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Cah. Agric.
Volume 29, 2020
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Article Number | 17 | |
Number of page(s) | 8 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2020015 | |
Published online | 02 July 2020 |
Article de Recherche / Research Article
Exploitations de polyculture-élevage bovin viande : plus grandes mais pas plus profitables que les exploitations d’élevage herbagères
Mixed crop-livestock farms: larger but not more profitable than specialized grassland livestock farms
Université Clermont-Auvergne, INRAE, VetAgro Sup, UMR Herbivores,
63122
Saint-Genès-Champanelle, France
* Auteur de correspondance : patrick.veysset@inrae.fr
La polyculture-élevage est souvent citée comme étant un idéal agronomique source d’économies pour l’agriculteur et à moindre impact environnemental négatif. La complémentarité entre les ateliers élevage et culture devrait permettre l’utilisation partagée de facteurs de production, et donc une réduction de l’utilisation d’intrants. Au-delà du concept, cette étude a pour objectif d’observer si, dans un bassin de production, les fermes produisant de la viande bovine et de grandes cultures affichent des performances productives et économiques différentes des fermes herbagères spécialisées bovins viande. À partir des données d’un échantillon d’exploitations de bovins allaitants charolais du centre de la France, nous observons que les exploitations dites de polyculture-élevage sont systématiquement plus grandes que les exploitations herbagères spécialisées. La grande taille des exploitations entraîne une forte augmentation des besoins en équipement et des charges induites. Ces charges ne se partagent pas entre productions animales et végétales. Au final, nous n’observons pas de différence de coût de production du kilogramme de viande produit ou de revenu par travailleur, entre exploitations herbagères spécialisées et exploitations de polyculture-élevage. Le concept vertueux de la polyculture-élevage se heurte à des réalités structurelles et socio-économiques. Afin de pourvoir bénéficier d’avantages économiques potentiels liés à la diversification, il faudrait réfléchir à de nouvelles formes de structure d’exploitations d’élevage françaises.
Abstract
Mixed crop-livestock farming is often quoted as an agronomic ideal that is a source of savings for the farmer and has a lower negative environmental impact. The complementarity between livestock and crop units should allow the shared use of production factors, and thus a reduction in the use of inputs. Beyond the concept, the objective of this study is to observe whether, in a production area, farms producing beef and crops show different productive and economic performances from specialised beef cattle grassland farms. Based on data from a sample of Charolais suckler cattle farms in central France, we observe that the so-called mixed crop-livestock farms are systematically larger than specialised grassland farms. The large size of the farms leads to a strong increase in equipment needs and induced expenses. These expenses are not shared between animal and plant production. In the end, we do not observe any difference in production cost per kilogram of live-weight produced or in income per worker between specialised grassland farms and mixed crop-livestock farms. The virtuous concept of mixed crop-livestock farming comes up against structural and socio-economic realities. In order to be able to benefit from potential economic advantages linked to diversification, new forms of structure for French livestock farms should be considered.
Mots clés : économie de la production agricole / bovins viande / polyculture-élevage / économies de gamme / économies d’échelle
Key words: economics of agricultural production / beef cattle / mixed crop-livestock farming / economy of scope / economy of scale
© P. Veysset et al., Hosted by EDP Sciences 2020
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Au cours des dernières décennies, les exploitations d’élevage bovins viande n’ont cessé de s’agrandir et d’accroître considérablement leur productivité du travail (Veysset et al., 2015). Le concept d’économie d’échelle voudrait que l’augmentation de la quantité produite d’un produit agricole dans une exploitation diminue son coût de production (Duffy, 2009). Veysset et al. (2019) ont montré que ce type d’économie n’est pas effectif pour des exploitations d’élevage bovins viande du Bassin charolais : plus la taille augmente, plus le recours aux intrants et aux équipements (mécanisation) est important.
