralisée. À partir de 1960, pour faire face aux nombreuses avaries dues à l’échauffement des grains stockés trop humides, des laboratoires spécialisés dans l’étude des facteurs de détérioration des grains stockés ont été constitués dans tous les pays développés producteurs de céréales, avec un même objectif : améliorer la connaissance sur le fonctionnement dynamique de l’écosystème du stock de céréales. À partir des années 1970, ces groupements de chercheurs se sont organisés en équipes pluridisciplinaires venant présenter régulièrement leurs résultats dans des conférences internationales. Dès 1980, ils se sont intéressés à la conservation des grains en atmosphère modifiée ou sous inertage, en substitution aux traitements insecticides et pour limiter les risques liés aux moisissures à mycotoxines. En France, les acquis de la recherche sur le stockage hermétique ont été ignorés pour plusieurs raisons : i) le manque de relais efficace entre recherche et application des innovations, notamment pour les producteurs-stockeurs en agriculture biologique ; ii) le verrouillage par le secteur commercial de l’option consistant à remplacer les traitements correctifs des avaries par une démarche écosystémique de protection antiparasitaire intégrée ; iii) l’absence de valorisation des systèmes experts permettant une meilleure maîtrise des dérives de qualité pendant la conservation.
Abstract
During the first half of the 20th Century, traditional grain storage at farms was carried out in jute bags stored in granaries. From the years 1930, large grain silos begun to be built up for gathering the harvests of farmers’ cooperatives. These large structures for bulk grain storage soon faced difficulties to preserve gain quality all along the storage period. Consequently, it emerged an acute need for applied research about the impact of this kind of large storage structures on the evolution of cereal quality during storage, especially to enhance the knowledge of the interactions between storage conditions and microbiological spoilage or insect population dynamics. After World War II and the discovery of the first synthetic pesticides and fumigants, insect control by chemicals became widespread. From year 1960, specialized research teams were constituted in countries with a large cereal production sector. This initiative arised from the need of better understanding how the grain ecosystem is evolving during long-term storage periods. During the 1970’s and further, these R & D teams self-organised into multidisciplinary laboratories presenting innovative results at international conferences on stored product protection. In 1980, the first international conference on controlled atmosphere storage of grains put the focus on safe storage through hermetic structures under modified atmosphere. In France, research advances on hermetic storage techniques were ignored for several reasons : i) the lack of a “conveyor belt” between research findings and their application in practice, especially for organic cereal growers; ii) the pressure of grain handlers and market operators to maintain the status quo for corrective approach of qualitative damage remediation instead of changing practices and methods for the benefit of an IPM approach; iii) the lack of development of expert systems allowing a better control of quality drifts during storage.
Mots clés : céréales / stockage / évolution des pratiques / structure hermétique / approche écosystémique
Key words: cereals / storage / changing storage practices / airtight storage structure / stored-grain ecosystem
© F. Fleurat-Lessard, Hosted by EDP Sciences 2025
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1 Introduction
À la fin du XIXe siècle, la nécessité de faire des réserves de grains à long terme pour surmonter les pénuries dues à de mauvaises récoltes, comme il y en eut tout au long du siècle, paraissait s’imposer à partir des résultats probants obtenus par l’agronome Louis Doyère dans ses expérimentations de la conservation à long terme des céréales en fosses-silo souterraines (Doyère, 1852, 1862). Au lendemain de la guerre de 1870 et des famines causées par la pénurie de farine au cours du siège de Paris par l’armée prussienne, qui s’est poursuivie pendant la Commune de Paris, Achille Müntz – qui était responsable du ravitaillement des équidés de l’armée et de la Compagnie des omnibus à Paris pendant cette période – a repris les principes de Doyère pour construire des silos hermétiques enterrés permettant de conserver de grandes quantités de grains à long terme sans détérioration de la valeur nutritionnelle ni de l’aptitude à germer après une année de stockage en confinement total. Müntz voyait dans cette technologie la solution idéale aux ruptures d’approvisionnement récurrentes ou accidentelles, sources de graves crises sociales et sanitaires comme celles dont il avait été le témoin en 1870–1871 (Müntz, 1881). Malgré l’importance de sécuriser l’approvisionnement en farine et en pain des villes et des villages en cas de pénurie, en constituant des réserves stratégiques de blé dans ce type de fosses-silo hermétiques respectant les solutions performatives et durables élaborées par Doyère et Müntz, cette pratique n’a pas connu d’autre développement expérimental significatif jusqu’au début du XXe siècle. Il y a eu un désintérêt pour cette technique de stockage souterrain en milieu confiné qui offrait l’avantage de minimiser les coûts de stockage, par comparaison à la conservation au grenier qui nécessitait davantage de travail humain et qui ne protégeait pas des attaques d’insectes nuisibles. Mais cette technique de l’ensilage du grain en silos métalliques enterrés, mise au point et préconisée par Doyère, a été critiquée par certains membres de la Société nationale d’agriculture de France (Bella, 1879), qui mettaient en avant ses inconvénients, comme la difficulté technique à décharger le grain des fosses, le travail important de creusement du sol et d’évacuation des déblais, et le fait que leur forme cylindrique nécessitait une aire de terrassement importante, ce qui était assez rare pour les réserves à installer dans les grandes villes (Yebdri, 2024, communication personnelle). Toutefois, ces difficultés n’apparaissent pas suffisantes pour causer l’abandon pur et simple de la recherche et du développement de cette méthode économique et écologique de préservation des réserves de grains destinées à une conservation de longue durée, à titre de réserve alimentaire pour pallier les situations de pénurie.
Pour approfondir l’analyse des facteurs qui ont contribué à l’arrêt des études et expérimentations sur la conservation des grains en milieu confiné dès la fin du XIXe siècle, le propos de cet article est, d’une part, d’analyser les raisons techniques, économiques et sociétales du désintérêt pour la conservation des céréales à long terme en enceinte hermétique sous atmosphère inerte – que ce soit en fosse-silo enterrée ou en silo « aérien » – tout au long du XXe siècle, et ce, malgré la résurgence périodique des situations de pénurie de céréales alimentaires au cours des deux guerres mondiales ; et d’autre part, de faire émerger les faits et les évènements déterminants de l’orientation des politiques de stockage des céréales alimentaires au cours du XXe siècle en France, qui ont abouti à la solution « mainstream » de mise en cellules de grande ou très grande capacité de qualité « générique », avec un choix limité d’itinéraires techniques, de pratiques et d’équipements de stockage, et à l’exclusion d’autres pratiques de stockage associant la possibilité de différentiation qualitative selon l’objectif du producteur, pourtant relativement simples à mettre en œuvre et mieux adaptées aux producteurs-stockeurs des petites et moyennes exploitations.
2 Contexte historique et économique des pratiques de conservation des céréales
2.1 Période de l’entre-deux guerres
La redécouverte de l’intérêt économique du procédé ancestral de conservation des grains et des graines en milieu confiné en fosse enterrée tout au long du XIXe siècle n’a pas eu d’influence notable sur les pratiques de conservation traditionnelle des grains dans la première moitié du XXe siècle. Plusieurs causes peuvent être à l’origine de ce statu quo, dont la plus évidente est la première guerre mondiale. Mais, bien avant le déclenchement de la guerre en 1914, d’autres préoccupations ont monopolisé les recherches et le développement de solutions à des crises agricoles plus préoccupantes pour les agriculteurs que la conservation des réserves de grains à long terme. Ainsi, la crise du vignoble à la suite des attaques dévastatrices du phylloxéra, qui a ruiné les viticulteurs, et les négociants, et provoqué l’exode de milliers de travailleurs agricoles des régions de production viticole vers des régions davantage tournées vers la polyculture et l’élevage, a accaparé les agronomes pour trouver les solutions pérennes susceptibles de contribuer à la restructuration d’un vignoble de qualité supérieure, avec des cépages greffés sur porte-greffe américain à partir de 1906. Au déclenchement de la première guerre mondiale, la mobilisation des hommes et la réquisition des chevaux a eu de graves conséquences sur la production céréalière française. Les difficultés d’assurer une production céréalière normale se sont accumulées dès le début de la guerre :
la guerre a débuté avant la fin de la récolte des céréales en 1914, ce qui a fait immédiatement baisser la surface des emblavures de plus de 30 %, déficit qui perdurera jusqu’en 1920 ;
des millions de paysans ont été mobilisés entre 1914 et 1918, ce qui a réduit la main-d’œuvre agricole disponible et, par conséquence directe, la production de céréales, malgré la mobilisation de centaines de milliers de femmes qui se sont spontanément engagées pour suppléer les hommes dans les travaux des champs – Françoise Thébaud (2013) écrira à ce sujet : « un million et demi de femmes, y compris jeunes, vieilles et faibles, parvinrent à réaliser ces travaux qui nécessitaient, en temps de paix, plus de cinq millions de personnes » ;
les effets du manque de main-d’œuvre mobilisable pour les travaux agricoles ont été ressentis bien après la fin de la guerre car les nombreux blessés et invalides de guerre revenus sur leurs exploitations n’étaient pas en état de travailler comme avant ;
la force de traction animale, indispensable à cette période, a également été fortement impactée par les réquisitions pour servir au front ou pour le ravitaillement des troupes ;
les surfaces agricoles consacrées à la céréaliculture qui se trouvaient en zone de combat sont restées en jachère, temporairement ou définitivement.
