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Cah. Agric.
Volume 31, 2022
Agriculture et services écosystémiques dans les pays du Sud. Coordonnateurs : Georges Serpantié, Philippe Méral, Fano Andriamahefazafy, Jean-Christophe Castella, Malyne Neang
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Numéro d'article | 9 | |
Nombre de pages | 9 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cagri/2022005 | |
Publié en ligne | 20 avril 2022 |
Article de synthèse / Review Article
Intégrer la notion de service écosystémique dans les politiques et les pratiques agricoles des pays du Sud
Integrating the concept of ecosystem services into agricultural policies and practices in the South
1
UMR SENS (IRD, CIRAD, UPVM), Univ. Montpellier,
34000
Montpellier,
France
2
C3ED-M, Mention économie, Université d’Antananarivo,
BP 905,
Antananarivo,
Madagascar
3
Consultante, 61 Les Seignes, 25790 Les Gras, France
4
UMR SENS (IRD,CIRAD,UPVM), Univ. Montpellier, IRD, BP 182, Ouagadougou 01, Burkina Faso
5
INTA-CONICET, IFAB, GIAASP,
Modesta Victoria 4450–CC 277, 8400 San Carlos de Bariloche, Río Negro, Argentina
6
CIRAD, UPR AIDA, 34398 Montpellier, France
7
AIDA, Univ. Montpellier, CIRAD, Montpellier, France
8
Groningen Institute of Evolutionary Life Sciences, Groningen University, P.O. Box 11103, 9700 CC Groningen, The Netherlands
* Auteur de correspondance : georges.serpantie@ird.fr
La notion de service écosystémique est devenue incontournable dans les discours institutionnels et académiques en dépit des controverses et des critiques. Initialement portée par les acteurs de la conservation de la biodiversité, elle connaît depuis plusieurs années un déploiement dans les milieux agricoles. Si l’idée selon laquelle les fonctionnalités des écosystèmes sont déterminantes dans la production agricole n’est pas nouvelle, cette notion permet de mettre en évidence les nouveaux enjeux liés aux changements climatiques et aux besoins alimentaires croissants. Ces enjeux étant particulièrement importants dans les pays du Sud, la plupart des pays dits à faible revenus ou à revenus intermédiaires, il est alors pertinent de s’interroger sur l’intérêt de cette notion sur le plan des pratiques et des politiques agricoles menées dans ces pays. Cet article, introductif au numéro thématique des Cahiers Agricultures « Agriculture et services écosystémiques dans les pays du Sud », retrace l’émergence de cette notion, discute de son importance dans une logique d’intensification écologique des agricultures, avant de présenter les articles qui composent ce numéro thématique. Tout en adoptant une posture critique vis-à-vis de la notion, notamment lorsqu’elle est adossée à des mécanismes de paiement, il insiste sur l’importance de la co-construction avec les paysans des référentiels d’action à adopter.
Abstract
The notion of ecosystem services has become an essential part of institutional and academic discourses, despite controversies and criticisms. Initially promoted by biodiversity conservationists, it has been deployed in agriculture for several years. Although the idea that ecosystem functionalities are a determining factor in agricultural production is not new, this notion allows us to highlight the new challenges linked to climate change and growing food needs. Since these issues are particularly important in the context of the Global South, comprising most of the so-called low- and middle-income countries (LMIC), it is important to consider the relevance of this concept in terms of practices and policies. This article, which introduces the thematic issue of Cahiers Agricultures “Agriculture and ecosystem services in the Global South”, traces the emergence of this notion and discusses its importance in the context of ecological intensification of agriculture before presenting the articles that make up this thematic issue. While adopting a critical stance towards the notion, particularly when it is backed by payment mechanisms, the paper insists on the need of co-constructing with farmers the frames of reference for action to adopt.
Mots clés : services écosystémiques / co-construction / durabilité / agroécologie / paiements pour services environnementaux
Key words: ecosystem services / co-construction / sustainability / agroecology / payments for environmental services
© P. Méral et al., Hosted by EDP Sciences 2022
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
La notion de service écosystémique a pris une place significative dans les arènes internationales depuis une quinzaine d’années, notamment à l’issue des travaux du Millennium Ecosystem Assessment (MEA, 2005). Par service écosystémique, on entend l’ensemble des biens et services que les sociétés humaines retirent du bon fonctionnement des écosystèmes. Cela concerne les services dits d’approvisionnement (qui concernent essentiellement des biens alimentaires, énergétiques, médicinaux…), les services de régulation comme, par exemple, le maintien des sols et la régulation du climat mondial, et les services culturels rassemblant l’ensemble des bienfaits apportés par les écosystèmes pour l’épanouissement des individus et des sociétés (nature patrimoniale ou identitaire, nature récréative…). En remettant l’écosystème au centre, et en examinant la totalité de ses liens avec les sociétés humaines (dans une approche anthropocentrée de l’écosystème), la notion crée un élargissement des préoccupations par rapport aux seules ressources renouvelables, leurs usages et modes de gestion, ouvrant la voie à d’autres manières d’évaluer l’état de la planète, de nouvelles raisons de protéger la biodiversité tout en la valorisant pour le bien-être humain.