Depuis plusieurs années, un certain nombre d’auteurs étudient les systèmes de polyculture-élevage (PCE) en émettant l’hypothèse que ces systèmes sont plus vertueux au niveau économique et environnemental (Ryschawy et al., 2012 ; Salton et al., 2014). De nombreux travaux montrent qu’intégrer (coupler) cultures et élevages (Martel et al., 2017) favorise le recyclage des nutriments, limite le recours aux intrants et donc préserve la biodiversité et les agroécosystèmes (Peyraud et al., 2014). L’intérêt de la PCE ne peut s’exprimer que si les ateliers de cultures et d’élevage sont intégrés (Lemaire et al., 2014 ; Garnier et al., 2016). Malgré une abondante littérature ces dernières années vantant les mérites potentiels de la PCE, certaines études montrent que l’intégration culture-élevage n’est pas systématiquement mise en œuvre à l’échelle de l’exploitation (Perrot et al., 2013 ; Veysset et al., 2014a) ou du territoire (Asai et al., 2018).
D’un point de vue de l’économie de la production, l’intégration culture-élevage des systèmes de PCE devrait théoriquement permettre de réaliser des économies de gamme (De Roest et al., 2018). Ce concept d’économie de gamme se révèle dans des situations où le coût d’utilisation d’un intrant (service, approvisionnement, équipement, travail) partageable entre plusieurs ateliers de production est plus faible que le coût total d’utilisation de cet intrant pour chaque atelier séparément (Panzar et Willig, 1981). En agriculture, ces économies de gamme existent lorsque la diversification d’une exploitation agricole accroît sa productivité et diminue le coût de production de chacun des produits (Chavas, 2008).
Notre objectif, pour cette étude, était d’étudier les éventuelles différences structurelles et de performances économiques entre des exploitations spécialisées en élevage bovins viande et des exploitations de PCE bovins viande. Après avoir présenté l’échantillon de fermes et les données utilisées, nous constituerons des classes selon leur surface en cultures annuelles. Nous présenterons les variables analysées et les méthodes d’analyse. Les résultats seront discutés et nous conclurons.
2 Matériel et méthode
Le concept d’exploitation agricole de PCE recouvre une large diversité de formes d’agricultures. Les définitions et formes de PCE décrites par de nombreux auteurs diffèrent selon les contextes et les enjeux (Ryschawy et al., 2014). Dans notre cas, voulant comparer des exploitations spécialisées et des exploitations PCE sans préjuger des pratiques mises en œuvre par les agriculteurs, nous considérerons comme PCE une exploitation produisant conjointement des produits animaux (bovins viande) et végétaux. Nous choisissons donc la définition dite structurelle de la PCE, sans a priori d’intégration entre les ateliers d’élevage et de culture (Hendrickson et al., 2008).
2.1 Base de données : le réseau d’élevage bovins allaitants charolais sur cinq ans (2012–2016)
L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de Clermont-Theix a mis en place dans les années 1970 un réseau d’observations technico-économiques en exploitations d’élevage bovins allaitants charolais du centre de la France, avec pour objectif de suivre les exploitations sur le long terme. Si, au départ, toutes les exploitations étaient très spécialisées en production de viande bovine, au cours des années, les structures ont évolué (Veysset et al., 2014b) : agrandissement plus ou moins important, mise en culture des terres labourables ou renforcement de la spécialisation herbagère, etc. Même si ces exploitations restent relativement spécialisées « élevage », avec 81 % de leur surface agricole consacrée à la surface fourragère (Tab. 1), il existe une certaine diversité en leur sein.
Notre analyse portera sur les résultats des cinq dernières années disponibles pour ce réseau, soit de 2012 à 2016. Sur ces cinq années, nous conservons les exploitations qui ont eu au moins trois années consécutives de suivi, afin d’avoir un échantillon relativement constant. L’échantillon étudié comprend 66 exploitations, dont 49 (74 %) présentes sur les cinq années, 11 sur quatre ans et six sur trois ans (2012–2014).
Cultures annuelles en hectares et en pourcentage de la surface agricole utile (SAU), surface fourragère en pourcentage de la SAU, moyenne sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Annual crops in hectares and as a percentage of utilised agricultural area (UAA), forage area as a percentage of UAA, 5-year average (2012–2016) for the total sample and the four groups.
