Open Access
Issue
Cah. Agric.
Volume 34, 2025
Article Number 27
Number of page(s) 17
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2025026
Published online 05 August 2025

© N. Touili et al., Hosted by EDP Sciences 2025

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1 Introduction

Aujourd’hui, l’agriculture française connaît une dynamique de diversification dans les systèmes agricoles (production, transformation et commercialisation) afin de promouvoir des systèmes agri-alimentaires plus durables et plus résilients. Depuis la Loi d’Avenir agricole de 2014 (Allain, 2015), en passant par la Loi EGAlim de 2018, la volonté politique vise à relocaliser l’agriculture et l’alimentation sur les territoires.

En 2020, 36 % des exploitations agricoles de France ont au moins une activité de diversification (INSEE, 2024). L’ambition d’inscrire les diversifications agricoles dans le long terme se décline aux échelles nationale et régionale. À l’échelle nationale, un plan stratégique de souveraineté pour la filière fruits et légumes, dont la moitié est actuellement issue de l’importation, a été lancé en 2023 par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. L’émergence puis la démultiplication des PAT (Projets alimentaires territoriaux) viennent concrétiser cette volonté publique à des échelles régionales. Les PAT sont des instruments iconiques de la politique alimentaire de l’État (Mestre, 2021) visant l’articulation entre les bassins de productions et de consommation (Maréchal et al., 2019 ; Aubry et al., 2024) et le développement d’une agriculture péri-urbaine à vocation nourricière pour les villes et les métropoles (Madelrieux et al., 2017).

La diversification agricole est un prérequis de tout ancrage territorial de l’alimentation. Plusieurs études ont abordé cette diversification sous le prisme alimentaire en se penchant sur la notion de « sécurité alimentaire » (Rastoin et Seck, 2024), sur le développement des circuits courts ou de proximité (Prévost, 2014), et plus largement, sur les systèmes alimentaires territorialisés (Lamine et Chiffoleau, 2016) et durables (Soulard, 2020) comme une alternative au modèle agro-industriel mondialisé dominant. Peu d’études se sont penchées sur la ressource en eau nécessaire à la viabilité de cette dynamique de diversification à l’échelle de l’exploitation et du territoire.

Parmi les diversifications agricoles qui sont à l’œuvre, nous proposons de nous focaliser sur la diversification maraîchère et légumière (« M&L » dans la suite), qui alimente majoritairement les circuits courts et donc le projet d’une « re-territorialisation » de l’alimentation dans les zones périurbaines. Nous aborderons cette diversification à l’échelle du sud-ouest parisien, territoire engagé dans une agriculture diversifiée pour une alimentation locale.

Historiquement spécialisée en grandes cultures, la région Île-de-France observe une dynamique de diversification pour une reconquête de souveraineté alimentaire locale. La production locale ne couvre qu’environ 12 % de la consommation francilienne, d’après la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (DRIAAF, 2022a). La diversification M&L y tient une place majeure en raison de sa contribution, variée et quasi-permanente le long de l’année (légumes d’hiver, fruits, etc.), aux circuits alimentaires courts, de proximité, et de la part de la restauration collective nécessitant d’importants volumes de production. En parallèle avec l’implantation de nouvelles exploitations maraîchères en périphérie des villes (et de la métropole du Grand Paris), on assiste à des démarches de diversification vers la production de légumes chez les exploitations céréalières franciliennes déjà en place. Alors que le nombre d’exploitations agricoles en France diminue en moyenne de 2,3 % par an, le nombre d’exploitations maraîchères est le seul à avoir augmenté (Agreste, 2022), et à avoir presque doublé à l’échelle régionale de l’Île-de-France entre 2010 et 2020 (DRIAAF, 2022b). Il apparaît cependant une contrainte majeure à cette diversification : celle de l’accès à l’eau d’irrigation (Nougarèdes et al., 2022), d’autant plus que les hausses prévues des températures et de l’évapotranspiration risquent d’accroître les besoins en eau des cultures dans un contexte climatique marqué par de fortes irrégularités des précipitations (Touili et al., 2024a). Les besoins en eau sont en effet significatifs pour les productions M&L (Touili et al., 2023 ; Nguyen Vien, 2023) et cette contrainte se pose particulièrement lorsqu’il s’agit de garantir, dans la durée, une plus grande disponibilité et stabilité des approvisionnements en produits locaux. À l’échelle francilienne, 83 % des exploitations maraîchères font appel à l’irrigation, contre 15 % pour les grandes cultures, et la Surface agricole utile (SAU) irriguée présente une hausse considérable de +18 % en 2020, par rapport à 2010, pour la production de légumes frais, melons ou fraises, contre 4 % seulement pour les céréales (DRIAAF, 2022a). Si les prélèvements actuels en eau pour les diversifications M&L restent relativement faibles par rapport à la superficie totale irriguée, ils demeurent importants rapportés à l’hectare et/ou à la culture (tomates, aubergines, salades, etc.). Pour pérenniser cette diversification, il convient de prêter attention aux évolutions futures, à la fois de la demande en eau des cultures et de la disponibilité de cette ressource pour l’irrigation.

La ressource en eau constitue donc un enjeu majeur pour la viabilité de cette diversification, et plus largement, pour celle des politiques alimentaires territorialisées. Aura-t-on assez d’eau pour pérenniser cette diversification à l’échelle du territoire d’un PAT ?

L’eau est de plus en plus sollicitée dans le contexte du changement climatique et ses usages croissants sont parfois source de tensions et de conflits au sein des territoires. L’évolution de la demande en eau pour une agriculture diversifiée et une alimentation locale mérite donc une attention particulière. Plusieurs outils existent pour examiner les besoins en eau de ce type d’agriculture (eau associée au PAT), comme ceux de toute autre activité consommatrice d’eau, avec parmi eux les Projets de territoire de gestion de l’eau (PTGE, https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44640). Un PTGE vise l’atteinte d’un équilibre entre besoins et ressources disponibles à une échelle cohérente d’un point de vue hydrologique en consultant et en impliquant les usagers du territoire concerné, avec pour actions possibles : la définition de volumes prélevables, des engagements d’économies d’eau, etc.

2 Approche territorialisée et périmètre de l’étude

Pour interroger le futur de la diversification M&L, nous proposons donc de nous concentrer sur l’échelle territoriale du sud-ouest francilien (Fig. 1). Ce dernier connaît une forte dynamique de diversification et présente une certaine homogénéité en termes de conditions pédoclimatiques et d’origine de la ressource en eau pour l’irrigation. En Île-de-France, l’eau agricole est majoritairement, avec plus de 85 % des prélèvements, puisée en eau souterraine à la différence d’autres territoires nationaux où cette proportion est inversée en faveur de l’eau de surface (Commissariat général au développement durable, 2025). La part des prélèvements agricoles (irrigation) en eau souterraine en Île-de-France reste faible par rapport aux autres usages. Entre 2020 et 2022, cette part est de l’ordre de 11 % des prélèvements totaux (canaux, eau potable, industrie et activités économiques, énergie, etc.), d’après la Banque nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE) (https://bnpe.eaufrance.fr/acces-donnees). Dans le sud-ouest francilien, l’eau agricole est dominée par un mode individuel d’accès à l’eau souterraine. Cette dernière est une source privilégiée des agriculteurs en raison du coût économique relativement faible de son extraction en l’absence de restrictions et de réglementations spécifiques d’usage (par exemple, quotas), mais aussi en raison de son caractère individuel.

