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Cah. Agric.
Volume 32, 2023
Le foncier irrigué : enjeux et perspectives pour un développement durable / Irrigated Land Tenure: Challenges and Opportunities for Sustainable Development. Coordonnateurs : Jean-Philippe Venot, Ali Daoudi, Sidy Seck, Amandine Hertzog Adamczewski
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Article Number | 22 | |
Number of page(s) | 10 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2023015 | |
Published online | 01 August 2023 |
Article De Recherche / Research Article
Les « chemins fonciers » de l’agrobusiness dans le delta du Sénégal
“Bypass tracks” of agrobusiness in Senegal Delta River
1
CIRAD, UMR G-EAU, Université de Montpellier, Montpellier, France
2
G-EAU, Univ Montpellier, Montpellier, France
3
IRD, UMR Sens, Montpellier, France
4
Université Gaston Berger, Saint-Louis du Sénégal, Sénégal
* Auteur de correspondance : amandine.hertzog@cirad.fr
Bien que l’État sénégalais considère que la législation foncière actuelle constitue un frein au développement de l’agrobusiness, de nombreux projets agro-industriels se sont installés dans le delta du fleuve Sénégal, en particulier depuis les années 2000. À partir de l’analyse détaillée de 15 cas, l’article montre que, au-delà de leur diversité, leurs chemins d’accès au foncier suivent trois grandes voies, en fonction de l’institution qui accorde les terres. Au Sénégal, les communes sont les principales instances d’attribution de terres et la majorité des investisseurs préfèrent la négociation locale à l’attribution de terres par l’État. Ouvrir la boîte noire des pratiques effectives et des « chemins fonciers » réellement suivis éclaire le débat sur la régulation de l’accès à la terre irriguée au Sénégal et, plus largement, sur les façons dont les entrepreneurs agricoles négocient et légalisent cet accès à la terre, ainsi que sur le rôle du cadre légal et institutionnel et des autorités locales.
Abstract
The Senegalese government considers the current land legislation to be an obstacle to the development of agribusiness. However, many agribusiness projects have been set up in the Senegal River Delta, particularly since the 2000s. Based on a detailed analysis of 15 cases, the article shows that, beyond their diversity, their access to land follows three main paths, depending on the institution that grants the land. In Senegal, the communes are the main land allocation bodies and the majority of investors prefer local negotiation to the allocation of land by the State. Opening the black box of actual practices and concrete ’land paths’ sheds light on the debate on the regulation of access to irrigated land in Senegal and, more broadly, on the ways that agribusiness uses for negotiating and legalizing this access, as well as on the role of the legal and institutional framework and local authorities.
Mots clés : gestion du foncier irrigué / investisseurs / pratiques informelles / négociations / contrats / chemins fonciers / Sénégal
Key words: irrigated land management / investors / informal practices / negotiations / land contracts / bypass tracks / Senegal
© A. Hertzog-Adamczewski et al., Hosted by EDP Sciences 2023
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Dès la fin des années 1950, la vallée du fleuve Sénégal a été au cœur des politiques de développement de l’irrigation au Sénégal. Depuis le tournant libéral de 1984, mais surtout depuis les années 2000, les investisseurs privés sont appelés à jouer un rôle croissant dans le développement de l’agriculture irriguée (Bélières et al., 2013 : Oya et Ba, 2013: Burnod et al., 2013: Kamara et al., 2016). Le Plan Sénégal émergent (PSE) de 2012 confirme cette priorité.
Pour atteindre ses objectifs, l’État sénégalais cherche à favoriser l’accès des investisseurs à la terre. Pour lui, la loi sur le Domaine national (LDN) de 1964 est un obstacle : celle-ci rassemble en effet la quasi-totalité des terres rurales dans le « Domaine national », dont l’accès est en théorie réservé aux habitants des communautés rurales et où toute transaction foncière est interdite.
Pourtant, depuis l’avènement du PSE, les projets agricoles privés (de 25 à 500 ha) se sont multipliés, sans susciter de conflits, contrairement aux grands projets privés soutenus par l’État dans les années 2000 (Gagné, 2019). Comment ces entrepreneurs ont-ils fait ? Si l’on sait que les chemins d’accès au foncier empruntés par les investisseurs s’écartent souvent du cadre légal (Bourgoin et al., 2020), les différentes étapes de négociation, les modalités des transactions, et les acteurs impliqués sont rarement analysés de façon détaillée.
Les recherches sur les grandes acquisitions foncières en Afrique et en Asie ont montré que « diverses administrations, autorités coutumières et instances décentralisées ont le pouvoir d’allouer des terres aux investisseurs, ou cherchent à s’octroyer un tel pouvoir (…). Les investisseurs traitent donc avec une diversité d’interlocuteurs et, selon les contextes et les trajectoires de négociation, les arrangements sont différemment formalisés et n’ont parfois pas de valeur légale assurée (…) (Mc Carthy et al., 2012: White et al., 2012). L’accès des investisseurs à la terre peut également passer par des arrangements directement établis avec des autorités coutumières ou des organisations locales » (German et al., 2011 : voir aussi Burnod, 2022 : 632–633). Octroyer des terres peut faire partie des stratégies d’affirmation étatique, à l’échelle nationale (Zoomers, 2010: Lavers, 2016) ou locale (Schlimmer, 2019). Le fait que l’attribution de droits sur la terre soit normalement réservée aux communes fait du Sénégal un cas original.
