Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 32, 2023
Numéro d'article 26
Nombre de pages 11
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2023019
Publié en ligne 17 octobre 2023

© L.-M. Raboin et al., Hosted by EDP Sciences 2023

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1 Introduction

Les régions soudano-sahéliennes d’Afrique de l’Ouest sont parmi les plus pauvres de la planète avec une économie qui repose principalement sur une agriculture pluviale de subsistance soumise à des conditions climatiques semi-arides (Mason et al., 2015) et particulièrement sensibles aux changements climatiques en cours (Kotir, 2011). L’abandon progressif de la pratique de la jachère du fait de la pression démographique, le surpâturage et la faible utilisation d’intrants minéraux entraînent une dégradation accélérée de sols qui sont déjà très érodés, avec une faible fertilité chimique, une faible teneur en matière organique et une faible capacité de rétention de l’eau (Bationo et al., 2007). Cela contribue, en combinaison avec d’autres contraintes biotiques et climatiques, à la stagnation des rendements moyens des principales cultures alimentaires, le sorgho et le mil, en dessous de 1 t ha−1 (FAOSTAT, 2022).

Dans ce contexte, il y a un enjeu fort à proposer des systèmes de culture qui permettraient de stabiliser la production face aux aléas climatiques et de maintenir, voire d’améliorer, la fertilité des sols. La diversification des cultures constitue un levier possible par les effets positifs qu’elle peut avoir sur un ensemble de services écosystémiques tels que la régulation des ravageurs, la fertilité physique, chimique et biologique du sol, la régulation du cycle de l’eau, la biodiversité en général, mais aussi sur la stabilité et le niveau des rendements (Tamburini et al., 2020). Cette diversification peut être mise en œuvre par l’introduction de nouvelles cultures dans les rotations, l’association de cultures, le mélange de variétés, l’agroforesterie, ou, à une échelle plus large, la gestion du paysage (Beillouin et al., 2021). Elle permet la diversification des productions et des revenus, et contribue ainsi à améliorer la sécurité alimentaire et la résilience des systèmes agricoles (Thrupp, 2000).

La pratique des associations, en particulier celle des céréales et des légumineuses, est déjà bien intégrée dans les traditions agricoles du Burkina Faso, notamment l’association du sorgho ou du mil avec le niébé (Dabat et al., 2012). Ce type d’association a prouvé son intérêt en termes d’amélioration de la productivité (Daryanto et al., 2020) ou de réduction de la dégradation des sols due au ruissellement (Zougmore et al., 2000). Cette productivité accrue résulte notamment de la complémentarité qui existe pour les ressources en azote, entre les céréales, qui utilisent uniquement l’azote minéral, et les légumineuses, qui ont la capacité de fixer l’azote atmosphérique au niveau de leurs racines grâce à la symbiose avec des bactéries. L’insertion des légumineuses dans les rotations induit des effets positifs sur le cycle de l’azote, la mycorhization ou la réduction de la pression de nématodes phyto-parasites (Bagayoko et al., 2000).

Le haricot mungo est l’une des principales cultures légumineuses en Asie du Sud et du Sud-Est. Environ 90 % de la production mondiale se situe en Asie du Sud, où l’Inde est le plus grand producteur. Il permet de cuisiner un grand nombre de plats (soupes, bouillies…), ses germes sont utilisés en salade ou en friture et sa farine permet de fabriquer des vermicelles ou des desserts. Le haricot mungo produit une graine riche en protéines (26 %) et les germes (dits « de soja ») et les gousses vertes contiennent un niveau élevé de vitamines et de minéraux qui peuvent contribuer à limiter les problèmes de malnutrition (Nair et al., 2015). Le haricot mungo présente un potentiel intéressant pour les petits exploitants des zones semi-arides d’Afrique compte tenu de sa rusticité et de sa tolérance à la sécheresse (Keatinge et al., 2011). Au Burkina Faso, le haricot mungo a récemment connu une certaine diffusion grâce à sa promotion par le Larlé Naaba Tigré, un grand chef coutumier des Mossi de Ouagadougou (Douce, 2018). Néanmoins, sa culture reste très peu répandue et n’était pas connue avant ce travail dans le centre-nord du Burkina Faso.