Dans cette situation de déficit de production, les problèmes rencontrés pendant le stockage n’ont fait l’objet d’aucune attention particulière.
Plus tard dans le siècle, au cours des années qui ont suivi la dépression économique de 1929, la crise du pain a empiré, obligeant les gouvernements à prendre des mesures drastiques de réglementation et de gestion de la pénurie de blé. Celle-ci a conduit à des importations de blé en provenance du Canada, des États-Unis ou d’Argentine et a obligé les meuniers à augmenter le taux d’extraction de la farine, qui est passé de 72 % à plus de 80 %, en incorporant les enveloppes du grain à la farine. La fécule de pomme de terre a remplacé une partie de la farine dans la fabrication du « pain de guerre » (Regis, 2022). À cette période très tendue, les échanges directs de sacs de blé du producteur avec le boulanger étaient très répandus en milieu rural. Cette pratique, sans utilisation apparente d’argent et qui s’apparente au troc, a perduré jusque dans les années 1960 : l’agriculteur livrait des sacs de blé au boulanger en échange d’une quantité de pain à fournir. Après la transformation en farine par le meunier local, le boulanger approvisionnait l’agriculteur en gros pain, au prorata de la quantité de blé qu’il lui avait confiée. Cette pratique incitait les paysans à conserver une partie de leur récolte en grenier pour être approvisionnés en pain tout au long de l’année. Une autre part de la récolte de céréales (blé seigle ou orge, selon les régions) était destinée à l’alimentation des animaux du cheptel et des volailles, beaucoup d’exploitations pratiquant un système agraire de polyculture-élevage. Le surplus de récolte, après utilisation pour les besoins alimentaires propres, était vendu en circuit local ou à des négociants privés travaillant avec les grandes fermes céréalières du nord de la France. Les récoltes de blé en France étant restées déficitaires jusqu’à la fin de la décennie 1960, les capacités de stockage de type coopératif regroupant la production de dizaines ou centaines de fermes céréalières ne se sont vraiment développées qu’à partir des années 1930. C’est à cette période que s’est effectuée la transition entre le stockage « à l’unité du sac de 80 kg » et le stockage en vrac dans des cellules de stockage, à la ferme ou en silos-tours, copiés sur le modèle américain des « elevators » par les architectes industriels français (Anonyme, 2014 ; Loriette, 2008). Sur le plan des pratiques de conservation du blé au début du XXe siècle, le stockage en sacs suit un premier entreposage en vrac sur le plancher des greniers des habitations, opération qui sert à faire baisser l’humidité des grains en effectuant des pelletages fréquents avant la remise en sacs pour une conservation sans reprise d’humidité et une bonne conservation de la capacité germinative. Celle-ci est bien conservée quand le grain reste sec, ce qui permet aux agriculteurs d’utiliser leur récolte pour les semis de l’année suivante, souvent après avoir éliminé les petits grains par un passage au tarare manuel. Cette période « d’équilibre » entre la production de blé et les besoins de la meunerie et de la boulangerie perdure jusqu’en 1927, au moment où la crise de la mévente du blé survient. La surproduction de blé cette année-là amène son prix à fortement chuter. Les négociants sont accusés de profiter de cette crise pour spéculer à la baisse, au détriment de l’intérêt des producteurs. En 1932, le gouvernement décide de créer des organismes stockeurs coopératifs et de changer le système alors en place de vente à l’unité, c’est-à-dire au sac. Les pouvoirs publics incitent alors les producteurs de blé à constituer des stocks de réserve dès la récolte, en en livrant directement une partie aux centres de collecte-stockage coopératifs, afin d’échelonner les ventes sur une année entière. En 1936, pour remédier au déséquilibre persistant du marché français du blé, le gouvernement du Front populaire crée un nouvel organisme d’organisation et de régulation des circuits commerciaux, l’Office national interprofessionnel du blé (ONIB). Cet organisme est chargé de la rationalisation des échanges entre blé et pain dans les campagnes et du contrôle du cours du blé sur le marché.
Cette conversion du sac au vrac nécessite cependant une innovation technologique majeure, une structure pouvant stocker des tonnes de céréales sans risque de perdre la production au premier aléa climatique : le silo de stockage. La construction des silos de stockage de céréales – relativement coûteuse – a été financée à 33 % par l’État, ce qui a attiré les investisseurs. C’est donc la période 1929–1936 qui a vu l’apparition des premiers véritables silos à grains. En 1936, environ 170 silos ont déjà été construits dans le pays (Anonyme, 2014). Les silos construits en France entre 1930 et 1960 étaient situés le long des voies ferrées ou à proximité des canaux, des rivières ou des fleuves pour acheminer les grains par péniche ou par wagons jusqu’aux grands moulins (Corbeil, Pantin, Strasbourg, etc.) (Daumas, 1980 ; Loriette, 2008). La construction de silos de collecte locale et régionale des récoltes s’est généralisée quand l’intégralité de celles-ci a été effectuée par les moissonneuses-batteuses, conversion qui a eu lieu entre 1965 et 1970. À ces débuts de la conversion des greniers à sacs vers le silo de stockage du grain en vrac, le silo est perçu comme une innovation de rupture, copiée sur les « grain elevators » des États-Unis et du Canada, sans véritable étude préalable de l’impact de ce nouveau mode de conservation sur l’évolution possible de la qualité des grains au cours de longues périodes de stockage. Cette absence de recul sur cette importante question a rapidement suscité des doutes sur la qualité finale des grains au déstockage (Werny, 2014). Pour apaiser les craintes des groupements de producteurs, des expérimentations ont été entreprises dès l’année 1936 dans les premiers silos construits pour démontrer que le grain se conserve parfaitement dans ces nouvelles structures. Les résultats ont été convaincants et une large publicité a été faite pour ce nouveau système de stockage associatif. Mais, après quelques années d’utilisation, les premiers problèmes de multiplication d’insectes se sont manifestés au cours de longues durées de conservation. L’échauffement des grains a été rapidement identifié comme la conséquence de la prolifération des moisissures lorsque le grain est récolté insuffisamment sec. Pour réduire ce risque majeur, des recherches assidues ont été effectuées dès le début des années 1970 pour le développement de la ventilation à l’air ambiant pour refroidir progressivement les masses de grain stockées et minimiser les risques de moisissure ou la multiplication des insectes, de plus en plus fréquente dans les stocks de longue durée (Sutherland et al., 1971 ; Lasseran, 1982 ; Brunner, 1986).
Pour faire face à la recrudescence des infestations par les insectes, un défaut de qualité détectable visuellement et à fort impact économique – les grains doivent être exempts d’insectes vivants pour être acceptés sur le marché –, les traitements chimiques vont se généraliser après la deuxième guerre mondiale. Les insecticides liquides ou en poudre (lindane, malathion, carbaryl, etc.) sont appliqués directement sur les céréales lorsque l’infestation est devenue visible. Dans les stocks destinés aux grands circuits commerciaux, c’est le gazage au bromure de méthyle (CH3Br) qui est préconisé – gaz dont les propriétés insecticides ont été révélées par les travaux de Le Goupil (1932) – et qui sera très largement utilisé dans le monde entier, jusqu’à ce que l’Environment Protection Agency (EPA) de l’Organisation des Nations unies (ONU) l’interdise à cause de ses effets délétères sur la couche d’ozone, au même titre que les gaz frigorigènes chlorofluorocarbures (CFC) (UNEP, 1987). La facilité d’utilisation de ces traitements insecticides, à effet curatif persistant à long terme, a totalement occulté l’intérêt des mesures préventives de protection, comme l’assainissement des locaux de stockage avant d’y loger la nouvelle récolte, le nettoyage complet des circuits de manutention des grains ou la conservation en enceinte hermétique, qui permettaient d’éviter le recours systématique à la lutte chimique.