Cet article étudie et compare les chemins d’accès au foncier suivis par une quinzaine d’investisseurs dans le delta du Sénégal. Alors que la majorité des recherches sur les modalités d’installation de l’agrobusiness portent sur un ou quelques cas, au risque de surestimer leur représentativité, cette recherche a porté sur un nombre de cas suffisant pour mettre en avant la diversité des « chemins fonciers » empruntés par les investisseurs pour négocier et légaliser leur accès à la terre, mais aussi discuter l’existence de similarités. Cet article confirme le rôle central que les communes sénégalaises jouent dans les attributions de terres, contribuant ainsi au débat sur les modalités d’installation de l’agrobusiness en Afrique, et sur la façon dont le cadre légal et institutionnel conditionne, sans les déterminer, les modes d’accès à la terre. Il permet en outre de discuter, sur des bases empiriques, si et jusqu’où la législation foncière sénégalaise actuelle est un réel obstacle pour l’agrobusiness.
2 Identifier et analyser les « chemins fonciers » suivis par les investisseurs
Les projets d’agrobusiness qui s’installent dans le delta du Sénégal depuis les années 2000 arrivent dans un espace déjà largement aménagé (Fig. 1). Les terres des cuvettes argileuses inondables (Waalo) ont été en partie aménagées par l’État, entre 1965 et 2000 (instauration des Périmètres irrigués villageois [PIV], à partir de la fin des années 1970, dans la logique des aménagements « small is beautiful ») réalisés pour la riziculture paysanne irriguée par pompage dans le fleuve. Quelques entreprises agro-industrielles irriguées par pompage sur le fleuve se sont aussi implantées (canne à sucre, tomate) avant les années 2000. À partir des années 2000 (figuré rouge sur la Fig. 1), l’État et les bailleurs de fonds ont poursuivi quelques aménagements paysans, en particulier dans le delta et autour du lac de Guiers, et surtout de nombreux projets privés de production maraîchère se sont installés (figuré rouge entouré de noir) principalement sur des terres sableuses exondées (Jeeri) qu’ils ont aménagées, élargissant ainsi au-delà du Waalo le territoire agricole irrigué du Delta. L’important capital mobilisé permet en effet d’implanter un projet irrigué, loin du fleuve, grâce à un long canal ou en pompant dans la nappe par un forage, avec une irrigation gravitaire ou par pivots. Quelques projets privés se sont aussi installés sur des terres rizicoles, dans le bas Delta (Waalo). Les terres aménagées par les investisseurs étaient auparavant exploitées par des agriculteurs familiaux ou des éleveurs transhumants (Tab. 1).
Portés par des investisseurs nationaux ou internationaux, ces nombreux projets d’agrobusiness sont très variés en termes de superficies, de spéculations et de modèles techniques. La façon dont ils ont négocié et légalisé leur accès à la terre est, elle aussi, variée. L’objectif de cette recherche, qui s’est déroulée entre 2017 et 2021, était de dépasser les cas individuels pour mettre au jour toute la gamme des « chemins fonciers » suivis par les investisseurs et identifier des grands types.
Après une analyse du cadre légal et institutionnel, l’enquête de terrain a été menée à deux niveaux. Les grandes lignes des modes d’accès au foncier ont été caractérisées pour des grandes entreprises (6 exploitations de plus de 500 ha, principalement maraîchères) et des petits entrepreneurs (80 exploitations de 5 à 80 ha, situées à proximité des terrains des grandes entreprises (80 % d’exploitations à dominante rizicole, et 20 % d’exploitations à dominante maraîchère). Sur cette base, 15 études de cas approfondies (6 grandes entreprises et 9 petits entrepreneurs, cf. Fig. 2) ont été menées, afin d’analyser de façon fine les différentes étapes de leur accès au foncier. Pour chacune d’elles, l’ensemble des acteurs en jeu (investisseurs, intermédiaires, élus locaux, représentants de l’État, etc.) ont été interrogés au travers d’enquêtes qualitatives ouvertes ou semi-ouvertes, répétées, pour comprendre et analyser les étapes et les interlocuteurs (administration, communes, populations locales, responsables villageois, etc.). Les règles et les pratiques des contrats qui les lient, ainsi que les modalités de négociation de ces contrats, sont assez opaques, et complexes à mettre à jour. Ils sont souvent à la marge de la légalité et les investisseurs sont réticents à en parler : plus de 90 % des petits exploitants interrogés ont eu recours, à un degré variable, à des pratiques informelles. De plus, les investisseurs mobilisent parfois des intermédiaires chargés de négocier ou de faire pression sur les acteurs locaux (Sow, 2018) et ne souhaitent pas que ces négociations soient connues, de peur de se voir accuser d’accaparement foncier. Les contrats sont peu accessibles, et rarement détaillés (Cotula, 2011). C’est seulement en reconstituant pas à pas les étapes, dans un nombre suffisant de cas choisis pour leur diversité, que l’on peut décrire ces chemins fonciers, mettre à jour les logiques qui y président et identifier les étapes clés et leurs conséquences sur l’issue de la négociation. Seule une recherche sur le temps long, couplant relevés, observations et entretiens, peut installer une relation privilégiée avec les entrepreneurs, et créer une confiance rendant possible l’accès à des données solides.