Situé à la périphérie de Paris, le sud-ouest francilien est le premier territoire doté d’un PAT en Île-de-France. Intitulé « de la Plaine aux Plateaux », il couvre trois territoires agri-urbains : la Plaine de Versailles, le Triangle Vert des villes maraîchères du Hurepoix, le Plateau de Saclay. La constitution de ces territoires « agri-urbains » vise à préserver, mais aussi à revaloriser l’activité agricole, en privilégiant une agriculture de proximité au service de l’urbain avec une dimension paysagère et alimentaire (Toublanc et Moquay, 2021). Ce PAT renforce cette seconde dimension avec de nombreuses initiatives de diversification en lien avec une forte demande alimentaire locale (Le Bail et al., 2021). Le territoire du PAT réunit en effet des espaces agricoles productifs sur les plaines et les plateaux – avec 18 212 ha de terres agricoles majoritairement céréalières – et d’importants bassins de consommation dans les vallées. Il illustre donc tout particulièrement l’objectif affiché des PAT de « relocaliser l’agriculture et l’alimentation ». Cela se traduit par des aides à l’installation de petits maraîchers en agriculture biologique (y compris le financement de forages pour l’irrigation), ainsi que par la mise en réseau des gros producteurs céréaliers pour approvisionner la restauration collective, ou encore par la création d’épiceries participatives, appelées « épis », fournissant des aliments locaux à leurs adhérents. Pour ne citer que l’exemple du Plateau de Saclay, de nombreuses fermes céréalières se sont diversifiées en production de légumes, faisant passer la proportion des surfaces agricoles diversifiées de 3 % en 2000 à 14 % en 2017. Le nombre d’exploitations en vente directe est lui passé de 1 à 14 entre 2000 et 2021, soit la moitié des fermes du plateau de Saclay (Terre & Cité, 2023). À l’échelle du PAT, il existe une volonté politique de protéger une partie des terres agricoles au travers de l’instauration des Périmètres régionaux d’intervention foncière (PRIF), et le classement du Site de la Plaine de Versailles et de la Zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) du Plateau de Saclay (DRIAAF, 2022b). De surcroît, ce territoire s’intègre dans un « Living Lab » (laboratoire vivant), avec le VivAgriLab dont l’objectif est de relier ville et vivant dans le sud-ouest francilien. Dans le cadre du VivAgriLab, la gestion de l’eau et les diversifications agricoles sont des priorités stratégiques pour la transition agroécologique et alimentaire (Esculier et al., 2020 ; Touili et al., 2024b).

La dynamique de la diversification M&L a vocation à se poursuivre, voire à s’amplifier sur ce territoire qui vient d’être labellisé PAT de niveau 2 (phase opérationnelle) en 2024. Pour se projeter dans le futur de cette diversification, notre approche territorialisée prend en compte :

  • l’eau prélevée à l’échelle d’une exploitation diversifiée avec des choix de cultures (tomates, salades, etc.) répondant à la demande actuelle en produits locaux ;

  • l’eau nécessaire (ou la demande en eau) pour pérenniser cette diversification à l’horizon 2060 sachant que les besoins en eau des cultures maraîchères et légumières évolueront avec le changement climatique. Nous faisons l’hypothèse que les espèces actuellement cultivées feront partie de la demande alimentaire future ;

  • l’eau disponible (ou l’offre en eau) pour l’irrigation de ces cultures, en prêtant attention aux évolutions des niveaux d’eau (souterraine) à l’horizon 2060 ;

  • et, enfin, les pistes envisagées pour pérenniser cette diversification. Nous avons prospecté auprès des agriculteurs les adaptations futures (choix des cultures, modes d’irrigation, pratiques culturales, réserves en eau, etc.) permettant d’assurer, selon eux, la viabilité des exploitations diversifiées au sein du PAT.

thumbnail Fig. 1

Périmètre du PAT dans le sud-ouest francilien (Terre & Cité, 2023).

PAT perimeter in south-west Ile-de-France (Terre & Cité, 2023).

3 Matériel et méthode

Cette étude s’est appuyée sur une démarche de collecte de données, qualitatives et quantitatives, au sein du périmètre du PAT (Fig. 2). Entre 2023 et 2024, nous avons conduit des enquêtes individuelles, en deux temps, auprès d’un échantillon de dix exploitations M&L sur un total de 205 exploitations agricoles. Dans un premier temps, nous avons recueilli des données sur l’état actuel des prélèvements en eau à l’échelle de l’exploitation. Dans un second temps, nous avons sondé les perspectives d’avenir en explorant les pistes envisagées par les agriculteurs pour pérenniser cette diversification.

En parallèle, nous avons calculé l’eau nécessaire – c’est-à-dire les besoins en eau d’irrigation pour les cultures – et l’eau disponible – c’est-à-dire les niveaux d’eau (souterraine) disponibles pour l’irrigation, à l’horizon 2060. Pour cela, nous avons utilisé des données climatiques et hydro-climatiques à fine échelle sur le plateau de Saclay. Ces données issues de l’ensemble de projections du projet Explore2 (https://entrepot.recherche.data.gouv.fr/explore2) sont disponibles pour le climat sur le portail SICLIMA (Système d’information de données climatiques maillées) développé par l’unité de service AgroClim de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (https://agroclim.inrae.fr/siclima/) pour les besoins internes de recherche de l’INRAE, et pour l’hydrologie sur le portail DRIAS-Eau (https://www.drias-eau.fr/).

thumbnail Fig. 2

Synopsis des démarches de collecte des données.

Synopsis of the data collection process.

3.1 Données d’enquêtes auprès des exploitations diversifiées

Le Tableau 1 résume les profils des dix exploitations concernées par nos enquêtes. Cet échantillon comprend trois profils : des maraîchers, des vergers-maraîchers (en production biologique – Bio), cultivant entre 40 et 60 espèces sur des petites surfaces et des céréaliers diversifiés en production (biologique ou conventionnelle) de légumes, cultivant peu d’espèces sur des (relativement) grandes surfaces. Les trois profils (maraîchers, vergers-maraîchers, céréaliers diversifiés) produisent en plein champ ou sous abris sur environ 10 % de la surface cultivée en légumes. Les deux premiers profils visent un approvisionnement local via des circuits courts de distribution (vente directe, AMAP – Association pour le maintien de l’agriculture paysanne, marchés de plein vent, épiceries participatives et restaurants locaux) tandis que le troisième couvre les circuits courts et de proximité à l’échelle de la région Île-de-France, avec des gros volumes de production. Deux exploitations de notre échantillon ont approvisionné la restauration collective par le passé, mais cette expérience n’a pas continué pour des raisons de faibles volumes de production pour l’une et de faible rentabilité économique pour l’autre.

Notre questionnaire d‘enquête s’est structuré autour de trois axes : (i) les prélèvements en eau à l’échelle pertinente pour l’agriculteur (par culture, par unité de surface, par années humides /sèches), (ii) les sources d’accès à l’eau et (iii) les pistes prioritaires envisagées pour pérenniser l’activité de diversification.

Les données des enquêtes ont été enregistrées, de manière anonyme et en accord avec les intéressés, puis transcrites à des fins d’analyse.

Tableau 1

Profils des exploitations diversifiées concernées par nos enquêtes.

Profiles of the diversified farms covered by our surveys.

3.2 Données territorialisées sur l’eau nécessaire et l’eau disponible à l’horizon 2060

Notre démarche vise à nous projeter à l’horizon 2060 par des estimations des besoins en eau des cultures d’une part et des évaluations de la disponibilité de l’eau d’autre part. Pour des questions de cohérence, nous avons fait le choix de nous concentrer sur le Plateau de Saclay pour ainsi mobiliser des données spatialisées sur un même secteur. Pour les données de projections climatiques, nous avons exploité, parmi les résultats d’Explore2, ceux obtenus avec le scénario pessimiste RCP 8.5 (Representative Concentration Pathway, fortes émissions de gaz à effet de serre). Ce scénario projette un réchauffement qui se poursuit au fil du XXIe siècle atteignant +3 °C à l’échelle mondiale, soit plus de 4 °C en moyenne à l’échelle de la France en fin de siècle par rapport à la période préindustrielle (Sauquet et al., 2024). Par rapport aux scénarios RCP 2.6 (de faibles émissions) et RCP 4.5 (émissions modérées), le choix du RCP 8.5 nous projette dans un futur sans stratégie significative pour lutter contre le changement climatique. Compte tenu de notre démarche prospective, ce scénario pessimiste nous permet de maximiser les risques concernant l’eau disponible et celle nécessaire, et d’anticiper des situations extrêmes. Ce scénario a donc été mobilisé aussi bien pour extraire les données climatiques (portail SICLIMA) pour le calcul des bilans hydriques que pour les données Explore2 (portail DRIAS-Eau) sur les tendances futures de l’eau souterraine. Le choix du RCP 8.5 trouve une cohérence a posteriori avec le 3e Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) qui projette une France à +4 °C en 2100, publié post projet.