L’objectif de l’étude était d’évaluer différentes options de diversification des systèmes de culture pour la zone nord soudanienne du Burkina Faso. Les performances de nouvelles cultures comme le haricot mungo et l’éleusine ont été comparées avec celles des cultures traditionnelles (arachide, mil, niébé, pois de terre, sésame) en association avec le sorgho et en culture pure. Les essais ont été réalisés en partenariat entre la recherche (Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso ou INERA ; Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement ou Cirad) et l’organisation paysanne AMSP (Association Minim Sông Pânga) sur ses plateformes participatives pendant trois campagnes successives, de 2019 à 2021. Entre 2019 et 2022, les producteurs ont aussi conduit des essais dans leurs propres champs, plus spécifiquement sur le haricot mungo compte tenu de son potentiel, confirmé sur les plateformes. Une enquête a été réalisée fin 2022 auprès des producteurs expérimentateurs, pour recueillir leur perception des opportunités et des contraintes de la culture du haricot mungo par rapport à celle du niébé.

2 Matériel et méthodes

2.1 Expérimentation sur les plateformes de l’AMSP

2.1.1 Sites de l’étude

En 2019, la plateforme expérimentale a été mise en place à Dondollé (13°6.031’ de latitude Nord et −1°0.469’ de longitude Ouest). Pour les deux campagnes suivantes 2020 et 2021, la plateforme a été relocalisée à Gonsé (12°28.679’ N et 1°19.470’ O), près de la ville de Ouagadougou, compte tenu de la situation sécuritaire. Ces plateformes servent pour les expérimentations de l’AMSP avec la participation des producteurs. En 2019, la pluviométrie cumulée à Dondollé était de 613 mm (voir Annexe 1 en matériel supplémentaire). En 2020 et 2021, sur la plateforme de Gonsé, située 80 km au sud de Dondollé, la pluviométrie était respectivement de 855 et 813 mm.

2.1.2 Matériel végétal

Sept espèces ont été cultivées pures ou en association avec le sorgho (Sorghum bicolor L. Moench). Cinq de ces espèces sont utilisées classiquement dans les systèmes de culture soudano-sahéliens, notamment au Burkina Faso. Il s’agit du sésame (Sesamum indicum L.), du pois de terre (Vigna subterranea L.), de l’arachide (Arachis hypogea L.), du niébé (Vigna unguiculata L.) et du mil (Pennisetum glaucum L.). Deux de ces espèces sont nouvelles et sont des propositions de diversification pour la zone centre-nord du Burkina Faso : l’éleusine (Eleusine coracana L. Gaertn) et le haricot mungo (Vigna radiata L. ; Fig. 1) qui commence à être diffusé au Burkina Faso. Sauf pour l’éleusine, les variétés qui ont été utilisées dans l’essai sont des variétés homologuées et inscrites au catalogue national des espèces et des variétés cultivées au Burkina Faso ou en cours d’inscription pour la variété de pois de terre. Ces semences ont été obtenues auprès de l’INERA. Les cultivars d’éleusine ont été choisis dans une collection de lignées fournie par l’ICRISAT au Kenya (voir Annexe 2 en matériel supplémentaire).

thumbnail Fig. 1

Productrices et producteurs ayant participé à l’évaluation participative en 2020 face à une parcelle de haricot mungo.

Producers involved in the participatory evaluation in 2020 facing a mungbean plot.

2.1.3 Dispositif expérimental

Le dispositif expérimental est un split plot avec 2 répétitions en 2019, puis 3 répétitions en 2020 et 2021. Chaque répétition est divisée en 7 grandes parcelles attribuées chacune au hasard à l’étude d’une espèce. Chaque grande parcelle est ensuite divisée en 3 sous parcelles, 2 pour les cultures en pur du sorgho et de l’espèce compagne, et 1 cultivée en association alternant deux lignes de sorgho et deux lignes (sésame, mil, niébé, haricot mungo) ou quatre lignes (arachide, éleusine, pois de terre) de l’espèce compagne (Fig. 2). Les densités de semis des différentes cultures sont présentées en matériel supplémentaire (voir Annexe 2).

thumbnail Fig. 2

Représentation des parcelles élémentaires divisées en trois sous-parcelles (culture associée, culture pure du sorgho, culture pure de l’espèce compagne) et des placettes pour les mesures de rendement. Le sorgho est figuré en vert, l’espèce compagne en jaune : (a) dispositif pour le mil, le sésame, le niébé et le haricot mungo et (b) dispositif pour l’arachide, le pois de terre et l’éleusine.