Fig. 1 Localisation de la zone d’étude (source de la figure : auteurs d’après SAED 2022). Location of the study area. |
Principales caractéristiques des cas étudiés en détail.
Main characteristics of the cases studied in detail.
Fig. 2 Schéma théorique de l’accès au foncier dans le cadre de la Loi sur le Domaine national (LDN) (source de la figure : auteurs). Theoretical diagram of Land access under the National Domain Act (LDN) (source: authors). |
3 Marchandisation et politisation de l’accès à la terre au sein du Domaine national
La Loi sur le Domaine national (LDN) qui régit les terres rurales a été promulguée en 1964 dans le cadre du socialisme africain promu par le Président Léopold Sédar Senghor et son Premier ministre Mamadou Dia (Moleur, 1983). Marquant une volonté de rupture avec le modèle économique colonial et voulant articuler conceptions africaines de la terre et projet étatique de modernisation de la société, elle crée un Domaine national, détenu par l’État au nom de la nation, et y verse toutes les terres non immatriculées, soit plus de 90 % du territoire à l’époque. Elle réduit drastiquement le champ de la propriété privée : désormais, seul l’État peut immatriculer des terres du Domaine national, en son nom et pour cause d’utilité publique (Caverivière et Debene, 1988). Le Domaine national est organisé en plusieurs sous-domaines, dont les zones de terroir qui sont sous la responsabilité des « communautés rurales », collectivités locales devenues communes en 2013, et les zones pionnières, contrôlées par l’État dans la perspective d’aménagements. Dans les zones de terroir, les communes ont le pouvoir d’attribuer gratuitement les terres à leurs habitants (les « membres ») et aux organisations paysannes qui en font la demande. Cette « affectation » confère un simple droit d’usage pour une durée indéterminée tant que les terres sont mises en valeur, droit ne pouvant faire l’objet d’aucune transaction (Ibid.). Le droit d’usage accordé par une affectation est donc très différent de la propriété privée garantie par l’État que représente le titre foncier (Fig. 2) ; on appellera dans la suite « détenteurs fonciers » les acteurs détenant des terres sur le Domaine national, que ce soit selon les normes foncières locales, à titre « informel » ou avec une affectation de droits d’usage par la commune. La LDN donne donc un pouvoir étendu d’attribution de terres aux conseils communaux, mais en termes de droits d’usage seulement ; elle réserve l’accès à la terre aux « membres » de la commune, en exclut les entreprises et interdit toute transaction. Mise en cause pour ces dernières raisons depuis la libéralisation de l’économie dans les années 1990, elle n’a pourtant pas été revue malgré plusieurs tentatives (Dahou et Ndiaye, 2008 : Touré et al., 2013 : Lavigne Delville et al., 2021) et demeure donc le cadre légal actuel.
Les terres du delta du fleuve Sénégal ont été originellement classées en zone pionnière pour faciliter leur aménagement par l’État. Des périmètres rizicoles ont été aménagés sous maîtrise d’ouvrage publique et les parcelles attribuées à des exploitants familiaux. La nouvelle politique agricole de 1984 a marqué le début du désengagement de l’État et de la promotion de l’agrobusiness. En 1987, la zone pionnière du delta a été déclassée et ses terres reversées dans les zones de terroirs. Les conseils ruraux ou communaux de la région ont alors affecté de nombreux terrains aux groupements d’intérêt économique (GIE) paysans, mais aussi – ce qui est illégal – à des leaders religieux non originaires du terroir, à des investisseurs privés et à des entreprises.
La promulgation de la Loi sur le Domaine national n’a en effet pas annulé les stratégies d’accumulation foncière des élites urbaines ou religieuses. Les enjeux politiques et économiques du foncier suscitent de nombreux arrangements avec des règles marquées de nombreux flous et imprécisions ; les pratiques informelles sont fréquentes au sein de l’administration foncière déconcentrée comme des communes (d’Aquino et al., 2017). Attribuer des terres est un pouvoir politique important ; or, les conseils communaux sont des organes marqués par les clivages politiques et partisans locaux (Dahou, 2004) et les demandes d’affectation sont traitées au filtre des rapports politiques et clientélistes, voire de paiements non légaux. Faute de support cartographique, les affectations ne sont pas géo-référencées par les autorités et les superpositions sont nombreuses.