2.2 Variables de tri et constitution des groupes
Dans les 66 exploitations de l’échantillon étudié, nous cherchons à distinguer les exploitations herbagères spécialisées en élevage bovin et les exploitations de PCE. Pour discriminer, d’un point de vue structurel, les exploitations de PCE, nous avons fait le choix d’utiliser la variable de tri « cultures annuelles », intégrant aussi bien les cultures fourragères annuelles (principalement le maïs ensilage) que les cultures dites de vente (principalement céréales et oléo-protéagineux) destinées à la vente ou à l’intra-consommation pour l’alimentation des bovins. Les exploitations de PCE peuvent se caractériser soit par la part de cultures annuelles dans leur surface agricole, soit par la surface totale en cultures annuelles. Dans notre échantillon, ces deux variables sont très fortement corrélées (r = 0,90 ; Fig. 1). Le tri des exploitations sur l’une ou l’autre de ces variables n’aura donc pas une forte incidence sur la constitution des groupes. Faisant l’hypothèse que le type de matériel utilisé pour les travaux nécessaires aux cultures (puissance, largeur de travail, etc.) va dépendre de la taille des chantiers, nous avons choisi de trier nos exploitations selon leur surface en cultures annuelles. Quatre groupes sont ainsi constitués (Tab. 1).
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Fig. 1 Cultures annuelles en hectares et en pourcentage de la surface agricole utile (SAU) des 66 fermes. Annual crops in hectares and as a percentage of the utilised agricultural area (UAA) of the 66 farms. |
2.3 Expression et analyse des résultats
Afin d’analyser les structures et les performances économiques de chacun des groupes constitués, nous avons réalisé une analyse descriptive comparée des principales variables :
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variables de structure et d’utilisation des surfaces : nombre de travailleurs (UTH), surface agricole totale, nombre d’unités gros bovins (UGB), part des surfaces en culture, productivité physique du travail, chargement ;
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variables économiques : les résultats économiques sont étudiés à l’échelle de l’atelier bovin et à l’échelle de l’exploitation.
À l’échelle de l’atelier bovin, l’analyse porte sur la marge brute bovine par UGB et le coût de production du kilo de viande vive produit. La marge brute bovine est la différence entre le produit brut bovin (incluant les aides couplées) et les charges opérationnelles de l’atelier bovin (charges du troupeau et charges de la surface fourragère). Le coût de production est calculé par une allocation de l’ensemble des charges de l’exploitation (y compris l’amortissement des équipements, la rémunération du travail familial et des capitaux propres) à l’atelier bovin, selon des clés de répartition entre ateliers pour les exploitations diversifiées (Institut de l’élevage, 2010).
À l’échelle de l’exploitation, le focus porte sur les charges de structure, dont les charges de mécanisation (amortissement annuel des équipements, consommation de carburants et lubrifiants, frais d’entretien et réparation, achats de pièces et petit matériel, assurances, travaux par tiers). La performance économique globale des exploitations est évaluée par l’excédent brut d’exploitation (EBE) et le revenu du travail et des capitaux (RWC). Le RWC doit rémunérer l’ensemble de la main-d’œuvre et du capital propre (hors foncier) de l’exploitation. C’est un critère de comparaison des exploitations entre elles et dans le temps. Les salaires nets des salariés ne sont plus à compter dans les charges et une valeur locative est allouée aux terres en propriété (RWC = résultat courant + [salaires nets des salariés] − [valeur locative des terres en propriété − impôts fonciers]). Ces charges et performances sont exprimées en euros par hectare de surface agricole utile (SAU) et en euros par travailleur afin de comparer les différents groupes en eux.
Pour chaque exploitation, les variables sont calculées en moyenne sur la période 2012–2016, en déflatant les variables économiques de l’indice des prix à la consommation (IPC, Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE]) afin de raisonner en euros constants (base 2016). Afin de déterminer si les groupes ont des caractéristiques identiques, ou non, en termes de distribution et de valeur médiane, nous avons réalisé un test non paramétrique de comparaison multiple par paire (Steel-Dwass-Critchlow-Fligner). Enfin, les corrélations entre les variables étudiées pour l’ensemble de l’échantillon sont analysées après avoir calculé le coefficient de corrélation de Spearman (la distribution des valeurs des variables ne suit pas une loi normale). La significativité des tests de comparaison et des coefficients de corrélation est au seuil de la p-value de 5 %.