Concernant l’eau nécessaire, nous avons suivi la méthode de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour le calcul des bilans hydriques (Allen et al., 1998), projetés à l’horizon 2060 uniquement pour les cultures de plein champ. Le choix de la méthode des bilans hydriques, largement utilisée et bien documentée (Simonneaux et al., 2009 ; Esculier et al., 2020 ; Nguyen Vien, 2023) est motivé par notre accès à des données climatiques spatialisées de Météo-France disponibles sur la plateforme SICLIMA de l’INRAE. En cohérence avec nos données d’enquête, nous avons combiné des assolements avec les cinq cultures et les deux successions de culture qui sont les plus courantes sur le territoire étudié (Tab. 2). Les successions de cultures permettent une approximation des besoins en eau à l’échelle d’une exploitation M&L. Le bilan hydrique de chaque culture au cours du temps a été calculé en tenant compte de la croissance des plantes et de la profondeur d’enracinement des cultures pour l’estimation de la réserve utile de la culture. La réserve utile est déterminée en fonction de la profondeur d’enracinement de chaque culture, disponible dans le document de la FAO (Allen et al., 1998). Elle tient compte du type de sol qui est ici un limon.

Rappelons que pour compenser la quantité d’eau évaporée du sol et transpirée par la plante (l’évapotranspiration), l’apport en irrigation correspond, en théorie, à l’eau nécessaire pour optimiser la croissance des plantes, en complément des précipitations. Le modèle développé ici est fondé sur le calcul de l’ETM (évapotranspiration maximale) selon l’approche de la FAO pour estimer les pertes en eau par évapotranspiration. La réserve utile du sol est décomposée en deux composantes, la réserve facilement utilisable (RFU) et la réserve difficilement utilisable (RDU). Les apports d’irrigation ont tenu compte de cette réserve utile pour chaque culture et ils ont été établis sur la base de déclenchements d’irrigation au seuil de la moitié de la réserve utile consommée par la culture et pour un remplissage de la réserve utile à son maximum. Le seuil est évalué pour chaque culture selon le document de la FAO. La méthode suivie préconise de calculer l’ETM, qui sert au pilotage de l’irrigation, avec l’équation : ETM = (Ke + Kcb)∗ETP. L’ETM est liée à la fois au climat et à la culture et se calcule à partir de l’évapotranspiration potentielle (ETP), à l’aide des deux coefficients : le coefficient d’évaporation du sol (Ke) et le coefficient de transpiration (Kcb, coefficient de transpiration de la culture, donnée disponible par culture et variable en fonction des stades de développement de chaque culture). Ces deux coefficients tiennent compte de l’humidité du sol (donc de la réserve utile calculée au pas de temps journalier précédent et du stade de développement de la plante). L’évapotranspiration potentielle est calculée selon la formule de Penman-Monteith par Météo-France et a été extraite de la plateforme SICLIMA de l’INRAE. Pour le calcul des coefficients Kcb, les données d’enquêtes ont été utiles pour déterminer le nombre de jours pour chaque stade phénologique des cultures (phases initiale, de développement, intermédiaire et finale) (Nguyen Vien, 2023). Les différentes étapes du calcul du Kcb et du Ke sont expliquées, respectivement, dans la partie B, chapitre 7 (p. 135–157) du document de la FAO (Allen et al., 1998) et dans le tableau 19 (page 144) de ce même document pour un sol limoneux. La connaissance de l’ETM, combinée à la pluie efficace (pluie réellement utile à la plante), a permis ainsi de déterminer l’eau nécessaire pour une culture donnée (Mailhol et Picheral, 1994).

Nous avons mobilisé des données climatiques journalières à fine échelle, au niveau d’une maille sur le Plateau de Saclay (Fig. 3). Les données climatiques de cette maille recouvrent l’historique observé du passé (1960–2021), données réelles actualisées par Météo-France, et des données futures de modélisation du climat (2022–2060). Parmi l’ensemble des chaînes de modélisation du climat disponibles, nous avons sélectionné les projections de la chaîne CNRM-CERFACS-CNRM-CM5/CNRM-ALADIN63 sous scénario RCP8.5 obtenues avec la méthode de correction ADAMONT. Il est difficile de positionner les résultats de ce bilan hydrique par rapport à ceux que donneraient les autres chaînes de modélisation du climat (absentes du portail SICLIMA). Notons que CNRM-CERFACS-CNRM-CM5/CNRM-ALADIN63 ne semble pas fournir des résultats atypiques car ces derniers s’inscrivent dans les tendances globales perceptibles sur les 17 chaînes de modélisation disponibles sur le portail DRIAS-Eau : aggravation continue de la sécheresse des sols en Île de France pour le scénario d’émission RCP8.5 (Tramblay et al., 2024, Annexe 4, Figure 49) et augmentation continue de l’évapotranspiration potentielle (ETP) (Marson et al., 2024).

Concernant les tendances futures de l’eau disponible, nous avons fait appel aux données hydrologiques du projet Explore2. Considérant que l’eau souterraine est la principale source d’irrigation sur le Plateau de Saclay, nous avons exploité les simulations hydrodynamiques de la plateforme AquiFR au point de coordonnées du piézomètre du CEA (Saclay-91) captant les dynamiques de la nappe des sables et grès de Fontainebleau. Les graphiques montrent l’évolution des niveaux piézométriques sur le même périmètre concerné par le calcul des bilans hydriques.

Afin d’illustrer les incertitudes sur les évolutions futures des niveaux d’eau souterraine, nous avons suivi l’approche par narratif (« storyline » en anglais) (Shepherd et al., 2018) appliquée dans Explore2. Cette approche a permis de distinguer de manière experte quatre futurs du climat en fin de siècle, c’est-à-dire quatre évolutions climatiques, plausibles et contrastées, pour la période 2070–2099 en France sous RCP 8.5 (Marson et al., 2024) :

  • narratif (A) : fort réchauffement et fort assèchement en été (et en annuel) ;

  • narratif (B) : changements futurs relativement peu marqués ;

  • narratif (C) : fort réchauffement et forts contrastes saisonniers en précipitations ;

  • narratif (D) : réchauffement marqué et augmentation des précipitations.

Cela nous permet d’intégrer plusieurs futurs possibles pour les niveaux d’eau souterraine sur la période 2000–2060, simulés par AquiFR en réponse à ces quatre projections, évitant ainsi de s’enfermer dans une seule trajectoire climatique. Notons que les qualificatifs retenus ne sont valables que pour la fin de siècle. Ils ne reflètent pas les caractéristiques des projections sur la période 2000–2060 qui nous intéresse ici. Le Tableau 3 présente quelques spécificités des quatre narratifs et les chaînes de modélisation du climat associées. Nous présentons ici les quatre projections des niveaux piézométriques.

Notons que nous nous sommes limités à l’horizon 2060 alors que les niveaux piézométriques sont issus de projections permettant de visualiser des tendances futures y compris en « fin de siècle », avec le scénario de fortes émissions de gaz à effet de serre RCP 8.5.

Tableau 2

Liste des cultures et des successions de cultures type considérées pour le calcul des bilans hydriques.

