Issue
Cah. Agric.
Volume 34, 2025
Réduire l’utilisation des pesticides agricoles dans les pays du Sud : verrous et leviers socio-techniques / Reducing the use of agricultural pesticides in Southern countries: socio-technical barriers and levers. Coordonnateurs : Ludovic Temple, Nathalie Jas, Fabrice Le Bellec, Jean-Noël Aubertot, Olivier Dangles, Jean-Philippe Deguine, Catherine Abadie, Eveline Compaore Sawadogo, François-Xavier Cote
Article Number 17
Number of page(s) 11
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2025016
Published online 27 May 2025

© R. Ouedraogo et al., Hosted by EDP Sciences 2025

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1 Introduction

En Afrique Subsaharienne, plusieurs initiatives se mettent en place pour réduire l’usage mal contrôlé des produits phytopharmaceutiques de synthèse par les agriculteurs, notamment sur les cultures maraîchères (Beed et al., 2021 ; Côte et al., 2019). Les conséquences négatives de ces produits sur la santé humaine et environnementale (Fantke, 2019) imposent une refonte des systèmes de production agricole. Ainsi, différentes pratiques agroécologiques sont vulgarisées, telles que les rotations et associations de cultures, les méthodes prophylactiques, la protection des cultures par des filets anti-insectes, etc. (Deguine et al., 2023 ; Martin et al., 2006). Le recours aux produits phytopharmaceutiques de biocontrôle, fabriqués à partir d’huiles végétales ou de décoctions de plantes (ex. neem, papayer et tabac) est également de plus en plus observé (Drabo et al., 2022 ; Gnago et al., 2010). Toutefois, les agriculteurs qui s’engagent dans ces pratiques durables, avec des coûts de production plus élevés (temps de travail, risques de perte production, etc.), éprouvent le plus souvent des difficultés à valoriser économiquement leurs produits sur les marchés locaux (Temple et De Bon, 2020). En raison de la quasi absence (dans plus de 90 % des pays d’Afrique subsaharienne) de normes publiques sur l’agriculture biologique et du coût élevé de la certification par un auditeur privé (inappropriée au vu du contexte local), les systèmes participatifs de garantie (SPG) suscitent de plus en plus l’intérêt en Afrique (Bendjebbar et Fouilleux, 2022 ; Kamau et al., 2018). Il s’agit de « systèmes d’assurance qualité ancrés localement, certifiant les producteurs sur la base d’une participation active des acteurs concernés et qui sont construits sur une base de confiance, de réseaux et d’échanges de connaissances » (IFOAM – Fédération internationale des mouvements de l’agriculture biologique, 2008). Cette certification est basée sur l’évaluation par les pairs (producteurs, artisans, etc.) et leur communauté (organisations non gouvernementales [ONG], acheteurs, usagers, distributeurs, associations locales, etc.) considérés comme à même de mesurer le respect de ces engagements.

Par conséquent, les SPG sont une alternative à la certification par tierce partie (auditeur privé) pour garantir des pratiques agricoles durables – le plus souvent en agroécologie – dans le respect de cahiers des charges généralement co-construits. En plus de garantir des pratiques, les SPG visent à contribuer à l’échange de connaissances et à une amélioration continue des pratiques agricoles via du conseil et des solutions techniques qu’offrent soit les rencontres entre pairs qui participent aux évaluations, soit (le plus souvent en Afrique) les transmissions de connaissances des techniciens salariés du SPG (ex. Bénin, Burkina Faso, Cameroun et Sénégal). L’efficacité potentielle des SPG a été justifiée de manière théorique (Lemeilleur et al., 2022), mais elle reste très variable selon les modalités d’organisation de chaque initiative SPG et du contexte dans lequel elles s’appliquent. En Afrique subsaharienne, où les services de conseil technique agricole ont été progressivement privatisés (à l’exception de certains pays tels que le Sénégal) et sont largement basés sur les usages de produits phytopharmaceutiques de synthèse (Silue et al., 2020), les SPG se sont développés depuis une dizaine d’années. Ils constituent de nouvelles formes d’organisations d’acteurs dans l’agroécologie et l’agriculture biologique, et des leviers importants sur lesquels peuvent s’appuyer les pouvoirs publics en Afrique pour réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques de synthèse. Comme dans de nombreux cas, dans le cadre de cette étude, les termes « agroécologie » et « agriculture biologique » sont parfois utilisés comme synonymes, décrivant une manière de produire plus écologique (Wezel et al., 2009).