Initialement portée par les acteurs de la conservation de la biodiversité pour justifier l’accroissement des aires protégées et mobiliser des financements pour leur gestion, cette notion s’est progressivement étendue au domaine agricole. Dès 2007, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) publie un document de synthèse mettant en avant l’intérêt de cette notion pour la rétribution des agriculteurs au titre des services produits pour d’autres acteurs (FAO, 2007). En France, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) développe à la même époque des expertises sur les « services intrants » rendus par la biodiversité des sols ou des milieux semi-naturels des paysages agricoles (Le Roux et al., 2008). Cette introduction s’est finalement réalisée de manière diverse et diffuse (Tancoigne et al., 2014). Elle a trouvé un écho particulier dans les travaux sur l’intensification écologique (Bommarco et al., 2013 ; Tittonell, 2014), l’agroécologie (Gaba et al., 2015), l’agroforesterie (Rapidel et al., 2011 ; Seghieri et Harmand, 2019), l’élevage (Trilleras et al., 2015), etc.
Cette relation entre services écosystémiques et agriculture apparaît dorénavant incontournable à l’échelle de la planète, en raison notamment de la croissance démographique et des besoins nutritionnels associés. Elle l’est d’autant plus dans les pays du Sud, situés essentiellement dans la zone tropicale, où les enjeux de sécurité alimentaire et de lutte contre la pauvreté côtoient ceux liés aux changements environnementaux : sécheresse, désertification, changement climatique, érosion des sols et de la biodiversité. Pour autant, les recherches scientifiques sur cette relation dans les pays du Sud ont peu d’écho sur les politiques agricoles, si bien que cette notion de service écosystémique persiste encore, pour de nombreux acteurs institutionnels (administrations, bailleurs de fonds, opérateurs privés, etc.), à relever du domaine de la conservation des espaces protégés d’où elle est issue. Ainsi, malgré des recherches prometteuses sur l’interface agriculture/service écosystémique/sécurité alimentaire (voir, par exemple, Félix et al., 2018a ; El Mujtar et al., 2019), si l’on se place du point de vue des institutions et des acteurs non scientifiques de ces pays, cette notion est souvent assimilée à un discours porté par les conservationnistes dans un souci de légitimer et de financer des espaces protégés.
À l’échelle internationale, deux tendances récentes renforcent ce besoin d’appliquer cette notion en dehors des seules aires protégées. La première est liée à l’idée selon laquelle la lutte contre les changements environnementaux mondiaux passera par une meilleure prise en compte des interactions entre biodiversité et santé, biodiversité et sécurité alimentaire, biodiversité et changement climatique, etc. Cette conceptualisation, en adéquation avec la logique des objectifs du développement durable, vise à rompre avec les approches en silos thématiques. Elle invite à prendre en considération les interdépendances entre écosystèmes et sociosystèmes et, de fait, s’oppose à une vision ségrégative des espaces, avec d’un côté des espaces sanctuarisés au titre des services de régulation fournis, et de l’autre des espaces de production et de services d’approvisionnement. La conservation de la biodiversité doit être évidemment abordée via les aires protégées, mais également dans les agroforêts et autres agroécosystèmes multifonctionnels.
La seconde tendance est la reconnaissance de plus en plus forte de l’existence d’enjeux propres aux pays du Sud. Cette prise de position récente, cristallisée autour de la notion de NCP (Nature Contribution to People), vise à intégrer les spécificités des sociétés locales dans l’analyse des interactions entre pratiques humaines et écosystèmes (Díaz et al., 2018). Il n’y aurait pas de vision globale, générique, de ces interactions. Même si cette nouvelle approche NCP se focalise surtout sur la dimension culturelle, notamment sur la pluralité des valeurs associées à l’environnement, liées à la reconnaissance de différentes visions du monde et des systèmes de connaissance, elle offre une place significative à des approches plus complexes sur ces interactions. Par exemple, en mettant l’accent sur la dimension locale, elle permet de déceler des relations négatives, réelles ou perçues, entre écosystèmes et bien-être humain, ce qui est souvent dénommé « dis-services » (Ellis et al., 2019).
En dépit de ces deux tendances qui illustrent l’intérêt de cette notion sur le plan des pratiques et des politiques agricoles dans les pays du Sud, beaucoup reste à faire. Ainsi, même si l’intérêt pour l’approche par les nexus (connexions) semble réel dans les discours institutionnels, l’objectif de protéger 30 % de la planète (à l’horizon 2030), décidé en 2020 par l’Organisation des Nations unies (ONU) et réaffirmé lors du congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en décembre 2021, atteste du succès et de la prédominance d’une vision ségrégative des espaces. De même, la place des agroécosystèmes au sein de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est encore très limitée malgré des avancées substantielles au niveau des cadres d’analyse (Lescourret et al., 2015). Il est encore trop tôt pour évaluer la capacité de cette institution et des approches qu’elle promeut à intégrer pleinement les enjeux décrits ci-dessus.