List of crops and typical crop successions involved in water balance calculations.

thumbnail Fig. 3

Maille sélectionnée pour extraire les données climatiques nécessaires au calcul des bilans hydriques sur le plateau de Saclay (Capture écran du portail SICLIMA).

Grid cell selected to collect the climatic data needed to calculate water balances for the Plateau de Saclay (SICLIMA portal screenshot).

Tableau 3

Caractéristiques des quatre narratifs retenus pour explorer les tendances d’évolution de la disponibilité de l’eau au piézomètre de Saclay (d’après Marson et al., 2024).

Characteristics of the four storylines selected to analyze trends in water availability at the Saclay piezometer (from Marson et al., 2024).

4 Résultats et analyse

Pour porter un regard sur le présent et le futur, nos résultats sont présentés, et analysés, dans cet ordre : l’état actuel des prélèvements en eau, les évolutions de l’eau nécessaire et de l’eau disponible à l’horizon 2060, et enfin les pistes futures envisagées pour pérenniser la diversification M&L à l’échelle de l’exploitation et du territoire.

4.1 État actuel des prélèvements en eau

Les enquêtes menées ont permis de quantifier les prélèvements d’eau dans notre échantillon. La période d’irrigation s’étale de février/mars à octobre, toutes cultures et tous modes de production confondus, et les périodes critiques correspondent au printemps-été.

La Figure 4 résume nos résultats en termes de volumes maximum et minimum d’eau d’irrigation. Nos enquêtes ont fourni des données annuelles (par année sèche – de faible pluviométrie, et par année humide – de forte pluviométrie selon les agriculteurs interrogés) à l’échelle de l’exploitation et par culture, dont les principales cultures de plein champ : pommes de terre et laitues, et sous abris : tomates, aubergines, poivrons, courgettes, laitues. Ces résultats sont issus des relevés de compteurs d’eau, pour les prélèvements annuels par exploitation, et sur des estimations des agriculteurs de leurs apports en eau par culture. Ces données sont nettement plus précises lorsqu’il s’agit des cultures sous abris 100 % irriguées, que pour des cultures de plein champ.

Si l’on se focalise sur les choix des cultures, un premier raisonnement fait ressortir celles qui consomment le plus d’eau, à savoir les tomates et les aubergines (504 mm). Certaines cultures nécessitent en effet plus d’eau que d’autres. Or, ce raisonnement n’intègre pas plusieurs éléments. Le premier est le nombre de cycles par année, ce qui ferait de la salade la culture la plus consommatrice en eau avec six cycles/an de salades possibles contre un cycle/an de tomates. Le second, la nature même de la diversification M&L qui s’appuie par définition sur une large panoplie d’espèces, à cycles courts et longs, dont toutes sont importantes sans qu’aucune d’entre elles ne soit dominante. Plus le nombre d’espèces cultivées est élevé, plus l’exploitation est résiliente en compensant les pertes et les gains potentiels de rendement pour les différentes espèces. Le troisième est lié aux modes de commercialisation et aux choix des consommateurs : les cultures les plus gourmandes en eau (ex. tomates et salades) sont aussi les plus rentables (à haute valeur ajoutée) pour les agriculteurs, et les plus demandées par les consommateurs. La vente en circuit court (à la ferme, via des AMAP ou à destination de la restauration locale) rend tout aussi indispensable des produits dits d’appel, tels que les pommes de terre ou les carottes, que ceux à haute valeur (économique) ajoutée pour l’agriculteur.

Si l’on se focalise sur les prélèvements annuels d’une exploitation diversifiée, un second raisonnement nous invite à considérer les années sèches et humides, ainsi que les modes de production en plein champ et sous abris. Les exploitations diversifiées ne pratiquent pas toutes les mêmes cultures. Ce second raisonnement rend alors compte des prélèvements d’eau à l’échelle d’une exploitation agricole diversifiée, avec globalement une surface cultivée sous abris d’environ 10 % sur notre échantillon. Nos résultats d’enquêtes montrent que les prélèvements annuels en eau d’une exploitation diversifiée varient entre 3570 m3/ha et 2400 m3/ha – en années sèches – et entre 1250 m3/ha et 1080 m3/ha – en années humides. Les volumes les plus faibles ont été relevés chez les petits maraîchers, pratiquant des paillages organiques et/ou du bâchage plastique sur une grande partie de leurs surfaces cultivées. Le paillage organique permet de réduire d’environ 22 % les besoins en eau par rapport à un sol nu (Nguyen Vien, 2023). Ce profil de petits maraîchers, relativement moins consommateurs en eau, est celui dont le nombre est en forte expansion sur le territoire. Les volumes d’eau les plus élevés sont relevés auprès des exploitations céréalières diversifiées, mécanisées pour la plupart, focalisées sur certaines cultures avec des engagements de volumes de production. Du fait de leurs grandes surfaces, les pratiques de paillage et/ou de bâchage y sont moins importantes. Ces pratiques ont, en effet, des coûts économiques (main-d’œuvre et achat du produit manufacturé) et sociaux (temps/pénibilité de travail) qui font que leur taux de pratique reste inversement proportionnel aux surfaces totales cultivées. Les résultats d’enquêtes restent en dessous des références techniques de la chambre d’agriculture, estimant les besoins annuels d’irrigation à 3000 m3 /ha pour le plein champ et entre 6000 m3/ha et 10 000 m3/ha sous abris (Chambre d’agriculture de Région Île-de-France, 2023). Dans notre échantillon, les volumes d’irrigation les plus élevés ont été enregistrés en 2020, 2019 et 2003 – années jugées les plus sèches – tandis que les volumes les plus faibles ont été enregistrés en 2021, 2016, 2012 et 2007 – années jugées les plus humides. Nos résultats indiquent que les cultures sous abris consomment environ deux fois plus d’eau d’irrigation par unité de surface et pour une même culture, sans distinction entre un mode de production biologique ou conventionnel. Cela correspond aux données des services de l’ARDEPI (Association régionale pour la maîtrise des irrigations), indiquant que l’évapotranspiration sous serre équivaut à plus 80 % de celle en plein champ.

thumbnail Fig. 4

Prélèvements d’eau actuels (par culture et par an) pour les 10 exploitations étudiées.

Current water withdrawal (per crop and per year) for the 10 farms surveyed.

4.2 Eau nécessaire et eau disponible

Concernant l’eau nécessaire, nos résultats indiquent une hausse à l’horizon 2060 des besoins en irrigation. La Figure 5 montre cette tendance à la hausse pour les cultures de tomates, carottes et laitue. Ces trois cultures sont représentatives de trois niveaux de besoins annuels en eau par cycle cultural : niveau élevé (tomates, aubergines, etc.), niveau moyen (carottes, courgettes, poivrons, etc.) et niveau faible (laitues, radis, etc.). Cette hausse est également visible par les courbes de tendances linéaires, sous la forme de lignes droites calculées par Excel avec la méthode des moindres carrés, pour chaque culture (Fig. 5). Toutes cultures confondues, la hausse des besoins en irrigation présente de fortes fluctuations selon qu’il s’agit d’années sèches ou humides. Ce premier angle d’analyse montre que les hausses estimées en besoins d’irrigation sont plus élevées pour les cultures à cycle long. Pour les cultures à cycle court, comme les laitues, si la hausse par cycle est faible (de l’ordre de 0,8 mm/cycle), c’est la multiplication des cycles dans les successions de culture qui fait la demande totale en eau. Pour cela, un second angle d’analyse est possible en se concentrant sur la pente des tendances linéaires (Fig. 5) des besoins moyens par culture et par cycle. À partir de la valeur de la pente des lignes droites (Fig. 5), un résumé des besoins (moyens) additionnels – en supplément par rapport aux besoins actuels en eau – entre l’an 2000 et 2060, et d’ici la fin du siècle, est fourni dans le Tableau 4. Une analyse combinée de la Figure 5 et du Tableau 4 montre qu’une hausse a priori négligeable par cycle de culture et par an, se révèle finalement considérable si l’on raisonne sur le long terme. Dans une exploitation maraîchère diversifiée en plein champ, l’évolution des besoins en eau des différentes cultures aboutit à une hausse importante à l’horizon 2060 et d’ici la fin du siècle sous l’effet du changement climatique.