Cependant, la question de la reconnaissance institutionnelle des SPG (i.e. une reconnaissance légale du concept de la certification participative par les institutions étatiques) se pose (Lemeilleur et al., 2022). Cette question anime depuis quelques années des débats récurrents au sein de la communauté internationale des SPG (Biénabe, 2013 ; Cerdan et al., 2019 ; Fonseca et al., 2008 ; Lemeilleur et Allaire, 2018). Si cette reconnaissance publique et le soutien des autorités publiques qui peut leur être apporté – en termes de ressources juridiques (statut légal, reconnaissance dans les appels d’offre publics, etc.) ou financières (allègement de taxes, subventions, etc.) – est vivement souhaitée par une partie de la communauté, certains acteurs dénoncent déjà les dérives de la reconnaissance officielle dans certains contextes. Il s’agit notamment de la complexification des statuts des organisations par la formalisation et la normalisation technique et juridique des règles de fonctionnement pour toutes les communautés, en ignorant tous les arrangements institutionnels antérieurs et en augmentant la bureaucratie liée à la reconnaissance de ces organisations (Montefrio et Johnson, 2019). Ainsi, les droits de propriété que les utilisateurs des ressources avaient collectivement construits peuvent être balayés par les réglementations officielles comme en Inde, au Mexique, etc. (Niederle et al., 2020). Les SPG d’Afrique de l’Ouest et du Centre se sont emparés de cette question qui anime fortement les débats dans le réseau actuel. Quels sont les processus d’institutionnalisation envisagés par les acteurs ? Quels sont les freins et leviers de cette reconnaissance institutionnelle (i.e. une reconnaissance légale du concept de la certification participative par les pouvoirs publics) ? Comment les acteurs perçoivent-ils les avantages et les inconvénients d’une harmonisation des SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre ? Cet article se propose de répondre à ces différentes questions sur la base d’informations à dire d’experts et d’éléments issus de la littérature.

2 Matériels et méthodes

2.1 Étude de cas régionale

Les initiatives visant à réduire l’impact négatif des pratiques agricoles sur l’environnement et la santé humaine sont peu documentées en Afrique (De Bon et al., 2018). Jusqu’en 2012, le concept de SPG était faiblement répandu en Afrique de l’Ouest et du Centre. Les premières initiatives de création de SPG datent de 2012 et 2013, respectivement au Bénin et au Burkina Faso. Une seconde vague se situe entre 2015 et 2019 et a principalement concerné le Cameroun, le Ghana, le Mali, São Tomé et Principe, le Sénégal et le Togo. À partir de 2023, on a noté plusieurs SPG en cours de création, notamment en Côte d’Ivoire et au Nigeria. À cette troisième vague s’ajoutent d’autres SPG dont la mise en place est encore en réflexion, comme en Guinée Bissau. Ainsi, certains SPG sont opérationnels (ils certifient des producteurs) et d’autres en développement (ils n’ont pas encore de producteurs certifiés) (Tab. 1). Dans la majeure partie des cas, la mise en place de ces SPG (Fig. 1) a été portée par des initiatives locales (ex. certaines organisations ont certifié leurs premiers producteurs sans fonds extérieurs) et soutenue par des bailleurs de fonds internationaux.

Du 20 au 23 février 2023, nous avons co-organisé à Yamoussoukro la première rencontre régionale des SPG de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Au total, cette rencontre a réuni 37 participants dont 31 acteurs clés et 6 facilitateurs. Parmi les acteurs clés, on distingue d’une part des représentants de SPG : 7 SPG opérationnels (SPG – Bénin ; Bio-SPG – Burkina Faso ; SPG-Bio-local – Mali ; AMAP – Togo ; ANA-Bio – Togo ; ESTO MBONG – Cameroun ; Bio – Sénégal) et 6 SPG en développement (Cote d’Ivoire, Ghana, Nigéria, Guinée Bissau, Nat-Bi – Sénégal, et un autre sur les semences au Togo) et d’autre part des acteurs issus d’organisations paysannes, d’ONG et d’instituts de recherche (Tab. 1).