Representation of the elementary plots divided into three subplots (associated crop, pure sorghum crop, pure associated crop) and the corresponding yield squares. The sorghum is shown in green, the associated crop in yellow: (a) layout for millet, sesame, cowpea and mungbean and (b) layout for groundnut, Bambara nut and finger millet.

2.1.4 Conduite culturale

À Dondollé, le semis a été réalisé le 13 juillet 2019. À Gonsé, il a été réalisé le 18 juillet en 2020 et les 17 juillet (répétitions 1 et 2) et 22 juillet (répétition 3) en 2021. Le sol avait été préalablement labouré à l’aide d’un tracteur équipé d’une charrue à disque. Après la levée, un apport de NPK (14/18/18) a été réalisé à la dose de 75 kg ha−1, localisé et enfoui à côté des poquets de semis. Deux sarclages manuels ont été réalisés sur chaque essai (autour de 20 jours après semis et de 40 JAS), le deuxième étant suivi du buttage du sorgho. Le niébé a été traité avec des insecticides à deux reprises au stade floraison : le Deltacal (deltaméthrine) et le Pacha (acétamipride et lambda-cyhalothrine) en 2019 et avec le Cypercal (cyperméthrine) en 2020 et 2021. En 2020, le mil n’a pas été récolté à cause des pertes occasionnées par les oiseaux.

2.1.5 Mesures effectuées

Pour le sorgho, le rendement a été évalué sur des placettes définies en omettant les lignes de bordure ainsi que les premiers et derniers poquets de chaque ligne (Fig. 2). La superficie du carré de rendement était de 42,24 m2 pour les parcelles d’association et 17,6 m2 pour les cultures pures. Les panicules récoltées ont été séchées au soleil pendant plusieurs jours jusqu’à l’obtention d’un poids constant. Puis elles ont été égrenées pour mesurer le poids de grains. Après la récolte des panicules, la biomasse contenue à l’intérieur des placettes a été coupée et pesée. Un échantillon représentatif de la biomasse de la parcelle a été constitué et pesé au champ, séché à l’étuve pendant 72 h à 65 °C, puis repesé pour calculer le taux de matière sèche et le rendement en biomasse sèche. Pour les autres espèces, les rendements en grain et en biomasse résiduelle ont été estimés de la même manière. Le LER (Land Equivalent Ratio ; Willey et Osiru, 1972), permet d’évaluer l’efficacité de l’association, et correspond à la surface nécessaire en culture pure pour avoir la même production qu’un hectare en association. Le LER total de l’association et les LER partiels de chaque composante de l’association ont pu être calculés puisque des parcelles de culture pure étaient systématiquement adjointes aux parcelles en association :

2.2 Évaluation par les producteurs de l’AMSP

2.2.1 Évaluation participative sur la plateforme

Les évaluations participatives se sont déroulées au stade de maturité des légumineuses (Fig. 1). Elles avaient pour but de permettre aux producteurs innovateurs de Korsimoro, de Boussouma, de Yilou (trois communes ou village du Centre-Nord) et de Gonsé (village du Centre) d’apprécier les différentes associations mises en place dans l’essai. En 2019, 25 producteurs (15 hommes et 10 femmes) ont réalisé les évaluations sur la plateforme de Dondollé. En 2020, 21 producteurs (15 hommes et 6 femmes) ont réalisé les évaluations à Gonsé. Un vote anonyme a été organisé pour choisir entre les sept différents types d’association présentés, selon des modalités un peu différentes entre les deux années. En 2019, les producteurs avaient la possibilité de voter pour les trois associations qu’ils préféraient (chacun disposait de trois “bulletins” verts) et aussi pour les trois associations qu’ils rejetaient (trois bulletins “rouges”). En 2020, toutes les associations devaient être notées par les producteurs. Devant chaque modalité d’association, ils déposaient soit un bulletin vert s’ils l’appréciaient, soit un bulletin rouge s’ils la rejetaient, soit un bulletin blanc pour un avis neutre. Il n’y a pas eu d’évaluation participative en 2021.