Du fait de l’irrigation, le taux de parcelles bénéficiant d’une affectation officielle est bien plus élevé dans le delta du Sénégal que dans le reste du pays (Bourgoin et al., 2020), mais bon nombre d’habitants n’en demandent pas, considérant que leurs droits coutumiers suffisent. Bien qu’interdites, les transactions foncières se multiplient, sur des bases néo-coutumières (Colin et Woodhouse, 2010), validées de façon semi-formelle par les institutions locales (Mathieu, 2001) : des locations et du métayage se rencontrent sur les aménagements irrigués publics (Mathieu, 1990). Des ventes de terre se développent aussi, cachées derrière la cession des « peines et soins » ou des « impenses », c’est-à-dire des investissements réalisés sur les parcelles. La cession des investissements dans la terre est acceptée, tant dans les logiques coutumières (Sjaastad et Bromley, 1997) que par l’administration. Ceci permet aux conseils communaux de légaliser des ventes illégales, en désaffectant, à la demande du vendeur, le terrain vendu et en le réaffectant à l’acquéreur. L’administration déconcentrée ferme les yeux. Bien plus, elle détourne parfois elle-même les règles (Caverivière et Debene, 1988 : 155). Intégré dans des pratiques d’administration foncière prenant des libertés avec la loi, ce marché foncier, qui porte sur les terres constructibles en milieu péri-urbain et les terrains irrigables en zone de terroir, est très dynamique. Les pratiques s’adaptent très rapidement pour répondre aux demandes, des exploitants familiaux comme des petits privés.
4 Négocier l’accès au foncier pour les entrepreneurs : trois grandes voies, de multiples chemins
Les investisseurs en quête de terres arrivent ainsi dans le delta du Sénégal dans des contextes marqués par de nombreux aménagements hydroagricoles publics ou privés qui occupent une part importante de l’espace, par une marchandisation partielle de la terre, illégale, mais réelle, par un cadre légal et institutionnel à la fois peu précis et diversement respecté, et par une forte politisation de l’accès à la terre et des instances communales.
Cependant, les terres qu’ils convoitent ne sont jamais vides. Des villages y sont parfois installés et les habitants les exploitent au travers de l’agriculture (pluviale ou irriguée), avec ou sans document légal. Les projets de grande ampleur visent ainsi plutôt des terres de parcours, exploitées par des éleveurs, également sans document légal.
La comparaison des chemins fonciers des 15 entreprises étudiées de façon approfondie permet de montrer que ces chemins, chaque fois spécifiques, peuvent se regrouper dans trois grandes voies, selon que l’acteur qui officialise le transfert des terres est l’État, les élus communaux, ou les détenteurs fonciers. Nous décrivons ici ces trois grandes voies et les principales variantes en leur sein.
4.1 Voie 1 – Mobiliser des appuis politiques pour une attribution par l’État
Pour l’État, un accès sécurisé des investisseurs à la terre passe par l’immatriculation des terres en leur nom propre, puis par la délivrance aux entreprises agricoles de baux emphytéotiques, parfois suivie de transferts en pleine propriété.
Dans cette voie, les terrains sont accordés à l’entreprise par l’administration foncière, « par le haut ». Deux variantes existent (cf. Fig. 3). La première (1a) repose sur la mobilisation de soutiens internationaux, en relation avec des acteurs politico-administratifs de haut niveau. Ceux-ci ordonnent à l’administration foncière d’attribuer directement un bail, sans affectation préalable du terrain obtenue au niveau de la commune ou bien sur la base d’une affectation obtenue par pression politique ou corruption. Il n’y a donc pas de négociation locale. Ce chemin d’accès est réservé à des exploitations privées de grande taille qui cherchent à sécuriser un capital investi important (>1 million d’euros) et dont les réseaux politiques assurent un fort soutien de l’État (Benegiamo, 2020).
La seconde (1b) passe par un intermédiaire, souvent de nationalité sénégalaise, qui mobilise ses propres réseaux, et négocie l’appui d’acteurs influents – impliqués ou pas dans le foncier – aux échelles nationale, régionale et locale. Ce chemin est emprunté par des entreprises dont les actionnaires, majoritairement internationaux, ne bénéficient pas de suffisamment de réseaux et/ou d’appuis politiques au niveau national. Le détail du chemin dépend du réseau de l’intermédiaire et de ses ancrages dans le monde politique et dans l’espace local. Des négociations pluri-niveaux permettent d’obtenir le consentement des acteurs communaux (se traduisant par une affectation des terres visées) puis de formaliser l’accord, tant à l’échelle communale qu’au niveau des services fonciers (lancement de la procédure d’immatriculation). Appuyées politiquement, les négociations aboutissent rapidement, et en moins d’un an les travaux d’aménagement peuvent commencer (Fig. 4).
Qu’elles s’appuient ou non sur une affectation obtenue au niveau de la commune, ces stratégies « par le haut » requièrent le soutien de l’administration territoriale (du département ou de la région), voire d’hommes politiques bien placés et aboutissent à l’immatriculation du terrain au nom de l’État, préalable à l’établissement d’un bail. Les titres fonciers obtenus, sans le consentement des populations, sont perçus comme illégitimes. Les projets ayant mobilisé l’État pour accéder au foncier, ou ayant tenté de le faire, ont, pour ces raisons, fréquemment suscité des mouvements de contestation – parfois appuyés internationalement – de la part des agriculteurs ou des éleveurs voyant leurs droits et leurs moyens d’existence mis en cause. Les cas des localités de Fanaye, Dodel et Ndiaël sont des exemples de mobilisations contre ce type de projets, qui ont parfois abouti à leur abandon (Fall, 2017 : Gagné, 2019).
