Open Access
Numéro
Cah. Agric.
Volume 31, 2022
Numéro d'article 24
Nombre de pages 10
DOI https://doi.org/10.1051/cagri/2022023
Publié en ligne 6 octobre 2022

© M. Le Bars et al., Hosted by EDP Sciences 2022

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1 Introduction

L’utilisation de pesticides de synthèse est de plus en plus fréquente dans les pays en voie de développement, notamment dans le cadre des actions de lutte contre les vecteurs de maladies et nuisibles afin d’améliorer les rendements des cultures. C’est l’Afrique qui utilise le moins de pesticides en volume, en raison notamment de la pauvreté (Bajolet et al., 2021). Néanmoins, c’est l’un des continents où ces produits toxiques font le plus de dégâts sur les populations et l’environnement, particulièrement dans les régions rurales (Isgren et Andersson, 2021).

Au Mali, premier producteur de coton d’Afrique de l’Ouest, le coton conventionnel représente la part la plus importante de la quantité totale produite (Soumaré et al., 2020). La culture cotonnière dépend non seulement de l’apport d’engrais, mais aussi de pesticides chimiques de synthèse, parmi lesquels les insecticides occupent une place importante (Le Bars et al., 2020). Actuellement, pour la majorité des exploitations agricoles, l’utilisation de ces pesticides pendant l’hivernage (juin à décembre) permet non seulement d’assurer un bon rendement de la culture de coton et des principales cultures céréalières, mais aussi de réduire les pertes liées aux ravageurs ou maladies (Brévault et al., 2019). Ces pesticides destinés à la culture du coton sont principalement distribués par la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), mais les agriculteurs peuvent facilement en trouver en complément chez les fournisseurs et sur les marchés locaux (Le Bars et al., 2020).

Dans la sous-région, notamment au Burkina Faso et au Bénin où la production de coton est également importante, des travaux ont été réalisés pour évaluer les risques sanitaires et environnementaux des pratiques phytosanitaires (Ahouangninou et al., 2011 ; Gouda et al., 2018). Ces études montrent une mauvaise connaissance, de la part des agriculteurs, des matières actives qu’ils utilisent, le non-respect des doses recommandées et des fréquences de traitement, ainsi que des effets sur la santé humaine et sur l’environnement (Mamane, 2015 ; Djagni et Fok, 2019).

L’arsenal des pesticides utilisés en agriculture, dans le domaine de l’hygiène et de la santé publique (lutte anti-acridienne, lutte contre les vecteurs comme le paludisme…), est très vaste et les études de leur impact sur la santé sont quasi inexistantes (Kergna et al., 2018 ; Sanou et al., 2020). L’objectif de ce travail est de suivre une cohorte d’applicateurs afin de déterminer les risques sanitaires d’exposition aux pesticides utilisés dans la culture du coton, des céréales et en maraîchage.

2 Méthodologie

2.1 Choix des zones d’étude

L’étude a été conduite dans le cercle de Kita (région de Kayes). Sur 12 villages identifiés par la présence de bas-fonds, trois villages ont été choisis : Madina Malinké, Banfara et Toufinko (Fig. 1), qui sont les seuls à avoir un bas-fond aménagé par l’Agence de développement rural de la vallée du fleuve Sénégal (ADRS) et cultivé en riz. À Madina Malinké et Banfara, les principales cultures sont : (i) le coton, avec des surfaces respectivement de 160 ha et 226 ha en 2020 ; (ii) le sorgho (céréale), avec des surfaces allant de 200 ha à Madina Malinké à 120 ha à Banfara ; et (iii) l’arachide, qui avant l’introduction du coton dans la zone, était la culture prédominante (140 ha en moyenne en 2020 pour les deux villages). Toufinko se caractérise par un grand bas-fond aménagé dans lequel les agriculteurs cultivent principalement du sésame (110 ha en 2020) et du riz (30 ha en 2020). La culture du coton ne représente que 23 ha en 2020 (LMI, 2022).

thumbnail Fig. 1

Situation géographique des trois villages d’étude dans la région de Kita.