3 Résultats
3.1 Caractéristiques structurelles moyennes
Les exploitations ayant plus de 60 ha de cultures annuelles (groupe D) sont les plus grandes, alors que les surfaces agricoles des exploitations des trois autres groupes ne diffèrent pas significativement (Tab. 2). La surface en cultures annuelles est logiquement (variable de tri) significativement différente entre les quatre groupes, alors que leur surface fourragère ne les distingue pas. La part des cultures annuelles dans la SAU, corrélée à la surface en cultures annuelles, est donc significativement différente entre chaque groupe et est croissante du groupe A (0 %) au groupe D (43 %).
Ce sont les exploitations du groupe B (0–20 ha de cultures) qui détiennent le moins d’UGB et donc produisent le moins de viande vive. Les quatre groupes possèdent un atelier de production animale de dimension relativement voisine. En ramenant la production de viande par hectare de surface fourragère (SFP) ou par travailleur, aucun des quatre groupes ne se distingue, bien que les groupes C et D aient un chargement et une production de viande vive par hectare de SFP supérieurs. Les exploitations du groupe D ont en moyenne plus de travailleurs que les autres groupes, mais la distribution des valeurs autour de la médiane ne les distingue pas.
Caractéristiques structurelles moyennes sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Average structural characteristics over five years (2012–2016) of the total sample and the four groups.
3.2 Coût de production du kilo de viande vive produit et marge brute bovine
La performance productive des troupeaux (kilos de viande vive produits par UGB), ainsi que le produit bovin hors aides par UGB, ne sont pas significativement différents entre les quatre groupes (Tab. 3). Il en est de même pour les charges du troupeau par UGB. Par contre, les charges de la surface fourragère (semences, traitements, engrais, ficelles, bâches d’ensilage) par UGB s’accroissent avec le nombre d’hectares de cultures annuelles ; elles sont donc les plus faibles dans le groupe A et les plus élevées dans le groupe D. Les exploitations des groupes C et D consacrent 4 à 5 % de leur surface fourragère au maïs fourrage, d’où des charges de culture de la surface fourragère plus élevées (semences, traitements, engrais pour le maïs) et un chargement supérieur, mais non significativement. Au final, la marge brute bovine hors aides par UGB est la plus faible dans le groupe D, alors qu’elle est du même niveau dans les trois autres groupes. Le groupe D engage plus de charges pour son atelier bovins viande, alors qu’il n’obtient pas une production supérieure à celle des autres groupes. L’efficience du processus de production est donc plus faible.
Globalement, il n’y a pas de différence significative du coût de production du kilo de viande vive, quelle que soit la surface de cultures annuelles dans l’exploitation (Tab. 3). Ne produisant pas de céréales utilisées comme concentré dans l’alimentation des animaux, les exploitations herbagères du groupe A ont la plus forte charge d’aliment acheté, mais en contrepartie, elles ont les plus faibles charges de mécanisation car la culture et la récolte d’herbe ne nécessitent pas le même type de matériel que les cultures annuelles. Malgré des charges de mécanisation plus élevées en PCE (groupe D), les charges fixes totales par kilo de viande vive produit sont similaires dans les quatre groupes, ainsi que les charges de travail. Le coût de production du kilo de viande vive est tout de même légèrement inférieur dans les groupes B et C (différence non significative), qui maîtrisent aussi bien les charges variables que les charges fixes.
Marge brute bovine hors aides et coût de production du kilo de viande vive produit, moyenne sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Bovine gross margin excluding aid, and production cost per kilo of live weight produced, average over five years (2012–2016) for the total sample and the four groups.
3.3 Charges de mécanisation et résultats économiques à l’échelle de l’exploitation
Les charges de mécanisation par hectare de surface agricole augmentent significativement avec le nombre d’hectares de cultures annuelles dans la SAU (Tab. 4). Les charges par hectare du groupe D sont ainsi 57 % plus élevées que celles du groupe A. Parmi les postes composant ces charges, le seul significativement supérieur dans le groupe D est celui de la consommation de carburant. Le poste amortissement du matériel a tendance à augmenter, non significativement, avec la surface de cultures (A < B < C < D).