Dans ce contexte, plusieurs pistes de recherche nous paraissent importantes à traiter et structurent ce numéro thématique des Cahiers Agricultures. Dans ce propos introductif, nous retraçons la genèse de cette notion de service écosystémique, puis nous évoquons son intérêt pour les pays du Sud dans un contexte marqué par les changements climatiques et des besoins alimentaires croissants. Enfin, nous présentons les articles qui composent ce numéro thématique (Serpantié et al., 2022).
2 Genèse du concept de service écosystémique et enjeux spécifiques dans les pays du Sud
Comprendre les enjeux liés aux services écosystémiques dans le monde tropical, là où se trouvent la majorité des pays du Sud, nécessite de revenir sur la genèse de ce concept. Les nombreux travaux issus de la littérature convergent tous pour signifier une double origine : une première provient de l’interface science-politique de la conservation de la biodiversité à l’échelle internationale, dont l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (MEA) de 2001 à 2005, puis la création de l’IPBES, sont l’expression la plus significative. Une seconde origine est à trouver dans les milieux de la conservation de la biodiversité dans les zones tropicales, dans le cadre de l’aide au développement (Méral et Pesche, 2016).
2.1 Une notion forgée et portée par les acteurs de la conservation de la biodiversité
Le concept de service écosystémique a donc été promu à l’échelle internationale à partir de la fin des années 1990 avec l’objectif de proposer une vision plus médiatique de l’érosion de la biodiversité. En insistant sur la dépendance de nos sociétés au bon fonctionnement des écosystèmes, les milieux de la conservation ont ainsi volontairement choisi une approche utilitariste et anthropocentrée et non plus une approche écocentrée basée sur le maintien des habitats d’espèces emblématiques. Le MEA a ainsi produit des cadres de référence, balbutiants et controversés au début, beaucoup plus institutionnalisés par la suite, durant la décennie 2010. Aujourd’hui, l’IPBES a pris le relais pour promouvoir cette notion à l’échelle internationale (IPBES, 2019).
La seconde origine de cette notion provient des milieux spécifiques de la conservation de la biodiversité dans les pays de la zone intertropicale. Ces pays, appuyés par l’aide internationale, ont depuis le début des années 1990 bénéficié d’appuis techniques et financiers pour accroître le nombre d’aires protégées. Les actions menées ont permis, d’une part, le développement et la gestion de ces espaces et, d’autre part, de prendre en compte les enjeux de développement local des populations riveraines. Qualifiées de « Projets de conservation et de développement intégré », ou PCDI, ces initiatives ont été fortement critiquées au début des années 2000 par les mêmes institutions qui les avaient déployées quelques années auparavant (Pagiola et Platais, 2002). Ainsi, dès 2000, les grandes organisations non gouvernementales (ONG) de conservation et les bailleurs de fonds occidentaux ont estimé qu’il fallait arrêter de soutenir financièrement la « conservation par le développement » pour en revenir à des formes plus directes de paiement. Ainsi, le terme initial utilisé, « paiements directs », a rapidement pris le nom de « paiements pour services environnementaux » (PSE par la suite). Les économistes ont en effet conceptualisé ces contrats entre fournisseurs et bénéficiaires de services par la théorie des externalités (Wunder, 2005). Dans cette approche, les fournisseurs et bénéficiaires de services négocient entre eux les termes du paiement, de sorte que celui-ci peut concerner la fourniture d’un service (financement d’une action positive par ceux qui en bénéficient ou « internaliser une externalité positive ») ou l’arrêt d’une activité néfaste qui réduit la fourniture du service (compenser financièrement l’arrêt d’une pratique par ceux qui en bénéficient ou « internaliser une externalité négative »). En l’absence de coûts de transaction et lorsque les droits de propriété sont bien définis, nous explique la théorie économique, ce type de négociation bilatérale est optimal. En pratique, on notera que si l’interaction entre acteurs est au cœur du PSE (et non pas les processus et les fonctionnalités des écosystèmes), cette interaction est aussi d’ordre cognitif (Serpantié et al., 2021). En effet, ces fonctionnalités sont le point de départ de l’identification du service, ce qui suppose de construire une vision partagée de ces mécanismes fonctionnels, des dynamiques écologiques, des pratiques bénéfiques ou à risque et des usages et enjeux environnementaux au sein des parties prenantes, en s’appuyant tant sur les sciences que sur les savoirs locaux. C’est pourquoi le terme de service environnemental a été initialement privilégié et est même maintenu encore aujourd’hui, y compris dans ce numéro thématique (Andriamahefazafy et al., 2020 ; Serpantié et al., 2021). L’idée de service environnemental renvoie donc à l’action pour maintenir ou augmenter des services écosystémiques, même si la distinction entre environnemental et écosystémique est souvent rendue floue dans la littérature par l’usage simultané des deux termes.