Geographical area of the three study villages in the Kita region.

2.2 Échantillonnage de la population

Le protocole de l’étude a été soumis et approuvé par le comité d’éthique de l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako. Selon ce protocole, un échantillonnage raisonné a été effectué en sélectionnant uniquement les hommes de moins de 50 ans. Seuls les hommes sont applicateurs de pesticides dans nos villages d’étude. Dans le processus d’échantillonnage, les personnes âgées, qui peuvent avoir d’autres pathologies pouvant interférer avec le diagnostic de certaines maladies survenant après une exposition prolongée aux pesticides, n’ont pas été prises en compte. Afin de mener notre étude prospective sur l’évaluation du niveau d’exposition aux pesticides des applicateurs, 244 applicateurs ont été choisis parmi 318 hommes des 104 familles identifiées à la suite d’un recensement. En matière de considérations éthiques, un consentement éclairé et volontaire a été obtenu de chaque applicateur pour sa participation à l’étude dans les trois sites.

2.3 Examens cliniques

La cohorte de 244 applicateurs a été suivie de juin à octobre 2020 par le médecin de l’équipe. Il s’agissait d’examiner (anamnèse complète) chaque applicateur pour détecter des signes ou symptômes d’intoxication aigüe suite à l’exposition à des pesticides au niveau de la peau, de l’appareil respiratoire supérieur et de l’appareil oculaire, notamment des yeux.

2.4 Approche participative pour la collecte des données sur les pesticides

Afin de déterminer les produits disponibles par village pour la campagne agricole 2020, un protocole reposant sur des enquêtes auprès des 244 applicateurs a été mis en place. Pour cela, des bâches ont été utilisées (Fig. 2), sur lesquelles étaient représentés l’ensemble des herbicides et insecticides disponibles pour la culture du coton et le maraîchage. Chaque applicateur a indiqué les produits qu’il utilisait selon les cultures et ces données ont été compilées sur tableau Excel permettant d’établir la liste exhaustive des produits phytosanitaires. Une enquête complémentaire a permis de déterminer l’origine de ces produits (CMDT, marchés hebdomadaires, vendeurs ambulants, boutiques à Kita). Afin de déterminer, pour chaque applicateur, les pesticides utilisés tous les mois ainsi que les doses appliquées, un cahier à renseigner mois par mois (juin à octobre) a été remis à chacun d’eux. À chaque traitement avec un produit, l’applicateur indique par un trait le nombre de doses utilisées.

thumbnail Fig. 2

Identification des produits phytosanitaires utilisés par les applicateurs.

Identification of pesticides used by applicators.

2.5 Identification des matières actives utilisées dans les produits inventoriés

Il existe plusieurs bases de données internationales qui contiennent des informations sur les matières actives, telles que SAGE Pesticides (SAGE Pesticides, 2022), E-Phy (ANSES, 2022), Footprint (Footprint database, 2022). Pour cette étude, les données sur les matières actives proviennent de la base de données européenne Footprint (Footprint database, 2022), mise à jour tous les mois (Footprint, 2016). Pour chaque pesticide disponible dans les villages, la ou les matières actives associées et leur famille chimique ont été identifiées, ainsi que leur concentration, les doses homologuées, la firme qui les fabrique, le fournisseur au Mali et son homologation ou non par le Comité ouest-africain d’homologation des pesticides (COAHP, ex-Comité sahélien des pesticides, CSP : COAHP, 2021).

2.6 Analyse des données

Les données obtenues par village ont été saisies dans le tableur Excel et traitées par le logiciel EtoPhy (Caubel et al., 2019). En premier lieu, nous avons utilisé les données disponibles sur les pesticides réellement utilisés dans les villages, puis dans un second temps, les données cliniques obtenues chez les applicateurs durant le suivi médical. De cette façon, la fréquence d’utilisation des pesticides durant la campagne agricole, ainsi que la fréquence des signes relatifs à la toxicité aigüe chez les applicateurs durant le suivi ont été estimées (Mghirbi et al., 2015). Le test de comparaison des proportions Z a été utilisé pour savoir si les différences étaient statistiquement significatives entre les différentes cultures et les matières actives interdites identifiées.