Fig. 3 Accéder au foncier en négociant avec « l’État » (source de la figure : auteurs). Access to land by negotiating with the “State” (source: authors). |
Fig. 4 Une voie tracée vers les communes pour s’inscrire dans la cadre de la Loi sur le Domaine national (LDN) (source : auteurs). A clear path to communes to comply with the National Domain act (LDN) (source: authors). |
4.2 Voie 2 – Chercher une légitimité locale et s’inscrire dans la loi sur le Domaine national
Les grandes entreprises privées qui ne disposent pas de soutiens politiques haut placés et les petits et moyens investisseurs négocient la terre avec les autorités communales, et parfois au niveau des villages, puis demandent officiellement une affectation du terrain par la commune, pour entériner les accords. Ils mobilisent donc la loi sur le Domaine national bien que, non « membres » de la collectivité, ils ne devraient formellement pas pouvoir bénéficier d’affectations.
Les investisseurs qui ne sont pas de la zone font appel à des intermédiaires, qui sont rémunérés en devenant ensuite salariés ou associés de l’entreprise. Ces derniers effectuent eux-mêmes les négociations (Fig. 5), en général d’abord à l’échelle des villages, puis des communes (2a) ou l’inverse (2b). Des assemblées villageoises peuvent être organisées par l’intermédiaire pour convaincre les villageois de l’intérêt du projet. Les détenteurs fonciers concernés par le projet sont ensuite rencontrés individuellement, ou collectivement au niveau des villages. Les accords sont traduits par une convention ou un accord-cadre avec les communes, et par une mise à disposition des terres par les mairies, par affectation. Le temps des négociations peut être très long : la moyenne des cas analysés est de plus de 3 ans. Mais, pour les investisseurs qui empruntent ces chemins, soucieux de leur légitimité, le consensus social, passant par l’accord plus ou moins officialisé des autorités locales et/ou des populations, est une meilleure garantie de sécurité foncière – au sens d’absence de contestation et de possibilité d’exploitation paisible – qu’un titre foncier illégitime.
Dans le cadre de la loi sur le Domaine national, la mise à disposition des terres à l’investisseur est gratuite. Outre des « frais de bornage » payés à la mairie, les contreparties consistent en des promesses de priorité d’emploi pour les habitants des villages concernés, et du financement d’infrastructures collectives (écoles, dispensaires, centres de santé, routes, accès à l’eau, etc.). Dans de rares cas, des terres sont aménagées pour les détenteurs fonciers en compensation des surfaces qu’ils ont cédées, ou sont achetées directement auprès des détenteurs fonciers (disposant ou non d’un document légal) (voir voie 3b).
Les négociations ont lieu pour un site donné. L’entreprise est donc contrainte de réengager les négociations à chaque extension foncière, au risque que les interlocuteurs aient changé ou entrent dans un jeu de surenchère sur les contreparties. Certains entrepreneurs aménagent et exploitent leurs terres dans la durée sur la base de la délibération du conseil communal. D’autres, plus rares, après avoir finalisé le processus d’affectation, cherchent ensuite à obtenir, par la voie étatique, un bail emphytéotique ou un titre foncier, rompant ainsi le pacte initial qui maintenait les terres aménagées au sein du Domaine national et sous le contrôle de la commune.
Fig. 5 Négocier avec les détenteurs : une voie privilégiée pour investir ? (voie 3a) (source de la figure : auteurs). Negotiating with holders: the best way to invest? (path 3a) (source: authors). |
4.3 Voie 3 – Négocier et formaliser directement auprès des détenteurs fonciers
La voie 3 (Fig. 5 et 6) répond à des objectifs de sécurisation de l’investissement pour l’entreprise avec deux objectifs principaux : formaliser juridiquement les accords avec les détenteurs fonciers et acquérir des outils de production déjà fonctionnels, pour limiter l’ampleur de l’investissement.
Pour certains entrepreneurs (3a), la négociation pour obtenir l’affectation d’un terrain non aménagé est trop longue ou trop coûteuse et, pour d’autres, l’insuffisance de moyens ne leur permet pas d’aménager eux-mêmes les terres. Ils font donc le choix de s’adresser directement à des détenteurs fonciers ayant déjà aménagé leur terrain. Ils négocient des contrats de location « clés en main » pour une parcelle déjà aménagée. L’offre vient d’entreprises privées précédemment installées, bénéficiant d’une affectation sur le terrain concerné, mais manquant du capital nécessaire pour réinvestir, notamment dans du matériel d’irrigation ou des bâtiments de stockage (cf. Fig. 5). Nous n’avons pas rencontré de cas de négociations avec des collectifs d’irrigants ayant aménagé ou entretenu un aménagement hydroagricole communautaire.