Bien que les PSE aient été fortement critiqués, essentiellement dans les milieux académiques, ils ont été promus par de nombreuses institutions en quête de financement. Les PSE ont été, au même titre que les projets de Réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts (REDD+) sur le carbone, considérés comme des mécanismes innovants permettant de financer les objectifs de développement durable. Pour autant, si l’accent est mis dans les arènes internationales sur ces sources de financement permettant de renforcer et de maintenir les services écosystémiques, à l’échelle territoriale, la question des changements de pratiques, notamment agricoles, ne va pas de soi. Ces questions font l’objet d’une large littérature dont Castella et Lestrelin (2021) se font l’écho dans ce numéro thématique.
2.2 Une entrée dans les arènes agricoles plus tardive et plus lente
L’intégration de ces notions de service écosystémique et de PSE dans les arènes agricoles n’est pas allée de soi. Même si la FAO s’est positionnée sur ces notions dès 2007 (FAO, 2007) à travers une publication technique, peu d’initiatives ont émergé durant ces années dans le monde agricole. À l’échelle internationale, la raison tient probablement à des univers distincts entre les milieux de la biodiversité et ceux de l’agriculture. D’autant que les recommandations issues du MEA, puis de l’IPBES, pointent l’utilisation croissante des ressources naturelles à des fins agricoles. Ainsi, parmi les 24 services écosystémiques identifiés par le MEA, seuls ceux d’approvisionnement étaient considérés comme en croissance. De fait, l’agriculture, au même titre que les autres activités économiques basées sur les ressources naturelles ou sur la conversion des espaces naturels, était surtout considérée comme la source de la perte des autres services écosystémiques. Ainsi, aux échelles plus régionales, voire nationales, ces notions ont connu une réceptivité limitée dans le domaine agricole. Cela s’explique également par le fait que, dans le domaine agricole, la valeur ajoutée de ce concept n’a été perçue que tardivement. En France, des travaux sur cette question ont ainsi montré que d’autres concepts et dispositifs agri-environnementaux y occupaient déjà l’espace des politiques agricoles depuis les années 1990 (Maury et al., 2016). La France a, par exemple, employé pendant plus d’une décennie le concept de « multifonctionnalité de l’agriculture » (Bonnal et al., 2012). Cette notion attribuait une pluralité de fonctions – productives, écologiques et culturelles – à l’agriculture, comme la notion de service écosystémique. Ce n’est que récemment que cette thématique s’est développée de manière significative, en plaçant du coup au centre de l’analyse l’écosystème dans son ensemble et pas seulement l’écosystème cultivé (Tibi et Therond, 2018).
De plus, dans les pays de la zone intertropicale, la rhétorique autour des PSE s’est développée, justement avec l’objectif de recentrer le monde de la conservation de la biodiversité sur son cœur de métier, à savoir les aires protégées. L’intérêt des PSE, renforcé depuis par cette dimension financement de la conservation évoquée plus haut, a conduit inévitablement à séparer le monde de la conservation de celui de l’agriculture et du développement rural.
Toutefois, si le constat d’une disjonction entre le milieu de la biodiversité et celui de l’agriculture aux échelles internationales et dans le monde du développement semble réel, il ne doit pas masquer des initiatives pilotes à l’échelle locale. En effet, dresser un bref panorama historique des acteurs et des idées nécessite d’homogénéiser les catégories, ce qui est un exercice réducteur. Ainsi, dans le monde de la conservation, il convient de distinguer les discours et les positions à des échelles macro et les interventions à l’échelle des projets, la plupart du temps mis en œuvre à l’échelle des territoires. Dans ces cas-là, il n’est pas rare de déceler des acteurs combinant conservation de la biodiversité (par exemple, le maintien du couvert forestier à des fins de lutte contre l’érosion pour la production d’électricité en aval) et pratiques agricoles. Plusieurs articles de ce dossier thématique abordent clairement cette question (Neang et Méral, 2021 ; Serpantié et al., 2021).
2.3 Un intérêt relancé par l’évolution de l’agenda international du climat
L’apport du concept de service écosystémique dans le domaine agricole, s’il est historiquement ténu, semble se développer depuis le milieu des années 2010 et plus précisément depuis l’élaboration des objectifs du millénaire et la tenue de la 21e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21) à Paris en 2015. Ainsi, suite à l’échec du processus de Kyoto, l’accent mis sur le financement des politiques climatiques dans les pays en développement, notamment via la création du Fonds vert pour le climat, impulse une réelle dynamique autour des liens entre climat et agriculture. De même, la séquestration du carbone dans les sols via les pratiques agroécologiques (voir, par exemple, l’apport de l’agroforesterie ou de l’agriculture de conservation à l’initiative « 4 pour 1000 »), et de manière générale les approches paysagères intégrées, rendent visibles les liens entre pratiques agricoles et services écosystémiques et les rendent opérationnels. Cette fois-ci, la notion de service écosystémique est mobilisée pour montrer l’importance de l’intensification écologique des pratiques agricoles pour l’atténuation et l’adaptation des sociétés rurales de la zone tropicale face au changement climatique.