3 Résultats

3.1 Répartition des applicateurs par tranche d’âge

Dans notre étude, parmi les 318 hommes recensés, 64 n’ont pas mentionné leur âge. L’âge des 244 applicateurs de la cohorte varie de 10 à 50 ans, avec un âge moyen de 28 ans à Madina Malinké et de 32 ans à Banfara et Toufinko (Tab. 1).

Tableau 1

Répartition des applicateurs par tranche d’âge et par village.

Distribution of applicators by age group and village.

3.2 Répartition des pesticides selon les cultures

Soixante pesticides ont été recensés, dont 49 herbicides et 11 insecticides. C’est la culture de coton qui utilise le plus grand nombre de produits, soit 25, suivi par le maraîchage avec 24 produits (Tab. 2).

Tableau 2

Répartition des produits phytosanitaires par culture.

Distribution of pesticides used by crop.

3.3 Homologation des pesticides par culture

Sur l’ensemble des produits utilisés, 30 % ne sont pas homologués par le COAHP. Pour le coton, les produits non homologués représentent seulement 1,6 % des 25 produits utilisés. Par contre, pour le maraîchage, 21,7 % des produits utilisés ne sont pas homologués (Tab. 3). Sur les 60 pesticides recensés, 49 sont des herbicides avec un taux d’homologation de 53,3 %, tandis que 11 sont des insecticides, dont 1 seul n’est pas homologué (Tab. 4).

Tableau 3

Homologation des produits phytosanitaires par culture pour les trois sites d’étude.

Pesticides approval by crop for the three study sites.

Tableau 4

Homologation par type de produit phytosanitaire.

Approval by type of pesticide.

3.4 Matières actives à la base des différents pesticides

Les pesticides peuvent être formulés à partir d’une ou plusieurs matières actives. Les 60 pesticides recensés contiennent 28 matières actives appartenant à 20 familles chimiques, dont 10 (35,8 %) ne sont pas autorisées en Europe et dans d’autres pays (Etats-Unis, Australie). Parmi les 49 herbicides, il y a 5 matières actives non autorisées en Europe pour le maraîchage : la prométryne présente dans 6 herbicides (soit 13 % de l’ensemble des herbicides), l’acétochlore dans 5 herbicides (soit 10,2 %), l’atrazine dans 3 herbicides (soit 6 %), le trifloxysulfuron-sodium dans 2 herbicides (soit 4 %) et le paraquat dans 1 herbicide (soit 2 %). Dans les herbicides utilisés sur le coton, seules 2 matières actives ne sont pas autorisées : le métolachlore présent dans 1 herbicide (soit 2 %) et la prométryne présente dans 6 herbicides (soit 13 %). Dans les insecticides, 3 matières actives non autorisées ont été identifiées pour le coton avec une fréquence de 9 % chacune (profenofos, bifenthrine et flubendiamide). Enfin, pour les céréales, la seule matière active utilisée comme herbicide et non autorisée est le propanil avec une fréquence de 4 % (Tab. 5).

Le coton utilise le plus grand nombre de matières actives, soit 20 (48,8 %) ; ensuite le maraîchage avec 16 matières actives (39 %) ; et enfin les céréales avec seulement 5 matières actives (12,2 %). De plus, entre le coton et le maraîchage, il n’existe pas de différence en terme de nombre de matières actives interdites dans les pays industrialisés (t = 0,89, p = 0,3713) pour ces deux cultures (Tab. 6).

Tableau 5

Répartition des matières actives dans les produits phytosanitaires utilisés pour les principales cultures (en italique, celles interdites en Europe ; en gras, les biopesticides).

Distribution of active ingredients in pesticides used on the main crops (in italic, those banned in Europe; in bold, the biopesticides).

Tableau 6

Répartition des matières actives.

Distribution of active ingredients.