2.2.2 Expérimentation du haricot mungo chez les producteurs et enquête sur les opportunités et contraintes de la culture du haricot mungo par comparaison au niébé

De 2019 à 2021, quelques producteurs volontaires (7 femmes et 3 hommes) ont testé le haricot mungo chez eux. Vingt essais ont été conduits dans deux villages du centre nord : Yilou (commune de Guibare, province du Bam) et Tansin (commune de Korsimoro, province du Sanmatenga). Chaque producteur cultivait une parcelle de sorgho associé au haricot mungo en même temps que des parcelles pures de sorgho et de haricot mungo. Les parcelles mesuraient 96 m2 et le mode d’association était de 2 lignes de sorgho alternées avec 2 lignes de haricot mungo, comme sur les essais en plateforme. En 2022, 25 producteurs (dont 8 femmes) de deux villages (Tansin et Foulla) appartenant à la commune de Korsimoro ont comparé chez eux le haricot mungo et le niébé. Chaque producteur cultivait une parcelle pure de haricot mungo à côté d’une autre parcelle pure de niébé. Tous ont utilisé les mêmes variétés : Komcallé pour le niébé et Beng Tigré pour le haricot mungo. Les semences leur ont été fournies par la recherche. Les parcelles expérimentales avaient une taille de 100 m2 pour chaque culture. Les mesures des surfaces expérimentales et les pesées des grains récoltés ont été réalisées par des techniciens. En revanche les agriculteurs ont conduit les essais à leur manière avec la seule consigne de mettre la même quantité d’engrais et/ou de fumier sur les deux cultures (consigne respectée par 22 producteurs sur les 25). À l’issue de la campagne agricole, une enquête a été menée chez ces producteurs-expérimentateurs pour connaître leur appréciation sur la culture du haricot mungo en comparaison avec celle du niébé en général et pour différents critères (précocité, rendements en grain et fourrage, goût, facilité du travail, tolérance aux bio-agresseurs).

2.3 Analyse statistique

2.3.1 Essais en plateforme

L’analyse de la variance a été effectuée sur la base d’un dispositif en split-plot impliquant deux randomisations successives qui déterminent deux termes d’erreur indépendants. Les données suivent alors un modèle mixte. L’analyse des résultats a été réalisée suivant ce modèle avec la procédure Mixed de Sas (SAS Institute Inc. SAS/STAT® 14.1 User’s Guide. Cary, NC:, 2015). Les modèles mis en œuvre pour l’analyse combinée des 3 années d’essai sont présentés en matériel supplémentaire (voir Annexe 3). Une transformation logarithmique a été appliquée sur les rendements en biomasse et en grain des espèces compagnes pour tenir compte de leurs valeurs et de leurs variances résiduelles très contrastées. Cela permet de stabiliser la variance et de retrouver les conditions de validité du modèle mixte. Sur les graphiques, les barres d’erreur correspondent à la plus petite amplitude significative de Tukey, déduite de la loi des étendues studentisées.

avec q le quantile 1-alpha de la loi de l’étendue studentisée.

Pour évaluer les différences entre les moyennes dans les comparaisons multiples, le test utilisé est celui de Tukey (Honest Significant Difference) avec alpha = 0,05. Par ailleurs, les différences de moyenne entre légumineuses et non-légumineuses ont été testées de façon globale.

2.3.2 Essais chez les producteurs

Une analyse de la variance a été réalisée sur les essais comparant le haricot mungo et le niébé chez 25 producteurs de deux villages différents. Les effets de la plante cultivée, du village et l’interaction entre village et plante cultivée ont été testés. Un graphique en boîte à moustache a été réalisé pour illustrer ces résultats.

3 Résultats

3.1 Expérimentation sur les plateformes de l’AMSP

3.1.1 Effet des associations sur le sorgho

L’analyse combinée des essais d’association (2019 à 2021) montre un rendement du sorgho plus élevé en culture pure qu’en culture associée. En moyenne sur les 3 années d’expérimentation, le sorgho produit environ 1,8 fois plus de grain en culture pure qu’en culture associée (+682 kg ha−1, p < 0,0001, Tab. 1 et Fig. 3). En association, le sorgho produit plus de grain avec le groupe des légumineuses qu’avec le groupe des autres espèces (+162 kg ha−1, p = 0,02, Tab. 1, Fig. 3, voir Annexe 4 en matériel supplémentaire). Il n’y a pas de différence significative à l’intérieur de ces groupes. Ces résultats ne varient pas significativement d’une année à l’autre. Le même sorgho produit aussi 1,9 fois plus de biomasse en culture pure qu’en culture associée. Mais à la différence du grain, cet avantage de 3,11 t ha−1 de biomasse sèche en moyenne varie suivant les années (p = 0,012, Tab. 1) et il ne dépend pas du groupe ni de l’espèce de la plante compagne.