La location de terres étant légalement interdite, c’est l’équipement d’irrigation (pivot, asperseurs, réseau goutte à goutte…) qui est officiellement l’objet du contrat, enregistré au niveau de la commune. Les accords varient selon le modèle d’irrigation, sous pivot ou gravitaire. Pour des systèmes irrigués par pivot, les aménagements doivent être de grande taille (entre 50 et 200 ha, taille variable selon l’unité de production du pivot d’irrigation). Les moyens nécessaires à l’établissement d’une exploitation sous pivot d’irrigation sont donc importants, ce ne sont donc que des projets portés par des investisseurs privés, de type agro-industriel, qui négocient, puis formalisent au travers d’un contrat de location des moyens matériels, l’accord de transfert d’usage. La durée est limitée de 1 à 3 ans, et l’accord stipule que l’entretien du matériel est à la charge du locataire.
Dans le cas de parcelles irriguées gravitairement (essentiellement pour le développement de la riziculture) les contrats (oraux ou écrits, entre les deux parties) sont limités à une seule campagne de culture, et seul l’entretien de l’aménagement engage les parties. Le locataire apporte tout le matériel complémentaire dont il a besoin (motopompe, tracteur…). La location concerne donc en fait réellement la terre aménagée elle-même, et non pas le matériel qui est pour l’essentiel apporté par le locataire, celui en place étant le plus souvent obsolète. Les contrats ne sont pas systématiquement formalisés à l’échelle communale. Seuls certains agriculteurs ont eu recours à des contrats de location multisites de rizières, qui sont toujours de plus petite dimension pour des questions de planage et de foncier disponible. Pour tous, la question du regroupement des parcelles exploitées est importante, car cela permet de limiter les zones de production et donc de diminuer les coûts annexes (logistique, exploitation…).
Certaines de ces locations sont ensuite transformées en ventes, si le locataire est satisfait de l’exploitation du site. Le vendeur s’engage alors à demander la désaffectation de ses terrains et leur réaffectation au nom du nouvel exploitant. Il s’agit donc d’une vente effective de biens matériels (les équipements) couplée en pratique à la cession marchande du terrain, support de l’activité.
Se rattache à cette voie un chemin original (3b) où l’investisseur, au lieu de compter sur les autorités villageoises pour gérer la mise à disposition des terres, a engagé la négociation à l’échelle du village, puis a négocié directement avec les autorités coutumières un accord de principe et le montant des compensations par hectare, puis avec chacun des paysans concernés a acté la vente de sa parcelle, officiellement sous forme de cession des « peines et soins » (cf. Fig. 6). Ces exploitants affectataires antérieurs ont chacun accepté, contre remise d’un chèque, de demander à la commune une désaffectation de leur parcelle et leur réaffectation au bénéfice de l’entreprise. Les détenteurs fonciers qui ont refusé initialement de céder leur parcelle peuvent se retrouver cernés par les terres affectées à l’entreprise et finalement contraints d’accepter. L’entreprise obtient ainsi une surface importante, en réunissant des lots contigus de petites parcelles, désaffectées puis réaffectées individuellement à son profit.
Fig. 6 La formalisation à l’échelle agro-industrielle d’une transaction juridiquement admise, l’acte de cession pour peines et soins (voie 3b). Formalizing a legally-accepted transaction on an agro-industrial scale: the deed of assignment for pain and care (path 3b) (source: authors). |
5 Les limites légales et éthiques des accords négociés
Les entrepreneurs installés dans le delta du fleuve Sénégal ont utilisé de multiples voies – légales, informelles, coutumières – et mobilisé différents intermédiaires, pour négocier un accès aux terres. Ils ont suivi des « chemins fonciers » variés, originaux et bricolés, impliquant une diversité d’acteurs (collectivités, intermédiaires, acteurs privés et publics…). Les procédures d’accès au foncier sont hétérogènes, et varient en fonction des dotations de l’entrepreneur en capital financier et en capital social. Pour autant, on observe certaines constantes que l’analyse comparée de ces chemins fonciers permet de faire émerger et d’éclairer.
Quel que soit le chemin, la négociation et la construction d’alliances et de soutiens, à des niveaux variés, sont au cœur du processus. Elles sont d’autant plus indispensables que le cadre légal et institutionnel est incomplet, et que la gouvernance foncière est fortement politisée et personnalisée. Ceci augmente les coûts et les incertitudes pour les investisseurs, tant au niveau des contreparties attendues en termes de Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) que des arrangements, éventuellement corruptifs, avec les élus communaux et les représentants de l’État impliqués.