3.5 Fréquence des toxicités aigües chez les applicateurs par site et par période de culture

Les différents signes de toxicité aigüe observés chez les applicateurs dans les sites d’étude sont exacerbés pendant les mois de juillet et d’août. En effet, plus de 25 % des applicateurs de Banfara ont présenté des céphalées, vertiges et nausées, tandis que 12,3 % des applicateurs de Madina Malinké et 14,3 % de Toufinko ont présenté ces mêmes signes. Concernant la toxicité par inhalation, c’est à Madina Malinké que le plus grand nombre d’applicateurs présentent ces signes sur les 4 mois du suivi, avec un pourcentage variant de 1,2 à 22,8 %. À Banfara, la fréquence de cette toxicité varie de 1,5 à 16,7 %. Concernant l’irritation oculaire, le taux varie de 0 à 9,4 % à Madina Malinké et Banfara sur les 4 mois de suivi. Pour la toxicité cutanée, la fréquence varie peu à Madina Malinké (de 1,2 à 6,3 %), tandis qu’elle varie de 1,5 à 18,5 % à Banfara, et n’est observée que sur 3 mois à Toufinko avec une variation de 0 à 11,4 %.

3.6 Relation entre les niveaux d’exposition et les pesticides utilisés

Les signes d’intoxication aigüe chez les applicateurs ont été corrélés avec les quantités de pesticides. De manière globale, dans les 3 sites d’étude, ce sont les herbicides à base de glyphosate (famille des phosphonoglycines) qui sont les plus fréquemment utilisés sur le coton, les céréales et en maraîchage (Tab. 5). Les herbicides à base d’haloxyfop P-méthyl sont également largement utilisés pour le coton (famille des aryloxyphenoxypropionates), ainsi que l’acétochlore pour le maraîchage (famille des chloroacétamides). Les insecticides les plus largement utilisés sont pour la culture du coton et formulés à base d’acétamipride (famille des néoconicotinoïdes) et d’indoxabarbe (famille des oxadiazines : Tab. 5).

À Banfara, 18,5 % des applicateurs présentent des signes de toxicité cutanée (par contact) et d’irritation cutanée (prurit, psoriasis) en juillet (Tab. 7). Ils sont exposés durant cette période au glyphosate et à l’acétochlore, qui présentent chacun un indice élevé pour ces toxicités (Footprint database, 2022).

À Madina Malinké, 21,5 % des applicateurs présentent des signes de toxicité par inhalation en juillet et 22,8 % en septembre (Tab. 7). En juillet, ils sont exposés à l’acétamipride et à l’indoxacarbe, présents dans les insecticides et qui ont des indices élevés pour cette toxicité (Footprint database, 2022). En septembre (Tab. 7), ils sont exposés à l’emamectine benzoate (dérivé micro-organique), présent uniquement dans les insecticides et qui a un indice élevé pour la toxicité par inhalation (Footprint database, 2022).

9,3 % des applicateurs présentent des signes d’irritation oculaire en juillet à Banfara, et 9,4 % au mois d’août à Madina Malinké (Tab. 7).

Les applicateurs se sont plaints de céphalées, vertiges et nausées lors de chaque examen clinique entre les mois de juin et de septembre. Ces signes sont largement présents chez 27 % des applicateurs à Toufinko au mois de juin et chez 25,5 % des applicateurs à Banfara au mois d’août (Tab. 7).

Les figures 3a3c montrent que les herbicides sont davantage utilisés par les applicateurs à Madina Malinké et à Banfara entre juin et août, et à Toufinko au mois d’août. Le pic des herbicides est observable au mois de juillet à Madina Malinké, ce qui coïncide avec la présence des symptômes de toxicité par inhalation (Fig. 3a). Le même pic est observable à Banfara, mais cette fois-ci en même temps que la toxicité cutanée (prurit, psoriasis : Fig. 3b). Par contre, à Toufinko, la quantité d’herbicides utilisés est moins élevée et leur utilisation s’étale de juillet à septembre, avec moins d’applicateurs présentant des signes d’intoxication (Fig. 3c). Les pics d’intoxication (céphalées, vertiges, nausées) sont observés en dehors de la période d’utilisation des herbicides (Fig. 3c).