À la même période de l’entre-deux guerres, les recherches sur l’évolution physiologique des grains stockés en milieu confiné ont continué au Royaume-Uni (Bailey et Gurjar, 1918 ; Bailey, 1940 ; Oxley et Jones, 1944) et en France (Vayssière, 1948). Dès 1918, Bailey avait exposé sa théorie sur les bases biochimiques de la respiration des grains de blé et de maïs en fonction de la température et de leur humidité à la récolte. En 1940, il produisait des données précises sur la production de dioxyde de carbone (CO2) issue de la respiration des grains humides et montrait la variabilité de l’intensité de la respiration selon l’année de récolte. Quant à Oxley et Jones (1944), ils reliaient la respiration du grain et la perte de pouvoir germinatif à la présence de moisissures, ce que Kreyger précisera une quinzaine d’années plus tard pour l’orge de brasserie (Kreyger, 1959).
Après l’effondrement du prix du blé entre 1928 et 1932, conséquence de la grande crise internationale, la restauration de la production agricole apparaît comme une question secondaire, les politiques, professionnels et économistes ne se décidant pas sur le modèle agricole à adopter (Pouch, 2021). La question de la conservation des céréales à long terme ne se pose pas car la production de céréales est encore loin de satisfaire la consommation intérieure. À la veille de la deuxième guerre mondiale, les importations en provenance des États-Unis, du Canada ou d’Argentine sont indispensables pour combler le déficit de la production nationale de blé.
2.2 Emergence des problèmes de conservation des céréales en grands silos
Au cours des années qui suivent la fin de la deuxième guerre mondiale, le déficit de production de blé en France constitue un des premiers défis à relever, ce qui sera possible grâce au Plan Monnet de modernisation de l’agriculture (1947–1953) et à l’aide américaine du Plan Marshall pour la France (1949–1951). Le premier levier d’amélioration de la production de blé est venu par la mécanisation pour augmenter la productivité, tant en ce qui concerne le travail du sol (labour, semis, sarclage) que les techniques de récolte (moissonneuse-lieuse, batteuse mécanique, botteleuse). La traction animale a très vite été remplacée par les tracteurs et autres machines à moteur diesel dès la fin de la guerre, dans les années 1945–1950 (Lallemand, 2019). À sa création en 1947, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) a clairement orienté les recherches vers un objectif d’augmentation de la productivité des cultures en système de production intensif, avec fertilisants et produits phytosanitaires. L’autre levier d’amélioration de la productivité des cultures par la recherche a été celui de la création variétale en association avec des sociétés semencières comme Vilmorin-Andrieux et Florimond-Desprez. Les évolutions techniques découlant de la recherche expérimentale ont a permis un doublement des rendements en céréales de 1945 à 1980. L’augmentation continue du volume des céréales produites à partir de la fin de la décennie 1960 a nécessité la création de nouveaux organismes stockeurs, coopératives ou négociants privés, agréés par l’Office national interprofessionnel des céréales, l’ONIC (qui a remplacé l’ONIB en 1948). Ces organismes stockeurs constituent encore aujourd’hui un point de passage obligé des agriculteurs pour la mise sur le marché national ou d’exportation de leurs récoltes. Ce sont ces « années d’abondance » qui ont rendu indispensable la construction de grands silos de stockage pour une conservation de longue durée, parfois sur plusieurs années, condition sine qua non pour exporter l’excédent de production de céréales sur le marché international.
Si les premiers silos de grande capacité ont surtout été construits à proximité des grands moulins chargés d’approvisionner les boulangers des grandes villes et de leurs banlieues (Werny, 2014), ils ne posaient pas les mêmes problèmes de conservation que les silos de regroupement dans les principales régions de production de céréales en France : Beauce, Brie, Picardie, Lorraine, Midi toulousain, Poitou, etc. Le stock-outil d’un moulin est fréquemment rechargé en cours d’année, contrairement à celui des silos de conservation de longue durée qui sont remplis à la récolte afin d’approvisionner les petites et moyennes entreprises de première transformation des céréales (meuniers, semouliers, fabricants d’aliments pour le bétail, éleveurs, etc.) de la région de production, tout au long de l’année. Les longues durées de conservation des grains sur une année entière dans ces structures monumentales ont induit de nombreuses avaries de stockage qui ont entraîné des conséquences économiques importantes, notamment dans les années de récolte à forte pluviométrie au printemps et au début de l’été (1951, 1960, 1965, 1977 et 1999, par exemple). Ces pertes au stockage ont été à l’origine de la prise de conscience que les nouvelles pratiques de stockage des grains en vrac, dans des cellules d’une capacité unitaire de 500 à plus de 1000 tonnes ou dans des magasins de plusieurs milliers de tonnes, entreposés « à l’air libre » sur des épaisseurs de 4 à 5 mètres, pouvaient entraîner de graves problèmes de conservation de la qualité sanitaire et technologique certaines années.
La qualité des grains après la récolte est influencée par divers facteurs abiotiques et biotiques. Les constats sur les pertes et leurs causes physico-chimiques (humidité des grains, température non maîtrisée, pluviométrie abondante en hiver et au printemps) et biologiques (prolifération des moisissures et prise en masse des grains, multiplication des insectes sur la durée) ont mis en évidence un besoin de développer des solutions de maîtrise des conditions de bio-détérioration des grains et des graines, stockés à long terme. Dès le début des années 1950, les insecticides neurotoxiques, à résidus persistants, ont été autorisés pour le traitement par poudrage ou pulvérisation liquide des grains pour lutter contre les insectes ravageurs dans tous les pays industrialisés (Bailey, 1955 ; Lhoste, 1956 ; Solomon, 1965 ; Coulon et al., 1966). La recherche pour la connaissance fine et la compréhension des facteurs d’évolution défavorable de la qualité sanitaire et microbiologique des stocks de céréales est rapidement devenue indispensable pour lutter contre la détérioration par échauffement et fermentation et, dès le début des années 1960, un Laboratoire de microbiologie et de technologie des céréales (LMTC) a été créé à Paris, associant l’Institut national agronomique (INA, aujourd’hui AgroParisTech) et l’Ecole supérieure de meunerie et des industries céréalières (ENSMIC), pour accélérer la recherche sur la problématique de la prolifération des moisissures, et en particulier des moisissures produisant des mycotoxines en conditions de stockage des grains humides (Guilbot et Poisson, 1963). Quelques années plus tard, un Laboratoire de recherches spécialisé sur les insectes des denrées stockées (LIDS) a été créé en 1970 à l’INRA de Bordeaux pour développer les connaissances sur l’écophysiologie, le comportement et la dynamique des populations des insectes les plus nuisibles aux stocks de céréales, comme l’alucite du maïs, les charançons des céréales, les bruches du haricot ou de la fèverole et la pyrale des semences (Stockel, 1973). Les méthodes de lutte directe par application d’insecticide ou par gazage (au bromure de méthyle ou à l’acide cyanhydrique) des denrées stockées ont été développées en parallèle par le Laboratoire national des denrées stockées (LNDS) du ministère de l’Agriculture (Ducom, 1978).
Les projets de recherche par développement expérimental de ces laboratoires ont d’abord porté sur la connaissance des relations entre les facteurs physiques, biochimiques et microbiologiques dont l’interaction gouverne les processus de détérioration ou de bonne conservation des grains stockés en fonction de l’état physico-chimique du stock de grain (température, activité de l’eau, équilibres de sorption). Dans un premier temps, les interactions entre ces différents facteurs d’évolution qualitative des grains stockés ont été considérées dans la situation d’un stockage en atmosphère normalement oxygénée, entretenant l’activité des organismes biologiques à l’origine de la détérioration de la qualité au cours du stockage (microorganismes, moisissures, levures, insectes, acariens, etc.). La connaissance des expériences de conservation des céréales en enceintes hermétiques sous atmosphère confinée – fosses souterraines étanchées ou silos en bâche plastique imperméable, insérées dans une armature cylindrique –, réalisées par des chercheurs du Royaume-Uni et d’Israël pendant de longues périodes de conservation (Hyde et Daubney, 1960 ; Donahaye et al., 1967 ; Bowen et Wood, 1968), a suscité un nouvel intérêt pour la conservation en structures suffisamment hermétiques pour créer une atmosphère modifiée impropre au développement des organismes « bio-détériorateurs ». Dès 1956, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a accordé une subvention pour la construction à Chypre de trois silos en béton semi-enterrés, en forme de dôme, dans le projet intitulé Cyprus ctessifon semi-underground pits, permettant le stockage de longue durée des réserves stratégiques de grain pour plusieurs années ou destinées à l’aide alimentaire en pays chauds dépourvus de structures de stockage pérennes (Varnava, 2000 ; Fig. 1).