Tableau 1

Effectif des participants à la rencontre.

Number of participants at the meeting.

thumbnail Fig. 1

Dynamique d’émergence et cartographie des systèmes participatifs de garantie en Afrique (focus sur l’Ouest et le centre).

Dynamics of emergence and mapping of participatory guarantee systems in Africa (focus on West and Central Africa).

2.2 Collecte des données

L’inscription à l’atelier était ouverte et a circulé dans plusieurs réseaux d’information des SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre, de manière à avoir seulement des participants volontaires et réellement impliqués dans les SPG. Nous avons enregistré plus de 80 inscriptions en 15 jours. Ensuite, les participants ont été sélectionnés de manière raisonnée, d’une part en tenant compte du niveau de développement et d’expérience du SPG auquel ils appartenaient, et d’autre part du rôle de ces acteurs en tant que porteurs (i.e. parmi les membres fondateurs) du SPG dans leur pays ou de leur implication immédiate (en tant que techniciens ou salariés de la structure). Pour chaque SPG retenu, deux membres ont été invités, afin de parer à une éventuelle indisponibilité d’un participant et pour permettre une meilleure représentation du SPG. Plus de 95 % des SPG (opérationnels ou en développement) existants par pays ont été représentés. De même, les autres participants ont été sélectionnés de manière raisonnée (Tab. 1). Ensuite, pour renforcer le partage des connaissances et mener des réflexions collectives autour des SPG, notamment sur la question de la reconnaissance institutionnelle, nous avons organisé des ateliers de travail (Abrami et al., 2022 ; Berthet et al., 2016). Ainsi, la technique du « fish-bowl – conversation aquarium » a été utilisée. Dans un cercle central, 2 experts ont entamé la discussion avec leurs expériences (internationale et africaine) sur la reconnaissance institutionnelle des SPG et son impact en termes de développement de ces initiatives. Deux autres chaises étaient libres dans ce premier cercle pour que l’ensemble des participants positionnés sur un second cercle autour du premier puissent venir apporter la contradiction, leurs expériences ou leurs opinions et retourner ensuite dans le cercle externe (Fig. 2). À la suite du « fish-bowl » qui a duré environ une heure, une session plénière a permis de faire la synthèse et de mieux organiser l’ensemble des propos recueillis.

Toutes ces informations à dire d’experts ont été renseignées en temps réel, suivant un guide permettant de noter chaque propos, tout en précisant son auteur. Des enregistrements audios et vidéos ont également permis une transcription fidèle des données qui ont été analysées par thématique et par type d’acteurs. Nous avons également mobilisé des données issues de la littérature (grise et scientifique).

thumbnail Fig. 2

Atelier sur la reconnaissance institutionnelle des systèmes participatifs de garantie en format hybride de conférence participative « fish-bowl ».

Workshop on institutional recognition of Participatory Guarantee Systems in a hybrid fish-bowl format.

3 Résultats

Au cours de l’atelier, les participants ont principalement orienté leurs échanges autour de deux grands points : 1) la quasi absence de normes ou réglementations des systèmes de production en agriculture biologique et/ou en agroécologie dans la majeure partie des États de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ; 2) les dynamiques actuelles dans le processus de formalisation des initiatives auprès des instances publiques (Tab. 2).

Tableau 2

Dynamiques institutionnelles des systèmes participatifs de garantie en Afrique de l’Ouest et du Centre.

Institutional dynamics of Participatory Guarantee Systems in West and Central Africa.

3.1 Quasi absence de normes biologiques dans les États d’Afrique de l’Ouest et du Centre

Les SPG qui se sont développés en Afrique de l’Ouest et du Centre ont mis en place une vision de la qualité de la production qui englobe toutes les pratiques agricoles alternatives et respectueuses de l’environnement. L’agriculture biologique étant largement ancrée dans les approches agroécologiques, la Food and Agriculture Organization (FAO) recommande que l’agroécologie et l’agriculture biologique soient considérées sous l’angle de leurs synergies et de leur co-évolution (Loconto et Fouilleux, 2019). C’est sur cette base que la plupart des SPG africains se sont mis en place, traduisant ainsi leur caractéristique de véritables leviers de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques de synthèse (Wezel et al., 2009). La Figure 1 confirme que la dynamique d’émergence des SPG est une réalité tangible sur le continent.

