Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 32, 2023
Numéro d'article 27
Nombre de pages 10
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2023020
Publié en ligne 26 octobre 2023

© J. Jules et al., Hosted by EDP Sciences 2023

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

Le climat est en train de changer partout dans le monde et plus rapidement que prévu (IPCC, 2021a, 2021b).

Les projections de changement climatique pour les zones insulaires de la Caraïbe prévoient une augmentation des températures, de l’intensité des cyclones et de l’occurrence des sécheresses prolongées (IPCC, 2021a, 2021b), avec des conséquences négatives pour l’agriculture haïtienne qui compte environ un million de petites exploitations agricoles (MARNDR, 2012). À l’horizon 2021–2040, une augmentation de 1,5 degré de la température globale va impacter les systèmes naturels et anthropisés, en particulier dans les zones hautement vulnérables telles que Haïti (IPCC, 2022). Haïti fait partie des trois pays déjà les plus affectés par les risques climatiques sur la période allant de 2000 à 2019 (Eckstein et al., 2021). Un des défis pour la recherche et le développement en Haïti est donc d’aider les producteurs à concevoir des stratégies innovantes à court terme pour faire face au changement climatique.

La « co-conception » de systèmes agricoles innovants désigne un processus visant à concevoir de nouvelles stratégies, pratiques, systèmes de cultures ou d’élevage, permettant à l’agriculteur et sa famille de faire face à des défis multiples (Meynard et al., 2012). Dans ce processus, agriculteurs, chercheurs et d’autres parties prenantes utilisent des démarches méthodologiques variées telles que des ateliers multi-acteurs, le prototypage participatif, la simulation via des modèles numériques (Le Gal et al., 2011 ; Périnelle et al., 2021 ; Jeuffroy et al., 2022). Dans ce dernier cas, la simulation est utilisée pour comparer ex-ante les performances de différentes alternatives par rapport à une situation initiale. Ces alternatives sont celles souhaitées par les agriculteurs, le rôle du chercheur étant alors d’outiller le processus en adaptant ou développant les modèles utilisés. Il existe relativement peu de démarches de co-conception de systèmes de production innovants appliquées aux enjeux du changement climatique (Schaap et al., 2013 ; Andrieu et al., 2019 ; Naulleau et al., 2022). Dans les approches existantes, la simulation est utilisée pour explorer avec les producteurs différentes stratégies sous différents scénarios de changement climatique ou pour évaluer si ces stratégies améliorent les capacités d’adaptation des exploitations. Dans ces démarches, les solutions explorées sont situées et correspondent aux attentes et contraintes spécifiques des producteurs. Dans des contextes caractérisés par une forte vulnérabilité socio-économique des exploitations, un des défis est de combiner les attentes des producteurs en termes de couverture des besoins immédiats de leur famille avec les enjeux du changement climatique.

L’objectif de cette étude était d’analyser la pertinence d’une démarche de co-conception de stratégies d’adaptation des exploitations agricoles au changement climatique dans une zone hautement vulnérable telle que Haïti.

L’étude a été menée à Saint-Michel-de-l’Attalaye. La démarche passe par un diagnostic du fonctionnement et des performances technico-économiques des exploitations, puis par l’exploration de stratégies d’adaptation pensées par les producteurs eux-mêmes. Nous discutons ensuite de la contribution de cette étude aux démarches de co-conception de systèmes innovants pour faire face au changement climatique dans des zones hautement vulnérables.

2 Matériels et méthodes

2.1 Zone d’étude

L’étude a été réalisée à Saint-Michel-de-l’Attalaye, commune du département de l’Artibonite d’Haïti. Avec une superficie de 613,74 km2, c’est l’une des communes les plus vastes de la République d’Haïti (IHSI, 2009). Elle est majoritairement rurale et présente des hétérogénéités physiques remarquables (Paul et al., 2021).

Le climat dominant, de type tropical, est, selon la classification de Köppen, un climat de savane avec hiver sec. La température et la pluviométrie annuelles moyennes sont respectivement de l’ordre de 23 °C et de 1298 mm (Climate Data, 2021). Il y existe trois cours d’eau permanents qui s’écoulent du nord au sud à Saint-Michel-de-l’Attalaye (Paul et al., 2021). Mais, malgré leur présence, la commune est dépourvue de système d’irrigation. La population totale de Saint Michel de l’Attalaye est estimée à 136 876 habitants, avec 41,5 % de la population âgée de moins de 15 ans, 53 % âgée de 15 à 64 ans et 5,5 % âgée de 65 ans et plus (IHSI, 2009). La densité démographique est de 245 habitants/km2.