Tableau 1

Analyse combinée de la variance dans le dispositif en split plot comparant sept cultures en association avec le sorgho et en culture pure sur trois années d’expérimentation.

Combined analysis of variance in split plot design comparing seven crops in association with sorghum and in pure stand over three years of experimentation.

thumbnail Fig. 3

Rendement grain du sorgho dans les parcelles cultivées en association en fonction de l’espèce utilisée dans l’association. La ligne hachurée correspond à un LER partiel du sorgho = 0,5.

Grain yield of sorghum in association plots as a function of the crop used in the association. The dashed line corresponds to a partial LER for sorghum = 0.5.

3.1.2 Performances des sept cultures évaluées en culture pure et en association avec le sorgho

Les espèces compagnes ont un rendement en grain et en biomasse supérieur en culture pure qu’en culture associée quels que soient le groupe (légumineuse ou non) et l’espèce. En moyenne sur les trois années, il y a des différences très significatives de rendement en grain et en biomasse entre les légumineuses et les non-légumineuses et entre les espèces au sein de ces groupes (Tab. 1). Ces différences sont indépendantes du mode de culture (pur ou associé) puisqu’il n’y a pas d’interaction (Tab. 1). En revanche, les différences entre groupes et entre espèces de chaque groupe sont variables d’une année à l’autre, avec des interactions significatives (Tab. 1 et Fig. 4). Pour le rendement en grain, sur l’ensemble des trois campagnes et des deux modes de culture, le haricot mungo a produit en moyenne 852 kg ha−1, l’arachide 669 kg ha−1 et le niébé 628 kg ha−1 (Fig. 4). Les autres cultures ont donné des résultats moins bons. Les rendements en grain présentent une grande variabilité en fonction des années, particulièrement pour l’éleusine et le pois de terre. Pour le rendement en biomasse sèche résiduelle mesuré après récolte, l’éleusine a produit 2276 kg ha−1 en moyenne sur l’ensemble des trois campagnes, l’arachide 1923 kg ha−1, le mil 1605 kg ha−1, le pois de terre 1486 kg ha−1, le haricot mungo 1150 kg ha−1, le sésame 602 kg ha−1 et le niébé, 357 kg ha−1.

thumbnail Fig. 4

Comparaison du rendement grain moyen des différentes espèces compagnes sur les trois campagnes quel que soit le mode de culture (*pour le mil, les données ne sont disponibles que sur deux campagnes).

Comparison of average grain yield of the different species used over all three seasons regardless of the cropping method (*for millet, data are only available for two seasons).

3.1.3 Bilan des associations en termes de LER.

En moyenne sur les trois années, les différences de LER partiels pour le sorgho et pour les plantes compagnes ne sont pas significatives entre les associations. Les LER partiels sont présentés en matériel supplémentaire (voir Annexe 5). Les résultats montrent que l’avantage de la culture en association par rapport à la culture pure a été globalement relativement faible dans les conditions de notre série d’essais (LER = 1,05). Les associations avec les légumineuses présentaient un LER moyen de 1,11, contre 0,97 pour celles avec les non-légumineuses, traduisant l’effet positif sur le sorgho de l’association avec les légumineuses. Le LER partiel sorgho des associations avec légumineuses a été de 0,60 en moyenne alors qu’il a été de 0,48 pour les associations avec les non-légumineuses.

3.2 Évaluation par les producteurs

3.2.1 Évaluation participative des différentes associations de culture sur les plateformes

En 2019, les avis des producteurs ont été tranchés. Ils ont très majoritairement rejeté les systèmes de culture associée avec le haricot mungo et l’éleusine, notamment parce que ce sont des cultures qu’ils ne connaissaient pas (Fig. 5). Pourtant le haricot mungo s’était particulièrement bien comporté dans l’essai en 2019 (Fig. 4). Les autres systèmes proposés ont été favorablement évalués sauf l’association avec le pois de terre qui n’avait pas bien produit en 2019.

En 2020, les résultats ont été beaucoup plus nuancés. Sans surprise, l’association avec le mil a été mal notée compte tenu des attaques d’oiseaux, et l’association avec le pois de terre a de nouveau été mal notée. Les associations les plus appréciées ont été celle avec l’arachide suivie de celles avec le haricot mungo et avec le sésame. Le haricot mungo a été beaucoup mieux apprécié qu’en 2019.

thumbnail Fig. 5

Évaluation participative des différents types d’associations par les producteurs de l’AMSP. En vert les appréciations favorables, en rouge les rejets et en bleu (seulement en 2020) les appréciations intermédiaires.