La reconnaissance officielle des SPG, même si elle est appelée des vœux de nombreux partenaires de l’atelier, reste compliquée dans des pays où la réglementation biologique est le plus souvent absente. En effet, dans les pays représentés à l’atelier, les normes biologiques quand elles existent, ont d’abord été élaborées par des acteurs associatifs locaux. Cependant, aucune régulation officielle spécifique à l’agriculture biologique n’existe dans ces pays à l’exception du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal. Depuis 2009, le Mali dispose d’un décret relatif à la qualité et à la labellisation des produits agricoles et définissant l’agriculture biologique. En plus de sa stratégie nationale de développement de l’agroécologie, le Burkina Faso dispose également, depuis 2015, d’une loi qui définit officiellement l’agriculture biologique. Le Sénégal possède une norme biologique qui a été établie par l’Association sénégalaise de normalisation (ASN), mais qui demeure officieuse pour le moment.

Dans certains cas, les normes biologiques sont clairement à l’agenda (ex. : Cameroun et Ghana). Dans d’autres cas, les pays disposent d’une stratégie nationale ou d’une loi d’orientation en faveur de l’agriculture biologique sans pour autant la définir (ex. : Bénin et Togo). Dans ces cas, alors qu’il n’existe pas de normes publiques, la mention biologique se réfère soit à l’agriculture biologique des régions d’importation (telles que l’Europe ou l’Amérique du Nord), soit relève d’une marque collective privée associative. Pour le moment, cette étape semble satisfaire les gouvernements, comme cela a souvent été le cas dans le processus d’institutionnalisation de l’agriculture biologique dans de nombreux pays, avant de se lancer dans leur propre réglementation avec standard, label, mécanismes de contrôle et accréditation des contrôleurs (Niederle et al., 2020).

Toutefois, notons que si les pouvoirs publics semblent très intéressés pour avancer sur la mise en place de normes biologiques, il est collectivement constaté que les techniciens agricoles, dans la majeure partie de ces pays, sont très peu formés sur les pratiques agroécologiques et biologiques, ce qui apparaît comme un réel frein sur le terrain. D’autant que, le plus souvent, ces techniciens ne croient pas en ces pratiques, ou ont pour objectif d’accompagner les agriculteurs dans une intensification des pratiques culturales basée sur l’usage des produits phytopharmaceutiques de synthèse. Par conséquent, l’agriculture biologique ne peut guère compter sur le soutien des techniciens agricoles de l’État. Ainsi, les pratiques biologiques et agroécologiques sont essentiellement dispensées par les techniciens des SPG, puisqu’ils sont les seuls formés à ces pratiques actuellement. De même, ces pays font face à des contraintes liées à la disponibilité d’intrants organiques. Par exemple, la majeure partie des SPG n’impose pas le recours aux semences agroécologiques ou biologiques car ces ressources sont tout simplement quasiment absentes.

Les acteurs mentionnent également le besoin d’harmoniser les normes et standards au niveau régional. Cependant, cela peut être en contradiction avec la définition et l’esprit des SPG, à savoir des systèmes d’assurance de qualité biologique orientés localement et basés sur la participation active des acteurs. Par conséquent, certains acteurs de SPG, tels ceux du Burkina Faso, du Cameroun et du Mali, ont exprimé leur crainte que l’harmonisation entraîne plus de contraintes dans les cahiers des charges, avec une lourdeur administrative (Tab. 3). De plus, les acteurs craignent qu’au lieu d’un leadership basé sur la participation des acteurs, une poignée de personnes puisse avoir la mainmise sur le système de contrôle et de garantie. Cela peut également limiter les initiatives et être un frein aux innovations agricoles dans chaque pays. De même, les acteurs nationaux jugent précoce de parler d’harmonisation des standards en vue d’aller vers un marché sous-régional, voire international, alors que la demande locale n’est pas encore satisfaite.