De fait, cette notion s’éloigne du référentiel proposé par le MEA et commence, en ce début de décennie 2020, à avoir une réelle autonomie conceptuelle vis-à-vis de la conservation de la biodiversité dans les espaces protégés. À nouveau, l’agroécologie et les autres notions qui lui sont proches n’ont pas besoin de ce terme pour construire leur propre référentiel. Mais il paraît de plus en plus évident que le concept de service écosystémique apporte une transversalité à la problématique en reliant biodiversité, climat et agriculture. L’accent mis sur les services positifs et négatifs, les compromis et synergies entre services écosystémiques, l’importance de la dimension sociétale et culturelle, sont autant d’éléments qui confèrent au concept de service écosystémique un intérêt évident (Colloff et al., 2020). Même s’il demeure des doutes quant à sa valeur ajoutée scientifique, des limites quant à sa conception anthropocentrée et utilitariste, voire occidentalo-centrée comme le revendiquent les tenants de l’approche par les NCP ou la contribution de Fournier (2020) à ce numéro, ce concept s’inscrit dans l’interface science-politique aux arènes multiples. Il permet de problématiser les enjeux actuels autour de l’avenir de l’agriculture en lien avec ceux des menaces mondiales (changement climatique, érosion de la biodiversité, déforestation, désertification), notamment dans la zone intertropicale.
3 Quelles orientations pour les agricultures du Sud ?
Comme nous venons de l’expliquer, la notion de service écosystémique invite à aborder de manière centrale la question de l’équilibre (d’aucuns parleront plutôt de compromis) à trouver entre production alimentaire et conservation des écosystèmes. Dans les Suds, il s’agit d’un défi urgent et d’envergure car la majeure partie de la production alimentaire consommée par l’humanité – ainsi que l’essentiel de l’expansion démographique projetée pour les prochaines décennies – a lieu dans ces régions intertropicales. L’enjeu consiste à parvenir à un équilibre entre la production et la disponibilité de la nourriture, le maintien des ressources, de la biodiversité et de l’environnement, et les économies et modes de vie ruraux (WWF, 2020). Le modèle d’intensification agricole nécessaire pour nourrir 9 milliards de personnes dans un avenir proche doit être intégré à des paysages multifonctionnels capables de fournir une variété de services écosystémiques nécessaires à toutes les formes de vie sur terre, y compris humaine.
Une autre spécificité des pays du Sud est la persistance de la pauvreté en zone rurale, ce qui, d’une part, favorise les pratiques à risques de surexploitation chez les groupes vulnérables (feux, défrichements, bois de feu), et, d’autre part, mène à des projets de développement de court terme qui font de la productivité la seule priorité, aux dépens de la biodiversité (déforestation, agriculture intensive et motori). Cet état économique et politique souligne la prégnance des enjeux environnementaux dans les zones rurales, qui nécessitent un recentrage écologique. Par ailleurs, il s’agit d’explorer et de relancer la contribution des services écosystémiques, qui représentent en soi des moyens gratuits au service des populations les plus démunies, et notamment de redécouvrir le sens écologique des pratiques traditionnelles (de l’intégration de l’élevage et de l’arbre, de la culture temporaire, des variétés rustiques, des cultures associées, etc.), longtemps décriées pour leur faible productivité du travail.
Face à ces enjeux, la question du maintien et du renforcement des services rendus par les écosystèmes est déterminante. Ainsi, l’intensification écologique de l’agriculture (y compris l’élevage) est proposée comme moyen d’atteindre la sécurité alimentaire mondiale en garantissant l’accès à la nourriture, la stabilité de sa disponibilité dans le temps, tout en améliorant sa qualité nutritionnelle, sa biosécurité et sa diversité (Bommarco et al., 2013). L’intensification écologique est définie comme « un processus d’amélioration progressive de l’efficacité écologique des systèmes agricoles en utilisant les fonctionnalités naturelles offertes par les écosystèmes (i.e., services écosystémiques) pour favoriser une productivité plus élevée avec moins d’impact environnemental, réduire la dépendance aux ressources non renouvelables et favoriser l’adaptabilité, la résilience et l’équité sociale » (Tittonell, 2018). L’intensification écologique consiste à combiner les différentes sources de connaissances, promouvoir des innovations techniques et institutionnelles, de manière à permettre aux agriculteurs de faire un usage intelligent des services écosystémiques pour produire des aliments de manière durable (Doré et al., 2011 ; Kleijn et al., 2019). En raison de sa forte dépendance vis-à-vis des services écosystémiques, l’intensification écologique de la production agricole (au sens large) nécessite de donner la priorité à la régénération et au maintien de la biodiversité fonctionnelle dans les paysages productifs du Sud.