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Fig. 1 Méthodes traditionnelles de stockage en fosse enterrée ou semi-enterrée. Ancient grain storage practices in underground or semi-underground pits. |
3 Le tournant des recherches écosystémiques sur les facteurs de détérioration des grains stockés en masse (1970–1990)
3.1 Création de nombreux centres de recherches pluridisciplinaires sur le stockage des grains
À la fin de la décennie 1960–1970, il est apparu clairement que la lutte contre les ravageurs des grains après récolte avec des insecticides neurotoxiques à forte rémanence, quelquefois utilisés plusieurs fois dans l’année sur le même lot de grain, présentait de sérieux risques de toxicité chronique pour les applicateurs et laissait des résidus toxiques pendant plusieurs mois, voire plus d’une année. Cette prise de conscience a amené les gouvernements et les agences de sécurité sanitaire des aliments des pays producteurs et exportateurs de céréales à développer les recherches sur les méthodes alternatives, en premier lieu en créant des équipes de recherche spécialisées en physico-chimie des produits végétaux peu hydratés, microbiologie, phytopharmacie, toxicologie humaine et animale, biochimie, écophysiologie animale et analyse statistique multifactorielle. Ces nombreux laboratoires de recherche (Tab. 1) ont étudié en priorité la dynamique d’évolution des facteurs de détérioration des stocks de grain en fonction des conditions physico-chimiques et microbiologiques dans les masses de grain, domaine dans lequel la France s’est résolument engagée (Cahagnier et Poisson, 1973 ; Fleurat-Lessard et Poisson, 1984). De nombreuses études expérimentales en laboratoire ou à l’échelle pilote sur les procédés de préservation de la qualité des grains stockés ont amélioré les connaissances sur la ventilation de refroidissement, le séchage et les traitements thermiques, le remplacement des pesticides appliqués en pulvérisation par des gaz insecticides comme le bromure de méthyle (CH3Br), l’oxyde d’éthylène ou l’acide cyanhydrique, la mise sous atmosphère modifiée en cellules ou containers hermétiques, etc., en ouvrant le champ des alternatives à la lutte corrective contre les insectes nuisibles. Parmi les pionniers de l’approche globale de la recherche expérimentale sur l’écosystème du stock de grains, il faut citer les ouvrages de référence d’Oxley (1948) et de Sinha (1973a). Pour la France, cette diversification des recherches sur les solutions de protection des stocks de grains contre les échauffements ou les attaques parasitaires a été une conséquence directe de l’excédent de production de céréales à partir de 1965, qui a été dirigé vers les marchés d’exportation, doublement exigeants pour l’absence d’insectes et pour une teneur en résidus de pesticides inférieure au seuil réglementé dans les accords SPS (Sanitaires et PhytoSanitaires) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le développement en parallèle des techniques de dépistage précoce des dérives qualitatives par le relevé des indicateurs précoces de prolifération de moisissures (teneur en ergostérol) ou de présence d’insectes (par analyse des signaux acoustiques) a constitué les bases de la future approche « écosystémique » de la protection des stocks de grains (Cahagnier et al., 1983 ; Fleurat-Lessard et Andrieu, 1987 ; Fleurat-Lessard et al., 1994).
La naissance de ces nombreux laboratoires de recherche centrés sur les problèmes de conservation des grains partout dans le monde et publiant dans des périodiques ou des revues scientifiques reconnues a poussé à la création d’une revue scientifique regroupant les articles et études de l’ensemble de la communauté des chercheurs en protection des produits agricoles (bruts ou transformés) de longue conservation après la récolte : le Journal of Stored Products Research. C’est en 1965 que paraît le premier fascicule de cette revue scientifique internationale en langue anglaise (après 1970), qui concentrera une grande partie des articles de recherche de base ou appliquée en entomologie, acarologie, microbiologie et technologie des céréales stockées. Depuis cette date, la revue a publié environ 60 % d’articles concernant la biologie et l’écophysiologie des insectes et des acariens des denrées stockées et 40 % d’articles consacrés aux méthodes alternatives de prévention et de lutte contre les agents de bio-détérioration (Jian et Jayas, 2012). À cette même période, le Dr. R.N. Sinha, chercheur à la station de recherche de la Commission canadienne des grains à Winnipeg, est le premier à montrer l’importance capitale d’une approche multidisciplinaire des recherches sur la gestion de la qualité sanitaire des grains pendant le stockage, condition indispensable au progrès des connaissances sur la succession biologique, la dynamique des populations, le concept de niche, les limites de croissance et les réseaux trophiques dont dépend le fonctionnement et l’évolution de l’écosystème du stock de grains (Sinha et al., 1969). Cette nouvelle approche assimile le stock de céréales à un écosystème à part entière, avec le grain comme source d’énergie pour une communauté d’organismes « bio-détériorateurs » – microorganismes, insectes, acariens, espèces fongiques, petits vertébrés –, en interaction avec l’environnement physico-chimique interne et externe de la structure de stockage (Sinha et al., 1969 ; Sinha, 1973a, 1973b ; Fig. 2). Les principes de l’approche système, combinant la connaissance académique de l’écophysiologie des agents « bio-détériorateurs » avec les recherches multidisciplinaires sur les méthodes de prévention, de surveillance de l’état et de la dérive des facteurs physico-chimiques participant à la dégradation de la qualité pendant la conservation à long terme, ont été parfaitement résumés par un collègue canadien de R.N. Sinha : « Ecosystem approach of stored grain can be defined as a strategy for the integrated management of stored grain that promotes conservation and sustainable methods to manage stored grain to deliver high quality grain and products at the end of the storage period » (White et al., 1992). Cette approche holistique a fait évoluer l’approche empirique « classique » de la préservation de la qualité sanitaire et technologique des grains par des interventions correctives au « coup-par-coup », vers le concept de protection de la qualité globale des grains stockés, une approche prévisionnelle des risques de détérioration par la modélisation prédictive de l’évolution spatio-temporelle des conditions biotiques et physico-chimiques régnant à l’intérieur de la masse des grains stockés.
Pour partager à l’échelle mondiale le fruit de cette recherche pluridisciplinaire, la communauté des chercheurs en entomologie des denrées stockées a rapidement adhéré à une structure internationale associative, la Conférence internationale d’études et recherches en entomologie des produits stockés (International Working Conference of Stored Products Entomology, IWCSPE). Cette association de chercheurs a tenu son premier congrès mondial en 1974 à Savannah (Georgia, USA), organisé sous l’égide de l’USDA-ARS (US Department of Agriculture – Agricultural Research Service). Mais, dès le 3e congrès de 1983 à Manhattan KS, l’élargissement de la problématique de la conservation à la préservation globale de la qualité de denrées pendant la conservation a poussé à une ouverture des sujets de recherche sur l’écosystème du stock de grains en y intégrant l’ingénierie des systèmes, les méthodes et procédés de conservation des denrées stockées et les expérimentations de technologies innovantes de préservation de la qualité sanitaire et technologique pendant le stockage de longue durée. L’intitulé de la Conférence internationale a été modifié en conséquence pour devenir IWCSPP : International Working Conference of Stored Products Protection.