Ainsi, même si les acteurs reconnaissent qu’une telle harmonisation pourrait dynamiser le marché bio régional, ils insistent sur le fait que cela doit rester volontaire et non obligatoire. La reconnaissance mutuelle des standards entre acteurs pourrait être une alternative à cette harmonisation  régionale.

Tableau 3

Synthèse des principaux freins et leviers à l’institutionnalisation et à l’harmonisation des SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre (selon l’acteur l’ayant mentionné).

Summary of the main obstacles and levers to the institutionalization and harmonization of GSPs in West and Central Africa (according to the player who mentioned it).

3.2 Processus de formalisation des SPG et interactions avec les autorités publiques

Les résultats issus des échanges entre les différents acteurs lors de l’atelier montrent que les SPG des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre reçoivent un soutien plus ou moins affirmé des ministères, lesquels participent parfois à leur promotion dans le pays. Cependant, leur reconnaissance par les autorités publiques, à l’instar du Brésil ou de quelques autres pays dans le monde (ex. : Bolivie, Inde, Mexique et Philippines), n’est pas acquis d’office à l’avenir. Des États tels que le Bénin, le Cameroun et la Côte d’Ivoire demandent au préalable une formalisation juridique du réseau (Tab. 3), ce qui vise à empêcher le développement d’un réseau informel qui échappe potentiellement au contrôle de l’État. Les acteurs de SPG voient dans cette reconnaissance un moyen de se protéger et de travailler sans ambiguïté quant à la logique de leurs interventions et de la politique publique (Tab. 3).

Toutefois, même si le contexte est favorable à l’insertion des questions liées au développement de l’agriculture biologique dans la réglementation publique, certaines agences nationales de normalisation peuvent être tentées d’accaparer le pouvoir décisionnel sur la définition de la norme et la manière de la contrôler, excluant de facto une co-construction ou co-gestion avec les acteurs des SPG. Ainsi, au Mali, les partie-prenantes du SPG-Bio local et le ministère de l’Agriculture ont réussi à se mettre d’accord sur une définition brève des normes de l’agroécologie. Au Ghana, un texte réglementaire définit depuis 2015 ce qu’est une agriculture durable, mais il a finalement peu à voir avec l’agriculture biologique. Par conséquent, les acteurs de ce SPG en développement et les autorités publiques sont en phase de discussion multi-acteurs, afin de définir concrètement les normes et réglementations relatives à l’agriculture biologique. Au Sénégal, les relations entre les ministères de l’agriculture, de l’environnement et la Fédération nationale pour l’agriculture biologique (FENAB), qui gère le SPG, sont assez fluides.

Dans certains pays tels que le Bénin, le Burkina Faso ou encore le Togo, les acteurs des SPG identifient principalement deux défis dans cette reconnaissance publique. D’une part, la rotation des personnes ressources au sein des ministères rend compliquée la continuité des travaux et remet régulièrement en cause le travail commun réalisé. D’autre part, les instances publiques sont peu formées à travailler avec la société civile. L’horizontalité est une posture nouvelle qu’il est difficile de véhiculer. L’État implique nécessairement une forme de verticalité qui peut fortement altérer le fonctionnement des SPG et détériorer la dynamique construite par les agriculteurs eux-mêmes.

Par ailleurs, l’intéressement de l’État peut être fortement corrélé à des enjeux politiques et financiers auprès des bailleurs de fonds. Par conséquent, si les acteurs des SPG sont favorables à la reconnaissance institutionnelle, ils sont très circonspects sur la manière d’y parvenir. En effet, les perceptions des différents acteurs des SPG convergent sur l’importance d’impliquer les autorités publiques pour surtout ne pas les avoir contre soi. Selon les propos d’un des participants : « […] il est impossible de contourner l’État. Il faut obligatoirement se munir d’un parapluie administratif ». Ainsi, les instances publiques locales ou nationales sont souvent invitées aux réunions. Les acteurs des SPG les associent sans les rendre indispensables – surtout, le cachet des autorités publiques ne doit pas être un prérequis sur les certificats par exemple – de telle sorte que celles-ci ne prennent pas les décisions mais aient le sentiment d’être associées à la dynamique.