De nombreux processus nécessaires à l’intensification écologique nécessitent donc une approche paysagère des services écosystémiques. Ainsi, par exemple, dans un contexte de gestion de l’eau en régions tropicales humides, au lieu de ne concevoir que des canaux pour évacuer l’eau d’une parcelle ou d’un micro-bassin, il s’agit de favoriser les processus naturels qui aident à recycler l’eau dans l’atmosphère, comme une plus grande transpiration des plantes, des plantes mieux adaptées à l’engorgement, des systèmes racinaires qui explorent différentes profondeurs, des infrastructures écologiques tels que des corridors végétalisés naturels et des zones humides protégées. À l’inverse, en contexte de déficit en eau, la couverture permanente du sol par un paillage associé à des plantes à systèmes racinaires profonds et des peuplements culturaux peu denses favorisent une gestion sobre et efficace des ressources en eau dans une parcelle. À l’échelle du paysage, des systèmes de report d’eau de ruissellement (microcuvettes, diguettes, haies vives, etc.) sont à l’image des « brousses tigrées », végétation contractée des zones intertropicales semi-arides du Sahel ou du Mexique, où alternent impluviums et végétation dense (Masse et al., 2013). De même, pour la protection phytosanitaire agroécologique, plutôt que de promouvoir des applications préventives ou curatives d’insecticides, il s’agit de favoriser la régulation biologique des insectes ravageurs par le parasitisme, la prédation, l’interruption des cycles de reproduction, la prise en compte de leur comportement (systèmes push-pull) (Allema et al., 2014 ; Holland et al., 2016 ; Kebede et al., 2018). Au lieu de s’appuyer exclusivement sur une résistance partielle ou complète obtenue par la sélection variétale, ou l’application curative de produits phytosanitaires, il convient de privilégier la conception de paysages diversifiés, hétérogènes, riches en biodiversité et variables dans l’espace-temps, qui interrompent les cycles des maladies fongiques (Skelsey et al., 2009) et autres ravageurs des cultures. La présence de sources de nectar non éloignées les unes des autres dans le paysage est une condition nécessaire à la subsistance et à la reproduction des arthropodes et pollinisateurs bénéfiques, qui assurent la productivité et la qualité des cultures (Dainese et al., 2019). La présence de zones végétalisées permanentes dans le paysage permet une recolonisation plus rapide des populations de vers dans les lots agricoles après chaque récolte (Pulleman et al., 2012). Lorsque la production agricole est intégrée à la production animale, les abris végétalisés améliorent considérablement le bien-être animal, ce qui se traduit par une productivité plus élevée (Coleman et Hemsworth, 2014). Par conséquent, les mécanismes de régulation biologique fondés sur les services écosystémiques nécessitent une conception adaptée du paysage (Tittonell et al., 2020). Différentes formes d’agroforesterie, de cultures temporaires et d’intégration agriculture-élevage sont parmi les pratiques qui offrent le plus d’opportunités pour l’intensification écologique des systèmes de production alimentaire au niveau du paysage en zone intertropicale sèche, où la présence d’une saison sèche confère une grande importance aux plantes à enracinement profond (parcs arborés, jachères arbustives, arbustes fourragers, herbacées pérennes, etc.) (Félix et al., 2018b ; Caulfield et al., 2020).
Finalement, les services écosystémiques dépendent étroite-ment de la biodiversité fonctionnelle présente dans les agroécosystèmes. Cette biodiversité est nécessaire pour soutenir la production alimentaire, et aussi la régénération des sols productifs ou la régulation biologique des ravageurs des cultures, la gestion de l’eau, etc. Dans le même temps, la production industrielle intensive (agriculture, élevage, foresterie) est largement responsable de la perte accélérée de la biodiversité (IPBES, 2019). Un défi majeur dans la conception des systèmes alimentaires au XXIe siècle est donc de réduire leur contribution centrale à la perte de diversité, qui résulte de l’expansion des frontières agricoles, de la pollution de l’air, des sols et de l’eau, et de l’introduction d’espèces envahissantes. La notion de service écosystémique a un rôle à jouer dans la conception de nouveaux systèmes alimentaires capables de contribuer à la restauration des sols et des écosystèmes productifs, d’atténuer le changement climatique et plus généralement de renforcer la résilience des agroécosystèmes.