Au cours des deux décennies 1970–1990, les études écosystémiques sur les interactions entre les conditions de stockage et l’évolution quantitative et qualitative des grains stockés en vue de leur modélisation ont surtout été réalisées en conditions contrôlées dans les laboratoires ou en petit pilote et ont plus rarement fait l’objet d’expérimentations démonstratives à taille réelle. Parmi ces exceptions, il faut citer les expériences de stockage en fosse souterraine par l’archéologue Reynolds au Royaume-Uni (Reynolds, 1974, 1979 ; Hill et al., 1983), celles d’une équipe de chercheurs israéliens (Donahaye et al., 1967) et aussi celles de Gilman et Boxall (1974) visant à améliorer le stockage en silos-fosses traditionnels en Afrique subsaharienne. Les enseignements tirés de ces expériences ont eu une portée limitée et les conclusions qui en ont été tirées n’ont pas ranimé l’intérêt de développer cette méthode dans les pays où elle avait déjà été pratiquée. Exception faite pour les travaux de Bartali (1987) au Maroc, qui a montré, dans son expérience d’amélioration des conditions de stockage en fosse enterrée (matmora) avec application d’un film plastique étanche à l’intérieur, que le blé ou l’orge pouvaient être bien conservés au sec pendant plusieurs années en enceinte parfaitement hermétique. Au terme de ces deux décennies, un tournant a été pris dans le développement des études expérimentales « modernes », par l’approche multifactorielle des interactions entre facteurs environnementaux, flore microbiologique et faune (macro-biologique) de l’écosystème du stock de grain, à différentes échelles, du laboratoire à la situation réelle, en passant par le pilote de définition ou le démonstrateur.
Laboratoires de recherche sur l’écosystème des grains stockés, créés en 1960–1980 dans différents pays producteurs ou exportateurs de céréales.
Research teams created in years 1960–1980 in many grain-producing or importing countries, involved in research on the stored grain ecosystem.
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Fig. 2 Ecosystème simplifié du stock de grain en silo-fosse enterré. The stored grain ecosystem when stored in an underground pit. |
3.2 Contexte favorable au développement des technologies de conservation des grains en structure hermétique à partir de 1980
La première Conférence internationale sur la conservation des grains sous atmosphère contrôlée ou modifiée de Castelgandolfo (Italie) (Shejbal, 1980) a été le déclencheur d’un nouveau domaine de recherche expérimentale à explorer : l’étude des différentes techniques permettant de créer une atmosphère impropre à la croissance et au développement des organismes bio-détériorateurs et de leur impact sur les propriétés technologiques, sanitaires et sensorielles des grains stockés à long terme dans ces systèmes clos. Les expériences anciennes de stockage souterrain des grains ont été présentées en ouverture de ce symposium (Sigaut, 1980), ainsi que les pratiques anciennes de conservation des grains en fosse enterrée, encore utilisées dans certains pays d’Afrique du Nord, du Sahel ou du Proche-Orient (Kamel, 1980). Ce groupe de chercheurs sur la conservation des grains sous atmosphère contrôlée fondera la Conférence internationale sur les atmosphères contrôlées et la fumigation des denrées stockées (CAF Conference : International Conference on Controlled Atmosphere and Fumigation in Stored Products) à la session de Winnipeg au Canada (Navarro et Donahaye, 1992). Cet évènement marquant peut être considéré comme le point de départ de nombreuses études expérimentales sur les techniques de conservation consistant à confiner les grains dans un espace ou une structure hermétique, études entreprises dans tous les centres de recherche sur la conservation des grains des cinq continents. Ces premières études et travaux sur la conservation des grains sous atmosphère contrôlée ou modifiée ont porté sur le stockage en grandes structures hermétiques dans lesquelles l’atmosphère intérieure est remplacée par l’azote (N2) ou le dioxyde de carbone (CO2). Toutefois, l’aménagement de contenants pour utiliser cette méthode de conservation sous atmosphère anoxique a également permis d’amener cette méthode jusqu’au niveau de la ferme dans les pays en développement (Rouzière, 1986a, 1986b ; Fleurat-Lessard et al., 2000 ; Fig. 3).
Au tout début de la décennie 1980, la gestion des infestations des stocks de grains et graines par les insectes nuisibles spécialisés (charançons, alucite, bruches des légumes secs, capucin des grains, pyrale des fruits secs et des semences, etc.) reposait presque exclusivement sur l’utilisation de pesticides en traitement correctif, mais le plus souvent appliqués systématiquement, à titre d’assurance ou de précaution (au moment de la mise en silo juste après la récolte, par exemple). Cette pratique qui consistait à utiliser un traitement curatif appliqué à titre préventif, du fait qu’il gardait une efficacité insecticide pendant plusieurs mois, a été remis en question dans les années 1990 quand la stratégie préventive et modélisatrice de la Protection intégrée des cultures (PIC) contre les organismes nuisibles s’est progressivement imposée (Kogan, 1998 ; Ferron, 1999). L’application pratique de la PIC fait intervenir la notion de seuil de tolérance (ou de nuisibilité), en deçà duquel la nuisibilité du bioagresseur ne justifie pas la réalisation d’un traitement au plan économique. Mais le secteur du stockage des céréales est resté réfractaire à cette nouvelle approche, en continuant de réagir a posteriori à la survenue d’incidents de conservation (échauffement, croûtage, prise en masse, prolifération de moisissures ou d’insectes, etc.) par des traitements physiques ou chimiques (transilage, séchage, émottage et séparation des impuretés, application d’insecticide…).
À cette période charnière qui voit monter la concurrence sur les marchés internationaux de céréales destinées à l’alimentation humaine, les avancées de la recherche publique et privée vont être à l’origine du changement de paradigme dans les stratégies de conservation des céréales à long terme. La demande en céréales exemptes de résidus d’insecticides augmente progressivement et ce créneau n’est pas couvert par les qualités courantes des céréales destinées au marché « de masse », national ou pour l’exportation, qui autorise l’emploi de pesticides et privilégie le volume sur la qualité et la sécurité alimentaire. Ce nouveau segment de marché, exigeant l’absence de résidus de pesticides, est porté par la demande des consommateurs de disposer de produits de l’agriculture biologique réputés plus sains pour la santé. À la même période, des pays intervenant sur le marché mondial des céréales comme l’Australie et l’Argentine sont confrontés à des problèmes de résistance des insectes aux insecticides les plus utilisés en protection des stocks de céréales. Ces problèmes de résistance sont le catalyseur d’études sur les méthodes physiques de préservation des céréales stockées par les gaz insecticides de substitution au bromure de méthyle comme le phosphure d’hydrogène (ou phosphine [PH3]), mais également par la mise sous gaz inerte, azote ou dioxyde de carbone, en silos hermétiques semi-enterrés, par exemple en Australie (Champ et McCabe, 1984). Cette nouvelle technologie du silo ‘bunker’ australien semi-enterré avait l’avantage de limiter la hausse de la température au cœur de la masse des grains et permettait l’utilisation de la phosphine pour une désinsectisation curative en cas de nécessité, en conservant le grain totalement exempt de résidus de pesticides.
En France, pendant ces deux décennies 1980–2000, les recherches sur les nouvelles approches de prévention et de détection précoce du risque d’infestation par les insectes ont aussi connu un effort de coordination matérialisé par la publication d’ouvrages de référence sur la conservation des grains et des graines et de leurs produits de transformation (Multon, 1982 ; Godon et Willm, 1990). La gestion du risque d’échauffement microbiologique lié à la conservation des grains à humidité excessive à la récolte a fait progresser les technologies de séchage et de refroidissement des grains par la ventilation (Lasseran, 1977, 1982), ainsi que les études en conditions de laboratoire ou à échelle pilote de l’effet de l’incorporation d’acides organiques dans la masse des grains ou de l’exposition aux rayonnements ionisants (radiations gamma) pour enrayer la prolifération des moisissures (Poisson et Cahagnier, 1973 ; Pelhate, 1973a, 1973b).