L’économie repose sur l’agriculture et l’élevage (MARNDR, 2012). Des enquêtes menées auprès de 393 exploitations, suivies d’une analyse en composantes principales et d’une analyse des clusters, ont permis d’identifier trois grands types de producteurs en fonction de l’adoption de pratiques innovantes en lien ou non avec le changement climatique (Paul et al., 2021), une pratique pouvant être innovante dans un contexte donné alors qu’elle est couramment mise en œuvre dans un autre.

Type 1 ‒ Des exploitants proactifs qui innovent pour faire face à des irrégularités des pluies et des sécheresses prolongées. Les innovations observées sont : l’adaptation de la densité de semis, la mise en place de structures antiérosives (rampes), le ramassage de fumier animal provenant des lieux de parcage des animaux et la production de compost à partir des résidus de culture et des déjections animales. Il y a, en outre, l’abandon de certaines cultures (haricot) au profit de cultures telles que le pois Congo, la canne à sucre, ou le maïs à cycle court. La superficie moyenne de ces exploitations est de 3 ha. Certains des exploitants de ce type ont l’habitude de participer à des séminaires de formation sur l’agriculture. Ce sont pour la plupart des délégués d’associations d’agriculteurs et des bénéficiaires directs de projet. Ils commencent progressivement à planter des arbres sur leurs parcelles.

Type 2 ‒ Des exploitants confrontés à des irrégularités des pluies et des sécheresses prolongées, mais qui innovent plutôt pour améliorer des sols dégradés. Beaucoup de ces exploitations sont en zone de pente et les sols se dégradent facilement. La canne à sucre est largement cultivée, notamment sur les pentes. Les agriculteurs aménagent leurs parcelles avec des structures antiérosives : rampes, murettes en pierre et canaux de contour. La superficie moyenne de ces exploitations est de 1,5 ha.

Type 3 ‒ Des exploitants agricoles dont les systèmes de production reposent traditionnellement sur la combinaison de systèmes de culture et d’élevage, et qui tendent à se diversifier davantage avec le changement climatique (principalement la sécheresse). Ces exploitations ont des superficies supérieures ou égales à 2 ha, avec le plus grand nombre de parcelles par exploitation. Les agriculteurs adaptent la densité de semis en diminuant le nombre de grains par poquet. Ils produisent du compost, épandent de la cendre de bois sur les parcelles et ajoutent d’autres cultures dans les associations culturales. L’entraide est très forte dans ce groupe.

2.2 Démarche méthodologique

La démarche méthodologique s’est déroulée en deux étapes :

  • le diagnostic du fonctionnement et des performances initiales d’exploitations représentatives des différents types rencontrés dans la zone ;

  • la co-conception de stratégies d’adaptation avec les producteurs.

2.2.1 Diagnostic des performances technico-économiques des exploitations de la zone

Nous avons réalisé des enquêtes directives auprès d’un échantillon de 24 agriculteurs (8 agriculteurs par type). Les 8 exploitations par type ont été sélectionnées au hasard dans la base de données de 393 exploitations ayant permis de construire la typologie (Sect. 2.1). Puis, nous avons confirmé leur disponibilité et consentement pour l’étude. Le guide d’enquête comprenait plusieurs modules (Tab. 1).