Les débats sur les systèmes d’inspection et de certification, de procédures de contrôle obligatoires et d’accréditation des instances capables de le faire sont déterminants dans le processus de reconnaissance institutionnelle (Cerdan et al., 2019). Leur modalité de fonctionnement et leur crédibilité seront donc centrales. Les acteurs des SPG ont également mentionné le fait que les États ont un fort intérêt à négocier avec eux, en tant que promoteurs de solutions basées sur des pratiques agricoles durables, car les institutions étatiques ont besoin de promouvoir une production alimentaire saine pour leur population. Il s’agit par exemple, des différentes politiques mises en place en vue de promouvoir la consommation de fruits et légumes sains à travers les cantines scolaires obligatoires dans certains pays, tels que le Bénin. Toutefois, pour l’heure, l’enjeu, dans la majeure partie des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, est plutôt d’avoir une véritable et unique norme claire sur l’AB, même si ensuite il peut exister plusieurs modes de garantie ou SPG.

Une autre piste de la reconnaissance serait, à l’image de la définition des standards bio entre pays, une harmonisation ou des équivalences entre SPG des différents pays. Ainsi, même en l’absence de normes communes pour certifier le bio, les produits issus des différents SPG pourraient être échangés et commercialisés entre les pays de la région. Là encore, les principes et éléments clés définis par IFOAM (2008) pourraient être de sérieuses pistes de convergence. Cela pourrait également permettre aux pays qui n’ont pas encore de SPG d’avoir un modèle de base et de renforcer les processus d’apprentissage et d’échange de connaissances sur les pratiques agroécologiques. Cela concourt donc à inciter davantage les agriculteurs à réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques de synthèse (Côte et al., 2019).

Face aux craintes de rigidification, il semble que pour la majorité des participants de l’atelier, un mécanisme de reconnaissance des SPG entre les pays soit plus pertinent qu’une harmonisation. Selon un des acteurs : « les SPG sont toujours au pluriel ! La diversité est une force pour les SPG et ne s’oppose pas à l’harmonie. […] Toutefois, qui va faire les outils d’harmonisation ? N’est-ce pas une forme de verticalité encore où quelqu’un peut tout bloquer ? Le SPG appartient aux producteurs et il ne faut pas les exclure dans cette dynamique d’harmonisation […] ».

4 Discussion

La demande de reconnaissance officielle des SPG, comme levier de pratiques agricoles plus durables, réductrices de produits phytopharmaceutiques de synthèse, arrive dans des contextes où il existe peu de réglementations publiques pour l’agriculture biologique et l’agroécologie. De ce fait, la reconnaissance institutionnelle des SPG est un autre défi et non des moindres. Par ailleurs, l’élaboration de réglementations en agriculture biologique dans ces pays pourrait être favorisée par les enjeux de la commercialisation régionale.

À l’instar de ce que fait l’IFOAM à l’échelon international, la reconnaissance des SPG peut se baser sur quelques éléments de base comme dénominateur commun, en évitant une dimension trop administrative et normative qui exclut. Par exemple, le SPG du Burkina Faso s’est déjà engagé dans un processus d’accréditation auprès de l’IFOAM. Sur cette base du plus petit dénominateur commun, il peut exister des équivalences entre pays. D’après les travaux de recherche qui comparent les SPG à des outils de gestion de communs (Lemeilleur et Allaire, 2018), la reconnaissance publique doit impliquer la reconnaissance minimale des droits des utilisateurs locaux à concevoir et contrôler leurs propres règles. En ce sens, ils défendent une gouvernance en co-gestion, définie comme une « responsabilité partagée entre les institutions de l’État et les utilisateurs locaux des ressources » (Adger et al., 2005). La co-gestion est un processus plutôt qu’un état fixe, dans lequel les règles cherchent à établir des paramètres minimaux pour couvrir la diversité des contextes locaux et maintenir la capacité de chaque organisation à adapter les procédures à sa propre réalité (Carlsson et Berkes, 2005), comme cela a été mentionné par les acteurs au cours des travaux en atelier. L’un des meilleurs exemples de co-gestion utilisée pour les SPG est notamment celui du Brésil (Lemeilleur et al., 2022).