Les charges de structure par hectare de SAU sont de même niveau dans les quatre groupes. Il n’y a pas de différence significative entre les quatre groupes concernant les résultats économiques globaux (EBE et revenu du travail et des capitaux) par hectare de SAU ou par travailleur. Le groupe A présente les résultats les plus faibles, et les groupe B et C, maîtrisant mieux leurs charges, obtiennent des résultats légèrement plus élevés. L’écart-type et le coefficient de variation des résultats économiques du groupe D sont les plus élevés des quatre groupes ; les valeurs moyennes, bien qu’apparemment légèrement différentes, ne le sont pas significativement. Le groupe D n’est pas plus efficient économiquement que les autres groupes, puisque, à un niveau de charges équivalent, il dégage un revenu identique.
À noter qu’en prenant une p-value de 10 %, seules deux variables discriminent différemment les groupes : charges de mécanisation par hectare et carburant par hectare. Dans ce cas, le groupe C se distingue de B et A et reste distinct de D, ce qui renforce le résultat montrant une augmentation des charges de mécanisation et de carburant avec le nombre d’hectares de cultures annuelles.
Charges de structure et de mécanisation par hectare de SAU, résultats économiques des exploitations, moyenne sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Fixed and mechanisation costs per hectare of UAA, economic results of the farms, average over five years (2012–2016) for the total sample and the four groups.
3.4 Corrélations entre variables structurelles et économiques
Le nombre de travailleurs, d’hectares de cultures annuelles et la part de la SAU affectée aux cultures annuelles sont positivement corrélées à la taille des exploitations (Tab. 5). À l’échelle de l’atelier bovin, les charges variables et les charges de mécanisation par kilo de viande vive produit sont positivement corrélés au nombre d’hectares et au pourcentage de cultures annuelles dans l’exploitation. La marge brute bovine par UGB est négativement corrélée à la taille de l’exploitation et aux surfaces et à la part de cultures annuelles. À l’échelle de l’exploitation, les charges de mécanisation par hectare de SAU sont positivement corrélées à la taille des exploitations, au nombre de travailleurs, ainsi qu’à l’orientation en cultures annuelles. Il n’y a pas de corrélation significative entre le revenu par hectare ou par travailleur et la taille, le nombre d’hectares ou la part de cultures annuelles dans la SAU.
. Coefficients de corrélation de Spearman des principales variables structurelles et économiques, moyennes entre 2012 et 2016, pour l’ensemble de notre échantillon.
Spearman’s correlation coefficients of key structural and economic variables, average over 2012–2016, for our entire sample.
4 Discussion
Dans cette étude, nous avons choisi la variable nombre d’hectares de cultures annuelles dans l’assolement pour classer les exploitations selon une définition structurelle de la PCE. Nous aurions pu utiliser comme variable de tri la part de la SAU allouée aux cultures annuelles. Ces deux variables sont très fortement corrélées. Les coefficients de corrélation entre ces deux variables et les différentes variables économiques étudiées vont toujours dans le même sens, avec des valeurs très proches. Choisir l’une ou l’autre variable de tri n’influe donc pas sur les tendances observées. N’ayant pas accès à des données sur certaines pratiques (rotations culturales, place des prairies temporaires dans les rotations, gestion des inter-cultures, gestion des engrais de ferme, etc.), nous ne pouvions pas préjuger du degré d’intégration entre les ateliers élevage et cultures (définition fonctionnelle de la PCE).
4.1 La taille des exploitations de polyculture-élevage
Les exploitations de PCE du réseau charolais étudiées sont de plus grande taille (surface, main-d’œuvre et cheptel) que les exploitations herbagères spécialisées. À une surface fourragère et à un atelier bovin de même taille que les exploitations spécialisées, elles ajoutent des surfaces en cultures. Dans une étude sur la dynamique d’évolution entre 2007 et 2014 de la PCE dans quatre régions françaises (Lorraine, Midi-Pyrénées, Normandie et Pays de la Loire), Hirschler et al. (2019) montrent que la PCE se maintient bien dans des zones intermédiaires grâce à des éleveurs qui développent les cultures. Ce passage de systèmes d’élevage à des systèmes de PCE s’accompagne d’un accroissement de taille (+26 % de SAU moyenne). Les exploitations de PCE sont alors de taille nettement supérieure aux exploitations d’élevage. Dans un bassin de production, ou dans une région, il est en conséquence très difficile, voire impossible, de constituer des groupes d’exploitations iso-surface avec des niveaux de diversification variables.