Participatory evaluation of the different types of associations by AMSP producers. Green indicates favorable appreciations, red indicates rejection, and blue (only in 2020) indicates intermediate appreciations.

3.2.2 Essais conduits par les producteurs

Dans les essais réalisés par les producteurs dans leurs propres champs de 2019 à 2021, comparant le haricot mungo en culture pure et en association, le haricot mungo a produit en moyenne 862 kg ha−1 en pur et 469 kg ha−1 en association, tandis que le sorgho a produit en moyenne 1224 kg ha−1 en pur et 641 kg ha−1 en association (sur l’ensemble des 20 tests). Il existe une très grande variabilité entre les essais (CV>50 %). Le LER total était de 1,07 comme sur les plateformes.

En 2022, chez 25 producteurs, la culture du haricot mungo a été comparée à celle du niébé, qu’ils connaissent bien. Là encore, les résultats ont été marqués par une très grande variabilité entre les producteurs (Fig. 6). La différence de rendement entre les parcelles de haricot mungo et celles de niébé n’est pas statistiquement significative (p = 0,132). Le haricot mungo a produit en moyenne 731 kg ha−1 et le niébé a produit en moyenne 609 kg ha−1. Les rendements ont été significativement meilleurs à Tansin qu’à Foulla (p = 0,035). Le classement des cultures n’est pas modifié selon le village (interaction non significative, p = 0,560).

thumbnail Fig. 6

Boîtes à moustaches comparant les rendements du haricot mungo (en vert) et du niébé (en orange) dans les 25 essais des producteurs des villages de Tansin et de Foulla en 2022.

Boxplot comparing mungbean (in green) and cowpea (in orange) yields in 25 producer trials of the villages of Tansin and Foulla en 2022.

3.2.3 Enquête post-campagne chez les producteurs-expérimentateurs.

Les producteurs ont majoritairement préféré le niébé au haricot mungo (72 % ; Tab. 2). L’avantage du niébé est qu’il est bien connu pour sa production et sa consommation et qu’il représente une source de revenu car il se vend bien sur le marché. Le haricot mungo est cependant plébiscité pour sa productivité, par 100 % des producteurs expérimentateurs. Il est aussi apprécié pour son goût (56 % ont préféré le haricot mungo au niébé). Les producteurs ont majoritairement considéré le niébé comme plus précoce que le haricot mungo (76 % d’entre eux). Le haricot mungo est malgré tout aussi considéré comme précoce par la totalité des expérimentateurs. Le haricot mungo demande plus de travail pour la récolte (3,9 passages en moyenne contre 2,3 pour le niébé) et est plus pénible à sarcler à cause du caractère irritant de ses feuilles pubescentes. Par contre, les producteurs sont unanimes pour dire que le haricot mungo a moins de problèmes de maladies et d’attaques d’insectes que le niébé. Sept producteurs ont aussi évoqué des chutes de fleurs chez le niébé à cause de l’excès de pluviométrie en août.

Tableau 2

Résultats de l’enquête comparant le niébé et le haricot mungo auprès des 25 producteurs qui ont réalisé des expérimentations en 2022.

Results of the survey comparing cowpea and mungbean among the 25 producers who conducted experiments in 2022.

4 Discussion

Dans ces différents essais et tests paysans, le haricot mungo a démontré son potentiel comme culture bien adaptée aux conditions du centre-nord du Burkina Faso. Toutefois, aussi bien sur les plateformes expérimentales que chez les producteurs, son association avec le sorgho est apparue moins favorable que l’association du sorgho et du niébé. Il existe vraisemblablement des possibilités d’optimisation de cette association par l’ajustement des arrangements entre plantes. Quoiqu’il en soit, le haricot mungo représente une opportunité intéressante en culture pure pour diversifier les rotations. Il a produit plus de grains que les autres légumineuses sur l’ensemble des trois campagnes d’essais sur les plateformes. Il a été le plus productif deux campagnes sur trois. Il est à noter que c’est en 2019, où l’essai a été conduit le plus au nord (à Dondollé, 80 km au nord de Ouagadougou) avec la pluviométrie cumulée la plus faible (613 mm), que les rendements ont été les meilleurs comparativement aux autres cultures. De plus le haricot mungo a donné de bons résultats, malgré leur grande variabilité, dans les essais des producteurs réalisés dans différents villages du centre nord entre 2019 et 2022. Le haricot mungo est une culture adaptée aux conditions semi-arides (Pataczek et al., 2018). Le haricot mungo pourrait être plus performant et plus stable que les autres légumineuses dans les conditions semi-arides de l’Afrique notamment car il est moins sensible à l’avortement des fleurs et des gousses, lié à des stress biotiques et abiotiques (Avav et Ugese, 2009).