4 Intérêts et limites de la notion de service écosystémique illustrés par des expériences de recherche-action au Sud
Les sept contributions à ce numéro thématique des Cahiers Agricultures (Serpantié et al., 2022), résumées ci-dessous dans l’ordre de leur parution, tentent de répondre à la problématique de ce numéro à partir d’expériences menées sur différents continents : africain (Andriamahefazafy et al., 2020 ; Fournier, 2020 ; Serpantié et al., 2021), asiatique (Castella et Lestrelin, 2021 ; Neang et Méral, 2021) et sud-américain (Resque et al., 2021 ; Tittonnell et al., 2021). Elles étudient les pratiques agricoles au regard des services écosystémiques de différentes manières : en soulignant les relations positives entre certaines pratiques agricoles et les services écosystémiques, ce qui conduit à réhabiliter l’image de l’agriculteur (Resque et al., 2021 ; Neang et Méral, 2021 ; Serpantié et al., 2021 ; Tittonnell et al., 2021) ; en insistant sur l’intérêt de la notion pour mobiliser les agriculteurs dans des démarches pro-environnementales (Andriamahefazafy et al., 2020 ; Resque et al., 2021 ; Castella et Lestrelin, 2021 ; Serpantié et al., 2021) et, enfin, en portant un regard sur les dimensions cognitives (Castella et Lestrelin, 2021 ; Serpantié et al., 2021) et culturelles (Fournier, 2020) de ces relations.
Fournier (2020) montre qu’une lecture des pratiques et des paysages par l’approche des services écosystémiques culturels dans des sociétés traditionnelles se heurte à une incompatibilité des représentations entre les scientifiques occidentaux et les communautés villageoises. La démonstration est illustrée par le cas d’une pratique de conservation d’un arbuste de jachère à des fins culturelles religieuses par un groupe de cultivateurs du Burkina Faso. L’étude met au jour différents niveaux de représentations relatifs à la terre, à l’être humain et à l’invisible, et montre que si leur attribution à des classes de services écosystémiques est formellement possible, on manque l’essentiel si l’on se contente de cela. L’article pointe donc les risques ou même l’inutilité de vouloir appliquer la logique des services écosystémiques, qui appartient à une conception du monde, la pensée occidentale, qui n’est pas celle des gens chez qui on la met en œuvre dans les communautés du Sud.
Dans le cadre de la mise en place d’un PSE « bassin-versant », contractualisé sur la période 2013–2016 à Madagascar, Andriamahefazafy et al. (2020) cherchent à expliquer pourquoi les usagers des sols ont « joué le jeu » en respectant les clauses du contrat, alors que les rétributions perçues ont été largement inférieures aux coûts d’opportunité induits par des restrictions sur leurs pratiques agricoles, notamment l’interdiction des brûlis depuis 2007. Les auteurs montrent que les motivations des fournisseurs de services environnementaux n’étaient pas seulement économiques mais intégraient aussi des considérations sociales, en termes d’acceptabilité de leur activité productive par les autres groupes d’acteurs, et foncières, via la sécurisation de leur accès à la terre, ainsi que l’accès à l’information technico-économique et à des opportunités de développement à venir à travers leur participation au PSE.
Castella et Lestrelin (2021) ont engagé les communautés locales de quatre terrains d’étude situés en Asie du Sud-Est (Laos, Vietnam, Kalimantan en Indonésie, Yunnan en Chine) dans l’évaluation participative ex-ante de mécanismes de PSE destinés à éviter la déforestation, limiter les émissions de CO2 et séquestrer du carbone dans le cadre de l’initiative globale REDD+. En effet, la participation des populations locales détermine dans une large mesure le succès de ces politiques et des mécanismes d’intervention qui leur sont associés. Les impacts, positifs ou négatifs, des processus d’intensification agricole observés sur le terrain sont évalués par les acteurs locaux en termes de services écosystémiques, afin de comparer les trajectoires paysagères de chacun des sites d’étude. Sur ces bases, les communautés locales ont exploré des scénarios de transformation de leurs pratiques agricoles, négocié des compromis entre services écosystémiques et identifié les « gagnants » et les « perdants » potentiels. L’une des principales leçons tirées de cette étude est que l’évaluation de la faisabilité des mécanismes REDD+ va bien au-delà de l’étude de la compensation potentielle des coûts d’opportunité, d’où l’importance d’une compréhension fine des services environnementaux, de leurs interactions et de leurs dynamiques.
Serpantié et al. (2021) décrivent un processus cognitif de co-définition d’un service environnemental entre des populations locales, des chercheurs et des techniciens comme une étape essentielle du montage d’un dispositif de PSE « hydro-électricité » pilote à Madagascar, identique à celui étudié par Andriamahefazafy et al. (2020). Souvent les PSE « bassin-versant » mobilisent des connaissances écologiques trop générales ou des idées non discutées sur les liens entre paysages, pratiques agricoles et ressources en eau. De plus, le projet d’hydro-électrification rurale intervenait dans un contexte multiculturel où des citadins, ruraux et techniciens, s’engageaient dans des négociations sur les modalités de fourniture d’un service et sur la distribution de ses bénéfices, et cela dans un contexte conflictuel de déforestation en bordure d’aire protégée. La communauté du bassin se sentait menacée d’éviction en cas de cyclone dévastant les infrastructures hydrauliques ou de sécheresse affectant la production d’électricité ou les rizières. L’enjeu était de développer un langage et une compréhension communs des relations entre pratiques agricoles et forestières, écosystèmes et eau, qui permettent de négocier des compromis et d’établir un terrain propice au dialogue. L’apprentissage collectif qui en a résulté a contribué à réduire les incertitudes, à améliorer la reconnaissance des savoir-faire agri-forestiers locaux, à co-définir le service hydrologique attendu et les pratiques associées, à aller vers un schéma de PSE adapté au contexte local en incluant les usagers du sol et ceux de l’électricité, dans le premier contrat de PSE « hydro-électricité » à financement local dans ce pays.