La technique de désinsectisation des stocks par fumigation au bromure de méthyle (CH3Br), autorisée depuis les années 1960 pour l’éradication complète des insectes en 24 à 48 h en silo étanché temporairement ou sous bâche, a été remise en cause à partir des années 1985–1990, quand cette molécule a été classée dans le groupe des gaz qui attaquent la couche d’ozone, au même titre que les gaz frigorigènes (CFC). Son remplacement – exigé par le Protocole de Montréal (UNEP, 1987) – par d’autres gaz comme le phosphure d’hydrogène (ou phosphine, PH3), a nécessité un encadrement règlementaire beaucoup plus contraignant sur le plan de la sécurité d’emploi eu égard à sa toxicité pour l’homme, et une utilisation seulement par des sociétés agréées, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays comme l’Australie, qui a développé la fabrication industrielle de cellules « de ferme » pré-équipées pour pouvoir indifféremment recevoir une fumigation à la phosphine ou être mises sous atmosphère de dioxyde de carbone (CO2) pour une conservation sans risque d’infestation pendant la période de stockage, avant expédition vers les silos portuaires d’exportation (Andrews et al., 1994). En 1991, avec le soutien de la FAO et de l’Organisation internationale de lutte biologique (OILB), la nouvelle approche de la Protection intégrée des cultures (PIC) a été recommandée par la Commission européenne (Directive 91/414/CEE), avec l’objectif majeur de réduire l’usage systématique (sans raisonnement sur la balance bénéfice/risque) des pesticides à longue persistance. La PIC est clairement définie comme « l’application rationnelle d’une combinaison de mesures biologiques, biotechnologiques, chimiques, physiques, culturales ou relatives à la sélection des végétaux, dans laquelle l’emploi de produits chimiques phytopharmaceutiques est limité au strict nécessaire pour maintenir la présence des organismes nuisibles en dessous du seuil à partir duquel apparaissent des dommages ou une perte économiquement inacceptables ».
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Fig. 3 Etanchement d’un grenier paysan traditionnel par un film plastique pour la conservation de paddy sous anoxie en Côte d’Ivoire (Fleurat-Lessard et al., 2000). Experimental sealing of a traditional granary with a plastic liner for paddy storage under inert atmosphere in Ivory Coast. |
3.3 Place des systèmes de conservation hermétique des grains dans le concept de protection intégrée des stocks
Appliquée au stockage des grains, la PIC devient la Protection antiparasitaire intégrée (PAI), qui repose sur l’association de cinq composantes :
l’assainissement des structures de stockage et des systèmes de manutention dans le silo avant la réception d’une nouvelle récolte ;
l’évaluation de l’itinéraire de stockage optimal à partir du contrôle de l’état du lot de grain réceptionné au silo ;
la mise en œuvre des moyens de prévention des pertes de qualité (refroidissement des stocks, nettoyage et séparation des impuretés, etc.) au moment opportun (déterminé par des modèles prévisionnels) ;
la surveillance continue par capteurs et sondes de l’évolution de l’état physico-chimique et sanitaire de la masse des grains, éventuellement associée à un système d’aide à la décision des interventions correctives (Ndiaye et Fleurat-Lessard, 1999) ;
les actions correctives appliquées en cas de nécessité pour limiter une dérive prévisible de qualité en cours de conservation (transilage, ventilation en cellule sécheuse, fumigation, gazage, etc.) en évitant les applications directes d’insecticides rémanents (Fleurat-Lessard, 2003).
La mise en œuvre de la PAI pour la prévention de l’infestation des céréales après récolte a été développée à partir de 1990 au moment de l’apparition des premiers systèmes experts de gestion informatisée des bonnes pratiques de stockage (Flinn et Hagstrum, 1990 ; Wilkin et al., 1991 ; Longstaff et Cornish, 1994 ; Ndiaye et al., 1998, 2002 ; et Fig. 4). Elle a impulsé les recherches sur les systèmes de surveillance centralisée par capteurs et sondes, pour alimenter les modèles prédictifs des tendances à l’échauffement fongique des tas de grains, ainsi que pour détecter précocement la présence d’insectes (Fleurat-Lessard et al., 1994). Les expérimentations en conditions réelles des procédés physiques de désinsectisation et de stabilisation microbiologique des grains stockés ont posé les bases de la faisabilité de l’abandon des traitements chimiques des céréales stockées au profit des procédés physiques, comme le stockage sous atmosphère modifiée par les gaz inertes (Fleurat-Lessard et Le Torc’h, 2000). Les aménagements des silos et cellules de stockage des grains pour les transformer en structures hermétiques ont fait l’objet d’intenses recherches après la Conférence de Castegandolfo sur la conservation des grains en enceinte sous atmosphère contrôlée (Shejbal, 1980). Parmi un ensemble varié de produits, pratiques et procédés de substitution aux pesticides, la conservation sous atmosphère confinée, contrôlée ou modifiée a été la stratégie qui a connu le développement expérimental le plus soutenu à l’étranger (Calderon et Barkai-Golan, 1990 ; Navarro et al., 1994). Dans les pays à production céréalière déficitaire, des structures de stockage hermétique à base de film plastique imperméable aux gaz et à haute résistance mécanique ont été expérimentées pour constituer des stocks de réserve stratégique : au Japon, sous la mer (Mitsuda et Yamamoto, 1980), en Israël dans des réservoirs en film plastique armé maintenues par un berceau métallique en plein désert (Calderon et al., 1989), à Chypre sous des dômes de béton semi-enterrés (Varnava, 2000), pour citer les exemples les plus marquants (Navarro et al., 1994). Dans les pays à climat chaud exportateurs de produits tropicaux sensibles aux attaques d’insectes de post-récolte, comme les fèves de cacao, les légumes secs ou les arachides de bouche, différents types d’enceintes hermétiques, permettant une conservation de longue durée sous vide ou sous atmosphère modifiée, ont été développés pour la désinsectisation des arachides décortiquéees (Rouzière, 1986a, 1986b), des fèves de cacao ou du café vert (Jonfia-Essien et al., 2008), pour satisfaire les exigences des accords sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l’Organisation mondiale du commerce.
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Fig. 4 Représentation dynamique de l’écosystème du stock de grain, convertible en aide à la décision sur ordinateur (Ndiaye, 2001). The stored-grain ecosystem dynamic representation for a conversion into a computerized decision aid (Ndiaye, 2001). |
3.3.1 Systèmes opérationnels en pays développés
Les systèmes de conservation des grains sous atmosphères modifiées, développés à partir des années 1990 en Amérique du Nord et en Australie et à plus petite échelle chez les organismes stockeurs dans certains pays d’Europe (Royaume-Uni, Allemagne, Italie), reposaient sur deux procédures différentes :
le gaz solide (glace carbonique) ou liquéfié (CO2 et N2 en bouteilles sous haute pression), amené sur le site de l’intervention ;
le gaz d’inertage produit sur le site d’intervention par un générateur (Bell et Storey, 1991).
Malgré la disponibilité des procédés de production des atmosphères modifiées directement sur le site de stockage avec les générateurs d’azote (N2) et les générateurs exothermiques de gaz inerte, ces technologies avancées de stockage en enceinte sous atmosphère modifiée n’ont été développées que marginalement avant la fin du XXe siècle, sauf en Australie, en Allemagne, au Canada et au Royaume-Uni (Reichmuth, 1987 ; Bell et Storey, 1991 ; White et al., 1992). En France, la démonstration de faisabilité de la désinsectisation d’un grand silo portuaire à l’aide d’un générateur de gaz inerte (Fleurat-Lessard et Fuzeau, 1983) n’a suscité aucune application pratique.
Au passage à l’an 2000, l’engouement pour la recherche expérimentale sur les applications des atmosphères modifiées pour préserver la qualité des denrées à long terme, en tant que moyen de protection sans pesticide, était toujours aussi soutenu, malgré l’absence d’intérêt manifesté pour le développement pratique de cette technologie par les stockeurs de céréales ou de légumes secs destinés à l’alimentation humaine. Mais les avantages économiques et écologiques du stockage des grains et des semences sous atmosphère modifiée, en tant que méthode de prévention permettant de limiter les coûts des intrants et de l’énergie nécessaire pour refroidir les grains par la ventilation, ne seront reconnus qu’à partir des années 2010, quand des filières avec des équipements spécifiques seront devenues opérationnelles, comme les cellules hermétiques en Australie ou les enceintes souples zippables pour les produits d’exportation de denrées d’origine tropicale (Navarro, 2006).