Le haricot mungo commence à susciter un intérêt chez les producteurs ciblés comme l’illustre bien l’évolution favorable et rapide de leur appréciation entre 2019, où ils ont découvert cette culture et 2020, lors des évaluations participatives réalisées sur les plateformes AMSP. Même si le niébé conserve la préférence des producteurs d’après l’enquête de 2022, le haricot mungo est unanimement apprécié pour sa productivité et sa rusticité. Il est aussi apprécié pour son goût. Le frein majeur à la diffusion du haricot mungo est l’absence d’un marché. Contrairement au niébé, il ne peut pas être vendu facilement pour le moment. Le succès de la diffusion du haricot mungo, encore méconnu par les consommateurs, nécessitera une participation accrue des producteurs et des transformatrices pour définir les critères, évaluer les effets multidimensionnels de l’introduction du haricot mungo dans leurs exploitations et identifier les défis et les opportunités que cela représente. Par ailleurs, des distributions de sachets de semences, des formations à sa transformation, des livres de recettes seront réalisés. De plus, il devrait être possible d’élargir l’offre de variétés de haricot mungo disponibles pour les producteurs, qui se limite pour le moment à la seule variété « Beng Tigré » en référence au chef coutumier Larlé Naaba Tigré. Il existe une grande diversité de variétés de haricot mungo dont le potentiel reste à explorer dans le contexte soudano-sahélien. Il faudra aussi s’intéresser à la question de la valorisation du haricot mungo comme fourrage, utilisation qui ne fait pas consensus parmi les producteurs dont beaucoup disent qu’il n’est pas appété en frais par les animaux. Il faudra étudier son potentiel fourrager après séchage. En Inde la paille de haricot mungo s’est avérée appétente à la fois pour les moutons et les chèvres (Khatik et al., 2007).

Dans les conditions de nos expérimentations, la culture en association a montré un avantage modeste par rapport à la culture pure, essentiellement en ce qui concerne les associations avec les légumineuses. Deux méta-analyses sur les effets des associations céréales légumineuses indiquaient un index de LER égal à 1,31 (Daryanto et al., 2020) et à 1,17 (Yu et al., 2016), pour toutes les associations céréales-légumineuses confondues. En comparaison, dans notre expérimentation, nous avons obtenu un LER de 1,11 pour l’ensemble des quatre associations sorgho-légumineuses étudiées. Dans le cas spécifique de l’association sorgho-niébé, une métanalyse de Namatsheve et al. (2020) indiquait un LER moyen de 1,26 dans 79 expérimentations réalisées en Afrique subsaharienne. Le LER de 1,33 obtenu dans notre expérimentation est donc proche. Les semis tardifs des différents essais (entre le 13 et le 22 juillet) ont pu limiter les effets de complémentarité entre céréales et légumineuses. Le sorgho a profité de l’association plus que la légumineuse, avec un LER partiel moyen respectif de 0,62 et de 0,49. Ce résultat est conforme au cas général lorsque les deux composantes sont semées simultanément (Yu et al., 2016).

5 Conclusion

Il y a un enjeu fort à diversifier les cultures, tout particulièrement en augmentant la proportion de légumineuses. Les espèces de légumineuses sont à privilégier pour leur capacité à fixer l’azote atmosphérique et à fournir une alimentation saine et un fourrage de bonne qualité, même si dans nos essais les avis des paysans sur l’utilisation fourragère du haricot mungo sont mitigés. Nos résultats confirment l’intérêt des associations avec les légumineuses. La sécurité alimentaire et la fertilité des sols pourraient être considérablement améliorées par une plus grande utilisation des légumineuses à grains (Foyer et al., 2016). Le haricot mungo, bien adapté aux conditions semi-arides, pourrait contribuer à cette amélioration en ce qui concerne les zones soudano-sahéliennes de l’Afrique. Les producteurs ont confirmé ce potentiel dans leurs exploitations mais l’adoption du haricot mungo à plus large échelle dépendra d’opportunités de valorisation et de marché qui restent à faire émerger dans ces zones.