La Figure 6 présente nos résultats d’estimation des besoins d’irrigation pour les deux successions de cultures types étudiées. En plus des droites représentant les tendances linéaires pour chaque succession de cultures, nous avons renseigné dans la Figure 6 nos données d’enquêtes sur les prélèvements actuels (volume annuel minimal = 108 mm et volume annuel maximal = 357 mm) à l’échelle d’une exploitation diversifiée comme référence pour les besoins futurs. La succession de cultures type 1 marque une hausse prononcée en besoins d’irrigation à l’horizon 2060, notamment parce qu’elle inclut la culture des tomates. La succession de cultures type 2, comptant un plus grand nombre de cultures à cycle court, enregistre une hausse moins élevée. Au regard des données d’enquêtes sur les prélèvements annuels (Fig. 6), la succession de cultures type 2 semble plus proche de nos estimations des besoins futurs d’irrigation chez les exploitations diversifiées. Néanmoins, cette succession de cultures n’inclut pas de cultures gourmandes en eau, telles que les légumes dits « ratatouille » (tomates, aubergines, courgettes, etc.), qui sont aussi fortement pratiquées.

En se concentrant sur les courbes de tendances (Fig. 6) pour les deux successions de cultures, nos estimations indiquent des hausses en besoins (annuels par hectare) d’irrigation qui varient d’environ :

  • 350 mm, en début de siècle à 500 mm en 2060 pour la succession de culture type 1, soit une hausse de 42 % ;

  • 250 mm, en début de siècle, à 350 mm en 2060 pour la succession de culture type 2, soit une hausse de 40 %.

En synthèse, en considérant ces deux successions de cultures comme représentatives des consommations en eau à l’échelle d’une exploitation diversifiée, les besoins en eau d’irrigation risquent d’augmenter d’au moins 40 % en 2060, par rapport aux besoins en 2000.

Concernant l’eau disponible, la Figure 7 permet de visualiser l’évolution des niveaux piézométriques pour chacune des quatre trajectoires climatiques, et donc les tendances futures sur la disponibilité en eau souterraine sur le plateau de Saclay jusqu’en 2060 pour les quatre projections.

Sur deux des quatre narratifs considérés, des tendances à la baisse sont observées pour les niveaux d’eau : le narratif (A) suggère une baisse régulière, tandis qu’une baisse plus prononcée mais moins régulière est projetée avec le narratif (B). Ce narratif est celui considéré dans le calcul des bilans hydriques montrés précédemment. Pour les deux autres narratifs, on observe une quasi-stagnation des niveaux piézométriques pour le narratif (C) voire une légère hausse pour le narratif (D). Il convient de noter que les projections des niveaux piézométriques dans les quatre narratifs sont considérées à prélèvements constants, où seuls les facteurs climatiques sont pris en compte. Les autres facteurs influençant les prélèvements futurs en eau, tels que l’occupation des terres ou la création d’ouvrages de stockage, ne sont pas considérés (Sauquet et al., 2024). Ces résultats montrent les incertitudes qui pèsent sur la ressource en eau sur la partie nord de la France. Notons que l’ensemble des 17 projections de niveaux piézométriques du projet Explore2 n’a pas été examiné et que les résultats ici ne sont que des illustrations qui ne peuvent prétendre correspondre aux situations extrêmes.

Compte tenu de nos résultats sur les hausses projetées en matière d’« eau nécessaire » à l’échelle d’une exploitation diversifiée, un accroissement des prélèvements agricoles est attendu sur le territoire étudié. Les démarches de diversification agricole liée à un ancrage territorial de l’alimentation, visant plus d’exploitations diversifiées et plus de cultures maraîchères et légumières sur le territoire, risquent d’avoir une forte incidence sur les niveaux piézométriques (pression supplémentaire sur des aquifères déjà sollicités), et donc sur la durabilité de la ressource en eau. Ces résultats sur l’évolution future de la demande et de l’offre en eau soulignent, s’il fallait le rappeler, la nécessité de prendre en considération l’enjeu alimentaire au sein des volets agricoles des PTGE.

thumbnail Fig. 5

Besoins en irrigation à l’horizon 2060 (par cycle) pour certaines des cultures étudiées – les tendances indiquées en pointillé sont obtenues par régression linéaire.

Irrigation requirements by 2060 (per cycle) for some of the crops studied − the dotted trends are obtained by linear regression.

Tableau 4

Estimations des besoins (moyens) additionnels en eau d’irrigation pour les 5 cultures considérées.

Estimates of (average) additional irrigation water requirements for the 5 crops considered.

thumbnail Fig. 6

Estimations des besoins d’irrigation pour les deux successions de cultures – les tendances indiquées en pointillé sont obtenues par régression linéaire.

Estimated irrigation requirements for two crop successions − the dotted trends are obtained by linear regression.

thumbnail Fig. 7

Projections des niveaux piézométriques sur la période 2000–2060 selon les quatre narratifs climatiques considérés.

Projected groundwater levels over the period 2000–2060 according to the four climate storylines.

4.3 Pistes d’avenir pour pérenniser les exploitations diversifiées

Nos données d’enquêtes ont également permis de recueillir des données sur les sources d’accès à l’eau et sur les pistes de pérennisation de la diversification M&L à l’échelle des exploitations et du territoire.

Il existe deux sources de prélèvement d’eau pour l’irrigation : les forages et l’eau superficielle. Les forages sont actuellement la principale source d’eau pour l’irrigation sur notre échantillon, à une exception près d’un prélèvement en eau superficielle. L’eau de ville est utilisée de façon provisoire, dans l’attente de l’octroi du droit de forage par les services de l’État. Le captage des eaux souterraines est considéré par les agriculteurs comme indispensable pour l’installation d’un (nouveau) maraîcher ou pour une diversification chez des céréaliers déjà en place, sans adaptation importante des rotations, des cycles, des cultures et des pratiques. Il faut compter un forage pour 20 ha de surface cultivée selon nos enquêtes. Parallèlement à cet accès par forage, plus de la moitié de notre échantillon dispose de réserves, bassins ou mares, avec des capacités variables selon la taille des exploitations. Ces stockages d’eau de pluie et/ou d’eau souterraine jouent le rôle de relais, pour que l’eau pompée soit mise à température ambiante et ensuite disponible pour arroser plusieurs parcelles à la fois, mais aussi un rôle de réserve en cas de manque d’eau aux périodes critiques printemps-été.

En se projetant dans l’avenir, nos résultats d’enquêtes font mention d’une liste de priorités chez les exploitations diversifiées (Fig. 8). L’aménagement de réserves individuelles d’eau vient en tête de liste. Ces réserves (ou bassins) sont destinées au stockage de l’eau de pluie principalement, de l’eau jugée « en excès pendant l’hiver » et de l’eau souterraine, secondairement. L’eau est considérée comme un facteur de production, nécessaire pour cette diversification agricole, et un facteur d’adaptation car l’irrigation permet de lutter contre des températures excessives, qu’elles soient très élevées (canicules) ou très basses (gelées sévères) (Touili et al., 2024a). Dans l’hypothèse où l’eau viendrait à manquer, la priorité, selon les agriculteurs, pour maintenir les productions serait l’aménagement de nouvelles réserves d’eau avec des volumes allant jusqu’à 10 000 m3 chez les gros producteurs. L’introduction de (nouvelles) cultures, les pratiques culturales et l’adaptation variétale viennent en deuxième position comme solutions adaptatives. Notons que l’efficience des modes d’irrigation ne figure qu’en quatrième position : la combinaison sur l’exploitation entre aspersion et goutte-à-goutte est jugée plus adaptée qu’un 100 % en goutte-à-goutte. En bas de l’échelle des priorités figurent l’abandon de cultures, la réduction des surfaces cultivées ou encore le décalage des calendriers culturaux pour éviter les périodes les plus sèches.

thumbnail Fig. 8

Ordre des priorités pour pérenniser la diversification maraîchage-légumes.