3.3.2 Amélioration des fosses-silo en pays en développement (1995–2002)
La méthode traditionnelle de stockage en fosse souterraine, qui était largement utilisée au début du XXe siècle dans les pays du Maghreb, du Proche Orient et de l’Afrique subsaharienne pour le stockage des céréales, a été remplacée par le stockage en entrepôt hors sol une fois que la culture du riz, du blé et de l’orge s’est généralisée (Sunano, 2016). Les difficultés de conservation des grains en fosse enterrée en climat océanique et nord-méditerranéen, sans parfaire l’étanchéité des parois, ont été régulièrement mises en évidence par des expérimentations d’archéologie expérimentale « de terrain » (Reynolds, 1974, 1979 ; Dominguez et Yebdri, 2022). Elles contrastent avec la qualité de conservation observée lorsque le chargement des fosses est réalisé immédiatement à la récolte, que les grains sont suffisamment secs et que la nature du sol est limitante pour la diffusion de l’humidité par les parois ou par infiltration (Asanga, 1985 ; Dunkel et al., 1987). Au cours des décennies 1980–2000, de nombreuses études de comparaison de l’efficacité des revêtements de paille, de torchis ou à l’aide d’un film plastique ont été réalisées dans les pays méditerranéens et d’Afrique qui utilisaient traditionnellement ce type de stockage de grains et graines alimentaires en fosses enterrées (Asanga, 1985 ; Bartali, 1987 ; Dunkel et al., 1987 ; Bartali et al., 1990). Bien qu’il soit parfaitement adapté à une conservation de longue durée de quelques centaines de kilos à quelques dizaines de tonnes, le stockage des grains en silo souterrain, amélioré par les enveloppes plastiques imperméables, a de prime abord été jugé anachronique, inadapté à la conservation en grande quantité et sans réel intérêt pour de courtes durées de conservation. Malgré les résultats probants des études de Vayssière (1948), le stockage des réserves de grains en silo souterrain n’a été vulgarisé par la FAO que dans les pays en développement. Ce n’est que bien plus tard, quand les expérimentations d’archéologie expérimentale viendront préciser le rôle du stockage souterrain des grains dans l’économie des communautés rurales à l’ère préindustrielle, que cette pratique suscitera un intérêt nouveau pour la conservation des récoltes de petits producteurs en dehors des circuits marchands (Dominguez et Yebdri, 2022).
Le changement de pratiques et de méthode, en passant d’une approche purement corrective à une démarche holistique de prévention des risques de perte en qualité des grains stockés, qui avait été rendu possible dès 1995 grâce à des systèmes d’aide à la décision capables de piloter la protection intégrale des qualités technologiques, nutritionnelles et sanitaires des céréales stockées à long terme, s’est heurté au refus des responsables des établissements de collecte-stockage d’engager une évolution de leur mode de conduite du stockage, et de passer d’une approche réactive à une stratégie de prévention et de surveillance des risques de perte en qualité.
4 Comment expliquer l’absence d’application des acquis de la recherche sur la conservation des grains en enceinte hermétique
4.1 Choix du soutien au modèle de production « en masse » au détriment des marchés de gamme
À partir du moment où la production de blé en France a commencé à être excédentaire, dans les années 1965–1970, le modèle productiviste et de culture intensive a été privilégié, en marginalisant les petites productions qui ne trouvaient pas leur place dans les flux vers les grandes industries de transformation ou à l’export. En parallèle à l’augmentation continue des rendements et des volumes de production, les entreprises de collecte-stockage ont opté pour la massification des formes de stockage dans des silos à vidange gravitaire rapide, avec des flux de chargement et déchargement rapides, pouvant dépasser 500 tonnes/heure, en particulier dans les silos portuaires dédiés à l’exportation. Sous l’influence de la Politique agricole commune, les grandes fermes céréalières se sont positionnées sur ce « marché de masse » de céréales de qualité « générique » indifférenciée (Fleurat-Lessard, 2013). Les groupes de recherche intégrée qui ont vu le jour dans les années 1960–1975 se sont mis au service de ce modèle productiviste, en étudiant préférentiellement les principaux freins au commerce international. Dans les années 1975–1990, le problème général auquel ont été confrontés tous les pays exportateurs de céréales a été la difficulté d’assurer en toute saison l’absence d’insectes vivants dans les lots mis sur le marché international, toute présence d’insecte vivant étant considéré comme un motif de refus de la livraison ou, a minima, entraînant une réfaction sur le prix de marché ou la charge de frais de désinsectisation par une fumigation avec du bromure de méthyle jusqu’en 1995, puis avec de la phosphine, après son retrait. Ce choix technologique, privilégiant le marché de masse à qualité minimale pour le marché international, au détriment des productions plus qualitatives de la majorité des petites exploitations de polyculture dans les zones où la culture de céréales n’était pas majoritaire, a marginalisé les options alternatives économiquement rentables et sûres pour les exploitations qui se sont converties à l’agriculture biologique à partir des années 1990, répondant à la demande du nouveau marché de produits céréaliers plus respectueux de l’environnement des cultures et exempts de résidus de pesticides (Fig. 5). La connexion entre l’innovation et le développement opérationnel ciblé sur le secteur des marchés de gamme (qualitatifs) ou de niche n’a pas fonctionné, probablement à cause des objectifs divergents entre les instituts publics de recherche finalisée et ceux de la recherche de valorisation des instituts et centres techniques sur projets bornés, réalisés en autonomie sans véritable coordination programmatique.
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Fig. 5 Chronologie des évènements marquants et des mesures réglementaires à l’origine de l’évolution des pratiques de stockage des céréales au cours du XXe siècle en France. Chronology of important events and regulations which induced major changes in cereal storage practices in France throughout the 20th Century. |
4.2 Remise en cause des traitements insecticides à longue persistance
Pour minimiser les coûts de la protection sanitaire des céréales stockées à long terme, l’usage quasi systématique plusieurs fois par an d’insecticides à longue rémanence, considéré comme la solution la moins coûteuse, a été généralisé entre 1970 et 1990, de la première étape du stockage à la ferme jusqu’au silo portuaire – cette dernière étape privilégiant le traitement curatif total par fumigation dans le silo avant le chargement des navires ou le gazage des cales après leur remplissage. Toutefois, cet usage immodéré d’insecticides à longue persistance des résidus dans les grains a rapidement conduit à l’apparition de populations d’insectes résistants, devenues insensibles aux substances actives les plus largement utilisées. Le problème de la résistance des insectes des grains stockés aux molécules insecticides est apparu dès les années 1970 dans les pays qui utilisaient un nombre réduit de substances actives, comme l’Australie avec le malathion (Champ et Dyte, 1976), puis l’Amérique du Sud avec la deltaméthrine (Sartori et al., 1991). Dès les années 1990, les populations d’insectes particulièrement nuisibles pour les stocks de céréales (le capucin [Rhyzopertha dominica], le petit silvain [Cryptolestes ferrugineus], le ténébrionidé [Tribolium castaneum] ou les charançons des grains [Sitophilus spp.]) échappent à tout contrôle avec les organophosphorés en Australie, en Inde, en Amérique du Sud et dans d’autres pays qui ont généralisé l’usage de ces molécules. Cette impasse technique peut être considérée comme le signal qui déclenchera une intense recherche sur les méthodes et procédés permettant de s’affranchir des insecticides à longue persistance dès le début des années 1980. Le même phénomène de résistance se produira avec la phosphine, quand elle sera devenue le substitut « universel » au bromure de méthyle à partir de 1990.
Aujourd’hui, les fermes céréalières australiennes s’équipent de cellules de capacité de 30 à 300 tonnes de grain, hermétiques et pouvant recevoir indifféremment une fumigation par la phosphine ou une injection de dioxyde de carbone pour éradiquer toute population d’insectes, incluant les populations résistantes aux insecticides traditionnels (Andrews et al., 1994). La résistance au gaz phosphine, universellement appliqué pour la désinsectisation des céréales faisant l’objet du commerce international, s’est généralisée à partir des années 1990 quand la phosphine est devenue le seul fumigant autorisé pour la désinsectisation complète des céréales après l’interdiction du bromure de méthyle. Parmi les solutions au problème de résistance des insectes des grains aux pesticides, la mise en cellules hermétiques spécialement conçues pour l’exposition des lots de grains susceptibles d’héberger des populations d’insectes résistants à la phosphine (PH3) à un gaz inerte (azote [N2] ou dioxyde de carbone [CO2]) a été choisie en Australie, pays pionnier des recherches sur la génétique de la résistance des insectes des denrées à la phosphine (Chaudhry, 1997). En France, aucune étude sérieuse n’a été engagée sur l’état des lieux de la résistance des insectes des grains (charançons, capucin, silvains, Tribolium, etc.) aux insecticides à longue persistance utilisés depuis les années 1970, et encore moins au gaz phosphine, très peu utilisé dans les organismes stockeurs du marché intérieur français, contrairement aux autres pays présents sur le marché mondial des céréales (Argentine, Australie, États-Unis, Brésil, etc.). Le marché des produits de désinsectisation des céréales stockées a été verrouillé en France à partir du moment où les distributeurs de produits phytosanitaires ont obtenu une première autorisation de mise sur le marché des insecticides organo-phosphorés (malathion, dichlorvos, pyrimiphos-méthyl, chlorpyriphos-méthyl, etrimfos, etc.), puis des pyréthrinoïdes (deltaméthrine, bioresméthrine) entre 1975 et 1982. Bien que certaines molécules aient été interdites à partir des années 2000, certaines étaient encore en usage dans les années 2010 dans près de 50 % des silos à céréales en France (Leblanc et al., 2014). Après 30 ans d’usage « intensif », les préconisations d’emploi de ces insecticides sont toujours les mêmes, sans qu’il y ait eu possibilité d’étudier les risques d’apparition de résistances aux insecticides induites par cette très longue période d’usage des mêmes substances actives, sur les mêmes sites de stockage et sur les mêmes espèces d’insectes.