4.2 Coûts de production et charges : économies d’échelle et économies de gamme
Pour un même niveau de production des animaux, les grandes exploitations ont les plus fortes charges variables par kilo de viande vive produit. Ce rapport défavorable entre charges variables et productivité animale indique que l’efficience technique du système de production de viande est plus faible dans les grandes exploitations, ce qui a été montré par Veysset et al. (2015), notamment du fait de simplifications de pratiques dans la gestion du troupeau avec une utilisation accrue d’aliments achetés (Aubron et al., 2016), l’alimentation achetée étant le premier poste des charges du troupeau même pour les exploitations PCE utilisant leurs céréales pour alimenter leurs animaux (Veysset et al., 2014a). Ces charges variables supérieures ne sont pas compensées par une économie sur les charges fixes, à laquelle on pourrait s’attendre selon les concepts d’économie d’échelle et de gamme applicables dans ce cas (grandes entreprises avec deux ateliers théoriquement complémentaires). Ces exploitations ont une gestion de leurs ressources disponibles (fourrages, cultures et animaux) non optimale, avec un certain « gaspillage » de leur potentiel selon le concept de « yield gap » (Van der Linden et al., 2018).
Les charges de mécanisation viennent dégrader les charges fixes. Il n’y a pas de dilution des coûts d’utilisation du matériel dans le volume de viande produit ou dans une SAU plus grande. Les grandes surfaces entraînent une plus grande consommation de carburant par hectare, certainement du fait de distances plus importantes à parcourir entre le siège et les parcelles (Latruffe et Piet, 2014), sans diminuer les autres postes constituant les charges de mécanisation. Les importantes charges de mécanisation dans les grandes exploitations de PCE semblent indiquer des besoins en mécanisation très élevés pour faire face aux exigences des chantiers à réaliser (disponibilité en main-d’œuvre, rapidité d’exécution dans un créneau météorologique limité, souplesse d’exécution des chantiers). L’équipement des exploitations peut alors être vu comme une réponse des agriculteurs à leur aversion au risque, et non comme une source d’amélioration de la productivité et de la performance économique (Sheng et al., 2016). En outre, la politique fiscale peut inciter les exploitations qui affichent de bons résultats économiques à investir en matériel et à se suréquiper, afin de limiter le revenu fiscal, et ainsi diminuer le montant des cotisations sociales.
Les productivités économiques du foncier et du travail ne sont pas améliorées avec la taille et la diversification des exploitations. L’agrandissement peut être une forme de capitalisation du revenu et de constitution de patrimoine professionnel pour une jouissance future, notamment sous forme de capital retraite (Jeanneaux, 2019). Mais cela ne devrait pas empêcher d’intégrer culture et élevage pour limiter les intrants et réaliser des économies de charges. Ce concept d’économie de gamme se confronte à la charge de travail (physique et mentale) sur les grandes exploitations diversifiées et à la pression socio-économique incitant toujours à l’utilisation d’intrants, selon le paradigme technologique dont il est très difficile de sortir (Fares et al., 2012), ainsi qu’aux incitations du système agro-industriel des filières voulant des produits standard toute l’année, tout en étant revendeurs d’intrants (Meynard et al., 2013). La PCE fonctionnelle émet l’hypothèse que les systèmes intégrés permettent une meilleure efficience économique (Hendrickson et al., 2008) ; les résultats économiques de notre étude montrent que : (1) si cette hypothèse est vraie, il n’y a pas d’intégration entre les ateliers bovins viande et cultures, ou (2) s’il y a effectivement intégration, elle ne procure pas d’avantage économique et donc l’hypothèse ne se vérifie pas pour ces systèmes PCE bovins viande. Une étude comparative menée sur neuf ans (2007–2015) entre un système laitier herbager et un système PCE laitier, tous deux conduits en agriculture biologique dans une même ferme expérimentale, montre que le système herbager crée plus de valeur ajoutée par hectare et rémunère mieux les travailleurs que le système PCE, du fait notamment de charges de mécanisation très élevées (Coquil et al., 2018). Le concept vertueux de la PCE, c’est-à-dire une forme d’agriculture intégrant culture et élevage, se heurte à des réalités structurelles et socio-économiques opposées à l’expression de ces avantages potentiels.