Pour traiter les données d’enquête, nous avons utilisé un outil de simulation de fonctionnement de l’exploitation agricole développé en Guadeloupe (Rasse, 2017), que nous avons adapté au contexte haïtien. Cet outil développé sous Excel vise à calculer différents indicateurs technico-économiques (production de biomasse, couverture des besoins caloriques du ménage, valeur ajoutée brute-VAB, revenu) et environnementaux (indice de fréquence de traitements phytosanitaires-IFT, efficience azotée, émissions de CO2-équivalent), en vue d’évaluer les performances multiples associées à différents changements possibles (introduction d’un nouveau système de culture ou d’élevage, d’une nouvelle pratique, d’un changement de surface ou d’effectifs des animaux) au sein d’une exploitation agricole (Rasse, 2017). La plus petite échelle considérée dans l’outil est celle des systèmes de culture et d’élevage. L’utilisateur doit donc rentrer les données décrivant les surfaces et les effectifs, les quantités d’intrants et les coûts associés à chacun des systèmes de culture et d’élevage présents sur l’exploitation. Des paramètres par défaut issus de la littérature sont associés à chacun de ces systèmes de culture et d’élevage (valeur calorique des productions animales et végétales, besoin azoté, matière sèche, etc.). La couverture des besoins caloriques et le revenu sont des indicateurs pouvant être utilisés pour évaluer les stratégies d’adaptation au changement climatique (Osorio-García et al., 2020). Les émissions peuvent en revanche être un indicateur de mal-adaptation. Trois principaux indicateurs calculés par l’outil ont ainsi été utilisés pour évaluer les performances des exploitations :

  • la couverture des besoins caloriques du ménage (RecBesM) ;

  • le revenu agricole ;

  • les émissions de gaz à effet de serre.

La couverture des besoins caloriques du ménage permet de calculer la part des besoins caloriques du ménage couverte par la production de l’exploitation, elle est calculée par la formule suivante :

RecBesM=produits  des   systèmes   de   culture   et   d'élevage   autoconsommés  (Kcal)besoin   total   du   ménage  (Kcal)×100.

À Saint-Michel-de-l’Attalaye, l’agriculture est essentiellement une agriculture familiale de subsistance, le calcul de cet indicateur s’est basé uniquement sur les cultures autoconsommées, car les producteurs n’étaient pas en mesure de fournir des données précises pour les produits animaux auto-consommés.

Le revenu agricole concerne le revenu total généré par l’exploitation après avoir enlevé toutes les dépenses du produit brut total.

Revenu   agricole=Produit   brut   total   des   systèmes   de   culture   et   d’élevagecharges   intermédiairesamortissementco ût   total   de   main‐d’œuvre

Les émissions liées à l’épandage d’engrais minéraux ou organiques, l’utilisation de carburant, les émissions entériques des animaux, ainsi que celles liées à la valorisation de leurs déjections sont calculées. Les calculs sont basés sur les équations suggérées par le GIEC pour le « tier 1 » (les équations détaillées sont dans IPCC, 2006, 2021a et 2021b).

À Saint-Michel-de-l’Attalaye, les exploitations ne sont pas motorisées ; il n’y a pas eu d’épandage d’engrais minéral sur les parcelles au cours de l’année des enquêtes. Par conséquent, l’évaluation des émissions (en CO2 équivalent) s’est basée sur le nombre d’animaux présents sur les exploitations, notamment le nombre de bovins.

Pour adapter l’outil au cas d’étude haïtien, nous avons considéré de nouvelles cultures telles que le pois Congo (Cajanus cajan), le maïs (Zea mays), le riz (Oriza sativa), etc. Pour chacune de ces cultures, nous avons dû renseigner les paramètres suivants : rendement, valeur calorique, matière azotée totale et matière sèche en nous basant sur la bibliographie (USDA-Food, sd). Nous avons converti les unités de mesure utilisées par les agriculteurs (sacs, marmites) à celles utilisées dans l’outil grâce à une base de données de la sous-structure agricole et informatique du Ministère de l’agriculture (2022).

Les données de chaque exploitation ont été entrées dans l’outil. Ainsi, 24 fichiers de simulation ont été construits. Des tests de normalité des données (Shapiro-Wilk normality test), d’homogénéité des variances (Levene test of homogeneity of variances en cas de test de normalité inférieur à 0,05 ou Barlett test dans le cas contraire), puis des analyses de variance (ANOVA) ont été réalisés sous R afin d’identifier si les différences observées entre types sur les indicateurs obtenus pour les 24 exploitations étaient significatives.

Tableau 1

Liste des variables clés collectées lors des enquêtes.

List of key variables collected during surveys.

2.2.2 Co-conception des stratégies

La co-conception des stratégies d’adaptation a été réalisée avec un échantillon de 9 agriculteurs (trois par type) sélectionnés parmi les 24 ayant été interrogés lors de la phase de diagnostic. Le choix de ces agriculteurs s’est basé sur leur disponibilité pour une deuxième phase d’entretien et leur souhait d’explorer des stratégies d’adaptation face au changement climatique.