Les distributeurs de ces spécialités insecticides en France se sont arc-boutés sur les reconductions d’autorisations de mise sur le marché réglementaires, obtenues tous les 10 ou 15 ans sans changement des conditions ou des limitations d’usage, pour éviter de se poser la question de l’existence probable de phénomènes de résistance aux insecticides dans les populations d’insectes hébergées par les silos de céréales en France.
C’est seulement en 2024 que les premiers containers et cellules hermétiques ont été brevetés en France pour le stockage sous atmosphère de dioxyde de carbone (CO2 biocontrol), à des fins de conservation de longue durée des semences et/ou de désinsectisation des productions de lentilles, pois, féveroles ou autres graines sensibles aux attaques d’insectes dès avant la récolte.
4.3 Stockage en enceinte hermétique comme solution à la protection des céréales de l’agriculture biologique, conservées à la ferme
À partir des années 1990, la croissance de la demande en céréales issues de l’agriculture biologique, sans résidus de pesticides, destinées à la fabrication de farine panifiable ou d’aliments du bétail destinés aux élevages en agriculture biologique – céréales souvent produites dans de petites exploitations agricoles –, a été rapidement confrontée au problème de la conservation à long terme sans possibilité d’utilisation de traitements de remédiation, y compris la fumigation à la phosphine. Dans ces conditions, le stockage en cellules hermétiques sous azote ou sous atmosphère enrichie en dioxyde de carbone (CO2) aurait pu devenir la méthode de conservation à privilégier, appuyée sur les savoirs formels produits par les équipes de recherche françaises. Au contraire, la France a affiché une réticence particulière aux apports des chercheurs nationaux ou étrangers qui démontrent la supériorité des silos étanches pour la conservation des céréales de qualité supérieure premium ou produites en agriculture biologique. En Australie par contre, le développement industriel de la fabrication de cellules dédiées à la désinsectisation ou à la conservation par le dioxyde de carbone, mises au point par la recherche dans les années 1990 (Andrews et al., 1994), est devenue depuis une filière agro-industrielle à part entière (Fleurat-Lessard, 2019). En France, il a fallu attendre 2018 pour voir le développement du stockage en big-bag à enveloppe plastique interne, rendue étanche par thermo-soudure, permettant la conservation sous atmosphère enrichie en CO2 d’unités de stockage de 600 à 900 kg, ce qui convient bien aux producteurs de semences fermières ou pour désinsectiser les petites productions de légumineuses à la récolte.
5 Conclusion
Contrairement à d’autres pays comme l’Australie ou l’Argentine, le choix de développer les entreprises de collecte-stockage sur le modèle du stockage en masse de qualité « générique » indifférenciée, qui a été fait dès les années 1960 en France, a écarté pendant les quarante ans qui ont suivi les acquis de la recherche issus des études scientifiques sur le fonctionnement de l’écosystème du stock de grains et l’expérimentation de solutions techniques permettant une conservation plus économe en intrants chimiques et en énergie, comme la conservation des grains en enceintes hermétique sous gaz inerte. Les avancées de la recherche sur le stockage hermétique ont été ignorées en France pour diverses raisons :
le manque de connexion entre la recherche finalisée, la recherche expérimentale pour la valorisation et les demandes des producteurs pour des marchés haut de gamme (bio, céréales de l’agriculture biologique ou certifiées exemptes de résidus, label rouge…), difficiles à convertir en objet de recherche ;
l’absence d’intérêt manifeste des instituts et centres techniques pour le développement technologique des matériels et des méthodes de conservation des céréales de qualité supérieure en cellules hermétiques, bien adaptées à la conservation de longue durée et sans risque des céréales à la ferme ;
la réticence des opérateurs du secteur marchand à abandonner l’usage de traitements avec des pesticides ou de la fumigation permettant une protection « à l’aveugle » contre les insectes, pour s’orienter vers une démarche de protection antiparasitaire intégrée des stocks réservant une place plus importante aux procédés de conservation économique en structure hermétique ;
l’absence de transfert des apports de la recherche appliquée à l’amélioration et à la diversification des pratiques et des équipements de stockage des grains pour les adapter aux besoins variés des diverses industries des céréales alimentaires (meunerie, fabricants d’aliments pour le bétail, exportation, filières de qualité supérieure ou à label).
Les pouvoirs publics ont soutenu le secteur marchand tourné vers l’exportation au détriment des agriculteurs qui se sont convertis à l’agriculture biologique à partir des années 1990 et qui ont eu à faire face à de nouvelles contraintes en matière de conservation des céréales à long terme, comme l’interdiction d’utiliser des pesticides ou de mettre sur le marché des céréales sans autre espèce en mélange, alors qu’elles sont parfois produites en culture mélangées en agriculture biologique, ce qui nécessite de multiples opérations de tri, contraintes étrangères aux fermes en monoculture à haut rendement, désherbées chimiquement et traitées par des fongicides et des insecticides en culture, ce qui est interdit aux producteurs en agriculture biologique.
La rationalisation de la production de céréales pour satisfaire aux exigences de l’export (qualité minimaliste et prix bas) et des fabricants d’aliments du bétail (qualité technologique standard et sans insectes) a constitué un frein à la conversion d’une partie de plus en plus importante des producteurs de céréales et de légumineuses à des pratiques de conservation des stocks de céréales sans intrants chimiques et sans dépasser les seuils réglementés pour les teneurs en mycotoxines, impuretés diverses ou présence de graines toxiques (ex. : Datura). Les solutions de stockage hermétique, économes en énergie pour la maîtrise de la température et qui ne nécessitent pas de traitement de désinsectisation, n’ont connu un développement à grande échelle que tardivement en France, alors qu’elles ont été développées depuis les années 1990 en Australie par exemple.
Remerciements
Cette synthèse a été réalisée grâce au soutien de l’ANR dans le cadre du Projet SilArchaeoBio ANR-21-CE27-0013-02.
L’auteur remercie également les évaluateurs d’une première version de cet article pour leurs conseils éclairés et leurs propositions d’amélioration très pertinentes.
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Liste des tableaux
Laboratoires de recherche sur l’écosystème des grains stockés, créés en 1960–1980 dans différents pays producteurs ou exportateurs de céréales.
Research teams created in years 1960–1980 in many grain-producing or importing countries, involved in research on the stored grain ecosystem.
Liste des figures
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Fig. 1 Méthodes traditionnelles de stockage en fosse enterrée ou semi-enterrée. Ancient grain storage practices in underground or semi-underground pits. |
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Fig. 2 Ecosystème simplifié du stock de grain en silo-fosse enterré. The stored grain ecosystem when stored in an underground pit. |
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Fig. 3 Etanchement d’un grenier paysan traditionnel par un film plastique pour la conservation de paddy sous anoxie en Côte d’Ivoire (Fleurat-Lessard et al., 2000). Experimental sealing of a traditional granary with a plastic liner for paddy storage under inert atmosphere in Ivory Coast. |
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Fig. 4 Représentation dynamique de l’écosystème du stock de grain, convertible en aide à la décision sur ordinateur (Ndiaye, 2001). The stored-grain ecosystem dynamic representation for a conversion into a computerized decision aid (Ndiaye, 2001). |
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Fig. 5 Chronologie des évènements marquants et des mesures réglementaires à l’origine de l’évolution des pratiques de stockage des céréales au cours du XXe siècle en France. Chronology of important events and regulations which induced major changes in cereal storage practices in France throughout the 20th Century. |
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