Order of priorities for sustaining market-gardening/vegetables diversification.

5 Discussion

Notre analyse des données met en évidence trois principaux résultats.

Le premier résultat nous confirme que l’eau est un enjeu clef dans les démarches de diversifications M&L. L’accès à l’eau, notamment au moyen d’un forage, apparaît comme une condition présente et future pour permettre cette diversification, principale composante de la relocalisation territoriale de l’alimentation. Ce résultat est particulièrement important au regard de la démultiplication des PAT visant à promouvoir l’approvisionnement local de la restauration collective. Ce débouché, qui exige un approvisionnement stable en volumes importants de production, impliquerait un accroissement des volumes en eau qu’il conviendrait d’anticiper. Des solutions alternatives à l’irrigation ne sont pas mises en avant dans notre enquête.

Le deuxième résultat indique un fort enjeu de raréfaction de la ressource en eau dans l’avenir. Ce résultat découle des tendances futures qui sont prévues à la hausse pour l’eau nécessaire (besoins d’irrigation), tandis que des tendances à la baisse sont potentiellement projetées pour l’eau disponible (eau souterraine) pour l’irrigation. Un déséquilibre apparaît entre l’eau nécessaire (demande ou besoins) et celle disponible (offre) à l’échelle d’une exploitation et du territoire. Il ne s’agit pas d’un phénomène purement climatique puisque ce déséquilibre est conditionné aussi par des choix de cultures, des périodes de prélèvement et des pratiques culturales. Ce résultat s’avère donc précieux à deux niveaux : social, car les choix des cultures, notamment celles qui sont gourmandes en eau, ne font que répondre à une logique de marché pour satisfaire une demande locale ; et politique, car la volonté d’une résilience alimentaire à travers la re-territorialisation de l’alimentation risque de se heurter à des impératifs de durabilité (préservation des ressources en eau).

Le troisième résultat se trouve dans la priorité accordée au stockage (individuel) de l’eau, comme solution pour pérenniser la diversification M&L. La question des bassines et du modèle d’agriculture qu’elles servent fait aujourd’hui l’objet de nombreuses polémiques. Dans le cas étudié, il ne s’agit pas de bassines mais de petites réserves de stockage d’eau pluviale principalement. Néanmoins, il reste intéressant de comprendre pourquoi ce choix est une priorité absolue identifiée par l’échantillon interrogé, et surtout pensé en individuel. Le principe même du stockage de l’eau mérite d’être repensé selon l’agriculture qu’elle sert, à savoir une agriculture diversifiée pour une alimentation locale.

5.1 L’eau : levier d’une agriculture diversifiée et d’une alimentation locale

Dans son aspect quantitatif, l’eau agricole n’est un sujet d’actualité que lorsqu’il s’agit d’extrêmes climatiques : sécheresses ou inondations. Nos résultats font apparaître l’eau comme un sujet d’actualité dans le cadre des transitions alimentaires. Au-delà du facteur (aggravant) du climat, c’est bien le vecteur alimentaire, et ses implications pour le secteur agricole, qui soulève la question de l’eau. Sans changement de pratiques, la diversification M&L, requise pour un approvisionnement alimentaire local, s’accompagne d’un accroissement des besoins en eau nécessaires à sa viabilité, que des changements de pratiques (mulchs, efficiences des systèmes d’irrigation, etc.) peuvent limiter mais non annihiler. Ces (nouveaux) usages agricoles de l’eau pour des filières alimentaires courtes et de proximité – encouragées par les acteurs des PAT (collectivités territoriales, associations locales, chambres d’agricultures, etc.) comme les autres usages – sont appelés à nourrir les prospectives sur l’eau au sein des PTGE.

Aujourd’hui, c’est l’absence régionale de productions légumières de demi-gros qui empêche un approvisionnement croissant, en produits locaux de qualité, en toute saison, de la restauration collective (Nougarèdes et al., 2022 ; Bavec et al., 2025). Ce débouché principal de la relocalisation territoriale de l’alimentation s’avère relativement coûteux en eau, et mérite d’être anticipé par une stratégie durable d’accès à l’eau sur des échelles pertinentes à l’interface entre les échelles des bassins pour le PTGE et les échelles, plus locales, de l’approvisionnement alimentaire pour le PAT. L’exigence de régularité dans le rendement et de qualité des productions incitent les agriculteurs à s’équiper en irrigation, notamment pour certaines productions sous contrat (Brun et al., 2006). Garantir le présent et le futur des diversifications M&L revient à garantir l’accès à l’eau d’irrigation. Toutefois, on manque aujourd’hui de données, par exemple sur l’équivalent « eau » pour les besoins alimentaires de la restauration collective. Quel est l’équivalent en eau, par exemple, d’un repas « type » d’une cantine scolaire ? Cela interpelle les actions menées dans les PAT et dont 60 % sont dédiées au secteur agricole (Nougarèdes et al., 2022). Cela sous-entend d’inscrire la problématique de l’eau dans toutes ces stratégies alimentaires à l’échelle régionale comme nationale. Les initiatives actuelles de diversifications agricoles pour répondre à une hausse de la demande en produits locaux vont accroître de fait la SAU irriguée, même à SAU totale constante.

5.2 L’eau : un enjeu de raréfaction entre projet politique et attentes sociétales

L’enjeu de la raréfaction de l’eau mérite d’être contextualisé à l’interface entre le projet politique et les attentes sociétales. Celles-ci interviennent au titre des « produits d’intérêt territorial » influençant les productions locales par l’aval. Sans changement de pratiques agricoles mais surtout de choix alimentaires, produire (pour consommer) localement impliquerait une hausse des besoins en eau à l’échelle de l’exploitation et du territoire. Cet enjeu de raréfaction de l’eau est lié au projet politique d’une agriculture de plus en plus diversifiée mais aussi aux choix alimentaires. S’agissant d’un rapport entre les deux variables que sont l’eau nécessaire et celle disponible, c’est donc aussi sur la première qu’il conviendrait d’agir. Les choix alimentaires sont tout aussi prégnants puisqu’ils dictent les choix des agriculteurs pour cultiver tel ou tel produit agricole. Nos résultats d’enquêtes montrent que le choix de cultures moins gourmandes en eau, comme le choix des concombres au lieu des salades, est contraint par le marché local et la demande des consommateurs. Il en va de même pour les productions sous abris qui se développent, alors qu’elles sont deux fois plus consommatrices en eau par culture et par unité de surface, afin de satisfaire des critères de précocité et d’allongement de la durée d’approvisionnement en produits dans un marché local désormais ouvert à la concurrence nationale et internationale. Si le projet politique d’un ancrage territorial de l’alimentation vient appuyer une forte demande sociale en produits locaux, « consommer local » ne signifie-t-il pas aussi s’adapter à ce qu’on peut localement produire ? Quelle sont les marges de manœuvre de la société pour accompagner des choix plus écologiques, moins gourmands en eau, à l’échelle des exploitations diversifiées ?

5.3 L’eau : du forage au stockage

Si le présent de la diversification dépend de l’accès à l’eau, son avenir pourrait de plus en plus dépendre des capacités du stockage de cette ressource. Les forages, qui sont aujourd’hui le mode d’accès privilégié sur le territoire étudié, répondent à des exigences d’autonomie en eau à l’échelle des exploitations agricoles qui, au sein d’un territoire agri-urbain, sont souvent trop éloignées les unes des autres pour entrevoir un usage collectif de l’eau. Cet aspect individuel est également présent lorsqu’il s’agit du stockage d’eau désigné comme la piste prioritaire de pérennisation des exploitations diversifiées.