Les entretiens individuels ont débuté par la restitution des résultats du diagnostic : les performances technico-économiques des stratégies initiales (SC0). Ensuite, la parole a été accordée à l’agriculteur pour qu’il puisse exprimer les éventuels changements qu’il souhaitait apporter à SC0.

Les grandes questions ayant guidé cette phase de co-conception sont résumées ainsi :

  • Au cours de ces dernières années, quels sont les changements liés aux contextes économique et climatique apportés dans les exploitations ?

  • Considérant le fonctionnement de l’exploitation et ses performances technico-économiques actuelles, quels sont les changements envisagés pour les améliorer ?

  • Compte tenu des effets du changement climatique perçus, quelles seront les nouvelles pratiques et techniques à mobiliser pour s’adapter au changement climatique ?

Les nouvelles stratégies (SC1) décrites par chacun des 9 producteurs ont été entrées dans l’outil de simulation. Les résultats obtenus pour les nouvelles stratégies (SC1) ont été ensuite comparés à ceux des stratégies du diagnostic (SC0).

Après les entretiens individuels, un atelier a été organisé avec les 24 agriculteurs de l’étape de diagnostic, dans l’objectif de contextualiser les changements individuels décrits au regard des grands changements de l’agriculture de Saint Michel de l’Attalaye (saisons de culture, apparition ou disparition de nouvelles cultures dans la zone) et du changement climatique perçu.

3 Résultats

3.1 Fonctionnement et performances technico-économiques des exploitations

À Saint Michel de l’Attalaye, les activités de l’exploitation sont gérées par le chef du ménage agricole accompagné de son conjoint et/ou de quelques membres de la famille. En période de pointe, certains agriculteurs ont recours à la coumbite, une pratique qui vise, dans un collectif d’agriculteurs, à s’entraider pour l’exécution de tâches agricoles. Il existe également des prêts et/ou des locations d’outils, équipements de travail du sol ou de transformation : par exemple location de charrue, de moulins à canne à sucre fixes ou mobiles, ou de guildive, petite distillerie traditionnelle utilisée pour produire un alcool à base de jus de canne appelé clairin.

L’élevage (bovins, caprins, équins, porcins, etc.) est largement pratiqué. Les animaux sont gardés à la corde aux alentours de la maison pendant la saison de culture (mi-mars à décembre) et sont en vaine pâture sur les parcelles après les récoltes de janvier à début mars. Ils sont néanmoins ramenés le soir et gardés à la corde aux alentours de la maison pour réduire les risques de vol.

Dix-sept systèmes de culture différents, tous types d’exploitation confondus, ont été identifiés, traduisant le niveau important de diversification de l’agriculture de la région. Les systèmes de culture les plus représentatifs sont : la culture semi-pérenne de canne à sucre (4 à 8 ans), l’association pois Congo x maïs en culture pure ou intercalaire sur les parcelles de canne à sucre en début de plantation, l’association riz pluvial x pois Congo sur les sols argileux et l’association maïs x papaye x pois Congo x banane, le maïs et le pois congo étant cultivés en début de plantation de la banane.

Pour un même système de culture, l’organisation du travail sur l’année n’est pas très différente d’un type d’exploitation à l’autre. Mais, le retard des pluies, le manque de disponibilité de semences et/ou de moyens pour payer les prestations de préparation du sol peuvent faire varier le calendrier cultural.

Habituellement, la préparation du sol se fait par traction animale. Mais sur les collines, les agriculteurs utilisent pioche, houe et louchette pour labourer le sol, car ces outils sont mieux adaptés à ces types de relief. C’est particulièrement le cas des agriculteurs du type 2, qui possèdent les parcelles les plus pentues.

Les interactions entre culture et élevage sont fortes dans les exploitations. Par exemple, sur celles où sont présents des équins et bovins, la force de travail de ces derniers est employée pour le transport de matériaux et de récoltes, le labour et le hersage du sol, et le broyage de la canne à sucre. En retour, les résidus de récolte servent à alimenter le troupeau : c’est le cas des parcelles de canne à sucre, qui jouent un rôle particulier en raison de leur forte capacité de production de biomasse et de la palatabilité de cette culture. Les agriculteurs valorisent aussi les fumures animales pour fertiliser les parcelles via la vaine pâture en hiver.