Par conséquent, nous pensons que plutôt qu’une harmonisation de jure, une harmonisation de facto peut apparaître, à force d’échanges sur les pratiques et expériences entre SPG, et de rencontres, telles que cette première rencontre régionale à Yamoussoukro, qui permettent aux praticiens de sélectionner les meilleures pratiques pour leur propre SPG. De fait, ces emprunts amènent à une harmonisation sur ce qui semble essentiel et pertinent pour les acteurs, à savoir : la reconnaissance mutuelle des systèmes de contrôle et de garantie, la libre circulation des produits agroécologiques et biologiques « certifiés-SPG » entre les pays et l’élaboration d’un plan d’action du réseau SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre (voir la déclaration de Yamoussoukro de 2023 : https://certification-participative.org/bibliotheque/declaration-de-yamoussoukro-premiere-rencontre-regionale-des-spg-dafrique-de-louest-et-centrale/).

Le besoin de favoriser la commercialisation des produits biologiques entre pays est un facteur qui, très probablement, va inciter les États à négocier des dispositifs à l’échelle régionale. Par exemple, sous le leadership de Wafronet (West Africa Organic Network) et en collaboration avec la division agriculture de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), la mise en place d’une norme ouest-africaine a été a initiée. Ce processus vise une norme à l’instar de l’East African Organic Products Standard (EAOPS) développée pour un ensemble de pays d’Afrique de l’Est (Kamau et al., 2018). Ainsi, selon les acteurs, pour répondre aux enjeux de commerce régional, des systèmes d’équivalence entre standards nationaux, ou une harmonisation des standards nationaux, devront se mettre en place. Un seul et même standard pour un groupe de pays pourrait donc être envisagé. Ce qui interroge la perspective d’une harmonisation des standards (les cahiers des charges) ouest-africains. Pour cela, la conformité avec l’IFOAM pourrait déjà servir de base entre les pays pour commencer une harmonisation de leurs cahiers des charges.

Toutefois, dans le cadre des pays d’Afrique de l’Est (EAOPS), plus de 10 ans auront été nécessaires après la création du label privé géré par les mouvements de l’agriculture biologique dans le cadre de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Est, avant que les premières politiques publiques et stratégies nationales pour l’agriculture biologique aient été approuvées par les différents ministères en charge de l’agriculture. C’est le cas de l’Ouganda en 2020 et de la Tanzanie en 2023. Pour ces pays, les efforts à l’institutionnalisation ont été menés depuis le début des initiatives SPG. Par conséquent, les différents mouvements porteurs de SPG sont en mesure, de nos jours, de proposer des réformes nationales à travers des manuels techniques – initiées en 2022 pour la Tanzanie et finalisées en 2024 pour l’Ouganda – au sein de leurs systèmes de gouvernance regroupant des acteurs étatiques (Bendjebbar et Fouilleux, 2022).

Par ailleurs, une des limites de cette étude est l’absence de représentants des structures étatiques (ex. : Bénin, Mali, Togo, etc.) pour comprendre la vision de ces acteurs institutionnels dans ce processus d’institutionnalisation. Néanmoins, il s’agit d’un choix méthodologique, afin de capter une perception des participants impliqués dans les SPG plus authentique, et dénuée de jeux politiques ou de rapports de pouvoir qu’un atelier multi-parties prenantes aurait pu générer. Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant une vision objective du processus d’institutionnalisation des SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre, que la perception des acteurs impliqués dans les SPG sur les barrières et les freins ou les encouragements qu’ils rencontrent.