Tableau 7

Répartition des différentes toxicités aigües par site d’étude et par mois de suivi de la cohorte.

Distribution of different acute toxicities by study site and month of follow-up of the cohort.

thumbnail Fig. 3

Corrélation entre les différentes toxicités aigües et l’exposition aux pesticides.

Correlation between different acute toxicities and pesticide exposure.

4 Discussion

L’inventaire des pesticides dans la zone de Kita sur la période 2020–2021 a montré une diversité des produits utilisés pour les trois types de production (coton, céréales et maraîchage). On remarque un nombre important de pesticides utilisés pour le coton (25) et le maraîchage (24), essentiellement des herbicides. Au Mali, l’approvisionnement en semences et intrants pour le coton est sous contrôle de la CMDT. Elle préconise pour chaque campagne agricole un nombre limité de produits (8) à l’ensemble des producteurs de la zone cotonnière (Idelman, 2008). Cependant, les agriculteurs utilisent aussi ces produits distribués par la CMDT pour les cultures maraîchères et céréalières. Il existerait aussi d’autres sources d’approvisionnement, surtout pour le maraîchage et les céréales, qui ne sont pas encadrées. Ces différentes sources sont les firmes, les foires et marchés, et les vendeurs ambulants. Ces détaillants se fournissent à travers des circuits parallèles où la qualité des pesticides reste douteuse. Ils vendent aux producteurs ayant de petites surfaces et peu organisés (Silvie et al., 2001). Ces circuits échapperaient au contrôle de qualité et à l’homologation par le COAHP. Cette situation a aussi été observée au Burkina Faso et au Togo et peut être généralisée aux pays du Sahel (PTAAO, 2018 ; OPED, 2021). Dans le cas du Mali, on observe que seulement 18,4 % des produits sont homologués pour les cultures maraîchères, et 11,6 % pour les cultures céréalières.

Les résultats de nos recherches indiquent aussi que 41,6 % des pesticides homologués par le COAHP sont utilisés sur le coton (COAHP, 2021). Ce taux paraît supérieur à celui obtenu dans d’autres parties du Mali et de la sous-région (Gouda et al., 2018). Ce nombre important de pesticides en circulation peut être dû à la situation géographique de la zone de Kita où il existe une diversité agricole et à la proximité des frontières avec la Guinée et le Sénégal.

Les données disponibles au COAHP indiquent 173 pesticides homologués au Mali en 2021 (COAHP, 2021). Dans notre étude, le taux de pesticides homologués pour les différentes cultures est d’environ 25 % parmi l’ensemble de la liste du COAHP, dont 41,6 % pour le coton. Ce taux est supérieur à celui du Bénin, où seulement 19 % des produits utilisés sur le coton sont homologués (Gouda et al., 2018) et inférieur à celui du Togo où 87 % des produits sont homologués pour l’ensemble des cultures (OPED, 2021).

Les herbicides sont les pesticides les plus largement utilisés dans la zone de Kita, et ces produits sont pour beaucoup formulés à base de glyphosate. Cela s’explique par une demande croissante des petits producteurs, en culture maraîchère comme en culture céréalière, et par le fait que tous les systèmes de culture (coton, céréales, maraîchage, arachide) dans les villages étudiés utilisent les herbicides. La mise en place des cultures par semis direct, qui diminue la pénibilité liée au labour et permet aussi de gagner du temps, a favorisé l’utilisation des herbicides (Olina Bassala, 2010). De plus, les paysans affirment que l’utilisation des herbicides augmenterait le rendement des cultures. Cela a été observé en culture du riz au Sénégal avec une augmentation du rendement de 20 à 40 % (Diallo et al., 2001).