Des différences de performances technico-économiques ont été observées entre types d’exploitations.

Le type 1 présente un taux moyen de couverture des besoins caloriques du ménage de 49 %, suivi du type 3 (39 %) et du type 2 (seulement 9 %) (Fig. 1). Le type 2 produit essentiellement de la canne à sucre, tandis que les types 1 et 3 produisent principalement des cultures vivrières (Sect. 2.2). Il existe une différence significative entre les trois types d’exploitations pour cet indicateur (Tab. 2).

Les exploitations du type 1 présentent les revenus moyens les plus élevés et la meilleure valorisation de la journée de travail. Ensuite viennent les types 2 et 3 (Fig. 2). Les différences sont significatives entre les types pour cet indicateur (Tab. 2).

Les émissions moyennes de gaz à effet de serre sont plus élevées pour les exploitations du type 3 (1,4 tonne CO2-éq/an) et plus faibles pour celles du type 1 (0,8 tonne CO2-éq/an) (Fig. 3). La quantité de CO2-éq émise est liée au nombre de bovins, le type 3 possédant le plus grand nombre de bovins, ensuite viennent les types 2 et 1. Les différences ne sont toutefois pas significatives entre les trois types pour cet indicateur (Tab. 2).

thumbnail Fig. 1

Couverture moyenne des besoins caloriques du ménage pour les trois types d’exploitations.

Average coverage of the household caloric needs for the three types of farms.

Tableau 2

Analyse de variance de la couverture des besoins caloriques du ménage, du revenu agricole, et des émissions de gaz à effet de serre pour les trois types d’exploitations. Les moyennes présentant des lettres différentes sont significativement différentes (p < 0,05).

Analyse of variance in the coverage of household caloric needs, agricultural income and greenhouse gas emissions for the three types of farms. Means with different superscript are significantly different (p < 0.05).

thumbnail Fig. 2

Revenu agricole moyen pour les trois types d’exploitations.

Average farm income for the three farm types.

thumbnail Fig. 3

Emissions moyennes de gaz à effet de serre pour les trois types d’exploitations.

Average greenhouse gas emissions for the three farm types.

3.2 Stratégies (SC1) conçues par les agriculteurs

Le tableau 3 présente les nouvelles stratégies (SC1) conçues par chacun des 9 agriculteurs. Tous types confondus, les producteurs cherchent à agrandir les surfaces cultivées pour diversifier davantage les systèmes de cultures. Les producteurs des types 1 et 3 souhaitent en outre agrandir les surfaces en canne. Les producteurs des types 2 et 3 souhaitent augmenter les effectifs animaux. Parmi les raisons qui incitent les producteurs à proposer ces changements, on note :

  • l’irrégularité des pluies et les périodes de sécheresse prolongée. Afin de limiter les risques de mauvaises récoltes liés à des inondations ou des sécheresses prolongées, certains agriculteurs souhaitent multiplier le nombre de parcelles cultivées dans des localisations différentes. Selon eux, certaines zones sont plus résilientes que d’autres aux risques climatiques, du fait de la pente et de l’inclinaison du terrain, de la distance aux cours d’eau pour accéder à l’irrigation, ou des conditions pédoclimatiques ;

  • la présence d’infrastructures productives. Certains agriculteurs, tous types d’EA confondus, veulent mettre en place de nouvelles parcelles en canne à sucre en raison de l’installation d’une guildive à proximité ;

  • la nécessité de répondre aux besoins du ménage. En raison de l’inflation (48,3 % en décembre 2022 selon les estimations de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique – IHSI) et des prix des produits alimentaires qui tendent à augmenter, certains agriculteurs, du type 2 notamment, veulent valoriser des lopins de terre en cultures vivrières ;

  • le prix et la disponibilité des prestations de labour. La plupart des agriculteurs des types 2 et 3 veulent renforcer leur système d’élevage, notamment en bovins pour la traction animale, et diminuer le coût des services de labour. C’est aussi un moyen de diversifier leurs sources de revenu par la vente de services de labour.