5 Conclusion

Dans cette étude, nous avons utilisé une approche participative en organisant une réflexion collective autour de la question de la reconnaissance institutionnelle des systèmes participatifs de garantie en Afrique de l’Ouest et du Centre. Cette démarche a permis un partage des connaissances et une réelle implication de tous les acteurs aux différents échanges. Les résultats de ces échanges montrent une volonté des porteurs de SPG d’avoir une reconnaissance institutionnelle par les pouvoirs publics. L’implication des États apparaît comme un paramètre non négligeable pour assurer une pérennité et une expansion des SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre (ex. : reconnaissance auprès des acheteurs publics tels que les cantines scolaires…). Cette reconnaissance permet également aux SPG d’avoir un statut légal et de bénéficier d’éventuelles subventions, ce qui pourra contribuer à inciter les agriculteurs à réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques de synthèse. Toutefois, les acteurs s’interrogent sur les effets pervers d’une implication des États, pouvant augmenter la bureaucratie pour l’accréditation et fragiliser des fondements organisationnels antérieurs collectivement construits, comme cela a été observé en Inde ou au Mexique. Les analyses issues de cette première rencontre régionale des SPG d’Afrique de l’Ouest et du Centre permettent d’orienter le choix des États, afin que leur implication et leur accompagnement se fassent dans une logique de co-gestion avec les différents acteurs pour renforcer la dynamique des SPG et contribuer au processus de transition agroécologique en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, avant d’entamer un véritable processus de reconnaissance institutionnelle, il est important que les instances étatiques et les acteurs des SPG arrivent à une base commune de définition des normes et des réglementations sur l’agroécologie et l’agriculture biologique, au sein de chaque pays.

Remerciements

Les auteurs remercient les projets MARIGO (Maraîchage agroécologique périurbain en Côte d’Ivoire, https://www.projet-marigo.org) et PRETAG (Pesticide Reduction for Tropical Agriculture, https://www.pretag.org), qui ont permis la tenue de cette première rencontre régionale des SPG d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Les auteurs remercient également l’ensemble des participants de cette rencontre pour leur partage d’expériences et leurs conseils dans la rédaction de cet article : Benedict A. Olwumi, Jean-Paul Ago Grrijo, Cho Euphrasie Monique Angbo, Angel Avadi, Tiyagouna Bakirwena, Koami Bokodjin, Alfredo Ci, Karelle Coco, Fulbert Dago, Edgar Déguenon, Hamidou Diawara, Seynabou Diouf, Moussa Dosso, Justin Dowui Kossi, Créo Ebaguidi, Assane Gueye, Patrick Kengne Mouaro, Amadou Koné, Auguste Kouamé Kouassi, Ousmane Labodda, Paul Lacombe, Abou Rahman Lanac, Elwis N’Guetta, Jean De Dieu Sawadogo, Arnaud Somé, Edjona Souahodé Kouamé, Georges Tadjiomo Ngougni, Jean-Marie Tanou Koffi, Ramata Touré, Souleymane Yougbaré, Hervé Yapo.

Références

Citation de l’article : Ouedraogo R, Lemeilleur S, Loconto A, Emmenegger R, Koulthoum Abdou O, Martin T, Le Bellec F. 2025. La reconnaissance institutionnelle des systèmes participatifs de garantie d’Afrique de l’Ouest et du Centre comme levier de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques de synthèse. Cah. Agric. 34: 17. https://doi.org/10.1051/cagri/2025016

Liste des tableaux

Tableau 1

Effectif des participants à la rencontre.

Number of participants at the meeting.

Tableau 2

Dynamiques institutionnelles des systèmes participatifs de garantie en Afrique de l’Ouest et du Centre.

Institutional dynamics of Participatory Guarantee Systems in West and Central Africa.

Tableau 3

Synthèse des principaux freins et leviers à l’institutionnalisation et à l’harmonisation des SPG en Afrique de l’Ouest et du Centre (selon l’acteur l’ayant mentionné).

Summary of the main obstacles and levers to the institutionalization and harmonization of GSPs in West and Central Africa (according to the player who mentioned it).

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Dynamique d’émergence et cartographie des systèmes participatifs de garantie en Afrique (focus sur l’Ouest et le centre).

Dynamics of emergence and mapping of participatory guarantee systems in Africa (focus on West and Central Africa).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Atelier sur la reconnaissance institutionnelle des systèmes participatifs de garantie en format hybride de conférence participative « fish-bowl ».

Workshop on institutional recognition of Participatory Guarantee Systems in a hybrid fish-bowl format.

Dans le texte

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