La majorité des chemins passent par des accords négociés localement, et contractualisés par les communes à travers une convention et une affectation des terres par le conseil communal (voie 2), ou bien sous forme de contrats directs avec les détenteurs fonciers (voie 3). Or, selon la LDN, toute transaction foncière est interdite sur les terres de culture, et l’attribution de terres à une entreprise était illégale jusqu’au nouveau décret 2022-2307 de décembre 2022. Ces pratiques sont cependant largement tolérées y compris par l’administration. Elles offrent des réponses pragmatiques aux carences du cadre légal, mais posent de nombreuses questions. Tout d’abord, sur le rôle des investisseurs, qui se substituent à l’État et/ou aux communes dans le financement d’équipements, et sur celui des communes où certains élus se soucient plus d’objectifs financiers personnels que de l’avenir des territoires en question. Ensuite, les accords se centrent principalement sur l’accès à la terre et les compensations (avec en plus une négociation fiscale pour la voie étatique) : les composantes techniques des projets, notamment la question de l’accès à l’eau pour le projet agricole, sont très rarement mentionnées. La question de la continuité de l’accès aux ressources pour les anciens usagers est également rarement prise en compte. Ainsi, les éleveurs, sédentaires, transhumants ou nomades, qui voient leur accès aux pâturages se restreindre, et parfois même leur accès au fleuve ou à un de ses défluents se compliquer du fait des aménagements, sont souvent tenus à l’écart des processus de négociation et n’obtiennent guère de compensations. Or, avant les aménagements hydroagricoles, le delta était avant tout un espace d’élevage où l’agriculture était très marginale.
Toutefois, certains investisseurs ont négocié avec les communes concernées et un collectif d’éleveurs (éleveurs « locaux » et transhumants), afin que la perte d’usage pastoral des terres puisse être, elle aussi, compensée. Des accords-cadres ont ainsi été signés précisant que les éleveurs pourraient bénéficier des résidus de cultures de l’entreprise, et également de la production de fourrage, mis à disposition en période de soudure. Mais de tels accords demeurent exceptionnels.
Enfin, même négociés, les accords ne sont pas toujours équitables, notamment du fait des rapports de force mettant les investisseurs ou les décideurs politiques locaux au cœur des négociations, et laissant parfois les plus impactés, les populations locales, en marge des négociations. Ici, comme ailleurs (Vermeulen et Cotula, 2010), les conditions d’un consentement éclairé ne sont pas toujours réunies ; des pressions diverses, des biais dans l’information des acteurs concernés, sont fréquents. Bien plus, l’affectation des terres à l’entreprise implique que les détenteurs fonciers renoncent à leurs terres, moyennant des contreparties qui sont le plus souvent collectives au niveau villageois (emploi, infrastructures), et ne compensent donc pas spécifiquement la perte de leurs propres droits fonciers. Les rapports de force entre protagonistes influent fortement sur le degré de prise en compte des détenteurs fonciers, par l’État ou les investisseurs (Tafon et Saunders, 2019). Lorsque l’investisseur négocie directement avec les paysans individuels, ceux qui acceptent de céder leurs terres, volontairement ou suite à des pressions, reçoivent une compensation pour les terres auxquelles ils renoncent. Mais cet accord entérine néanmoins une perte de patrimoine.
6 Conclusion : partir des pratiques pour négocier des chemins fonciers plus transparents et plus équitables
Dans le delta du Sénégal, l’expansion de l’agrobusiness montre que, contrairement aux discours qui la mettent en cause, la Loi sur le Domaine national n’est pas, dans les faits, un réel obstacle au développement de l’agrobusiness. L’analyse des chemins fonciers suivis par différents types d’investisseurs confirme que, comme souvent ailleurs en Afrique, les interlocuteurs sont multiples, du gouvernement aux détenteurs locaux de divers types de droits fonciers, et que les négociations prennent des formes en partie spécifiques en fonction des configurations locales (acteurs en jeu et rapports entre eux).
Cependant, ces négociations ne se font pas n’importe comment. La comparaison de 80 cas (dont 15 étudiés de façon approfondie) a permis de mettre au jour trois grandes voies, où le passage par les communes est le plus souvent central (voie 2, mais aussi 1b et 3b). Alors que, dans les pays où les terres non immatriculées sont considérées comme relevant du domaine de l’État, les institutions étatiques sont les principaux attributeurs de terrains (Lavers, 2012 : Adamczewski et al., 2013), les communes au Sénégal sont un point de passage presque obligé, par le fait que la loi sénégalaise leur confie la capacité d’attribuer les terres du Domaine national, ce qui limite d’une part le pouvoir des instances coutumières et, d’autre part, normalement, celui de l’État, à le faire. Même respecté seulement partiellement et objet de manipulations et d’arrangements, le cadre légal et institutionnel conditionne ainsi le jeu des possibles. Bien plus, si ce pouvoir donné aux communes, instances élues, ne garantit pas que les projets fassent consensus (les projets conflictuels des années 2000 ont aussi bénéficié d’affectations par les communes, sous forte pression politique), il favorise les négociations locales et la recherche de compromis.