Tableau 3

Nouvelles stratégies (SC1) conçues par les 9 agriculteurs.

New strategies (SC1) designed by the 9 farmers.

3.3 Évaluation comparée des stratégies

Les figures 4, 5 et 6 comparent les stratégies initiales (SC0) et les nouvelles stratégies proposées par les 9 agriculteurs (SC1).

Les agriculteurs prévoient de diversifier davantage leur système de production agricole en vue de mieux couvrir les besoins alimentaires de leur famille. Dans l’ensemble, la couverture des besoins caloriques du ménage (RecBesM) augmente de SC0 à SC1 (Fig. 4). Ce taux est en moyenne plus élevé dans les exploitations de type 1, suivi du type 2, puis du type 3, les différences étant significatives (Tab. 4). La plus forte augmentation entre SC0 et SC1 est observée pour les agriculteurs du type 2, qui misent sur le revenu de la canne à sucre pour mettre en place des parcelles vivrières afin d’améliorer la couverture des besoins du ménage.

Le revenu agricole est nettement amélioré dans SC1 par rapport à SC0 (Fig. 5). Dans ces nouvelles stratégies (SC1), les agriculteurs augmentent la taille de la superficie des parcelles cultivées et de leur troupeau. Il y a certes une augmentation des charges intermédiaires, mais l’amortissement reste le même car les agriculteurs n’ont pas prévu d’acquérir de nouveaux outils agricoles dans SC1.

En comparant les deux stratégies (Fig. 6), les émissions de CO2 augmentent de SC0 à SC1 pour tous les types, car les agriculteurs augmentent la taille de leur troupeau, notamment ceux du type 2.

thumbnail Fig. 4

Couverture des besoins caloriques du ménage pour la stratégie initiale (SC0) et pour la nouvelle stratégie (SC1) pour les trois types d’exploitations, chaque box-plot représente la dispersion des données simulées pour les trois exploitations de chaque type.

Coverage of the household caloric needs for the initial strategy (SC0) and for the new one (SC1) for the three types of farms, each box-plot represents the dispersion of the simulated data for the three farms of each type.

Tableau 4

Analyse de variance de la couverture des besoins caloriques du ménage, du revenu agricole, et des émissions de gaz à effet de serre pour les nouvelles stratégies (SC1) conçues par les trois types d’exploitations. Les moyennes présentant des lettres différentes sont significativement différentes (p < 0,05).

Analyse of variance in the coverage of household caloric needs, agricultural income, and greenhouse gas emissions for the new strategies (SC1) defined by the three types of farms. Means with different superscript are significantly different (p < 0.05).

thumbnail Fig. 5

Revenu agricole pour la stratégie initiale (SC0) et la nouvelle stratégie (SC1) pour les trois types d’exploitations, chaque box-plot représente la dispersion des données simulées pour les trois exploitations de chaque type.

Agricultural income for the initial strategy (SC0) and for the new one (SC1) for the three types of farms, each box-plot represents the dispersion of the simulated data for the three farms of each type.

thumbnail Fig. 6

Emissions de gaz à effet de serre (CO2-éq) pour la stratégie initiale (SC0) et la nouvelle stratégie (SC1) pour les trois types d’exploitations, chaque box-plot représente la dispersion des données simulées pour les trois exploitations de chaque type.

Greenhouse gas emissions (CO2-eq) for the initial strategy (SC0) and for the new one (SC1) for the three types of farms, each box-plot represents the dispersion of the simulated data for the three farms of each type.

4 Discussion

4.1 Quelles stratégies d’adaptation pour les agriculteurs de Saint Michel de l’Attalaye ?

Dans tous les types d’exploitations, les exploitants, ne voulant pas rompre brutalement avec leurs pratiques initiales, ont proposé des stratégies d’adaptation incrémentales visant à maintenir la nature et l’intégrité de leur système agricole sans modification de ses attributs fondamentaux (GIEC, 2018).