Par rapport aux herbicides, l’éventail des insecticides est plus limité. Sur les 11 insecticides inventoriés, 10 sont destinés à la culture cotonnière. Cela s’explique par la résistance des différents ravageurs, le choix des insecticides se réduisant à ceux qui sont réellement efficaces. Selon les différentes études menées depuis 2018 dans cette zone (Le Bars et al., 2020), les pyréthrinoïdes et les néoconicotinoïdes sont les familles d’insecticides les plus utilisées contre les ravageurs de la culture cotonnière. Il est possible de diminuer le nombre d’insecticides ou la fréquence des traitements sur le coton Bt, génétiquement modifié (Vognan et Fok, 2019), mais ce n’est pas le cas au Mali où le coton cultivé est traditionnel.

Le nombre de matières actives utilisées sur le coton est faible au regard de ce qui se pratique dans d’autres pays producteurs : 30 à 40 matières actives utilisées en Australie, 40 à 50 aux Etats-Unis et 56 à 60 au Brésil (Djagni et Fok, 2019). Ce manque d’alternative dans le choix des matières actives peut entraîner une résistance des ravageurs du coton.

Au cours de notre étude, 28 matières actives ont été identifiées, dont 26,75 % sont interdites en Europe, aux Etats-Unis et en Australie (Footprint database, 2022). Parmi ces matières actives interdites, certaines présentent un risque pour la santé humaine, à savoir des maladies chroniques, notamment l’acétochlore et le flubendiamide, qui agissent sur l’appareil reproductif et qui probablement, à long terme, pourraient entraîner une infertilité (Footprint database, 2022) chez les 244 applicateurs de notre cohorte dont l’âge varie entre 10 et 50 ans (âge moyen : 31 ans). La prométryne, la bifenthrine et la flubendiamide sont considérées comme des sources de perturbation endocrinienne (INRS, 2016 ; Footprint database, 2022). Le risque à long terme est de voir une population ayant un fonctionnement physiologique perturbé (croissance, reproduction…), et avec un effet épigénétique ayant comme corollaire la modification de leur génome (Baldi et al., 2013 ; INSERM, 2017). De plus, le profenofos et la bifenthrine sont des molécules neurotoxiques (Djihinto et al., 2016). Leur présence sur nos sites d’étude expose à long terme les applicateurs à des maladies neurodégénératives de type maladie de Parkinson ou à des troubles cognitifs altérant leur bien-être durant la vieillesse. La problématique au Mali est le manque de diagnostic précis et la faible prise en charge de ces pathologies. Au cours de nos différentes visites, il est ressorti que les populations connaissent le risque qu’elles courent suite à une exposition prolongée aux pesticides. Pour cette raison, les chefs de famille alternent les applicateurs durant la campagne agricole afin de minimiser le risque individuel.

Le suivi des applicateurs durant la campagne agricole 2020–2021 a permis d’analyser les signes relatifs à la toxicité aigüe. Ainsi, nos données concernant la toxicité en relation avec les céphalées, nausées et vertiges montrent que 25 % des applicateurs, surtout à Banfara, ont présenté ces signes pendant la période de traitement des champs par les pesticides. Aucun argument ne permet de lier ces signes au niveau d’exposition aux pesticides, mais certains auteurs ont rapporté des problèmes digestifs liés à l’utilisation des pesticides, avec des taux de 84 % de maux de têtes (céphalées) et de 76 % de troubles digestifs (nausées-vomissements) au Burkina Faso (Gomgnimbou et al., 2009). C’est dans le village de Madina Malinké qu’il a été observé des signes de toxicité par inhalation variant de 1,2 à 22,8 % pendant les 4 mois où les pesticides ont été utilisés. Ces malaises ont été retrouvés au Burkina Faso avec la présence de troubles respiratoires chez 69 % des sujets (Gomgnimbou et al., 2009). Il est probable que ces signes soient liés au niveau d’exposition sur nos sites, car ils apparaissent au moment des pics d’utilisation de grandes quantités d’herbicides. Pour les irritations oculaires, le taux est faible, variant de 0 à 9,4 % à Madina Malinké et à Banfara durant les 4 mois de suivi des applicateurs. Ce taux est extrêmement faible comparé à celui du Burkina Faso, où il a été observé jusqu’à 86 % de cas de picotements des yeux (Gomgnimbou et al., 2009). Enfin, pour la toxicité cutanée (irritation, psoriasis, prurit), la fréquence est faible mais elle est observée durant toute la période culturale. Au Burkina Faso, ce taux est élevé et est de 75 % (Gomgnimbou et al., 2009). Les plus forts taux observés au Burkina Faso comparés à ceux du Mali s’expliquent par le fait que ces données ont été obtenues par des organisations paysannes bien structurées, qui disposent d’un suivi des paysans et peuvent ainsi recenser les cas d’applicateurs présentant des signes de toxicités aigües. Dans notre étude, ces données ont été obtenues chez 244 applicateurs exploitant de petites surfaces allant de 0,2 à 16 ha (LMI, 2022). Ces applicateurs ne sont ni regroupés en associations ni en organisations paysannes, ce qui limite l’accès aux données sanitaires.