5 Conclusion
Face à certaines impasses agronomiques de la spécialisation des systèmes de production agricole, et à leurs conséquences négatives sur l’économie de la production et sur l’environnement, la PCE semble être un modèle vertueux à promouvoir. Cependant, il apparaît que la diversification des fermes d’élevage et leur transition vers la PCE s’accompagnent généralement d’une augmentation de leur surface agricole. Le concept d’économie de gamme se heurte alors au fait que l’efficience technique et économique des exploitations d’élevage est négativement corrélée à leur taille. Au final, nous n’observons pas de gains économiques sur les différents postes de charges, que ce soit à l’échelle de l’atelier de production animale ou à l’échelle de l’exploitation, ni de différence significative sur le revenu par travailleur entre exploitations herbagères spécialisées et grandes exploitations de PCE. Des méthodes de régression seraient à explorer pour distinguer l’effet taille de l’effet diversification dans l’évolution et la comparaison des performances économiques des exploitations.La diversification des ateliers de production dans les exploitations familiales nécessite de nouvelles connaissances et compétences de la part de l’exploitant, ainsi qu’une très bonne organisation dans le travail. Face à cette charge mentale et physique du travail, les éleveurs tendent à simplifier leurs pratiques, à se sur-mécaniser, d’où une baisse d’efficience des systèmes. Les structures familiales, modèle défendu et maintenu en France, deviennent certainement trop grandes pour qu’une même personne (ou un petit collectif de personnes) détienne le capital, prenne les décisions stratégiques et opérationnelles, et réalise le travail. Si, dans le cadre de la transition agro-écologique, la PCE est un modèle de développement à promouvoir, il faut alors se poser la question de l’échelle et des structures dans lesquelles cette PCE peut être un modèle durable avec une réelle connexion des ateliers d’élevage et de culture.
Remerciements
Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet de recherche-développement PSDR4-Auvergne 2015–2019 new-DEAL (Diversité de l’élevage en Auvergne : un levier de durabilité pour la transition agroécologique), financé par l’INRAE et le Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Pour en savoir plus : https://www.psdr4-auvergne.fr/PSDR-4/Les-4-projets/new-DEAL.
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Citation de l’article : Veysset P, Charleuf M, Lherm M. 2020. Exploitations de polyculture-élevage bovin viande : plus grandes mais pas plus profitables que les exploitations d’élevage herbagères. Cah. Agric. 29: 17.
Liste des tableaux
Cultures annuelles en hectares et en pourcentage de la surface agricole utile (SAU), surface fourragère en pourcentage de la SAU, moyenne sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Annual crops in hectares and as a percentage of utilised agricultural area (UAA), forage area as a percentage of UAA, 5-year average (2012–2016) for the total sample and the four groups.
Caractéristiques structurelles moyennes sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Average structural characteristics over five years (2012–2016) of the total sample and the four groups.
Marge brute bovine hors aides et coût de production du kilo de viande vive produit, moyenne sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Bovine gross margin excluding aid, and production cost per kilo of live weight produced, average over five years (2012–2016) for the total sample and the four groups.
Charges de structure et de mécanisation par hectare de SAU, résultats économiques des exploitations, moyenne sur cinq ans (2012–2016) de l’échantillon total et des quatre groupes.
Fixed and mechanisation costs per hectare of UAA, economic results of the farms, average over five years (2012–2016) for the total sample and the four groups.
. Coefficients de corrélation de Spearman des principales variables structurelles et économiques, moyennes entre 2012 et 2016, pour l’ensemble de notre échantillon.
Spearman’s correlation coefficients of key structural and economic variables, average over 2012–2016, for our entire sample.
Liste des figures
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Fig. 1 Cultures annuelles en hectares et en pourcentage de la surface agricole utile (SAU) des 66 fermes. Annual crops in hectares and as a percentage of the utilised agricultural area (UAA) of the 66 farms. |
Dans le texte |
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