Matériel supplémentaire

Annexe 1. Pluviométrie observée sur les plateformes expérimentales au cours des trois campagnes.

Annexe 2. Liste des variétés utilisées pour chaque culture dans les différents essais au cours des trois campagnes et leur modalité de semis.

Annexe 3. Sescription des modèles mixtes utilisées pour analyser les essais.

Annexe 4. Tableau des rendements moyens annuels en grains et en biomasse pour le sorgho et pour les sept plantes compagnes pour chacune des trois années d’expérimentation.

Annexe 5. Tableau des LER partiels et totaux observés pour les sept cultures en association avec le sorgho en moyenne sur les trois années d’expérimentation.

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Remerciements

Nous remercions la fondation McKnight pour le financement du projet « 3F: Feeding the soil and Feeding the cow to Feed the people » qui a permis de conduire les travaux présentés dans cet article. Nous remercions aussi David Boundaogo et Benoit Sawadogo pour leur investissement dans la mise en place et le suivi des essais.

Références

Citation de l’article : Raboin L-M, Batieno BJ, Gozé E, Douzet J-M, Poda L, Koala WA, Agbevohia KA, Hassami D, Kabore M, Adam M, Dusserre J, Kabore R. 2023. Le haricot mungo, Vigna radiata (L.), une alternative à l’association sorgho-niébé pour la diversification des cultures en conditions soudano-sahéliennes ? Cah. Agric. 32: 26. https://doi.org/10.1051/cagri/2023019

Liste des tableaux

Tableau 1

Analyse combinée de la variance dans le dispositif en split plot comparant sept cultures en association avec le sorgho et en culture pure sur trois années d’expérimentation.

Combined analysis of variance in split plot design comparing seven crops in association with sorghum and in pure stand over three years of experimentation.

Tableau 2

Résultats de l’enquête comparant le niébé et le haricot mungo auprès des 25 producteurs qui ont réalisé des expérimentations en 2022.

Results of the survey comparing cowpea and mungbean among the 25 producers who conducted experiments in 2022.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Productrices et producteurs ayant participé à l’évaluation participative en 2020 face à une parcelle de haricot mungo.

Producers involved in the participatory evaluation in 2020 facing a mungbean plot.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Représentation des parcelles élémentaires divisées en trois sous-parcelles (culture associée, culture pure du sorgho, culture pure de l’espèce compagne) et des placettes pour les mesures de rendement. Le sorgho est figuré en vert, l’espèce compagne en jaune : (a) dispositif pour le mil, le sésame, le niébé et le haricot mungo et (b) dispositif pour l’arachide, le pois de terre et l’éleusine.

Representation of the elementary plots divided into three subplots (associated crop, pure sorghum crop, pure associated crop) and the corresponding yield squares. The sorghum is shown in green, the associated crop in yellow: (a) layout for millet, sesame, cowpea and mungbean and (b) layout for groundnut, Bambara nut and finger millet.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Rendement grain du sorgho dans les parcelles cultivées en association en fonction de l’espèce utilisée dans l’association. La ligne hachurée correspond à un LER partiel du sorgho = 0,5.

Grain yield of sorghum in association plots as a function of the crop used in the association. The dashed line corresponds to a partial LER for sorghum = 0.5.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Comparaison du rendement grain moyen des différentes espèces compagnes sur les trois campagnes quel que soit le mode de culture (*pour le mil, les données ne sont disponibles que sur deux campagnes).

Comparison of average grain yield of the different species used over all three seasons regardless of the cropping method (*for millet, data are only available for two seasons).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Évaluation participative des différents types d’associations par les producteurs de l’AMSP. En vert les appréciations favorables, en rouge les rejets et en bleu (seulement en 2020) les appréciations intermédiaires.

Participatory evaluation of the different types of associations by AMSP producers. Green indicates favorable appreciations, red indicates rejection, and blue (only in 2020) indicates intermediate appreciations.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Boîtes à moustaches comparant les rendements du haricot mungo (en vert) et du niébé (en orange) dans les 25 essais des producteurs des villages de Tansin et de Foulla en 2022.

Boxplot comparing mungbean (in green) and cowpea (in orange) yields in 25 producer trials of the villages of Tansin and Foulla en 2022.

Dans le texte

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