Néanmoins, les stratégies envisagées varient d’un type d’exploitation à l’autre, avec en particulier l’accent mis sur la banane et l’élevage dans le type 2, et sur les cultures de subsistance dans le type 3. Pour les trois types d’exploitations, la canne prend davantage d’importance dans les stratégies. Cela peut s’expliquer par la résilience de cette culture face au changement climatique (Garcia et al., 2021), mais aussi par les possibilités de diversification des revenus qu’elle permet via la production de sirop et de clairin, qui contribuent à la résilience économique des exploitations. Les stratégies proposées par les agriculteurs visent également toutes à augmenter les capacités de production pour améliorer les performances des exploitations en termes de couverture des besoins en calories et de revenu agricole. L’augmentation envisagée des surfaces dans la plupart des stratégies passe par la vente de sirop, de clairin ou d’animaux. Néanmoins, l’acquisition de surfaces sera plus difficile pour les plus petits producteurs (en particulier du type 2), souvent en insécurité foncière. La quasi-totalité des exploitants veulent aussi augmenter la taille de leur cheptel, notamment en bovins, mais en gardant les mêmes règles de conduite. Par conséquent, les émissions de CO2-éq simulées augmentent. Lorsque les stratégies d’adaptation des agriculteurs induisent une augmentation à moyen terme des émissions de gaz à effet de serre, il s’agit d’une mal-adaptation environnementale (Barnett et O’Neill, 2010 ; Magnant, 2013). On peut questionner la pertinence de cet indicateur pour de petites exploitations pratiquant une agriculture pluviale non irriguée, dotées d’outils traditionnels et de faibles moyens financiers, n’utilisant pas d’engins motorisés mais voulant augmenter la taille de leur cheptel de quelques bovins afin d’assurer leur survie. Il invite cependant à réfléchir aux pratiques d’alimentation des animaux ou de valorisation des déjections permettant de limiter les émissions liées au développement de l’élevage.

4.2 Quels enseignements pour la co-conception de systèmes faisant face au changement climatique en zone hautement vulnérable ?

De nombreux travaux ont démontré que les producteurs, dans des démarches de co-conception, préfèrent explorer des changements incrémentaux qu’ils pourront intégrer de manière progressive dans leur stratégie de production (Périnelle et al., 2021 ; Andrieu et al., 2022). Face à l’urgence du changement climatique (IPCC, 2022), un défi pour le chercheur qui accompagne le processus de conception est d’aider les agriculteurs à explorer des changements de rupture. Jeuffroy et al. (2022) montrent la nécessité d’éviter les effets de fixation qui maintiennent les propositions des acteurs dans ce qui est connu. Combiner ces simulations avec l’utilisation de démarches d’anticipation pourrait permettre d’explorer des changements de rupture (Vervoort et al., 2014).

Nous avons fait le choix de laisser les producteurs explorer les stratégies qu’ils souhaitaient et de plutôt les outiller dans cette réflexion. Ces stratégies étaient différentes entre types, ce qui montre la nécessité de prendre en compte cette diversité pour accompagner l’adaptation des producteurs au changement climatique, et en particulier accompagner les changements structurels souhaités par les producteurs les plus pauvres.

Les solutions proposées par les agriculteurs pour s’adapter au changement climatique visent, sans surprise, à répondre en premier lieu à des enjeux socio-économiques et alimentaires. Dans un contexte où les agriculteurs sont plus qu’ailleurs vulnérables au changement climatique, favoriser leur adaptation à ce changement ne peut donc se faire sans mesurer les co-bénéfices en termes de sécurité alimentaire ou de revenus (Osorio-García et al., 2020). Ces stratégies reposent sur une diversification accrue des systèmes de production, un des principes clés de l’agroécologie définie comme effective pour s’adapter au changement climatique (IPCC, 2022).

Tout comme dans la démarche DEED − Describe, Explain, Explore and Design − (Descheemaeker et al, 2019), cette étude vise à être combinée à des expérimentations afin d’explorer les systèmes de cultures ou d’élevage les plus prometteurs et leurs contraintes de mise en œuvre.