5 Conclusion

Cette étude a permis d’éclairer non seulement le processus de circulation des pesticides dans la région de Kita au Mali, mais aussi leurs périodes d’utilisation. Malgré l’encadrement de la CMDT et la mise à disposition de pesticides homologués, il existe une variété de sources d’approvisionnement informel par les marchés, les foires et la vente ambulante. Cela entraîne un risque de circulation de produits non homologués, utilisés par des paysans ayant de petites surfaces agricoles et un niveau d’alphabétisation limité. La circulation de produits contenant des matières actives interdites en Europe est évidente et peut probablement à long terme altérer la santé des populations, avec l’apparition de maladies physiologiques comme celles liées aux perturbateurs endocriniens et de maladies neurodégénératives. Les résultats de cette étude devront être renforcés par des analyses de sang et d’urine pour rechercher des métabolites de matières actives interdites comme la bifenthrine, le profenofos, la prométryne et la flubendiamide. En plus de l’impact sur la santé, les données de cette étude indiquent que ces produits pourraient être une menace pour le maintien de la biodiversité et augmenter la vulnérabilité des écosystèmes.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les populations des 3 villages d’étude, le médecin chef du CSRéf de Kita, la direction de l’ADRS et ses agents, ainsi que le Laboratoire mixte international Dyn-Pathos.

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Citation de l’article : Le Bars M, Sissako A, de Montgolfier A, Sidibe Y, Diarra A, Sagara A, Koita O. 2022. Usage des pesticides et impacts sur la santé des applicateurs en zone cotonnière du Mali. Cah. Agric. 31: 24. https://doi.org/10.1051/cagri/2022023

Liste des tableaux

Tableau 1

Répartition des applicateurs par tranche d’âge et par village.

Distribution of applicators by age group and village.

Tableau 2

Répartition des produits phytosanitaires par culture.

Distribution of pesticides used by crop.

Tableau 3

Homologation des produits phytosanitaires par culture pour les trois sites d’étude.

Pesticides approval by crop for the three study sites.

Tableau 4

Homologation par type de produit phytosanitaire.

Approval by type of pesticide.

Tableau 5

Répartition des matières actives dans les produits phytosanitaires utilisés pour les principales cultures (en italique, celles interdites en Europe ; en gras, les biopesticides).

Distribution of active ingredients in pesticides used on the main crops (in italic, those banned in Europe; in bold, the biopesticides).

Tableau 6

Répartition des matières actives.

Distribution of active ingredients.

Tableau 7

Répartition des différentes toxicités aigües par site d’étude et par mois de suivi de la cohorte.

Distribution of different acute toxicities by study site and month of follow-up of the cohort.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Situation géographique des trois villages d’étude dans la région de Kita.

Geographical area of the three study villages in the Kita region.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Identification des produits phytosanitaires utilisés par les applicateurs.

Identification of pesticides used by applicators.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Corrélation entre les différentes toxicités aigües et l’exposition aux pesticides.

Correlation between different acute toxicities and pesticide exposure.

Dans le texte

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