Resque et al. (2021) ont analysé les perceptions de différents groupes d’acteurs sur 17 services écosystémiques et 15 pratiques agricoles en Amazonie brésilienne orientale. La production de nourriture, la régulation des cycles de l’eau et la fertilité et la réduction de l’érosion des sols sont les services écosystémiques les plus mentionnés. La fourniture de ces services est généralement perçue comme étant positivement induite par certaines pratiques agricoles, en particulier par les pratiques fondées sur la biodiversité. Le type d’activité entrepris par les acteurs interrogés et le contexte local influencent significativement leurs perceptions des services écosystémiques. Cette notion de service écosystémique est apparue opérante pour engager la nécessaire coordination entre acteurs autour d’une gestion concertée des agroécosystèmes, de manière à renforcer les pratiques basées sur la biodiversité en Amazonie brésilienne.
Tittonnell et al. (2021) utilisent le concept de service écosystémique pour réhabiliter les systèmes d’élevage intensifs de Patagonie face aux critiques sur leur impact environnemental négatif, notamment en relation avec le réchauffement climatique, la désertification et la dégradation des sols. Ils soutiennent que les systèmes pastoraux fournissent un large éventail de services écosystémiques qui peuvent surpasser leur impact négatif sur l’environnement. En illustrant leur propos par des résultats de multiples études scientifiques menées en Patagonie, où le pastoralisme sédentaire et mobile coexistent, ils montrent l’importance de mobiliser des outils appropriés pour évaluer les compromis et les synergies entre services écosystémiques (culturels, de régulation et d’approvisionnement) à différentes échelles spatiales et temporelles.
Neang et Méral (2021) analysent les services et disservices écosystémiques fournis par le lac Tonlé Sap au Cambodge. Caractérisé par un phénomène de flux et de reflux du fleuve Mékong selon la saison, ce lac, dont la taille relative varie de 1 à 5 pendant l’année, est un lieu de culture du riz, principale activité agricole du pays et base alimentaire de sa population. L’étude révèle la complexité de la caractérisation et de l’évaluation des services écosystémiques, ainsi que les synergies et concurrences entres services. En effet, les services écosystémiques et leurs interactions varient dans le temps et dans l’espace selon les mouvements saisonniers de l’eau et l’organisation spatiale des multiples systèmes rizicoles issus d’une longue adaptation aux fluctuations de l’environnement naturel. La riziculture contribue ainsi à de multiples services écosystémiques : service écosystémique d’approvisionnement en riz de différentes qualités, service écosystémique culturel à travers les paysages agricoles façonnés par ces pratiques agricoles qui contribuent à l’identité khmère, service écosystémique de régulation des crues ou de maintien des habitats, qui déterminent le niveau et la diversité des moyens d’existence locaux et, par conséquent, leur vulnérabilité face à différents aléas.
Finalement, les contributions à ce numéro thématique illustrent la diversité des approches intégrées des services écosystémiques et soulignent à la fois les synergies et les compromis à trouver entre eux pour soutenir les processus d’adaptation des acteurs locaux aux changements en cours. Toutes mettent l’accent sur la complexité des systèmes agroécologiques, dont les services écosystémiques ne peuvent rendre compte pleinement. En tant que construits sociaux, ils sont nécessairement influencés par les choix qui ont été faits à la croisée des multiples visions du monde de leurs concepteurs. Il est donc essentiel de mettre de la transparence dans les approches de co-définition de référentiels d’action des services écosystémiques, afin qu’ils soient pertinents et opérationnels pour différents groupes d’acteurs, du Nord et du Sud, qui échangent à l’occasion des processus de recherche-action. Enfin, l’avenir des approches fondées sur les services écosystémiques dépend de l’émergence de nouveaux cadres de collecte et d’analyse des données capables d’appréhender les interactions dynamiques entre services. Il dépend également de l’engagement des parties prenantes (à travers des modes de communication respectant les différentes représentations du monde en présence), dans les négociations autour des synergies et des compromis entre services écosystémiques, en faveur de résilience pour les agroécosystèmes.
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Citation de l’article : Méral P, Andriamahefazafy F, Castella JC, Neang M, Serpantié G, Tittonell P. 2022. Intégrer la notion de service écosystémique dans les politiques et les pratiques agricoles des pays du Sud. Cah. Agric. 31: 9.
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