Il est aussi important de s’intéresser à ce qui motive le choix du stockage de l’eau qu’à ce qui ne motive pas les autres pistes envisagées. Certes, le choix du stockage de l’eau est motivé par l’évolution du climat. Le stockage de l’eau pluviale apparaît comme un moyen de gérer durablement les extrêmes de manque ou d’excès en eau. L’exemple récent des contrastes pluviométriques entre l’année (sèche) 2022 et les années suivantes (très humides) 2023 et 2024 pourrait inciter à stocker les excédents d’eau de pluie en vue d’une gestion efficace entre hivers et étés et entre années humides et années sèches. Néanmoins la gestion interannuelle des stockages est irréaliste pour des sécheresses pluriannuelles. Les volumes d’eau stockés, quel qu’en soit l’usage, privent les cours d’eau et les sols d’une part des précipitations. Pour qu’une stratégie de stockage soit durable, il convient donc d’évaluer économiquement et écologiquement, sur des échelles pluriannuelles au sein du PTGE, les incidences des volumes stockés, d’une part, sur les débits d’eau de surface et les niveaux d’étiages et, d’autre part, sur la recharge de la nappe d’eau souterraine.

La variabilité intra et interannuelle n’explique cependant que partiellement le choix du stockage de l’eau chez les agriculteurs interrogés. Ce choix s’explique aussi par la non-pertinence des pistes alternatives pour garantir une plus grande disponibilité et stabilité des approvisionnements en produits locaux : les pratiques culturales de paillage et de bâchage sont limitées par la taille des surfaces cultivées et les coûts socio-économiques qu’elles engendrent, les modes d’irrigation en place sont déjà assez efficients et les adaptations variétales, si performantes soient-elles, ne permettront pas de produire sans eau. Une autre piste, encore peu explorée, concerne la REUT (Réutilisation des eaux usées traitées). Le territoire du PAT compte un seul exemple de REUT reliant la station d’épuration « Carré de Réunion » de la plaine de Versailles et la ferme de Gally. Cette solution pourrait être appliquée aux territoires agri-urbains où la proximité géographique entre différents usagers (agriculteurs, industriels, collectivités, centre de loisirs, parcs, etc.) favorise des usages collectifs de l’eau. Toutefois, l’usage agricole de cette eau non conventionnelle reste complexe, avec des réglementations strictes à respecter sur le plan sanitaire et environnemental, et coûteux, avec un investissement économique important en comparaison avec les coûts des forages ou des petites réserves. Dans un contexte de pression croissante sur la ressource, la REUT constitue une solution d’économie circulaire qui réduit les prélèvements, localement. Si elle venait à se multiplier, cette solution présente des risques d’altération qui ne se limitent pas à l’échelle locale. En fonction de la contribution des stations d’épuration aux débits d’étiages, les quantités d’eau retenues et réutilisées dans le petit cycle de l’eau de la REUT présentent des risques de baisse des débits des cours d’eau, en périodes de basses eaux. Sur le plan quantitatif, ces risques limiteraient les possibilités de réutilisation en période estivale de l’eau non conventionnelle, en l’absence de stockage hivernal. Il convient donc d’évaluer les incidences des projets REUT sur les milieux naturels, les zones humides ou d’autres aménagements (par exemple les haies), tel que prévu dans le cadre des PTGE. Ces derniers sont appropriés pour anticiper des conflits d’usages potentiels en amont et en aval des projets de REUT qui, du strict point de vue agricole, représentent une solution locale a priori pertinente pour les PAT. À la différence de la vocation purement agricole des projets de stockage des eaux pluviales, les projets de REUT ont une vocation multi-acteurs et multi-usages (urbains, agricoles, industriels, loisirs, etc.), laquelle pose un défi de gouvernance pour les PTGE.

En plus d’un accès au forage, le stockage de l’eau pluviale a pour vocation de dissocier les productions (et les rendements) du climat. Comme pour les abris climatiques (serres et tunnels), les réserves d’eau offrent un moyen de maîtriser (relativement) le climat – en contrôlant les volumes et les périodes d’apport d’eau – plutôt que de s’y adapter par l’abandon/l’introduction de certaines cultures ou la modification des calendriers culturaux. Les meilleurs rendements, selon nos enquêtes, ne correspondent pas à des années humides mais plutôt à des années sèches à condition de pouvoir irriguer en temps voulu et sans restriction d’usage. La période agricole la plus critique, fin du printemps-été, est également celle où l’eau risque de manquer pour des contraintes physiques (faible pluviométrie) et réglementaires (arrêtés préfectoraux). Le stockage d’eau est un filet de sécurité lié notamment à l’objectif d’approvisionnement de la restauration collective : un manque d’eau se traduit par des produits de petits calibres non conformes aux référentiels techniques des cuisines centrales. Le stockage de l’eau permettrait ainsi une production en quantités plus assurées, plus régulières dans le temps, et avec des calibres correspondant à la demande. Cette solution qui reste tributaire des aléas climatiques ne peut pas être le seul levier à activer. D’autres réflexions pourraient être engagées, par exemple sur les exigences du calibrage imposé par la restauration collective.

6 Conclusion

Ce travail a permis de relier l’enjeu d’une agriculture diversifiée pour une alimentation locale avec celui de la gestion quantitative de l’eau. Accompagner la diversification maraîchère et légumière nécessite un accès à l’eau, et la pérenniser nécessiterait un surplus d’eau et surtout un accès régulier à celle-ci pour garantir un approvisionnement croissant et continu en produits locaux. L’eau représente donc un enjeu majeur pour les systèmes alimentaires territorialisés, et plus largement pour la stratégie nationale d’une souveraineté alimentaire. Nos conclusions méritent cependant d’être replacées dans le cadre de notre démarche méthodologique et des résultats qui en découlent.

Notre démarche méthodologique présente l’intérêt d’être reproductible sur d’autres sites d’études pour ainsi l’enrichir des retours d’expériences. Notre questionnaire d’enquête sur les prélèvements d’eau aurait pu intégrer des raisonnements plus pertinents les reliant à la dimension alimentaire, tels que les volumes d’eau par kilo produit ou par panier de produits commercialisés. Pour notre démarche prospective, le choix du scénario d’émission RCP 8.5 est susceptible d’influencer nos résultats sur l’« eau nécessaire » par cultures et par successions de cultures, à l’horizon 2060. Ces résultats doivent donc être analysés dans le cadre des choix opérés ici et être approfondis en déployant d’autres modèles et scénarios d’émission sur d’autres territoires. Notre démarche a gagné en complétude grâce aux données du projet Explore2, récemment mises en ligne en 2024. Notre choix limité à l’an 2060, comme horizon final pertinent pour se projeter sur une génération agricole, ne permet pas de visualiser certaines tendances marquées de l’eau disponible en fin du siècle. Le choix des quatre narratifs climatiques illustre les incertitudes irréductibles sur les futurs de l’eau. Comment les démarches participatives prévues dans le cadre des PTGE vont-elles interpréter ces incertitudes futures sur l’eau disponible et ainsi définir des volumes prélevables qui risquent d’influencer l’avenir des projets de diversifications agricoles au sein des PAT ? La connexion entre PTGE et PAT n’inciterait-elle pas à revoir la territorialité de ces derniers sur des échelles plus larges ? À ce titre, l’initiative récente de l’association AgriParis Seine (projet « Seine nourricière ») en est un exemple au niveau inter-régional, visant la structuration des filières agricoles pour une alimentation locale (notamment la restauration collective) autour du bassin de la Seine, du nord de l’Yonne au Havre.