5 Conclusion

Cette étude, menée Saint Michel de l’Attalaye en Haïti, a permis de diagnostiquer les performances technico-économiques initiales des exploitations agricoles, puis d’aider les agriculteurs à concevoir des stratégies d’adaptation au changement climatique. Le diagnostic montre que l’agriculture de la zone est caractérisée par de petites exploitations familiales de subsistance, dotées de faibles moyens de production et faiblement émettrices de gaz à effet de serre par hectare. En dépit de leurs faibles ressources, elles disposent d’une panoplie de techniques et de pratiques agricoles pour s’adapter au changement climatique. À travers la démarche de co-conception, l’étude montre que les changements de stratégies envisagés par les agriculteurs varient d’un type d’exploitation à l’autre, mais reposent tous sur l’augmentation de la diversification des cultures et de l’élevage. Ces changements visent surtout à augmenter leur niveau de production pour améliorer les revenus et la sécurité alimentaire des familles sous contrainte de changement climatique. Le défi est d’accompagner la mise en œuvre de ces changements sur le terrain, en particulier les changements structurels souhaités par les agriculteurs les plus pauvres. Une perspective est de combiner les simulations avec de l’expérimentation de terrain. D’autres boucles de co-conception intégrant des outils d’anticipation pourraient également être mobilisées pour identifier des changements de rupture avec les producteurs.

Remerciements

Nous remercions les agriculteurs ayant participé à cette recherche. Cette recherche a bénéficié du support financier du MARNDR et de la BID, dans le cadre du Programme de mitigation des désastres naturels (PMDN2), accord de subvention n° LOT2-MARNDR/PMDN/SCBD-2/18.

Références

Bases de données consultées

Citation de l’article : Jules J, Paul B, Adam M, Andrieu N. 2023. Co-conception avec les producteurs de stratégies d’adaptation au changement climatique : le cas des exploitations agricoles en Haïti. Cah. Agric. 32: 27. https://doi.org/10.1051/cagri/2023020

Liste des tableaux

Tableau 1

Liste des variables clés collectées lors des enquêtes.

List of key variables collected during surveys.

Tableau 2

Analyse de variance de la couverture des besoins caloriques du ménage, du revenu agricole, et des émissions de gaz à effet de serre pour les trois types d’exploitations. Les moyennes présentant des lettres différentes sont significativement différentes (p < 0,05).

Analyse of variance in the coverage of household caloric needs, agricultural income and greenhouse gas emissions for the three types of farms. Means with different superscript are significantly different (p < 0.05).

Tableau 3

Nouvelles stratégies (SC1) conçues par les 9 agriculteurs.

New strategies (SC1) designed by the 9 farmers.

Tableau 4

Analyse de variance de la couverture des besoins caloriques du ménage, du revenu agricole, et des émissions de gaz à effet de serre pour les nouvelles stratégies (SC1) conçues par les trois types d’exploitations. Les moyennes présentant des lettres différentes sont significativement différentes (p < 0,05).

Analyse of variance in the coverage of household caloric needs, agricultural income, and greenhouse gas emissions for the new strategies (SC1) defined by the three types of farms. Means with different superscript are significantly different (p < 0.05).

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Couverture moyenne des besoins caloriques du ménage pour les trois types d’exploitations.

Average coverage of the household caloric needs for the three types of farms.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Revenu agricole moyen pour les trois types d’exploitations.

Average farm income for the three farm types.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Emissions moyennes de gaz à effet de serre pour les trois types d’exploitations.

Average greenhouse gas emissions for the three farm types.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Couverture des besoins caloriques du ménage pour la stratégie initiale (SC0) et pour la nouvelle stratégie (SC1) pour les trois types d’exploitations, chaque box-plot représente la dispersion des données simulées pour les trois exploitations de chaque type.

Coverage of the household caloric needs for the initial strategy (SC0) and for the new one (SC1) for the three types of farms, each box-plot represents the dispersion of the simulated data for the three farms of each type.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Revenu agricole pour la stratégie initiale (SC0) et la nouvelle stratégie (SC1) pour les trois types d’exploitations, chaque box-plot représente la dispersion des données simulées pour les trois exploitations de chaque type.

Agricultural income for the initial strategy (SC0) and for the new one (SC1) for the three types of farms, each box-plot represents the dispersion of the simulated data for the three farms of each type.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Emissions de gaz à effet de serre (CO2-éq) pour la stratégie initiale (SC0) et la nouvelle stratégie (SC1) pour les trois types d’exploitations, chaque box-plot représente la dispersion des données simulées pour les trois exploitations de chaque type.

Greenhouse gas emissions (CO2-eq) for the initial strategy (SC0) and for the new one (SC1) for the three types of farms, each box-plot represents the dispersion of the simulated data for the three farms of each type.

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