Les communes sont cependant concurrencées par l’État (voie 1) qui cherche à les court-circuiter, et par les contrats conclus directement avec les détenteurs fonciers (voie 3). Bien que la voie 1 apparaisse comme la plus sûre d’un point de vue juridique et soit privilégiée par l’État, et malgré l’existence de dispositifs facilitateurs comme l’Agence pour la promotion des investissements (APIX) (Toure et al., 2013) pour accompagner les investisseurs, cette voie, qui passe par l’immatriculation des terres par l’État, ne séduit pas la majorité des entrepreneurs. Ceux-ci investissent des sommes importantes, parfois plusieurs millions d’euros, sur la base d’attribution de terres par la commune. Pour eux aussi, la sécurité foncière, c’est-à-dire la confiance dans le fait que leurs droits fonciers ne seront pas mis en cause (Lavigne Delville, 2017), ne passe pas nécessairement par la propriété privée. L’affectation des terrains par la commune est censée ne procurer qu’un statut précaire, mais en pratique, le risque est limité : une affectation est à durée indéterminée tant que les terres sont mises en valeur, et le risque d’une désaffectation est très faible, car la commune devrait rembourser les investissements réalisés. Cette voie permet de plus aux entrepreneurs d’échapper à la fiscalité sur les baux.
Cette recherche confirme aussi que les paysans locaux ne sont pas nécessairement contre l’agrobusiness, à condition que les conditions d’installation soient négociées, que les contreparties paraissent acceptables et que la décision de céder les terres leur appartienne. Pour autant, la loi sur le Domaine national ne reconnaît pas l’agrobusiness et est largement contournée. La gouvernance foncière est politisée, peu institutionnalisée, difficilement lisible ; le cadre posé reste flou, ce qui permet des abus de pouvoir de la part de l’administration foncière et des élus communaux. Les négociations sont longues, et n’impliquent pas forcément les parties les plus directement impactées par le projet. Pour l’investisseur, leur issue est toujours incertaine, et pour les populations, le contenu des accords est souvent déséquilibré.
Là où les besoins en capitaux pour développer l’activité agricole et l’emploi le justifient, aux yeux des acteurs locaux, l’enjeu pour la promotion d’un agrobusiness responsable au Sénégal n’est donc pas de forcer une immatriculation des terres au nom de l’État, ce qui spolie les ruraux. Il serait de promouvoir des modalités socialement acceptables de mise à disposition des terres par leurs détenteurs, et des procédures de négociation plus transparentes, en échange, par exemple, d’un statut reconnu à l’agrobusiness dans le cadre de la LDN, ce qui pourrait se faire par la mise en place d’un décret spécifique autorisant les communes à affecter des terres à des entreprises. Partir des pratiques, pour en identifier les atouts et les limites, devrait être considéré comme une première étape indispensable pour définir des voies foncières acceptables par tous. Loin d’une réforme pensée par le haut, il s’agirait d’analyser collectivement, entre entrepreneurs, administration, conseils communaux et organisations paysannes, les chemins fonciers réellement utilisés puis de négocier et de définir, sur cette base, des « bonnes pratiques » socialement acceptables, en termes de négociation et de contenu des accords. Au-delà des promesses d’emploi et de contreparties collectives en infrastructures, la question de la compensation des pertes (en terres, en zones de pâturage, en accès à l’eau et en moyens d’existence, etc.) pour les ruraux, agriculteurs comme éleveurs, qui les subissent devrait être posée de façon systématique, et des alternatives recherchées, que ce soit par la compensation directe des ayants droit, par la mise à disposition de terres aménagées en contrepartie, par une mise en location de long terme des terres par leurs détenteurs, évitant les pertes de patrimoine induites par une affectation. La question de la temporalité des accords pourra alors être posée, de même que celle, actuellement rarement traitée dans les négociations, de l’accès à l’eau, des disponibilités de la ressource, des effets négatifs pour les ruraux, et donc encore celle de la préservation des ressources, en terre, mais aussi en eau et en zones de pâturage, sur un temps plus long. Mais la volonté politique de l’État d’avancer sur cette voie pragmatique – qui entérinerait qu’il n’est pas le point de passage obligé – demeure incertaine.
Références
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Liste des tableaux
Principales caractéristiques des cas étudiés en détail.
Main characteristics of the cases studied in detail.
Liste des figures
Fig. 1 Localisation de la zone d’étude (source de la figure : auteurs d’après SAED 2022). Location of the study area. |
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Dans le texte |
Fig. 2 Schéma théorique de l’accès au foncier dans le cadre de la Loi sur le Domaine national (LDN) (source de la figure : auteurs). Theoretical diagram of Land access under the National Domain Act (LDN) (source: authors). |
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Fig. 3 Accéder au foncier en négociant avec « l’État » (source de la figure : auteurs). Access to land by negotiating with the “State” (source: authors). |
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Fig. 4 Une voie tracée vers les communes pour s’inscrire dans la cadre de la Loi sur le Domaine national (LDN) (source : auteurs). A clear path to communes to comply with the National Domain act (LDN) (source: authors). |
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Fig. 5 Négocier avec les détenteurs : une voie privilégiée pour investir ? (voie 3a) (source de la figure : auteurs). Negotiating with holders: the best way to invest? (path 3a) (source: authors). |
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Dans le texte |
Fig. 6 La formalisation à l’échelle agro-industrielle d’une transaction juridiquement admise, l’acte de cession pour peines et soins (voie 3b). Formalizing a legally-accepted transaction on an agro-industrial scale: the deed of assignment for pain and care (path 3b) (source: authors). |
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