Les résultats de ce travail invitent à faire converger les démarches des PAT avec les PTGE pour construire des territoires durables tant sur le plan alimentaire que pour celui de la gestion de l’eau. Nos résultats qui indiquent, certes, de fortes probabilités de hausse des besoins en eau restent à approfondir pour apporter une réponse précise à la question : aura-t-on assez d’eau pour pérenniser la diversification M&L sur notre territoire d’étude ? Une des voies d’approfondissement de nos résultats passera par l’intégration de prélèvements variables dans le temps (et non de prélèvements constants comme c’est le cas aujourd’hui) dans les données de simulation des niveaux d’eau souterraine. Cela devrait permettre d’évaluer, avec plus de précision et sur des échelles pluriannuelles, conjointement des scénarios futurs d’évolutions de la demande (hypothèses de prélèvements en eau sous une amplification des diversifications) et de l’offre en eau (hypothèses de capacités de remplissages des réserves en cas de successions de plusieurs années sèches).

Nos résultats sont liés au contexte agri-urbain marqué par l’usage agricole de l’eau souterraine. Les territoires à risques de tensions / conflits sur l’eau ne sont pas seulement ceux où le climat impacterait la disponibilité de l’eau mais aussi ceux où de nouveaux usages agricoles, visant à relocaliser l’agriculture et l’alimentation, risqueraient d’exercer de fortes pressions sur l’eau. Dans notre cas d’étude, la proximité des bassins de consommation est un atout pour l’aspect alimentaire mais aussi une source potentielle de tensions / conflits autour de l’eau entre des usages multiples : agricoles, domestiques, industriels et de loisirs (golfs, etc.). La recherche de solutions alternatives a déjà fait l’objet du projet de l’usage de l’eau non conventionnelle, avec le projet de REUT déjà en place sur la plaine de Versailles. Un nouveau projet est actuellement en cours de réflexion, à la suite d’une étude d’opportunité réalisée en 2025, pour examiner plusieurs scénarios de REUT associant divers usagers du Plateau de Saclay, de la Plaine de Versailles et du Plateau des Alluets, situé à environ 15 km à l’ouest de Saint-Germain-en-Laye dans les Yvelines. Les précipitations records de l’année 2024 ont relancé, lors de la journée annuelle du VivAgriLab en 2025, le stockage des eaux des crues et de drainage comme une solution souhaitée par les acteurs pour l’irrigation et pour la protection des villes contre les inondations. La solution de la REUT tout comme celle du stockage de l’eau pluviale suscitent cependant des interrogations quant à leur durabilité.

En outre, la dynamique actuelle de la diversification M&L n’exclut pas l’émergence de nouvelles diversifications à l’échelle francilienne. En parallèle avec l’enjeu alimentaire, les territoires connaissent des diversifications agricoles pour produire de la biomasse pour l’énergie renouvelable. À la suite du plan Énergie méthanisation autonomie azote (EMAA) de 2012, de nombreux territoires observent des démarches de méthanisation, appuyées par l’État et les collectivités locales (Bourdin, 2020). À l’échelle du PAT, le méthaniseur de la ferme expérimentale de Grignon (Carton et al., 2022) est un exemple de l’émergence de cette filière « énergie verte ». En Île-de-France, cet enjeu énergétique représente un (nouvel) usage agricole de l’eau sur des territoires labélisés « Territoire engagé gaz vert » par GRDF (Gaz Réseau Distribution France). Pour la gestion quantitative de l’eau, ces évolutions dans les usages sont importantes pour deux raisons : la première, la concurrence pour l’eau entre des filières alimentaires et énergétiques au sein des territoires ; la seconde, le développement des cultures énergétiques sur des territoires parfois à faibles équilibres quantitatifs comme c’est le cas dans l’est francilien sur une partie de la nappe de Champigny. Ce territoire a l’objectif de construire, d’ici 2030, un véritable système énergétique territorialisé. Cela ouvre une piste de recherche sur le nexus eau-alimentation-énergie avec l’eau comme dénominateur commun des transitions alimentaire et énergétique. Dans l’hypothèse d’une raréfaction de l’eau, quels arbitrages y aurait-il entre des projets territorialisés à des fins alimentaires ou énergétiques ?

Nos résultats ne sont pas forcément généralisables à d’autres territoires où des prélèvements d’eau superficielle sont soumis à d’autres enjeux, tels que la préservation de la biodiversité. Il serait néanmoins intéressant de produire des indicateurs « systèmes de culture – eau nécessaire – eau disponible » afin d’éclairer la prise de décision aux niveaux régional ou national. Que peut-on désormais produire à l’avenir, avec quelles eaux (souterraines, superficielles ou non conventionnelles), et sur quelles échelles territoriales pertinentes ? De tels indicateurs seraient utiles pour gouverner la transition alimentaire tant en aval, lors de l’émergence des PAT par les acteurs locaux, qu’en amont, lors de la définition des objectifs de la Loi Egalim. Ce travail plaide pour que la gestion quantitative de l’eau au sein des PTGE soit dorénavant systématiquement anticipée dans les réflexions menées dans les PAT et la stratégie nationale de souveraineté alimentaire.

Remerciements

Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet ClimaLeg-Eau, financé par la Région Île-de-France (Plan France Relance 2022) et par le Centre d’études interdisciplinaires sur la biodiversité, l’agroécologie, la société et le climat (C-BASC) de l’Université Paris-Saclay. Nous tenons à remercier tous les agriculteurs interrogés dans le cadre de ce travail.

Références

Citation de l’article : Touili N, Hochereau F, Aubry C, Personne E, Sauquet E. 2025. Aura-t-on assez d’eau pour pérenniser l’ancrage territorial de l’alimentation ? Une étude de cas sur la diversification maraîchère et légumière en région parisienne, France. Cah. Agric. 34: 27. https://doi.org/10.1051/cagri/2025026

Liste des tableaux

Tableau 1

Profils des exploitations diversifiées concernées par nos enquêtes.

Profiles of the diversified farms covered by our surveys.

Tableau 2

Liste des cultures et des successions de cultures type considérées pour le calcul des bilans hydriques.

List of crops and typical crop successions involved in water balance calculations.

Tableau 3

Caractéristiques des quatre narratifs retenus pour explorer les tendances d’évolution de la disponibilité de l’eau au piézomètre de Saclay (d’après Marson et al., 2024).

Characteristics of the four storylines selected to analyze trends in water availability at the Saclay piezometer (from Marson et al., 2024).

Tableau 4

Estimations des besoins (moyens) additionnels en eau d’irrigation pour les 5 cultures considérées.

Estimates of (average) additional irrigation water requirements for the 5 crops considered.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Périmètre du PAT dans le sud-ouest francilien (Terre & Cité, 2023).

PAT perimeter in south-west Ile-de-France (Terre & Cité, 2023).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Synopsis des démarches de collecte des données.

Synopsis of the data collection process.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Maille sélectionnée pour extraire les données climatiques nécessaires au calcul des bilans hydriques sur le plateau de Saclay (Capture écran du portail SICLIMA).

Grid cell selected to collect the climatic data needed to calculate water balances for the Plateau de Saclay (SICLIMA portal screenshot).

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Prélèvements d’eau actuels (par culture et par an) pour les 10 exploitations étudiées.

Current water withdrawal (per crop and per year) for the 10 farms surveyed.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Besoins en irrigation à l’horizon 2060 (par cycle) pour certaines des cultures étudiées – les tendances indiquées en pointillé sont obtenues par régression linéaire.

Irrigation requirements by 2060 (per cycle) for some of the crops studied − the dotted trends are obtained by linear regression.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Estimations des besoins d’irrigation pour les deux successions de cultures – les tendances indiquées en pointillé sont obtenues par régression linéaire.

Estimated irrigation requirements for two crop successions − the dotted trends are obtained by linear regression.

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thumbnail Fig. 7

Projections des niveaux piézométriques sur la période 2000–2060 selon les quatre narratifs climatiques considérés.

Projected groundwater levels over the period 2000–2060 according to the four climate storylines.

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thumbnail Fig. 8

Ordre des priorités pour pérenniser la diversification maraîchage-légumes.

Order of priorities for sustaining market-gardening/vegetables diversification.

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